Informatique ou sagesse?
Informatique ou sagesse?
« L’homme de l’année » est arrivé! Oui, on vient de nous annoncer avec tambour et trompette que « l’homme de l’année » vient d’arriver, avec son étrange mâchoire, ses dizaines de dents solides, son œil unique de cyclope et sa carcasse métallique… Non, ce n’est ni un martien de la science-fiction ni un personnage mythique de l’antiquité. Il s’agit, vous l’aurez deviné, de l’ordinateur électronique, déclaré « homme de l’année » par le magazine américain Time. L’ordinateur était pourtant déjà apparu depuis plusieurs décennies, mais comparé à celui que le magazine américain désigne comme « l’homme de l’année 1983 », il a l’air d’une antiquité, d’un monstre antédiluvien1.
« Il y a, certes, des machines — écrit un journaliste — dont la puissance de calcul dépasse l’imagination, mais elles sont restées des esclaves. De leur alimentation stabilisée, de leur air conditionné, de leurs armoires de bandes magnétiques et, surtout, de la cohorte de programmeurs sans lesquels elles ne peuvent rien faire… »
On a dit que comparé à l’ordinateur individuel moderne, l’ordinateur de 1946 contenait près de 18 000 tubes radio. En 1950, un ordinateur ayant les mêmes éléments fonctionnels du cerveau humain aurait occupé l’étendue d’une ville des dimensions de Paris et il aurait dépensé toute l’énergie électrique nécessaire au réseau métropolitain. Dans les années 60, avec l’apparition du transistor, il n’aurait occupé que l’intérieur du Palais Garnier, l’Opéra de Paris. Quand plus tard les circuits intégrés firent leur apparition, l’ordinateur pouvait être réduit aux dimensions d’un autobus à deux étages. Quelques années plus tard, à celles d’un récepteur de télé; depuis deux ou trois ans, à peine à celles d’une machine à écrire, comme celle sur laquelle je tape ces lignes, et actuellement, au moment même où je rédige ces notes, à celles d’un cerveau humain!
Il y a dix ans, lorsque Alvin Toffler lançait son célèbre Choc du futur, il n’y faisait même pas allusion, tant il en ignorait l’évolution. Mais depuis l’apparition du microprocesseur, tout a été bouleversé, et le visage même de l’industrie s’altère profondément. Qui peut prévoir l’évolution de l’informatique entre le moment où j’écris ces lignes et le moment où vous lirez cet article? Aussi je me garderai prudemment d’entamer une discussion sur la technologie avancée… De toute manière, je suis un profane, et mon propos est tout autre.
Sans même laisser libre cours à nos fantaisies, nous pouvons affirmer que toutes les branches du savoir et des activités humaines seront affectées par la révolution électronique. « Informatique, télématique, robotique, marquent déjà notre vie et reflètent d’importants enjeux politico-économiques », écrivait un autre journaliste dans le même quotidien du soir.
Peut-être, me dis-je, nous pourrons même porter dans notre poche les inaccessibles bibliothèques aux milliers de volumes sous la forme de mini-cassettes, telles les montres-bracelets que nous portons sur nos poignets! Finis alors les droits d’inscription et les droits d’entrée à la Bibliothèque Nationale, réservée aux seuls privilégiés et érudits… Chaque amateur de culture pourra ainsi porter sur lui une bibliothèque ambulante!
On peut concevoir un bouleversement des conceptions fondamentales de la réalité et de l’homme. « Deviendrons-nous, sous l’emprise d’une technologie toujours plus efficace, une société automatisée et atomisée? », s’interroge le journaliste de tout à l’heure, qui a aussi interrogé l’un des savants les plus éminents dans ce domaine à l’université de Stanford en Californie. « Ou saurons-nous au contraire, concevoir des robots pensants », susceptibles de s’autoréviser grâce à leur intelligence artificielle et capables ainsi de « coopérer » avec leurs concepteurs humains?
Le robot — la Machina sapiens — semble être devenu une sorte de mythe, rêve ou cauchemar de nos contemporains. Quelles peuvent être à l’avenir ses relations avec son « confrère » « l’Homo sapiens »?
Je ne suivrai certes pas jusqu’au bout ni les conclusions ni même le type d’interrogations posées au savant californien. Quel sens peut avoir une question comme celle-ci, par exemple :
« Il semblerait que l’on ne puisse jamais concevoir une machine aussi parfaite que le cerveau. Pourrait-on en déduire que les robots ne pourront jamais disputer à l’homme sa maîtrise de l’univers? » Ou encore : « Selon Descartes, aucun homme n’est assez stupide pour ne pas pouvoir exprimer ses idées. Ne serait-ce pas le problème-clé des robots? »
À mon avis, il est urgent de poser quelques questions, non pas techniques, mais éthiques. Je crois discerner trois dangers majeurs dans l’attitude de nos contemporains face à la révolution électronique :
- Penser que l’ordinateur n’est qu’un objet neutre, ne présentant aucun danger.
- S’imaginer qu’il serait le mal personnifié, auquel il faut s’opposer de toutes ses forces.
- Espérer, enfin, qu’il nous conduise, avec son intelligence artificielle supérieure, vers un futur glorieux où le mal de l’homme disparaîtrait.
Il est vrai que certains scientifiques modernes témoignent d’un optimisme futurologique tellement naïf, qu’il ferait envie aux plus convaincus et imperturbables de nos millénaristes chrétiens!
