Cet article a pour sujet les tentatives de démythologisation de la croyance aux démons par la psychanalyse de Sigmund Freud, par Rudolf Bultmann et par d'autres ruses et moyens de faire croire que Satan n'existe pas.

Source: Défi et défaite des démons. 9 pages.

Démonologie - Démythologisation?

  1. La ruse du diable
  2. La psychanalyse
  3. Rudolf Bultmann
  4. Autres objections

1. La ruse du diable🔗

L’ironie intellectuelle des dernières décennies a révélé que, tandis que des théologiens de la terre plate renvoyaient aux orties non seulement les croyances populaires au sujet de Satan, mais surtout la révélation biblique sur le même sujet, dans le monde des publications, tout ce qui touche Satan et l’occultisme connaissait un essor bien difficile à évaluer. Si aux yeux des premiers le diable et le bon Dieu ne semblent pas avoir plus de signification que ce qui est purement symbolique, Satan, lui, est bien portant sur notre planète.

C’est dans les Petits poèmes en prose de Charles Baudelaire que l’on peut lire la phrase la plus profonde écrite par un moderne sur Satan : « La plus belle ruse du diable est de nous persuader qu’il n’existe pas. » C’est Denis de Rougemont qui le cite au début de son Tactique du diable. Je lui emprunte une page.

« Reconnaissons que ce tour n’a jamais mieux réussi que dans l’époque contemporaine. Même quand nous croyons “encore” en Dieu, nous croyons si peu au diable que l’on nous accusera certainement d’obscurantisme, ou simplement de manque de sérieux, si je persiste en mon projet de lui consacrer tout un livre.
Le premier tour du diable est son incognito. Dieu dit : “Je suis celui qui suis”, mais le diable toujours jaloux d’imiter Dieu, fut-ce à rebours, puisqu’il voit tout d’en bas, nous dit comme Ulysse au Cyclope : “Je me nomme Personne, il n’y a personne.” De qui aurais-tu peur? Vas-tu trembler devant l’inexistant? Comme le chat du Cheshire, dans Alice au pays des merveilles, le diable a, de nos jours, achevé de disparaître, ne laissant plus flotter dans l’air qu’un rire imperceptible aux gens paresseux.
Cependant, la Bible dénonce l’existence du diable à chaque page, de la première, où il apparaît sous la forme du serpent, jusqu’à l’avant-dernière, où nous voyons Satan lié pour mille ans, puis délié et déchaîné sur les quatre parties du monde pour les tromper et pour les faire se battre sans raison alléguée, finalement flamboyé par le feu du ciel et précipité dans un étang de flammes et de soufre avec ses faux prophètes, pour y être tourmenté nuit et jour aux siècles des siècles. La Bible, c’est un fait trop peu connu, parle beaucoup moins de mal en général que du Malin personnifié (tout au moins dans les textes originaux). Si l’on croit à la vérité de la Bible, il est impossible de douter un seul instant de la réalité du diable. Mais qui croit encore à la Bible sérieusement, dans un monde où l’on croit aux journaux? »

C’est un fait : l’homme moderne éprouve moins de peine à prêter foi aux mensonges du jour qu’aux éternelles vérités transmises par le Livre saint. L’homme moderne — en moi-même d’abord et par la voix que vont lui donner mes lecteurs — m’arrête, au seuil de cette étude, et me dit avec un sourire d’indulgente incrédulité : « Vous croyez donc au diable? Auquel? Celui du Moyen Âge avec ses cornes rouges? Ou un vrai diable. » De Rougemont poursuit plus loin :

