Homilétique (3) - La théologie biblique et la prédication
Homilétique (3) - La théologie biblique et la prédication
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L’importance de la théologie biblique
a. La théologie biblique implique une vision d’ensemble
b. La question du contexte culturel
c. Le lien entre la Parole écrite et Jésus-Christ - La prédication théocentrique
- La prédication christocentrique
1. L’importance de la théologie biblique⤒🔗
Les ouvrages actuels en matière d’homilétique se préoccupent avant tout de méthodes de communication. « Comment attirer, comme convaincre? » Mais la nature de l’Écriture et l’importance des règles d’interprétation sont assez rarement abordées. Le travail exégétique, y compris avec le recours aux dernières découvertes des sciences humaines, est parfois évoqué. Mais que vaut le travail exégétique sans les règles qui situent le texte dans le contexte de toute l’Écriture?
« La théologie biblique vise à laisser parler la Bible dans son intégralité, en tant qu’unique parole que le Dieu unique nous adresse, à propos de l’unique voie du salut.1 »
a. La théologie biblique implique une vision d’ensemble←↰⤒🔗
La théologie biblique implique donc une vision d’ensemble, un point de vue global sur la révélation biblique. Les principes bibliques sont énoncés dans un contexte concret, dans une histoire du salut qui est progressive, qui a un sens et où chaque élément a son sens dans le contexte global et cohérent. Quand le Psalmiste écrit : « J’habiterai dans la maison de l’Éternel tous les jours de ma vie » (Ps 27.4, ou : jusqu’à la fin de mes jours), quel est le sens, pour nous, de l’expression : « la maison de l’Éternel »? S’agit-il du lieu de culte? Non. Il s’agit de la communauté des fidèles, même quand elle est dispersée : l’Église de Jésus-Christ! (Ép 2.20-22). Le croyant dit : la communion manifestée par l’amour fraternel m’accompagne en tout temps et me rappelle la communion avec le Seigneur lui-même. Je ne suis jamais sans l’amour de mes frères et sœurs dans la foi! Et ce sens était déjà, en partie au moins, celui que David percevait, même si, à son époque, la maison de l’Éternel désignait un bâtiment. Ainsi, la prédication, pour être en accord avec le projet de Dieu, doit régulièrement renvoyer l’auditeur à cette perspective globale. « Commençant par Moïse et par tous les prophètes, Jésus leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (Lc 24.27).
C’est dans ce sens qu’Aquilas et Priscille instruisirent Apollos, « homme instruit et versé dans les Écritures, qui enseignait avec exactitude ce qui concerne Jésus », mais « ils lui exposèrent plus exactement la voie de Dieu ». Ainsi instruit, Apollos « démontrait par les Écritures que Jésus est le Christ » (Ac 18.24-28).
La question de l’unité de la révélation biblique a pu interroger, et certains ont voulu voir des contradictions entre ses diverses parties. L’utilisation de méthodes « critiques », à prétention scientifique, a fait croire à certains que l’approche des textes serait plus rigoureuse si elle s’affranchissait de la foi en l’acte révélateur de Dieu. L’Écriture devient alors une collection de traditions ou d’expériences humaines au sein de laquelle il faudrait retrouver la Parole de Dieu, un peu comme un chercheur d’or en quête de paillettes devant un tas de cailloux…
Il est vrai que la Bible n’est pas un manuel de doctrines. Cependant, son unité (elle a un sens et un centre) permet et même nécessite la reconnaissance de doctrines principales (ou majeures), présentes tout au long de l’Écriture. Ces doctrines, soumises à l’Écriture, éclairent l’Écriture, selon le principe d’herméneutique suivant : la Bible s’éclaire par la Bible. Toute doctrine biblique correctement comprise éclaire à son tour toute la Bible. Il est vrai qu’aucune formulation humaine n’est infaillible. Cependant, une doctrine peut être juste ou erronée. C’est dans ce sens qu’Apollos a été repris par Aquilas et Priscille.
Le mot « hérésie » signifie : qui choisit. Ainsi, un prédicateur peut dire des choses vraies et cependant verser dans l’hérésie s’il choisit, dans l’Écriture, ce qui lui convient, ce qui correspond à son tempérament, à ses préférences2. La théologie biblique, si elle est correctement pratiquée, permet d’éviter ce risque permanent.
