Connaissance de l'islam - Pour une stratégie missionnaire
Connaissance de l'islam - Pour une stratégie missionnaire
Le présent paragraphe commencera par quelques observations d’ordre général, susceptibles de s’appliquer aussi bien à l’islam qu’à d’autres champs missionnaires. Notre conviction missionnaire s’inspirera d’un principe fondamental permanent, s’énonçant clairement dans l’ordre missionnaire que Jésus adressa à ses disciples peu avant son départ (Mt 28.18-20). Il s’agit de prêcher l’Évangile à toute créature, sans exception aucune. Lorsque Jésus confiant aux siens cette mission universelle, il avait en vue non seulement les Juifs et les Grecs, les Scythes et les Phéniciens contemporains, les Romains ou les Celtes, mais encore ceux qui n’étaient pas encore apparus sur la scène de l’histoire mondiale. Nous sommes persuadés qu’il incluait dans son dessein missionnaire mondial les Arabes du désert autant que les Africains du continent subsaharien, les Asiatiques de l’Extrême-Orient que les habitants de la lointaine Polynésie. Les apôtres du Christ et les futurs missionnaires chrétiens prêcheront le même Évangile aux peuples gagnés à l’islam. Lorsqu’il déclarait « cet Évangile du Royaume sera prêché au monde entier pour être un témoignage à toutes les nations » (Mt 24.14), les nations musulmanes et les tribus adorant les idoles étaient incluses dans son dessein.
L’auteur du livre de l’Apocalypse décrit comment, dans l’une de ses visions, il aperçoit un autre ange ayant l’Évangile éternel pour prêcher à tous ceux qui habitent la surface de la terre; toute nation, toute tribu, toute langue et tout peuple seront donc les destinataires effectifs et les récipiendaires virtuels de cet Évangile (Ap 14.6).
Obéir à l’ordre missionnaire de Jésus, participer à la vision apostolique, telle fut la mission chrétienne durant tous les siècles; forts de cette conviction, des missionnaires ont inlassablement et courageusement œuvré aussi parmi les musulmans. Néanmoins, pour aussi pénible qu’il soit d’avouer la chose, la dure réalité saute aux yeux : bien souvent, ce fut la ligne de la moindre résistance qui fut adoptée et tracée; on bâtit dans des pays arabes bien des églises et des chapelles, mais les membres n’étaient autres que des convertis venant d’autres minorités chrétiennes, fidèles d’Églises orientales ayant été amenés à la foi évangélique, ce qui n’est certes pas à négliger, mais ne justifie pas la qualification de mission en terre d’islam.
On signale aussi le fait que nombre de missionnaires chrétiens établis en terre d’islam n’ont à vrai dire aucun contact ou très peu avec des musulmans. Ils ne leur ont pas prêché directement, n’ont pas cherché véritablement à orienter leur activité apostolique vers leur direction.
Ne nous dissimulons pas le fait que la tâche missionnaire sur un tel terrain est très ardue; de nombreux missionnaires, hommes ou femmes, se sont donnés sans en calculer le prix, allant souvent jusqu’au don de leur propre vie. Leur mission peut être appelée véritablement impossible. Leur action, lorsqu’il s’agissait d’une entreprise sociale, éducative, médicale, d’assistance technique ou autre, a été appréciée à sa juste valeur par les musulmans eux-mêmes. Mais de telles activités, aussi nobles, voire urgentes qu’elles soient, ne seront pas des substituts à l’ordre du Christ, car elles n’édifient pas des Églises composées de musulmans parvenus à la connaissance du salut en Christ.
Certes, Jésus aussi eut recours à une action sociale. N’a-t-il pas guéri, enseigné, voire nourri des foules? Mais Jésus s’est-il arrêté à la seule dimension de l’action sociale? Il ne s’est pas borné à effectuer une activité de bienfaisance. Il a d’abord et principalement prêché l’Évangile du Royaume, annoncé l’offre du salut, offert le pardon des offenses. Il a prédit sa passion et sa mort, en vue de la libération des pécheurs aliénés de Dieu. Aussi a-t-il donné un ordre spécifique : celui d’évangéliser, d’enseigner toutes les nations. Ceci constituait le cœur même de sa propre mission; c’en était l’essence.
