Le désordre dans l'amour - La polygamie
Le désordre dans l'amour - La polygamie
La polygamie, du grec « polloi », plusieurs, et « gaméo », « gamos », se marier, mariage, désigne le mariage contracté entre un seul homme et deux ou plusieurs femmes, auquel cas cette union s’appellera polygynie (plusieurs femmes); la polygamie peut être également polyandrie, du grec « aner », « andros » (une femme ayant plusieurs époux). De manière courante, le terme polygamie désigne cependant l’homme ayant épousé plus d’une femme, la polygamie étant ainsi l’équivalent de la polygynie.
L’intention claire de Dieu relative au mariage est celle de la monogamie, c’est-à-dire d’un couple unique formé d’un homme et d’une femme, telle qu’elle apparaît déjà dans l’ordre donné dans Genèse 2.18-24, ordre primitif, contrairement à l’assertion libérale selon laquelle cet ordre serait tardif, ayant apparu après la chute pour régler le mariage.
Dès le départ, le mariage normatif est le mariage monogame. Dès cet instant, l’idéal du mariage est manifeste dans l’injonction selon laquelle l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme. Ce texte fondamental de la Genèse reste dès lors le principe opérant pour l’humanité dans son ensemble; il prévoit que le mâle et la femelle s’uniront en une union conjugale sans partage pour devenir l’un la contrepartie de l’autre. Dans cette union, la femme n’est nullement considérée comme inférieure à l’homme, même si l’ordre hiérarchique établi demeure valable et définitif. Ce n’est qu’à la suite de la chute que la position de la femme se détériore, l’ordre hiérarchique initial devenant entre les mains du mâle prétexte non seulement pour dominer la femme de manière autoritaire, mais encore pour l’exploiter et en abuser pour son profit.
Ce type de relations conjugales apparaît dans des circonstances diverses. Des femmes capturées lors des conflits armés sont considérées comme le butin du vainqueur (Dt 21.10-14). D’autres sont prises comme épouses, d’autres encore, réduites à la position de concubines et traitées brutalement, serviront les caprices du vainqueur, pendant que l’épouse légitime donne naissance à la progéniture légitime. Dans le Proche-Orient ancien, des femmes se sont trouvées comme des esclaves pour d’autres raisons encore et ont été fréquemment réduites en objets d’exploitation sexuelle, ou simplement tenues pour des épouses inférieures!
Le plus ancien exemple de polygamie cité dans l’Ancien Testament est celui de Lémek qui épouse deux femmes (Gn 4.19). Plus tard, comme ce fut le cas dans l’ancienne Mésopotamie, les contrats de mariage spécifieront très fréquemment que l’épouse stérile devait fournir à son époux une servante pou engendrer une progéniture dans la maisonnée. C’est une telle coutume qui explique que Sara offre à Abraham sa servante Hagar (Gn 16.1-4). En acceptant cette situation, Abraham a pratiqué une coutume locale au lieu de faire confiance en la promesse de Dieu relative à sa descendance. Un autre cas notoire et sévèrement critiqué dans l’Ancien Testament est celui d’Ésaü qui, malgré son âge avancé, épousera des femmes hittites, contribuant de la sorte à accroître le désordre dans la famille d’Isaac (Gn 26.34-35). Le cas de Jacob est différent, car le jeune fugitif chez son oncle Laban tombera victime des ruses de celui-ci, lequel, à la place de la bien-aimée Rachel, la nuit des noces, lui substituera Léa, sa sœur aînée (Gn 29.15-30). Plus tard, c’est de son propre gré que Jacob pratiquera la polygamie en épousant les servantes de ces deux épouses, cherchant à augmenter le nombre de ses enfants (Gn 30.1-13).
L’une des expressions les plus violentes et les plus blâmables de la polygamie dans l’Ancien Testament est celle dont David, le monarque bien-aimé d’Israël, fut coupable. Pour satisfaire sa convoitise charnelle, David n’hésitera pas à faire disparaître physiquement un haut officier de son armée, d’origine étrangère, pour pouvoir épouser sa veuve! (2 S 11).