Le fait est que si actuellement l’ordinateur est muet, il ne le sera pas à l’avenir. Je vous renvoie au journal Le Monde du 2 janvier 1983, où ces questions apparaissent sous une autre forme. Mais à cet égard, nombre de penseurs chrétiens craignent avec raison — quoique peut-être avec trop de pessimisme — les effets néfastes de la technologie moderne.
Un mot d’avertissement s’impose. La question du bien et du mal est fonction des esprits, qui se livrent une guerre impitoyable pour la conquête du cœur de l’homme. Donc, ce qui est urgent, c’est d’avoir le discernement des esprits. Même si le mal peut revêtir parfois des formes extérieures et nous asservir par l’instrumentalité de robots sophistiqués, l’ordinateur qui n’est, en lui-même, ni bon ni mauvais pourra rendre aux hommes d’inappréciables services à condition qu’il ne tombe pas entre les mains de gens iniques et pervers!
On nous assure que la machine hyperintelligente est née, que son intelligence est même supérieure à l’intelligence humaine. On peut s’entretenir avec elle sans même s’apercevoir qu’il s’agit d’un objet dépourvu d’âme vivante. Et c’est à ce point-là qu’apparaît l’échec de la technologie moderne. Mais aussi et surtout la banqueroute de la pensée humaniste athée, dont l’autonomie par rapport à l’Esprit et à la Parole conduit à la servilité et à la servitude envers l’objet inanimé.
Ésaïe le prophète, avait quelques propos pertinents à cet égard (És 44). Le slogan technologique contemporain risque d’être : « Mon robot sait les choses mieux que moi-même. » Et alors la décision et le choix n’appartiennent plus à l’homme, qui pourtant s’égosille à affirmer sa liberté par rapport à Dieu, mais à la machine, sa maîtresse et son potentat. Les humanistes modernes peuvent commencer à faire leur deuil de leur chère liberté…
La vraie question est celle de savoir qui est l’homme et non pas quelle est l’intelligence supérieure. Oui, juste de savoir qui est l’homme tout court! S’il n’est que le produit du hasard, ne relevant que du système biologique on peut, en effet, s’attendre à ce qu’il ne soit qu’un objet sans âme. Dans ce cas, le « cerveau » ne sera rien d’autre qu’un complexe système d’informatique et non pas l’instrument de la sagesse.
Or, se confier à un ordinateur — même humain — dépourvu de « conscience du bien et du mal » pour résoudre tous les problèmes dans leur immense complexité, conduira non pas vers l’âge d’or, mais vers une autre calamité mondiale. Car le bien et le mal ne sont pas compris par l’esprit humain autonome, mais à travers ce que Dieu révèle, enseigne, avertit et prescrit par son Esprit et par sa Parole. De ce fait initial et fondamental découlent toutes les autres conséquences.
Un robot sans âme, moralement irresponsable, ne sait ni aimer ni haïr; il n’apprécie pas la beauté et ne refuse point la laideur. Il n’éprouve ni joie ni colère. Il ne ressent aucun bonheur et ne souffre d’aucun mal. Il n’a pas de sens; il n’a que des fils transistorisés et des microprocesseurs. Voici ce qu’écrivait le psalmiste :
« Les idoles des nations sont de l’argent et de l’or, œuvre de la main des hommes. Elles ont une bouche et ne parlent pas, elles ont des yeux et ne voient pas, elles ont des oreilles et n’écoutent pas, elles n’ont pas de souffle dans leur bouche. Ils leur ressemblent, ceux qui les fabriquent, tous ceux qui se confient en elles » (Ps 135.15-18).
Lorsque le moderne robot-idole est élevé à la stature de son fabricant ou sur le point de passer pour un surhomme, l’homme, lui, descend plus bas que sa machine. À son tour, il ne sait plus ce que c’est que l’amour, la justice et la compassion. S’étant égaré loin du Dieu vrai, il se perdra inexorablement, en dépit de ses machines hypersophistiquées.
La vraie question, le défi moderne, se trouve non pas en l’accroissement des informations à utiliser à des fins techniques, mais en la croissance dans la sagesse. Faut-il rappeler que les vieilles pages du livre des Proverbes annonçaient que le commencement de celle-ci se trouve dans la crainte, c’est-à-dire dans la foi en Dieu? L’homme moderne apprend-il qu’il est tout d’abord créature de Dieu, faite à son image et selon sa ressemblance. Qu’il ne peut connaître et être connu qu’en Jésus-Christ, la révélation information essentielle de toute vie, à toute époque et aussi pour tous les efforts scientifiques? Et depuis que, sur le Calvaire, l’étincelle divine a embrasé le monde tout entier, toute sagesse humaine égarée loin de Dieu est, à ses yeux, une folie. Car ce n’est qu’en lui que se trouve, inépuisable et généreuse, la fontaine d’amour, de vérité, de vie.
Dans une société anarchiste, répudiant tout principe moral, seules la sagesse et la toute-puissance de sa grâce peuvent conduire le plus ignorant comme le plus savant sur les sentiers de la vie.
C’est donc à un retour vers cette sagesse-là et à la conversion au Dieu révélé en Jésus-Christ dans la communion de son Esprit, que les Églises et les chrétiens inviteront tout homme jusqu’à la fin des temps, afin que puisse avoir lieu l’unique révolution qui compte : celle qui renouvelle de fond en comble nos esprits comme elle renouvellera l’univers tout entier.
Note
1. N.D.L.R. Bien que la technologie informatique ait beaucoup progressé depuis la rédaction de cet article, les questions éthiques et spirituelles qu’il soulève demeurent d’actualité.