« On nous dit diable et nous voyons un démon ricanant et cornu, qui circule dans l’ombre animé des plus mauvaises intentions. Ces réflexes d’optique intérieure ne prouvent rien sur Dieu ni sur son existence. Mais chose curieuse, ils nous paraissent prouver quelque chose sur Satan : notamment qu’il n’existe pas, sinon comme accessoire des mystères médiévaux… Fascinés par l’image traditionnelle et trop évidemment puérile, ils ne se doutent pas que le diable agit ailleurs, sans queue ni barbe, par leurs mains peut-être. Ce qui me paraît incroyable, ce n’est pas le diable, et ce ne sont pas les anges, mais bien la candeur et la crédulité des sceptiques, et l’impardonnable sophisme dont ils se montrent les victimes. “Le diable est un bonhomme à cornes rouges et à la longue queue; donc je ne crois pas au diable.” C’est tout ce qu’il demandait.
Et ceux qui en restent aux contes de bonnes femmes, ce sont ceux qui refusent de croire au diable à cause de l’image qu’ils en font, et qui est tirée des contes de bonnes femmes. »

Denis de Rougemont donne ici une leçon magistrale aux théologiens de tout poil, qui s’étaient, depuis quelques décennies, lancés dans une sotte entreprise de démythologisation.

Avant d’examiner la position théologique la plus radicale s’opposant au contenu biblique, passons rapidement en revue quelques positions rationalistes modernes.

2. La psychanalyse🔗

Certains psychanalystes prétendent que les démons ne sont que les projections extérieures de notre « libido », c’est-à-dire de nos appétits sexuels en butte aux interdictions et tabous moraux et sociaux. Incapable de se soustraire à ces mouvements ou pulsions et, d’un autre côté, refusant inconsciemment d’en assumer la responsabilité, l’individu échapperait à cet antagonisme en imaginant, extérieurement à lui, des puissances démoniaques. Essayons de pénétrer davantage cette explication. Selon les théoriciens de la nouvelle science, l’ensemble des préceptes moraux pèse sur le « moi » et forme le puissant « surmoi ». C’est ainsi que toutes les défenses nous contraignent à obéir, et, partant de là, le bien c’est d’abord la vertu d’obéissance. Le mal est donc la révolte contre les défenseurs, contre le « surmoi ». Le contraire de la vertu, chaque être pensant le porte en lui-même et le « refoule » dans l’inconscient. C’est l’enfer intérieur.

« Il existe quelque part, dit à ce propos C.G. Jung, un effroyable et sinistre frère, notre vivante et véritable contrepartie, qui nous est liée par le sang et qui engrange méchamment tout ce que nous voudrions faire disparaître sous la table. » Notons que cette opposition interne a été mise en lumière par tous les penseurs chrétiens et déjà par saint Paul (Rm 7.18-20).

Il arrive parfois, toujours selon les théories psychanalytiques, que l’individu soit trop faible pour supporter les exigences du « surmoi ». Celui-ci est alors « projeté » à l’extérieur et engendre les hallucinations et possessions démoniaques. Le « surmoi persécuteur » devient ainsi le « diable », personnalisation en quelque sorte de toutes les « défenses méchantes », et aussi des instincts bruts d’agressivité refoulée, au premier rang desquels se place la sexualité avec le fameux complexe d’Œdipe non résolu.

Certes, aucun psychologue, philosophe ou médecin ne peut rejeter en bloc ces théories. De plus, il paraît évident que les préceptes moraux, lorsqu’ils ne sont pas appliqués avec discernement, risquent d’avoir des résultats anti-biologiques et exposent à des névroses, voire à des désordres mentaux. Mais qu’y a-t-il de nouveau dans ces définitions? Ne s’agirait-il pas en définitive d’un support à une thérapeutique s’efforçant de guérir des névroses? Car, en fin de compte, si la terminologie est nouvelle, le fond du problème est connu depuis des siècles. La foi n’a jamais ignoré les maladies mentales, en distinguant le possédé des sujets que travaille la mélancolie ou quelque autre maladie. Les inhibitions, impulsions sexuelles ou obsessions criminelles n’ont été confondues avec les possessions diaboliques que par les personnes naïves ou mal informées. Aussi bien, lorsque Freud conclut que « le diable n’est pas autre chose que l’incarnation des pulsions anales érotiques refoulées », il est évident que l’essentiel du problème lui a échappé ou qu’il l’a volontairement méconnu. Il n’en demeure pas moins qu’un grand nombre des disciples de la nouvelle science lui ont emboîté le pas, prenant même une position encore plus outrancière et inclinant à un pansexualisme extravagant et, sous bien des aspects, complètement ridicule.