La cour de Salomon, son successeur, regorge de femmes et de concubines (1 R 11.1-9). Ces alliances assureront à Israël aussi bien la paix qu’un commerce florissant. Quand ces épouses ou concubines sont sexuellement attachantes, cette prospérité est aussi partagée par le pays qu’elles représentent. Une princesse envoyée à la cour de Salomon est accompagnée des dames d’honneur ou des concubines ou filles esclaves. Un mariage conclu avec Salomon leur procure un sujet d’orgueil et simultanément les rend loyales envers leur pays d’origine, dont elles sont en sorte les ambassadrices et chercheront à en promouvoir l’intérêt politique et économique.
Ainsi, on remarquera que de tels mariages polygames sont fréquemment motivés par des raisons d’État et la conséquence d’alliances politiques avec des nations voisines d’Israël. Pourtant, Exode 34.16 interdisait de telles unions, par crainte de voir le danger d’idolâtrie guetter plus aisément le peuple élu. On notera aussi que certaines extravagances de cet ordre créèrent pour Israël de graves problèmes économiques et politiques. Le schisme du royaume qui eut lieu sous Roboam, fils et successeur de Salomon, s’explique par des tensions engendrées par la multiplicité d’intérêts que représentaient la présence de femmes étrangères à Israël. À partir de là, l’unité nationale et politique ne sera plus retrouvée.
Une forme de polygamie prévue et légale est celle du lévirat. Le « lévir », ou le frère d’un mari décédé, est tenu par la loi d’épouser la veuve de son frère afin de lui susciter une descendance et empêcher que le nom de celui-ci ne disparaisse de la mémoire collective et que ses terres et propriétés ne s’aliènent. Le lévirat assurait par conséquent la continuité de la lignée familiale (Dt 25.5-10). L’ostracisme social frappait tout frère ou proche parent d’une veuve qui refusait de s’acquitter de ce devoir.
Une forme de mariage de lévirat rapporté dans la Genèse est celle de Juda, l’un des fils de Jacob, qui « connaîtra » Tamar, veuve de l’un de ses fils. Cette procédure n’a pourtant pas été prévue par la loi. On peut noter que le mariage lévirat semble, apparemment au moins, contrevenir à la stipulation de la loi qui interdit de connaître la femme de son frère (Lv 18.16 et 20.21). Pourtant, il permet de sauvegarder les droits de la veuve et maintenir intact le cercle familial normal.
Rappelons cependant que tous les patriarches de l’Ancien Testament ne furent pas des polygames. Ainsi, Noé, Lot, Isaac, Moïse et nombre d’autres personnages célèbres de l’Ancienne Alliance nous sont connus comme des monogames.
La loi mosaïque régularisera la polygamie qui s’élèvera de la sorte au rang d’une coutume reconnue et d’une institution sociale. Deutéronome 21.15-17 stipule qu’un homme devra traiter la progéniture de l’épouse défavorisée avec la même équité que celle de son épouse favorite. Cette stipulation laisse entendre que des tensions et des conflits n’étaient pas absents au sein d’une famille polygame. L’homme ne peut pas se servir abusivement de sa concubine. Elle a droit à la nourriture et au vêtement, autant qu’à des rapports sexuels normaux. Si l’on manque à ses obligations, le terrain pour le divorce est acquis et, comme dans tout autre divorce, cela entraîne nécessairement des préjudices économiques sérieux à l’homme, qui sera tenu à rembourser intégralement la somme apportée par la fiancée ou d’autres possessions de la dot. Même à un prisonnier ou à une prisonnière de guerre, on ne refusera pas ses droits (Dt 21.10-14).
Une servante fiancée à un maître (Lv 19.20), c’est-à-dire une fille prise comme concubine, ne sera pas condamnée à mort pour raison d’adultère, bien qu’elle et son partenaire fautif seront sévèrement punis. La raison en est donnée dans le passage même et laisse clairement entendre qu’à celui qui a été donné peu lui sera demandé peu! La concubine jouissant d’un statut moindre que l’épouse légitime ne sera pas tenue pour coupable au même degré que cette dernière! Certes, elle aussi est tenue à la fidélité conjugale, cependant, en cas d’adultère, le châtiment subi sera moindre.
