La date de la composition de l'épître de Jude
La date de la composition de l'épître de Jude
Les opinions varient quant à la date de rédaction de la lettre de Jude. Au siècle dernier, Renan proposait l’année 54, tandis que Pfleiderer allait jusqu’à la situer en l’an 150! On pourrait diviser les opinions en trois catégories : celle qui soutient une date antérieure à l’an 70, ceux qui la situent entre 70 et 80 et, enfin ceux qui la situent après l’ère apostolique, entre 90 et 150. Pour en fixer la date, il est nécessaire de considérer aussi celle de 2 Pierre, dont les parallèles avec notre épître ont été rappelés au cours de notre étude. Il faut signaler que des passages parallèles trouvés dans les écrits canoniques du Nouveau Testament ne présentent aucun problème de la même espèce que ceux d’auteurs non inspirés et non canoniques, car les auteurs bibliques ne cherchent pas à s’assurer une originalité littéraire ou théologique, mais à communiquer principalement la vérité. Aussi peuvent-ils, sans avoir à faire preuve des mêmes scrupules que d’autres auteurs, se servir d’un passage, d’un récit ou d’une idée ayant déjà circulé parmi les premières communautés et connus des chrétiens primitifs, ou même imiter son contenu. Ce procédé est déjà courant dans l’Ancien Testament.
Ici même, établissons ces parallèles entre les deux épîtres :
Jude 1.4 - 2 Pierre 2.1-3 - Le dérèglement des impies et leur condamnation
Jude 1.6 - 2 Pierre 2.4 - L’exemple du jugement des anges déchus
Jude 1.7-10 - 2 Pierre 2.6-12 - L’exemple de la destruction de Sodome et Gomorrhe
Jude 1.11 - 2 Pierre 2.15 - L’exemple de l’égarement de Balaam
Jude 1.12-13 - 2 Pierre 2.13,17 - Métaphores de leurs égarements; les ténèbres les attendent
Jude 1.16 - 2 Pierre 2.18 - Leurs discours séducteurs
Jude 1.17-18 - 2 Pierre 3.1-3 - La prédiction de la venue des moqueurs
Il n’entre pas dans notre intention de proposer une analyse détaillée ni de la forme littéraire identique des deux épîtres ni de l’antériorité de l’une par rapport à l’autre. Ici aussi l’avis des commentateurs diverge, certains soutenant la priorité de 2 Pierre, d’autres soutenant celle de Jude. Voici les arguments avancés en faveur de l’antériorité de 2 Pierre :
1. Au verset 18, Jude reconnaîtrait sa dépendance vis-à-vis de celle-ci. Cet argument est réfuté par un autre d’après lequel ce verset est une citation d’une prédiction orale.
2. Les faux prophètes prédits par Pierre sont apparus à l’époque de Jude. Dans 2 Pierre 2.1-3,12, c’est le temps futur qui est employé. On a répondu que dans 2 Pierre 2.10,12,14 et 17, le temps présent est employé. Comment expliquer l’élément prédictif de la deuxième lettre de Pierre s’il avait eu sous les yeux la lettre de Jude?
3. Jude parle d’une prophétie apostolique concernant les moqueurs (Jude 1.17-18). Le terme grec traduit par moqueurs n’apparaît dans le Nouveau Testament qu’à cet endroit et dans 2 Pierre 3.3. À première vue, il n’est pas employé par des auteurs profanes des classiques grecs.
4. Jude écrivit pour faire face à une crise et, dans cette tâche urgente, il est plus vraisemblable qu’il ait fait usage d’un matériel approprié et disponible.
Voici les arguments avancés en faveur de l’antériorité de Jude :
1. 2 Pierre 2.11 serait inintelligible sans la connaissance du passage parallèle trouvé dans Jude 1.9. Mais on répond que Pierre s’est senti justifié de faire une telle affirmation à portée générale en rappelant un passage obscur du livre d’Hénoch. On a supposé que Pierre aurait envoyé une copie de sa lettre à Jude.
2. On prétend que Pierre est plus élégant, voire artificiel et poli, et qu’il amplifie ce qui est simple, direct et compact chez Jude. Pierre omet les citations des livres pseudépigraphes et il « polit » Jude. Ainsi substitue-t-il « sources sans eaux » aux « nuages sans eaux » de Jude.
D’autres arguments n’ont pas manqué de part et d’autre pour soutenir l’antériorité de l’une par rapport à l’autre. Il nous paraît difficile d’atteindre une conclusion définitive.
Autre question importante : Jude connaissait-il les écrits de Paul? On a rapproché la doxologie des versets 24 et 25 à certaines doxologies de Paul (Rm 16.25-27), quoique Jude fasse une interpolation avec le mot « sage ». Or, les deux passages n’ont rien en commun pour qu’on puisse avancer une dépendance mutuelle.
Trois considérations principales devront nous guider quant à la date de composition de la lettre :
1. On a souligné que la lettre ne mentionne pas la destruction de Jérusalem en l’an 70 de notre ère; par conséquent, la lettre dut être composée avant celle-ci. Mais il est également vrai que Jude ne mentionne pas la destruction de la capitale en 587 avant notre ère, ni même le déluge.
2. On a signalé que le verset 17 indique clairement que les Églises étaient privées de la direction des apôtres et qu’elles étaient dispersées, et que certains apôtres étaient probablement décédés.
3. Finalement, le rapport par l’historien Eusèbe au sujet des petits enfants de Jude indique qu’aussi bien Jude que le père de ces enfants n’étaient pas en vie à l’époque de Domitien, en 81; par conséquent, l’an 80 serait approximativement la date de la rédaction de la lettre.
La vraisemblance de la dépendance de Jude de 2 Pierre, l’indication assez claire du verset 17 selon laquelle la plupart des apôtres sont dispersés, ou décédés, le témoignage d’Eusèbe, tous ces facteurs combinés laissent supposer que la date de la rédaction doit être située entre 64 et 70. D’autres favoriseront une date ultérieure, entre 75 et 80. Nous rejetterons l’opinion qui la situe au cours de la deuxième moitié du deuxième siècle.