Tous les neurologues et psychiatres n’ont pas adopté, tant s’en faut, une telle manière de voir. D’aucuns ont par exemple distingué entre les crises d’épilepsie ou d’hystérie et les phénomènes convulsifs inexplicables par la science. C’est ainsi que le Dr Pierre Giscard écrit à ce propos :

« Il reste acquis que tout, dans l’hystérie, est illusion ou tromperie. Mais la grave question est de savoir si, parmi des faits rangés dans l’hystérie, certains relèvent de l’action d’un mystificateur ou d’un simulateur supra-humain qui a été appelé “le père des mensonges”. Pourquoi supposer une telle action? Pour deux raisons. La première est d’ordre physique et technique : les faits ne sont pas explicables par les lois de la psychologie, de la physiologie et de la pathologie. La seconde est d’ordre moral : ces faits ont un caractère indéniable de séduction et de tape-à-l’œil. Ils ont toujours éveillé la suspicion du corps médical. Or, il n’est pas sûr que, dans ce qu’on nomme “hystérie”, l’agent de la mystification soit, dans tous les cas, un agent humain. La prudence exige qu’on n’écarte pas a priori dans ce domaine du mensonge l’hypothèse d’une intervention démoniaque à l’origine de ces faits étranges, extraordinaires et moralement mauvais. Le médecin n’a pas à se prononcer sur cette hypothèse, mais il ne doit pas la méconnaître…
Les symptômes nerveux, mentaux et somatiques présentés par les personnes dites possédées, ou par d’autres personnes, ne relèvent pas de l’épilepsie. La description que Charcot a donnée de ces signes est objective. Seule son opinion, sur leur cause, doit être discutée. Ni sa thèse sur l’autonomie de la grande hystérie ni le recours à l’hypothèse du pithiatisme, formulée par Babinski, n’entraînent la conviction, lorsqu’il s’agit de faits dûment attestés, qu’une volonté ou une imagination humaine ne peuvent ni causer ni reproduire. L’hypothèse de Babinski est valable seulement pour les crises pithiatiques banales et non pour ces faits extraordinaires. Ces faits, dans la mesure où ils sont réellement attestés et contrôlés, ne sont pas explicables naturellement.1 »

3. Rudolf Bultmann🔗

La tentative théologique la plus radicale de démythologisation au cours de notre ère fut celle de Rudolf Bultmann, théologien protestant de Marbourg, en Allemagne. Bultmann prétendait qu’il lui importait simplement de modifier la forme du message évangélique sans en altérer le contenu. En réalité, il a réussi à opérer le contraire et, comme on dit, il a jeté le bébé avec l’eau du bain.

Certes, le théologien allemand reconnaissait que si on ne prenait pas au sérieux la démonologie avec laquelle Jésus était en prise, on ne saisirait pas davantage son message. Il est d’accord avec tous ceux qui estiment que les changements à opérer dans la société et le monde en général ne seront pas d’ordre sociopolitique, mais relèveront du miraculeux, d’un surnaturel qui, dans une catastrophe universelle, balayera sur son passage toute l’ancienne structure. Notre surprise n’en est pas moins grande en suivant les réflexions du célèbre théologien qui parvient quand même à une dénégation totale, absolue et irrévocable des réalités démoniaques. La foi en des démons, même partagée par Jésus, relèverait d’une conception archaïque du monde et, par conséquent, il serait absurde d’y revenir pour expliquer l’Évangile. Il devenait urgent non d’interpréter le message de Jésus, mais de l’adapter aux vues et aux goûts des mentalités modernes prétendument scientifiques.

