Apocalypse 2 - Une Église, pour quoi faire?
Apocalypse 2 - Une Église, pour quoi faire?
« Écris à l’ange de l’Église d’Éphèse : Voici ce que dit celui qui tient les sept étoiles dans sa main droite, celui qui marche au milieu des sept chandeliers d’or : Je connais tes œuvres, ton travail et ta persévérance. Je le sais, tu ne peux supporter les méchants, tu as éprouvé ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas, et tu les as trouvés menteurs. Tu as de la persévérance, tu as souffert à cause de mon nom et tu ne t’es pas lassé. Mais j’ai contre toi que tu as abandonné ton premier amour. Souviens-toi donc d’où tu es tombé, repens-toi et pratique tes premières œuvres, sinon je viendrai à toi et j’écarterai ton chandelier de sa place, à moins que tu ne te repentes. Cependant, tu as ceci pour toi, c’est que tu as de la haine pour les œuvres des Nicolaïtes, pour lesquelles moi aussi j’ai de la haine. Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises : Au vainqueur je donnerai à manger de l’arbre de vie qui est dans le paradis de Dieu. »
Apocalypse 2.1-7
Hélas!, les chrétiens n’ont retenu de ce livre exceptionnel que certaines phrases dont ils ont fait un cliché facile, par exemple « sois fidèle jusqu’à la mort et je te donnerai la couronne de vie », ou bien des passages isolés qu’ils utilisent souvent hors propos.
Les non-chrétiens, eux, qui ignorent à la fois le contenu du livre et ne comprennent pas son genre littéraire particulier, n’en retiennent que tout ce qui leur rappelle le catastrophisme porté à son point culminant…
Nous abordons à présent la section du livre qui contient les sept lettres adressées aux Églises. Chacune d’elles a un plan identique aux autres : salutation, dans laquelle le Christ se présente; éloge, critique aussi, avertissement solennel, voire menace; enfin exhortation suivie sans fautes d’une promesse. Sauf Laodicée, la dernière, chaque Église offre une qualité pour laquelle le Christ la loue; Smyrne et Philadelphie, elles, ne reçoivent que des éloges.
Nous avons déjà signalé que nous ne retiendrons pas l’hypothèse fantaisiste selon laquelle les sept Églises représenteraient des étapes successives de l’histoire de l’Église universelle (Éphèse, l’Église du premier siècle; Smyrne, l’Église des martyrs; Pergame, l’Église de l’ère constantinienne; Thyatire, l’Église du Moyen-Âge; Sardes, celle de la Réforme; Philadelphie, l’Église missionnaire du 19e siècle; et enfin Laodicée, une Église protestante apostate des derniers temps).
Jean s’adresse à des communautés concrètes pour leur transmettre la Parole de Dieu qui opère toujours sur le vif. Ce qu’elle dit à l’une, elle le dit à toutes. Éphèse figure en premier sur la liste des récipiendaires.
Bien que la ville voisine de Pergame fût la capitale administrative officielle de la province romaine de l’Asie, Éphèse, avec ses 240 000 habitants, était l’agglomération la plus importante de la contrée. Siège du gouvernement proconsulaire et d’un tribunal (voir Ac 19.38), c’était là qu’un proconsul romain devait prendre ses fonctions lorsqu’il débutait sa carrière.
Située à l’embouchure du Cayster, elle était un centre commercial très actif et d’une grande renommée. Une grande partie du commerce de l’Est transitait par le port de la ville, situé sur la mer Égée. Elle était également célèbre en tant que centre religieux. Le culte d’Artémis, ou Diane (Ac 19.24), lui conférait le titre de « néokoros », c’est-à-dire « servante du temple ». Ce temple passait d’ailleurs pour être l’une des sept merveilles de l’antiquité. Une telle religion, alliée à la magie, ne pouvait manquer de susciter l’enthousiasme et de compter d’innombrables adeptes (Ac 19.19). Des lettres dites éphésiennes circulaient et se vendaient comme des amulettes, prétendant guérir des maladies ou ramener la chance perdue. Mais la ville, elle, passait pour être la lumière de toute l’Asie. Les statuettes de la déesse étaient célèbres.