Enfin, notons que, si la loi régularise la polygamie, elle entoure d’un soin exceptionnel le mariage monogame, lequel reste l’idéal pour tout mariage dans le cadre de l’alliance de grâce.
Nous pouvons à présent résumer et faire la synthèse biblique au sujet de la polygamie biblique. La polygamie apparaît comme la conséquence de la chute originelle, dans un monde soumis et asservi au péché. Genèse 2.23-24 sous-entend l’interdiction de la polygamie. Il convient de rapprocher ce passage avec celui de Lévitique 18.18.
Deutéronome 17.17 interdit aux monarques de prendre plusieurs épouses. De même, le souverain sacrificateur ne peut épouser plusieurs femmes et, selon Lévitique 21.13-14, sa fiancée devra être vierge. Selon 1 Timothée 3.2, la polygamie est interdite aux ministres de l’Église, évêques, anciens, pasteurs, diacres. La secte montaniste du 2e siècle y a vu une interdiction à tout mariage après veuvage, le considérant comme l’équivalent de la bigamie!
Lorsque nous examinons les données ou indications du Nouveau Testament, nous observons que, quoique non de manière explicite, Jésus entend le mariage comme une union contractée entre un seul homme et une seule femme. Tel est à notre avis le sens que l’on peut donner à son interprétation de Genèse 2.24 dans le célèbre passage de Matthieu 19.5.
De son côté, dans 1 Corinthiens 7.2, saint Paul semble clairement se pencher vers le mariage monogame comme étant celui qui correspond à la norme établie à l’origine; même si la polygamie a été tolérée, la norme biblique originelle est celle de la monogamie. Cette norme originelle restreint les relations sexuelles au cadre du mariage monogame. Aussi la chasteté conjugale est exigée autant que la fidélité au cours de l’union conjugale.
Ceux qui actuellement prônent et encouragent la promiscuité et cherchent la libéralisation des mœurs chercheront le modèle de l’idée qui leur est chère non dans les textes bibliques canoniques de l’Ancien et du Nouveau Testament, mais dans les cultures archaïques dégénérées. Certes ici et ailleurs, un aspect important de la polygamie est autre que le rapport ou la considération exclusivement sexuelle, un aspect en étant la fonction gouvernementale. Un homme qui possède de grandes richesses aura besoin de nombreux associés qui soient dignes de sa confiance pour assurer la direction de ses affaires. De même, le prince aura besoin d’agents dignes de sa confiance qui, à l’étranger, veilleront sur ses intérêts. Cet aspect social et même économique ne doit pas être négligé quand on examine la polygamie dans des cultures autres que celle de l’Israël ancien. Une raison plus rare de polygamie dans ces mêmes cultures reste le prétexte de remède contre un éventuel désastre. Cependant, la majorité des polygames modernes, ou ceux qui en sont les avocats, sont davantage motivés par la gratification sexuelle. L’homme en dehors des rayons de la grâce rêvera et réalisera la volonté d’abuser de la femme et de l’exploiter, sous toutes les formes possibles et imaginables.
L’un des arguments les plus convaincants en faveur de la monogamie est celui qui, aussi bien dans l’Ancien Testament que le Nouveau, voit en cette union l’image même de la fidélité de l’Église envers son Seigneur (voir notamment Ml 2.13-16). Dans toute situation polygame, les jalousies et les factions sont inévitables et les rapports conjugaux, voire sexuels, n’aboutissent normalement jamais à des relations paisibles et agréables.
La polygamie a été tolérée par Dieu comme le fut le divorce, à cause de la dureté du cœur des hommes (Mt 19.8).