Il est vrai qu’un esprit même simple ne peut comprendre de quelle manière le père de la démythologisation cherche à préserver le message de l’Évangile tout en l’amputant de son élément constitutif. Mais celui-ci ne faisait en réalité que de reprendre à son compte les clichés éculés et autres polémiques malveillantes anti-chrétiennes du 19e siècle. Son a priori contre le miracle n’était donc pas une nouveauté.

Pour le théologien de Marbourg, la conception biblique du monde est « mythique », comme chacun sait. Ce mythe est la tarte à la crème des modernes. L’idée dominante dans la Bible serait que ce monde est la scène de l’action des puissances surnaturelles. Les démons envahissent le cosmos; Satan, le péché et la mort exercent une influence sur le monde qui, à son tour, se précipitera vers une fin cataclysmique. La venue du Juge céleste, la résurrection des morts, le jugement, le salut et la perdition s’ensuivront. Tout ceci ferait partie de la conception mythique du monde que partageraient les auteurs de la Bible. Dieu envoie son Fils préexistant qui souffre et meurt sur la croix et ressuscite, monte au ciel, promet de revenir. Pour l’homme moderne, dit Bultmann, c’est là une conception indéfendable. Notre connaissance est tellement développée et nos moyens techniques tellement prodigieux que l’on ne peut prendre au sérieux et accepter un tel langage comme essentiel au salut.

Que signifie « descendre aux enfers » et « monter au ciel »? On ne peut plus employer la lumière électrique, la radio, avoir recours à la médecine moderne et aux méthodes cliniques et cependant croire aux miracles et au monde des esprits du Nouveau Testament. Dans la mesure où la nature nous devient transparente, la possibilité du miracle s’évanouit. La conception archaïque de ce monde biblique est donc dépassée et périmée. Elle est insoutenable, incompatible avec les connaissances modernes. On ne peut pas croire que les démons produisent des maladies. La maladie résulte de l’activité des germes, des microbes, des virus. Personne ne croit, dit-il, à un monde à trois étages, ciel-terre-enfer. Même le plus naïf écolier n’attend pas la fin du monde de la façon ridicule qui est décrite dans les Évangiles synoptiques.

Nous résumons trop schématiquement la pensée de Rudolf Bultmann. Cependant, notre lecture de son Interprétation du Nouveau Testament nous a révélé que l’auteur n’y offrait qu’une pure caricature du message des Évangiles. Pourquoi critiquer l’univers à trois étages, alors que cela n’a rien à faire dans l’ensemble de la question du conflit cosmique et de la corruption satanique du monde? Refusons-nous de lire les Psaumes parce qu’ils font allusion au bras et aux mains de Dieu?

Rejeter l’espérance au retour du Christ sous prétexte qu’un écolier naïf n’y croirait pas revient à renoncer à croire en l’une des composantes les plus riches de l’enseignement évangélique. Si le monde n’a pas eu encore une fin comparable à un cataclysme tel que les Évangiles les décrivent, c’est parce que l’élément du temps joue un rôle. Que le monde n’ait pas pris fin, pour l’instant, n’est pas une preuve suffisante selon laquelle Jésus aurait prêché dans l’illusion, ni qu’il ait entretenu les siens dans celle-ci. Si Jésus s’est trompé sur ce sujet, il nous est permis de penser qu’il s’est trompé sur beaucoup d’autres et, pourquoi pas, sur le sujet même que Bultmann veut retenir comme message, à savoir sa relation particulière avec Dieu et sa mission rédemptrice. Ne se serait-il pas bercé d’illusions même à ce sujet?

On a pu dire à son propos que, bien que ce théologien libéral cherche à rester en accord avec l’Église primitive et les symboles œcuméniques, Jésus-Christ, d’après lui, n’a pas été conçu du Saint-Esprit, n’est pas né de la vierge Marie, a en effet souffert, a été réellement enseveli, n’est pas descendu aux enfers, n’est pas ressuscité des morts, n’est pas monté au ciel, n’est pas assis à la droite de Dieu et ne viendra pas pour juger les vivants et les morts. Ce qui reste alors, c’est un homme misérable qui n’a rien fait de miraculeux et qui a d’autant mieux triomphé des démons que ceux-ci n’existaient que dans sa pauvre imagination! La résurrection corporelle, elle aussi, est niée, car elle n’a été que le produit d’une hallucination des premiers disciples. La même foi a pris la forme du témoignage néotestamentaire et elle se communique à nous dans la prédication. La résurrection ne serait donc qu’une interprétation de la croix. Y croire c’est croire en la crucifixion.

