Une vue générale de l'épître de Jude
Une vue générale de l'épître de Jude
Jude vient de mettre en garde contre un christianisme nominal et contre de faux docteurs qui cherchent, par tous les moyens, à diviser le corps du Christ et à détruire la foi des fidèles. Avant d’aborder en détail chacun des paradigmes ou exemples historiques proposés par Jude pour servir d’illustration à la conduite à tenir devant les faux docteurs, examinons dans l’ensemble la description qu’il fait de la conduite et de la nature de ces derniers. Le passage qui va du verset 4 au verset 19 offre cette vue d’ensemble. Le langage est d’une sévérité peu commune.
L’abondant matériel que Jude nous offre sur les adversaires qu’il combat peut être divisé en deux catégories : celle qui expose les traits caractéristiques de ces ennemis de la foi, plus particulièrement leur enseignement, et la seconde, qui expose le jugement que Dieu prépare pour eux et pour ceux qui empruntent la même voie. Voyons ici en particulier les faux enseignements (versets 4,8,10,12-13,16-19).
Selon l’Écriture, nous sommes connus et jugés par nos paroles ainsi que par nos actes. Dans la révélation biblique, il n’y a pas trace de mysticisme ni place pour celui-ci dans l’expérience chrétienne. Dans la vie chrétienne, il n’existe point d’identité cachée, obscène, au sens étymologique du mot. Aussi bien notre discours que notre conduite révèlent notre caractère et la nature véritable de notre personne. En écrivant au sujet du caractère pervers de ces hommes, l’auteur expose également la tromperie de leur enseignement : ils sont impies (Jude 1.4). Or, Dieu est source de vérité (Jn 14.6; 16.13). Celui qui propage le mensonge et adhère à l’erreur n’est pas de Dieu; il est impie, littéralement il est sans Dieu.
1. Ils corrompent la grâce de Dieu et la transforment en licence (Jude 1.4). La grâce de Dieu manifestée envers nous est une réalité précieuse. Elle a été accordée à un prix exorbitant pour nous permettre de vivre désormais dans la piété et dans la justice. Celui qui marche dans le péché cherche à inciter son entourage à l’immoralité.
2. Ils nient le seul Dieu Seigneur et Sauveur Jésus-Christ (Jude 1.4). Le critère de l’authenticité chrétienne consiste en la confession de la seigneurie universelle du Christ. Personne ne peut lui appartenir sans le reconnaître comme tel (Rm 10.9-10). Personne ne peut confesser le Christ Seigneur si ce n’est par l’opération puissante de l’Esprit sur son esprit (1 Co 12.3).
3. Ce sont des rêveurs qui corrompent et profanent leur propre chair (Jude 1.8). Le péché détruit et conduit à la mort. Celui qui marche selon la chair et non pas selon l’Esprit finira réellement par polluer son propre corps. Quel contraste avec l’enseignement biblique qui déclare que nos corps sont le temple de l’Esprit et, par conséquent, d’un grand prix aux yeux de Dieu (1 Co 6.19).
4. Ils rejettent l’autorité du Seigneur (Jude 1.8). Il s’agit de l’autonomie de la raison de l’homme. C’est la transgression même du premier commandement, du « Tu n’auras point d’autres dieux devant ma face » d’Exode 20.3. Cette pensée autonome n’est pas toujours absente de l’Église. De nombreux chrétiens aimeraient mener leur existence dans la foi à leur guise et établir eux-mêmes les règles du jeu.
5. Ils disent du mal des autorités supérieures (Jude 1.8). Les autorités spirituelles établies dans l’Église, lorsqu’elles représentent fidèlement la Parole de Dieu et la proclament avec détermination, méritent notre respect. Selon Paul, nous devons avoir de l’estime envers ceux qui œuvrent dans le ministère et les aimer (1 Th 5.13). Les anciens qui dirigent l’Église devront faire l’objet d’un double honneur (1 Tm 5.17; Hé 13.17). Quel contraste entre cette exhortation et la conduite des impies qui cherchent à égarer en s’égarant d’abord eux-mêmes! Ils calomnient même les dignitaires et les êtres célestes.
6. Ils disent du mal de ce qu’ils ne connaissent pas (Jude 1.10). Selon un adage, « il faut se méfier de l’homme à la forte voix ». Sa voix tonitruante est en réalité son point faible. Il aime hausser le ton et parler emphatiquement de ce qu’il ne connaît pas. Ces imposteurs nous rappellent cet homme-là. Non seulement ils parlent haut, mais encore mal!
7. Ils ressemblent à des animaux irrationnels et sauvages (Jude 1.10). Ils se corrompent eux-mêmes, car ils sont stupides. Selon un mot d’Anatole France, entre l’homme sot et le méchant, c’est le premier qui est encore le plus dangereux… Car le méchant se repose parfois, le sot jamais! Ainsi, sans s’en rendre compte, ils détruisent (« phtheiro ») leur propre personne. Pourtant, ces « sots-là » étaient les adeptes d’une philosophie, d’une mystique philosophico-religieuse considérée comme brillante entre toutes et réservée à une élite.
8. Ils se servent eux-mêmes (Jude 1.12). Le mot traduit ici est « poimano », se repaître soi-même. Dans son entretien avec Pierre après sa résurrection, Jésus demandait à son apôtre de paître ses brebis (Jn 21.16). Quant aux faux docteurs, ils se soignent eux-mêmes. Ils prennent part aux agapes non pas pour se mettre en communion avec des frères, mais afin de se « goinfrer ». Sans vouloir faire ici un mauvais jeu de mots, possible seulement en grec, on pourrait dire que s’il existe de mauvaises théologies « chiliastes », millénaristes, il existe également de mauvaises pratiques « koiliastes », c’est-à-dire des gens adonnés à cultiver leurs ventres repus.