Les chrétiens, dans l’accomplissement de leur œuvre missionnaire, ont parfois négligé les gestes de charité, les tenant pour une activité périphérique, si ce n’est absolument superflue, pour le salut des âmes.
Convenons de la difficulté de la tâche consistant à annoncer l’Évangile à l’aide de la seule parole. Elle serait bien plus aisée si, au cours des années, nous nous occupions des activités purement caritatives et nous nous attelions à une œuvre éducative. Cependant, l’Évangile ne nous assure pas qu’enseigner et guérir remplacera l’ordre primordial, celui de faire des disciples. Ordre primordial et explicite!
Prêcher l’Évangile du salut en Christ en terre d’islam soulèvera non seulement quelques difficultés, mais présentera encore de multiples dangers. La mort au bout du chemin peut être un danger très réel. Ne nous leurrons pas. Il suffit d’avoir des oreilles attentives et d’entendre les témoignages dramatiques de nombreux missionnaires œuvrant en sol islamique.
Dans plusieurs pays modernes, l’islam est devenu la religion officielle du gouvernement; des fonctionnaires, forts des lois intolérantes, s’opposeront farouchement à la moindre velléité de mission chrétienne. L’opposition sera fanatique, elle se muera en oppression persécutrice, dégénérera en châtiment punissant de mort sinon l’évangéliste étranger, en tout cas le musulman converti. Le missionnaire occidental peut se dire heureux d’échapper à un tel sort, étant donné que son gouvernement, son ambassadeur, parfois des unités militaires stationnant sur le sol de tels pays, ou encore d’autres intérêts économico-financiers, le lui épargneront. Mais malheur à l’autochtone qui n’a ni consul à son service ni garde du corps à chacun de ses déplacements! Il sera voué à une mort violente. Se convertir au Christ constitue le blasphème suprême, crime de lèse-religion impardonnable, puni par les gardiens vigilants de l’orthodoxie musulmane. En dépit d’assertions contraires, il faut avoir la lucidité de reconnaître que tolérance, liberté de conscience et islam sont des réalités étrangères et incompatibles. L’islam est par essence une religion intolérante. La tâche est donc immense et, par moments, elle nous plongera dans une extrême perplexité.
Et pourtant, l’Évangile du Royaume détient un pouvoir plus grand encore que la plus farouche des oppositions et la plus féroce des persécutions. Il est la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit. Il nous est donné de le proclamer à notre génération, car il n’a rien perdu ni de sa puissance ni de son actualité. Il demeure la puissance de Dieu encore en ce temps dans lequel nous vivons. Il n’est pas amoindri sous les assauts de la sécularisation et il n’est pas dévitalisé par la résistance des fausses religions.
Considérons l’exemple des premiers témoins du Christ. En quittant Jérusalem, à vrai dire en fuyant la capitale persécutrice des prophètes et des témoins de Dieu, les apôtres se virent confrontés à de nombreux problèmes et se trouvèrent impliqués dans des situations qui sont celles que le missionnaire moderne trouvera en terre d’islam.
Ils durent faire face à l’antagonisme religieux des autorités politiques et à l’indifférence des magistrats; ailleurs, ils durent subir la haine vengeresse des foules déchaînées. Certains scellèrent leur témoignage par l’offrande de leur vie, mourant de la mort du martyr. Ils furent à la fois témoins et victimes de la cause évangélique. L’histoire ancienne et la tradition nous apprennent que quatre d’entre eux furent crucifiés, l’un fut décapité, un autre livré aux flammes, d’autres atrocement torturés, d’autres encore jetés en proie aux bêtes féroces. L’expérience personnelle que rapporte saint Paul dans 2 Corinthiens 11.23-27 semble indiquer que le prédicateur s’adressant à des musulmans ne doit pas s’attendre à des expériences moins pénibles que celle du premier missionnaire auprès des païens.