Rudolf Bultmann a parlé à tort d’une conception scientifique du monde, car la science elle-même ne possède pas de conception du monde. La science ne s’intéresse qu’aux objets et aux données qui se présentent dans ce monde. Plutôt que de réduire au moyen de la démythologisation tout le message de l’Évangile à un tel adage, mieux vaudrait signaler ici un mythe dangereux, le mythe de l’homme et de son existence comme mesure et but de tout ce qui existe sur la face de la terre et dans les cieux.

Si les Évangiles parlent de maladies, de tourments physiques, de « mastigès », signifiant en grec verges, la raison en est qu’ils savent qu’une puissance du mal agit constamment et universellement dans le monde. Telle est en tout cas la pensée et la conviction profonde de Jésus. Le mal est une réalité qui dépasse le domaine de l’homme, devant lequel l’homme n’a aucun pouvoir de résistance. À la fois responsable et victime, il demeure cependant l’objet de la compassion de Jésus. D’après Bultmann, le mal ne serait qu’une réalité existentielle, issue de la limitation des forces de l’homme, de l’activité de son subconscient. Les mauvaises intentions de l’homme l’auraient engendré.

Il est douteux que la réalité s’accorde avec une théorie aussi bornée. Une génération qui a vu deux guerres mondiales, qui a été le témoin de catastrophes inouïes, de crimes atroces parmi lesquels divers génocides, à commencer par celui des Arméniens par les Turcs et pour finir par l’autogénocide des Cambodgiens, qui a produit des instruments de destruction massive, ne peut prétendre que, derrière tout cela, il n’y a que de mauvaises intentions humaines. Nous y discernerons volontiers la main du démon et ses activités, lesquelles sont de même nature qu’elles l’étaient durant la vie terrestre du Sauveur, quoique sur un plan différent de celui des Évangiles. Le mal est une puissance, une force maligne indépendante de la volonté de l’homme, due à la volonté du Malin.

Même dans le domaine de la maladie, que disent les savants après avoir parlé de microbes et de virus? Les microbes et les virus expliqueraient-ils toutes les nosogénies? Savoir de quelle manière on attrape le virus est autre chose que d’expliquer la maladie et la fonction du microbe. Parler de microbes ou d’amibes ne sera jamais une réponse satisfaisante à donner à celui qui se trouve au chevet d’un mourant.

La démythologisation est une entreprise illégitime, car elle ne touche pas seulement la forme, mais encore affecte le fond même du message évangélique. L’adaptation du message du Nouveau Testament aux besoins de l’homme moderne ne peut s’opérer qu’au prix de l’élimination des éléments et composants essentiels de ce même message. Il ne suffit pas d’adapter le message, encore faut-il qu’il soit audible comme un message reconnaissable, pouvant être adressé à l’homme et répondant à ses réels besoins.

L’Église d’aujourd’hui se trouve dans une position que l’on ne peut vraiment envier. On prétend que si nous ne démythologisons pas l’Évangile, nous allons perdre notre audience. Mais si nous nous livrons à cette entreprise, nous n’aurons aucun message à adresser à qui que ce soit. A-t-on vraiment gagné beaucoup de nos contemporains à l’Évangile en adaptant son message aux mentalités modernes? J’en doute. Ce sont encore les vieux récits des Évangiles que l’on dit « naïfs », mais qui sont vrais, qui touchent l’homme et convertissent même le plus incrédule.