Ces termes bibliques relatifs à la polygamie n’ont pas empêché que, dans l’Église, on ait adopté des attitudes divergentes vis-à-vis d’elle. Nous les résumerons par les quatre points suivants : La polygamie est un péché comparable à l’adultère. La polygamie serait une forme de mariage inférieur, mais pas un péché, là où elle est la coutume locale, quoique inacceptable dans des cercles chrétiens. On estime que, dans certains cas particuliers, la polygamie, forme inférieure du mariage, peut être tolérée et qu’un chrétien à titre individuel peut la pratiquer. Enfin, la polygamie serait une forme de mariage et la monogamie une autre, toutes les deux ayant leurs avantages et leurs inconvénients, mais chacune propre à telle ou telle société; aussi il n’appartiendrait pas à l’Église de se prononcer sur la validité ou la légitimité de la polygamie.
La polygamie étant encore une pratique largement courante dans ce qu’on a toujours l’habitude d’appeler le champ de mission, il faut brièvement rappeler ce qui suit. Il est regrettable que les premiers missionnaires chrétiens qui évangélisèrent les peuples païens d’Afrique ou d’ailleurs aient, en dépit de leurs bonnes intentions et de leur bonne foi, présenté comme condition d’appartenance à l’Église, voire comme exigence absolue pour preuve de conversion sincère, la répudiation des femmes d’un polygame, exceptée d’une seule! On s’est bien tardivement rendu compte d’irréparables misères causées par une telle discipline ecclésiastique rigoureuse, mais sans véritable fondement biblique, et, hélas!, dépourvu de tout sens pastoral, pour ne pas dire de l’élémentaire charité chrétienne. Les dégâts humains causés furent innombrables. Les femmes et les enfants des polygames convertis furent jetés dans la rue, sans ressources, parfois les ex-femmes étant obligées de se livrer à la prostitution pour pouvoir survivre à leur misère matérielle. Heureusement, les mentalités ont changé.
D’autre part, il existe des théologiens modernes qui sont allés à l’autre extrême. Ceux par exemple, aussi bien catholiques romains que protestants, sous prétexte que le Nouveau Testament n’interdit pas explicitement la polygamie, qui acceptent sans autre la pratique polygame chez des chrétiens d’origine païenne. Nous convenons en effet qu’il n’existe pas de passage du Nouveau Testament qui formule une interdiction claire, et l’enseignement de Jésus-Christ insiste certes davantage sur l’indissolubilité du mariage que sur sa forme monogame ou polygame. Toutefois, il nous semble que, même ainsi, on peut avec assez de certitude déduire des passages du Nouveau Testament l’idéal monogame qu’il encourage.
Cependant, une considération pastorale, plus pratique que théologique, dans les champs de mission, tout en encourageant et exhortant à la monogamie, tiendra compte des situations humaines pour éviter des misères plus graves et créer des causes de péchés plus répréhensibles que la polygamie, et tolérera celle-ci sans la tenir pour la forme idéale du mariage chrétien.
Nous ne prétendrons pas à une originalité en déclarant, à la suite de la majorité des missionnaires, que dans les situations actuelles, lorsqu’un polygame se convertit à l’Évangile, il faut l’accueillir, le baptiser et lui permettre la participation à la sainte Cène, si avec toute sa maisonnée il fait profession publique de la foi au Christ.
L’Église n’encouragera pas la polygamie chez ceux qui se sont déjà convertis. Toutefois, un souci pastoral extrême veillera à ce qu’un chrétien converti qui contracte une union polygame, socialement reconnue, ne puisse être exclu de la communion de l’Église, pas plus que ne le serait un divorcé ou un adultère occasionnel. Et, circonstances atténuantes pour le polygame, sa polygamie ne constitue certainement pas un péché de même gravité que celui de l’adultère.
Il est fort possible que des chrétiens de ces contrées missionnaires aient encore besoin de quelques générations d’apprentissage avant de parvenir à l’intelligence claire de la norme idéale que Dieu a posée une fois pour toutes pour régler les rapports du couple au sein de l’union conjugale, c’est-à-dire le mariage monogame.