Qu'est-ce que la foi?
Qu'est-ce que la foi?
« La foi, qu’est-ce que c’est? », m’écrit l’un de mes correspondants canadiens. Je suis toujours surpris et reconnaissant de ce que d’innombrables auditeurs et auditrices des quatre coins du monde francophone me posent les questions essentielles que se pose ou devrait se poser tout être humain…
La foi, qu’est-ce que c’est? Au creux de la vague, lorsqu’on est gravement préoccupé, parfois même angoissé, on se pose inévitablement ce genre de question. L’histoire des hommes en général, ainsi que celle de chacun d’entre eux en particulier, atteint parfois « le creux de la vague ». En tout cas, notre époque atteint « le creux de la vague » peut-être davantage qu’à d’autres périodes de l’histoire.
Je vous ferai grâce de ce que m’écrivait mon auditeur de Montréal sur ce qui à l’heure actuelle contribue à nous jeter dans un sombre pessimisme. Les moyens d’information ne manquent pas pour combler cette lacune. Depuis les esprits les plus brillants jusqu’au simple « homme de la rue », chacun se rend parfaitement compte de ce qui ne tourne pas rond.
Mais parlons de la foi. Je préfère annoncer tout de suite mes couleurs et vous dire que, pour moi, parler de la foi signifie parler aussitôt du Livre qui, de sa première jusqu’à sa dernière page, parle de la foi, de la vraie. Du plus profond de ce « creux de la vague » et sans perdre de temps, venons-en aussitôt à la Bible, puisque c’est d’elle qu’il s’agit. Lorsque vous traversez le « creux de la vague », la Bible vous dit : « Gardez la foi ».
Tout homme réfléchi — et ceux qui réfléchissent sont, heureusement, plus nombreux qu’on ne pourrait le croire — tout homme réfléchi sait donc que la foi est une chose très sérieuse, et même précieuse. « Vous êtes heureux d’avoir la foi », me lance mon correspondant québécois, et, d’un ton nostalgique, il ajoute : « Si je pouvais l’avoir, moi aussi… »
La foi, c’est bien connu, peut surmonter l’angoisse, et cela peut être considéré comme l’équivalent de « soulever des montagnes ». On vous dira parfois qu’elle vous empêche de « commettre l’irrémédiable », disons, sans mâcher les mots, de commettre suicide.
À travers la foi, le mystère de l’existence est enfin découvert, élucidé, éclairé, précisera tel autre. Cela aussi est une opinion fort répandue. Et n’est-il pas vrai que, dans le cœur de l’artiste, dans l’esprit du savant ou dans la volonté d’acier du révolutionnaire, c’est « la foi » qui anime leurs pensées et donne impulsion à leur action? Même vous, qui ne croyez pas ou qui avouez « ne pas pratiquer », vous avez, tout au fond de vous-mêmes, une certaine « foi », cette sorte de foi appelée aussi « le moral » dont tout brave et honnête citoyen doit être pourvu…
J’ose pourtant mettre en question ce qu’on appelle sans trop réfléchir « la foi » et douter de son bien-fondé. Car elle pourrait aussi bien être une idée intelligente qu’une confusion mentale ou psychologique. Le terme de foi, comme celui d’amour, a perdu son sens précis. Cette foi peut ajouter un semblant d’éclat à votre discours qui, au fond, restera vague et ambigu. De quelle foi s’agit-il? D’une foi ruban de fumée, espoir irrationnel ou encore de la foi en un Dieu que l’on dit mort ou absent, gardant obstinément le silence? Ou bien la foi véritable, celle en le vrai Dieu, celui qui s’intéresse à notre insignifiance, si ce n’est misérable existence? Celui que vous pouvez prier au sujet de la maladie incurable de votre conjoint, des difficultés matérielles auxquelles vous vous heurtez, pour vos enfants qui vous causent des soucis ou pour la situation précaire de vos parents âgés?
Je vous dirai que, si vous pouvez vous adresser dans la prière à ce Dieu personnel, vous avez trouvé la foi véritable. Qu’elle soit une chose grande et belle, voilà qui ne soulève aucun désaccord. Mais cette foi est-elle encore la foi au sens biblique? Sigmund Freud, dont presque rien ne me rapproche, disait, avec raison je crois, que la foi est une illusion, une projection des désirs de l’homme. D’accord, Herr Professor, la majorité des gens ne connaissent que cela en guise de foi; c’est la foi d’une humanité éclairée, raisonnable et qui cherche un sens à l’univers, dont elle essaye de déchiffrer les intentions, de saisir la nature et le dessein. Cet homme, optimiste par nature, déclarera à qui voudra l’entendre que l’univers et la vie ont un but bien clair et qu’il suffit d’être raisonnable pour le saisir. Idée intéressante, mais sera-t-elle opérante dans ma situation concrète et particulière?