Dans de telles conditions, faisant face à d’énormes difficultés, prêchant hardiment, ils souffrirent, mais les résultats de leur mission héroïque furent merveilleux. L’Évangile actuellement prêché avec la même puissance que celle qui accompagnait les premiers hérauts pourrait-il parvenir à des résultats semblables?
L’histoire de l’Église nous instruit et nous réjouit par les récits des activités missionnaires de ceux qui, sans tenir à leur vie comme à un objet précieux, témoignèrent au prix d’énormes sacrifices et finirent leur course avec joie. Sans crainte, avec conviction et courage, ils proclamèrent le message du salut et ils gagnèrent au Christ des hommes et des femmes auparavant ennemis de la vérité, même si ce ne furent pas des foules.
Il se pourrait que la prédication de l’Évangile parmi les musulmans requière actuellement non seulement la fidélité orthodoxe ou des méthodes appropriées, mais encore une abnégation et un esprit de sacrifice qui ne tient pas compte du prix consenti. Tout prédicateur devra se rappeler — autrement il vaudrait mieux abdiquer avant qu’il ne soit trop tard — qu’une espérance bienheureuse, vivante et inextinguible anime tout témoin du Fils de Dieu. Une espérance qui ne sera point altérée, même dans les pays les plus hostiles et sur les terres les plus arides.
En considérant ces aspects de la mission chrétienne et en nous rappelant aussi que le Christ reviendra, nous puiserons dans le passage prophétique d’Ésaïe 60 une force et une vision renouvelées. Ce passage promet qu’il y aura un temps où les forces et les foules païennes viendront au Seigneur. Le terme de « force » est l’équivalent de foule, d’un grand nombre, d’une multitude. Les versets 6 et 7 justifient définitivement que des multitudes viendront à la lumière céleste, ces multitudes peuplant le pays des chameaux et parsemé des tentes des nomades.
Dans un passage de sa première lettre aux Corinthiens, saint Paul posait la question d’une manière pertinente : « Où est le sage, où est le scribe, où est le disputeur de ce siècle? » (1 Co 1.20). Actuellement, une pléthore d’écrits, d’essais, de thèses et d’autres savantes analyses sont consacrés à l’évangélisation en général et à celle des musulmans en particulier. On débat des possibilités, on se dispute sur les méthodes, on préconise des voies jusque-là inexplorées, on prononce des sentences missionnaires irrévocables. Une grande majorité estime que les « problèmes missionnaires » ne seront résolus qu’à force de dialogue (certains ont même inventé le terme barbare de « trialogue »), de discussions, d’études et d’autres démonstrations d’intellectualisme théorique, parfois d’une insupportable aridité. On se leurre à l’idée que le dialogue entre chrétiens et musulmans contribuera grandement à l’élucidation des problèmes résultant des rapports entre les deux religions, ou au moins au respect mutuel. Saint Paul, quant à lui, au lieu de prôner un tel simplisme, déclarait sans ambages ni détour qu’il devait prêcher Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. Ailleurs, il affirmait que Dieu avait décidé de sauver les hommes par la folie de la croix.
Plaise à Dieu que nous nous glorifiions en cette même folie divine. Certes, au regard d’un certain nombre de chrétiens, autant que des non-chrétiens, cela ne saurait plus se concevoir. Une telle philosophie est, prétend-on, propre à des temps heureusement révolus, ou encore relèverait de l’irrationnel total. Cependant, si à l’heure actuelle nous n’avons pas pu résoudre la question de manière satisfaisante, pourquoi ne pas nous en tenir au moins à la méthode divine, même si les résultats ne sont ni immédiats ni apparents? Au moins, nous démontrerons sa force et son efficacité dans nos propres attitudes.