Notre conviction est que prendre les miracles dans un sens uniquement symbolique ne peut résister aux affirmations du texte. Que la lèpre ait été considérée dans l’Ancien Testament comme une impureté religieuse est un fait, mais il ne s’ensuit pas que, dans le Nouveau Testament, lorsque Jésus purifie un lépreux, il ne pense qu’à accorder la vie spirituelle, non la santé physique. L’exemple des neuf lépreux ingrats illustre fort bien ce que nous disons. Les miracles ne supportent pas de spiritualisation allégorique.

Nous pensons qu’il ne suffit pas d’affirmer la réalité des miracles évangéliques, parmi lesquels l’exorcisme, mais qu’il faut encore en discerner le motif profond, à savoir la lutte contre Satan. Nous le dirons encore : celui-ci est déjà vaincu, la lutte décisive a été inaugurée, la victoire est une réalité. Notre seule réponse consistera à regarder toujours, sans défaillance, la victoire complète et glorieuse qui a été scellée le matin de Pâques, dans une attente remplie d’une infinie jubilation, en résistant avec un non catégorique à toute démythologisation.

Les références bibliques faites aux démons ne peuvent pas s’interpréter, ainsi que c’est le cas chez Bultmann et ses disciples, comme si elles faisaient partie d’un cadre de vie qualifié de culturellement déterminé par l’époque, appelée préscientifique.

Tous les aspects de la démonologie biblique sont essentiels pour la compréhension correcte de l’ensemble du message évangélique. Au lieu de les expulser du texte, il faut s’atteler à les exposer. Jésus en personne a attribué aux puissances démoniaques une importance qui dépassait le pur accident. Derrière le mal physique et mental, il a discerné l’arrière-fond du mystère du mal spirituel, de telle sorte qu’il nous est également, à l’heure actuelle, tout à fait possible d’avoir une idée claire et correcte à ce sujet.

De l’avis de la plupart des spécialistes du Nouveau Testament, en dépit de divergences sur des points secondaires, la croyance aux démons ne fait pas partie d’un échafaudage apocalyptique, mais s’intègre à la substance de la foi évangélique.

Malgré sa manière de démythologiser certains passages des Évangiles, Emil Brunner, un théologien zurichois, nous surprend en attribuant un rôle essentiel à la démonologie du Nouveau Testament. « Dans le Nouveau Testament, écrivait-il, cet arrière-plan sombre, c’est-à-dire l’existence des puissances des ténèbres, fait partie intégrale de l’histoire de Jésus-Christ. » Il ajoute : « nullus diabolus, nullus redemptor » (point de diable, point de sauveur)2.

Refuser l’existence des démons, sous prétexte que Jésus se serait accommodé des croyances contemporaines, anéantira l’autorité souveraine des Écritures.

4. Autres objections🔗

Relevons encore quelques-unes des objections faites à la démonologie biblique.

Penser qu’il existe actuellement des personnes possédées du diable ne serait pas plus certain que de penser que des lunatiques seraient tombés sous l’influence de la lune! L’objection serait valable si les auteurs des Évangiles, outre la désignation des malades comme lunatiques, cherchaient à nous convaincre que ces derniers étaient littéralement placés sous l’influence de la lune! Or ce n’est pas le cas. Si ce l’avait été, on pourrait établir une certaine analogie entre lunatiques et démoniaques.

Une deuxième objection veut que le phénomène en question se manifeste dans une maladie physique ou mentale, par conséquent aucune origine démoniaque ne pourrait avec certitude lui être attribuée. Il n’est pas vrai que tous les phénomènes peuvent s’expliquer de cette manière-là. Certains symptômes sont-ils de nature lunatique ou bien relèvent-ils de l’épilepsie? D’autres ont encore un caractère différent. Les possédés ont bien souvent donné la preuve qu’ils détenaient un pouvoir surnaturel. En outre, l’Écriture affirme que les mauvais esprits ont le pouvoir de créer des maladies physiques.