L’« augusteum », consacré au culte impérial, figurait lui aussi parmi les édifices renommés de l’antiquité, alors qu’à Rome même ce culte ne jouissait pas d’autant de faveur. L’amphithéâtre, remis à jour durant notre siècle, pouvait contenir, estime-t-on, quelque 50 000 spectateurs. À la religion de Diane étaient attachés des « Magabyzi », des eunuques. Le sacerdoce au service de la grande Artémis était donc formé d’une caste de démissionnaires, planant hors de l’ordre créationnel et de la réalité concrète. On se souviendra que, dans l’Ancien Testament, tout homme castré, soit de naissance soit par accident, était tenu par Dieu comme inapte pour le culte. Car, pour la religion biblique, il n’y a que l’homme assumant son entière responsabilité d’homme qui peut et doit servir Dieu.
Autre détail à retenir : le temple de Diane servait également de lieu d’asile, en sorte que de très nombreux criminels s’y réfugiaient pour échapper à la justice. Certes, dans l’Ancien Testament, on avait aussi institué des lieux et même des villes de refuge pour ceux qui étaient poursuivis pour homicide involontaire, mais dans le cas de Diane, il s’agit, comme pour la castration, d’une autre forme de la démission de toute responsabilité. L’Église éphésienne n’était pas à l’abri d’une contamination de cette envergure.
Elle avait été fondée durant le séjour de deux ans que saint Paul y avait effectué (Ac 19.8-10). Celui-ci y avait travaillé et obtenu des résultats spectaculaires. Plus tard, Timothée, le jeune ami et collaborateur du grand apôtre, y résida et, selon la tradition l’apôtre Jean, lui aussi y aurait vécu jusqu’à un âge avancé.
Il paraît normal que la toute première lettre soit adressée à cette Église. Jésus s’adresse à elle en tant que son Seigneur et Protecteur. Il marche au milieu des chandeliers, c’est-à-dire au milieu de ses faibles et pauvrettes Églises. Toute la puissance du monde ne pourrait prévaloir contre elles. Mais le même Seigneur a le droit d’établir son diagnostic et il ne manque pas de le faire. S’il la loue pour ses labeurs et ses patiences, il sait aussi tout ce qui s’y passe et tout ce qui laisse à désirer. Certes, les chrétiens d’Éphèse ne tolèrent pas le mal. Ils ont mis à l’épreuve ceux qui se disaient apôtres, mais qui n’étaient en réalité que des imposteurs. Ici, le terme d’apôtre ne désigne pas le cercle des douze, mais est employé en un sens plus large (voir aussi 2 Co 11.13).
En se rendant à Jérusalem, Paul s’était arrêté à Milet, une ville très proche d’Éphèse, pour prendre congé des anciens et des responsables de l’Église. Il les avait prévenus et mis en garde contre les loups ravisseurs qui allaient bientôt troubler la tranquillité de l’Église (Ac 20.29). Ce pronostic s’avéra juste. Certes, les Éphésiens ne prenaient pas leur foi à la légère. Ils connaissaient les exigences de la fidélité au Christ; ils avaient rejeté les faux enseignants. L’Église pouvait avec raison être fidèle et conforme à l’Évangile. Néanmoins, quoiqu’elle fût sans reproche sur le plan doctrinal, elle fait l’objet d’un blâme. Elle connaît un relâchement dans son premier amour.
Ne nous permettons pas à cet endroit de faire un procès mal intentionné à l’orthodoxie, trop facilement accusée d’être stérile et même morte, pour lui opposer une orthopraxie euphorique qui pourrait se passer de doctrine ou de « théorie ».
Le vécu avant l’enseigné, diront certains, s’empare à la légère et avec une inconsciente malhonnêteté de ce reproche qui est, certes, tout à fait fondé. Ce n’est certainement pas l’orthodoxie d’Éphèse qui est ici mise en question, mais le fait qu’elle n’a pas suffisamment pris garde à ne pas séparer sa foi correcte de son amour et de son espérance. « Sous le granit d’une inflexible orthodoxie, le Christ, lui, a perçu un glissement de terrain. L’Église d’Éphèse ne regarde plus à Dieu, mais à sa propre pureté.1 »
Les Éphésiens n’avaient pas à rougir en matière d’hérésie. Mais à leurs yeux, au bout de quelque temps, servir le Christ revenait simplement à se laisser emporter par une traînée de désagréments et à payer le prix fort de l’épreuve. Or l’Église d’Éphèse et toute autre Église devront faire entièrement et exclusivement confiance à Jésus-Christ, autrement elle disparaîtra. Ce blâme devra donc être pris au sérieux.