Un très vieux texte chrétien qui date des premiers siècles de notre ère, le Credo ou Symbole des apôtres, renferme tout ce qui pour la Bible est l’expression essentielle et suffisante de la foi chrétienne : « Je crois en Dieu le Père tout-puissant et en Jésus-Christ son Fils unique notre Seigneur et en l’Esprit Saint. » Voilà ce que j’appelle une foi opérante, la seule qui puisse vous arracher au désespoir et à l’errance, la seule qui puisse vous mettre à l’abri de cette universelle destruction qu’avec horreur ou inconscience, parfois même avec une nonchalance, mais surtout avec angoisse, appréhendent les hommes de cette fin de siècle. Les phrases du credo ne sont pas une idée éclairée ou la projection d’un espoir. Le credo véhicule un message adressé par celui qui en reste l’objet exclusif et l’unique inspirateur. Il nous dit ce que nous devons croire, mais aussi en qui nous devons croire.
La Bible est remplie d’histoires au sujet d’hommes pécheurs et mortels comme vous et moi, qui ont pris parti, si je peux m’exprimer de la sorte, pour la foi et ont carrément misé sur Dieu. Ils n’étaient ni des mystiques ni des illuminés, car ceux-ci ne parlent que de leurs expériences et donc, en fin de compte, que d’eux-mêmes, et non de l’objet de la foi véritable. Ils n’étaient pas non plus en quête de signes tangibles ou d’expériences subjectives. Ils ont cherché Dieu, ont cru et ont marché avec lui.
Parmi eux, une figure exceptionnelle, non parce qu’il fut un géant à côté des nains que nous sommes, mais parce qu’il nous est donné comme le type même de l’homme croyant. Abraham, le patriarche nomade, coupant court avec tous les liens qui l’unissaient à son clan, à sa patrie et à sa ville natale, et renonçant à la sécurité d’une vie confortable dans le milieu le plus hautement civilisé de l’époque, prit son bâton de pèlerin et se lança sur les chemins de l’aventure. Route peu glorieuse, étroite et sinueuse comme toute route qui porte pour nom foi.
Abraham (lisez son histoire dans le livre de la Genèse) eut la foi en Dieu « et cela lui fut imputé à justice » (Gn 15.6); la foi en la promesse de Dieu, celle d’un héritier, lui qui avait alors 90 ans et ne possédait même pas un lopin de terre pour enterrer Sarah, son épouse bien-aimée… Abraham nous est présenté comme le modèle, comme l’archétype même de tout croyant véritable.
En quoi son histoire pourrait-elle nous éclairer? me direz-vous peut-être. Entre nous et Abraham, il y a un fossé de quarante siècles! Entre le choix d’un vieil Oriental dépourvu du bagage de notre savoir moderne et les décisions qu’il nous impose, à nous, hommes et femmes de notre temps, quelle distance infranchissable! Aucune commune mesure…
Pourquoi faudrait-il que chaque fois que nous parlons de la foi nous prenions comme point de départ le temps, l’époque et les mentalités des autres pour les comparer aux nôtres? Comme si la foi n’était que fonction d’évolution historique! Le seul postulat posé pour la foi n’est ni l’époque ni les mentalités, antiques ou contemporaines, mais la Bible. Je crois en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Deux mille ans après Abraham, le Nouveau Testament précise qu’Abraham reste le modèle de la foi correcte et véritable, précise et suffisante. Celui qui croit à la manière d’Abraham sera justifié. C’est une vieille expression biblique à laquelle je donne une traduction provisoire. Cela veut dire être en règle avec Dieu, et Dieu n’est pas un problème intellectuel, une hypothèse philosophique, le point de mire des extatiques et des illuminés…
Car Dieu se montre à nous tel qu’il est dans le visage de Jésus-Christ, qui est la parfaite représentation de Dieu parmi nous. Devenir croyants à la manière d’Abraham signifie nous placer dans le sillage de Jésus-Christ, qui est la parfaite représentation de Dieu parmi nous. Certaines formes d’œcuménisme moderne, qui prennent le monothéisme comme dénominateur commun, ne peuvent que tomber dans une confusion totale. Désolé de décevoir les uns et de peiner les autres, mais depuis Jésus-Christ, avoir Abraham comme ancêtre ne signifie, ni plus ni moins, que placer sa foi dans le Dieu révélé et nulle part ailleurs qu’en son Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, dans la communion de son Saint-Esprit.
Décidément, me direz-vous, votre foi n’est pas commode! En effet, je vous le concède. Mais chercheriez-vous à rejoindre les rangs de ceux qui cultivent leurs illusions, projettent leurs rêves et entretiennent et nourrissent des mythes, sous prétexte qu’ils ont « leur foi à eux »? Il faudra bien pourtant qu’ils comprennent que le creux de la vague ne les épargnera pas, mais engloutira corps et biens ceux qui ne misent que sur eux-mêmes. J’espère que vous êtes suffisamment raisonnable pour ne pas commettre cette erreur irréparable…
Vous pouvez éviter ce risque mortel en croyant et marchant comme Abraham crut et marcha il y a quarante siècles, comme tous les croyants qui, unis par la même foi, redisent sans cesse : Je crois en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Alors le credo cessera d’être une simple formule liturgique pour devenir chant de reconnaissance, cantique d’amour, doxologie adressée à Dieu venu, en son Fils crucifié, nous arracher à toutes les vagues de destruction, à tous les mirages et à toutes les illusions.
Votre foi sera alors la réponse à cette information précise, sûre et solide que l’Écriture met à votre portée pour votre salut et que l’Église universelle proclame fidèlement dans les termes et les phrases du vieux credo.