Une troisième objection veut que de semblables faits ne se produisent plus actuellement. Ceci n’est nullement prouvé. Selon l’Écriture, les esprits impurs œuvrent sans cesse chez les fils de la rébellion. Ils peuvent agir comme ils l’ont fait durant les périodes reculées. Il existe de bonnes raisons de penser que Satan décupla son activité durant le ministère terrestre du Christ. Même en supposant que des miracles semblables ne se produiraient plus actuellement, on ne démontre pas pour autant qu’ils ne se seraient pas produits dans le passé.

Il n’existe aucune raison sérieuse de supposer que Satan et ses suppôts n’opèrent pas actuellement comme ils l’ont fait dans le passé. La différence entre croire en ce qui est possible et croire seulement ce qui est certain se voit dans l’attitude des réformateurs Luther et Calvin. Le premier était disposé à se référer aux esprits impurs; quant au second, il ne voulait accepter rien qui ne puisse se prouver comme étant réellement l’œuvre de Satan3.

Tout ce qui dans la Bible est une référence directe aux choses naturelles, énoncé en termes et à l’aide de concepts culturels contemporains, n’est nullement anti-scientifique, mais plutôt préscientifique, ce qui n’est pas la même chose. On trouvera un exemple concret dans le domaine de la psychologie biblique. Des termes tels que « cœur », « reins », « entrailles » impliquent des propriétés psychiques, et on peut aisément admettre que ces termes expriment des idées contemporaines. Des organes physiologiques représentent l’activité psychique! Le fait que l’homme ait été créé à l’image de Dieu relève de ce qui est transculturel. Le transculturel est intimement associé à l’inspiration biblique, mais ailleurs, ce qui n’est que culturel et qui véhicule de tels concepts n’est pas forcément inspiré. Nous n’avons nul besoin de désigner par entrailles notre psychisme et d’employer ce terme comme s’il relevait d’une inspiration divine, si nous trouvons une expression plus adéquate pour expliquer l’état de nos émotions. Quoi qu’il en soit, les catégories de l’anthropologie biblique qui expriment notre rapport avec Dieu sont les seules autorisées.

Le professeur Leahy rappelle un mot du grand prédicateur britannique du siècle dernier, Charles H. Spurgeon : Le point décisif de la bataille entre ceux qui tiennent à la foi transmise une fois pour toutes et leurs adversaires réside dans leur position vis-à-vis de l’inspiration des Écritures. Certes, la bataille entre la foi au surnaturel et la théologie de la terre plate se poursuit sur de très nombreux fronts, mais le front décisif sera toujours celui sur lequel on combat pour la défense de l’inspiration de la Bible. On peut la qualifier de « bataille des Thermopyles » pour l’Église.

Selon Benjamin B. Warfield, la question réelle qui se pose aux chrétiens n’est pas une question qui se serait posée récemment, bien au contraire, elle est très ancienne. Il s’agit de la question relative au fondement sur lequel nous élevons notre foi et enseignons notre doctrine. La Bible est-elle ce fondement ou bien en cherchons-nous un autre ailleurs, dans la pensée humaine? Leahy, quant à lui, poursuivant dans cette même ligne de pensée, écrit :

« Ceux qui par la foi acceptent l’Écriture sainte comme Parole de Dieu et se soumettent à son entière autorité n’auront pas de la peine à accepter l’existence des démons et la réalité de la possession démoniaque. Ils ont une fois pour toutes admis la réalité du surnaturel, dès la première page de la Bible. Ils croient au Dieu de celle-ci, et point en un autre. Il est leur Sauveur. Ils croient à ce qu’il leur révèle dans la Bible. À l’opposé, ceux qui approchent la Bible du point de vue humaniste, rationaliste, la soumettront à leur propre jugement; aussi excluront-ils de leur foi tout ce qui touche au surnaturel révélé dans la Bible. »

Notes

1. Dr Pierre Giscard, Mystique ou hystérie, cité par J.M. Andrillon, p. 131-132.

2. Emil Brunner, The Christian Doctrine of Creation and Redemption, p. 134.

3. Voir Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, I.12.13.