Pourtant, le Christ ne fait pas que blâmer. Il reconnaît encore les œuvres louables. Les Éphésiens orthodoxes avaient combattu l’erreur des Nicolaïtes.
Qui étaient-ils? Leur origine se perd dans une obscurité totale. Plusieurs hypothèses ont été émises, mais nous n’en retiendrons aucune.
Certains, dont Irénée de Lyon, attribuent leur origine au diacre Nicolas (Ac. 6). D’autres, dont Victorinus de Petteau, premier commentateur connu de l’Apocalypse, les taxe de faux docteurs et de fauteurs de troubles. Sous le nom de Nicolas, des ministres se seraient adonnés à une hérésie, déclarant que tout ce qui était offert aux idoles pouvait être exorcisé et être propre à la consommation. Quiconque tombait dans le péché de fornication pouvait espérer jouir de la tranquillité de conscience au bout de huit jours! Augustin dans Contre les hérétiques, prétend que, pour combattre sa fâcheuse tendance à la jalousie, Nicolas le diacre aurait laissé approcher sa femme par quiconque la désirait; il en serait résulté l’usage indifférent des femmes dans cette secte. Mais tout cela relève plutôt de la plus haute fantaisie!
Les pratiques scandaleuses des Nicolaïtes sont présentées comme étant semblables à celles attribuées aux Balaamites et à Jézabel et comme pareillement dangereuses. On peut donc supposer qu’il n’y avait aucune différence notable entre ces différentes sectes. Une chose est certaine : ces sectateurs ne cherchaient pas à supplanter le christianisme, mais à en offrir une version plus moderne et mieux adaptée au monde.
Cependant, une telle adaptation n’est-elle pas plus dangereuse encore que la lutte ouverte contre l’Évangile? Une telle action nous rappelle « la cinquième colonne », c’est-à-dire l’adversaire introduit à l’intérieur même de l’armée qui le combat.
Enfin, on entend l’avertissement et l’exhortation : d’abord, il est question du paradis, celui dans lequel vivait l’homme avant la chute. À présent, un autre paradis sera accordé, mais accessible exclusivement par le Christ de Dieu. L’arbre sera de nouveau le principe de vie et l’essence de la nature rachetée du disciple. L’arbre de vie n’est autre que Jésus, le Christ, qui se déclare aussi Pain de vie et Source d’eau vive pour la vie éternelle. Seul le Christ est le fondement du paradis, sa condition et son contenu. Ce n’est qu’en lui qu’on peut espérer se reposer, jouir non pas d’une trêve, mais d’une paix qui surpasse toute intelligence.
À condition cependant de lutter et de vaincre. À condition que, sans répit et jusqu’à la fin, l’Église lutte, aime, espère et croie. Car elle n’est pas une meute de castrés, mais le peuple des soldats rassemblés sous la bannière du grand Seigneur. Elle n’est pas une cohue de fuyards hors de ce monde, mais la cohorte des témoins placés sous les ordres du Seigneur victorieux. À cette condition-là, elle peut espérer posséder la terre et regagner le paradis.
L’Église se rappellera sans cesse qu’entre la Parole du Christ et la philosophie du monde égaré il y aura un incessant conflit. C’est là l’unique antithèse contre laquelle l’Église luttera. À cet effet, elle reçoit encouragement et promesse. La foi sera victorieuse, autrement elle cesserait d’être Église. Tous ses membres seront vainqueurs, et pas seulement quelques rares privilégiés. Point de perfectionnisme ni d’élitisme dans l’Église, car l’appel s’adresse à tous et à chacun. Avec saint Paul et des myriades de martyrs, nous pouvons déclarer : « Grâces soient rendues à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ! » (1 Co 15.57).
Note
1. Ch. Brütsch.