9. Ce sont des nuées sans eaux (Jude 1.12). De nouveau, Jude se sert d’un langage analogue à celui de Pierre. L’idée en ressort parfaitement bien : les nuées sans pluie sont semblables à des sources sans eaux. Elles sont chassées par le vent et sans contrôle sur elles-mêmes.
10. Ils sont comme des arbres sans fruits (Jude 1.12). Des arbres de la fin de l’automne qui ont cessé de porter des fruits, ils n’ont rien en commun avec ceux dont parlait Jésus dans Jean 15.14-15 qui, s’ils demeurent en lui, porteront des fruits. Non seulement ils sont dépourvus de fruits, mais encore ils sont doublement morts; ils n’ont aucune racine spirituelle et ne reçoivent point de sève pour se nourrir (Col 2.6-7).
11. Ils sont comme les vagues écumantes de la mer (Jude 1.13). « Agrios », dit le terme grec de l’original, qui signifie sauvage. Ils ne produisent que de l’écume pour leur propre honte (« aischunè »), pour leur propre disgrâce. Ils sont aussi des étoiles vagabondes (Jude 1.13), égarées, déplacées, littéralement exorbitées. Cette phrase révèle l’une des tragédies les plus graves de celui qui vit dans le péché. Il tombe en deçà de ce que Dieu nous offre dans sa sagesse et dans sa générosité.
12. Ils vivent dans l’impiété (« asebeian », Jude 1.15,18). Les moqueurs se moquent des choses pures. Dans 2 Pierre, passage parallèle comportant la même expression, ils se moquent de la conviction selon laquelle le Christ reviendra comme Juge. Dans le texte de Jude, ils se moquent de la manière dont Dieu menace de les châtier (voir Pr 14.9). Ils ridiculisent l’idée selon laquelle il y a du mal dans le comportement licencieux et que le croyant doit choisir la sainteté. L’atmosphère morale qu’ils créent amène l’homme à pécher avec un cœur léger. Mais en règle générale — il faut s’y attendre sans faute —, le péché finit par se moquer du pécheur… (voir encore Pr 5.22-23).
13. Sans cesse, ils murmurent et se plaignent (Jude 1.16). « Goggustai » et « memspimoiroi », dit l’original grec. Exorbités, en dehors de leur lieu d’habitation, ils se plaignent de Dieu au lieu de le louer. C’était la vocation d’Israël que de louer Dieu; mais dans le désert, celui-ci murmura contre le Seigneur, son Libérateur, et se sépara de lui par sa convoitise (Ex 16.2).
14. Ils marchent selon leurs propres convoitises (Jude 1.16,18). À deux reprises, Jude signale que les faux docteurs marchent selon leur « epithumia », leur convoitise. Pierre, à son tour, exhorte à s’abstenir des convoitises de la chair qui font la guerre contre l’âme (1 Pi 2.11).
15. Leur bouche — ou gueule? — est pleine de mots grandiloquents (Jude 1.16). Avec leur langage flatteur, ils cherchent à impressionner le public. Ce sont de dangereux et hypocrites démagogues.
16. Ils flattent des gens pour soutirer des avantages personnels (Jude 1.16). Le livre des Proverbes a un enseignement précis au sujet de la flagornerie (Pr 28.23; 29.5). Toute flatterie est une forme de mensonge parmi les plus odieuses, car elle exagère la vérité afin de mieux la déformer!
17. Ce sont ceux qui causent des divisions (Jude 1.19). L’Esprit de Dieu crée l’unité dans le corps du Christ, mais ceux qui se conduisent selon leurs convoitises impies causent des divisions et des schismes. Là où il y a division, il y a aussi convoitise. Bien entendu, il s’agit là de divisions et de schismes dans le corps du Christ, et non des séparations nécessaires pour la sauvegarde dans la pureté de ce même corps et de sa vérité éternelle.
18. Ils sont des sensuels, « psychikoi » (Jude 1.19). Ils vivent selon la nature charnelle, de la théologie de la terre plate, sub specie terrenis, sous le signe de la terre, horizontaliste et unidimensionnelle, historique et temporelle, répudiant toute référence à la transcendance divine et refusant de se placer sub specie aeternitatis, c’est-à-dire sous le signe de l’éternité. Dans 1 Corinthiens 2.14, Paul dénonçait aussi ce même comportement.
19. Enfin, ils n’ont pas l’Esprit! (Jude 1.19). Voilà le mot-clé, le mot maître de toute la situation. On atteint ici le sommet de l’affirmation faite par l’apôtre. Tel est donc le problème fondamental. Ils n’ont pas l’Esprit de Dieu.
Jésus parlait de l’Esprit comme de celui que le monde ne reçoit pas et ne peut même pas recevoir (Jn 14.17). Or, l’Esprit viendra pour conduire les hommes dans la vérité (Jn 16.13). Le Saint-Esprit est la source fondamentale de toute vérité autant que son révélateur exclusif. Celui qui confesse Jésus-Christ comme unique Seigneur est conduit par lui. Celui qui se conduit selon la nature du péché n’a pas reçu l’Esprit de Dieu; il ne peut pas vivre dans la vérité. La colère de Dieu demeure sur lui. Il y a donc maintenant une condamnation pour ceux qui ne sont pas en l’Esprit, dirons-nous en paraphrasant Romains 8.1.