Enfin, la théologie biblique permet de distinguer entre les doctrines majeures, sur lesquelles il est impératif de s’accorder et les doctrines secondes sur lesquelles des divergences d’interprétation peuvent être acceptées. Confondre les unes et les autres, c’est également courir le risque de l’hérésie. Jean Calvin écrit : « Toutes les doctrines sont importantes, mais toutes ne sont pas aussi importantes. »3
b. La question du contexte culturel←↰⤒🔗
Deux erreurs fréquentes existent :
La première erreur consiste à accentuer tellement la « contextualisation » des récits que ceux-ci n’ont plus rien ou presque à nous dire aujourd’hui : on n’est plus dans le même temps, dans le même contexte; cela ne nous concerne plus. Ce que Paul nous dit de la place et du rôle des femmes, par exemple, est alors regardé comme déplacé : « C’était comme cela à son époque. » C’est oublier que Paul donne plusieurs fois des références qui ne sont pas du tout culturelles : elles sont théologiques et permanentes (1 Co 11.3-16; 1 Tm 2.13-14; 1 Pi 3.7)!
La seconde erreur consiste à négliger le contexte historique ou culturel qui, souvent, donne leur sens aux mots. Jésus avait des sandales et commande de laver les pieds de ses disciples. Devons-nous faire de même ou comprendre la leçon qu’il donne au travers de ces mots? Le mot « frère » ou le mot « prochain » sont souvent définis de manière universaliste (englobant tous les hommes), tandis que dans la Bible le sens est toujours rattaché à l’appartenance au peuple de Dieu : les membres du peuple d’Israël jusqu’à la fin du livre des Actes, puis les disciples de Jésus, quelle que soit leur origine4. Si on donne au mot frère le sens moderne de « citoyen de l’humanité », on ne respecte pas le sens réel que le mot a dans les textes, et le message devient erroné. Le prêcher avec zèle ne fera qu’aggraver les choses!
Les prédicateurs ont tout intérêt à utiliser à la fois des lunettes grossissantes (prêter attention aux détails) et une lunette panoramique (considérer l’ensemble). C’est cela, la discipline que l’on appelle théologie biblique. Celle-ci se consacre à l’étude de l’Écriture à la lumière des thèmes théologiques généraux qui font l’unité de ses différentes parties. Elle permet de situer correctement chaque texte biblique, chaque enseignement.
Deux remarques à ce sujet :
D’abord, la diversité de la Bible (époques de rédaction, auteurs, genres littéraires, etc.) et son unité ne s’opposent pas, dès lors que nous la considérons comme la Parole écrite de Dieu, le testament de l’alliance qu’il offre aux hommes en général, à son peuple en particulier5. Comment le texte que je dois prêcher se situe-t-il dans cette unité dans la diversité?
Ensuite, la révélation divine est progressive et elle est inextricablement liée à l’œuvre de la rédemption. On établira donc un rapport entre les aspects du texte qui existent sous forme embryonnaire et le message abouti qu’ils annoncent ou auquel ils nous préparent, afin d’interpréter pleinement et correctement ce que le texte signifie. On peut difficilement expliquer ce qu’est un gland si l’on ne le met pas en rapport d’une manière ou d’une autre avec le chêne. Comment le texte que je dois prêcher se situe-t-il dans cette progression?
c. Le lien entre la Parole écrite et Jésus-Christ←↰⤒🔗
La théologie biblique attache également une grande importance au rapport qui existe entre l’Écriture comme Parole écrite de Dieu et Jésus-Christ comme Parole éternelle de Dieu. Ainsi, nous pouvons dire que toute l’Écriture éclaire l’Évangile, et que l’Évangile éclaire toute l’Écriture. Il en est de même pour la personne de Jésus. Les Écritures nous conduisent à lui; il nous ramène à elles. En d’autres termes, la Bible nous permet de connaître Jésus-Christ, mais c’est lui qui est la clé, la porte pour comprendre l’Écriture. « Lorsque les cœurs se convertissent, le voile est ôté » (2 Co 3.16).
Le prologue de l’Évangile de Jean démontre à lui seul la centralité de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ, mais aussi son lien avec la réalité de la création, avec la réalité de la chute, avec le mouvement de Dieu vers son peuple tout au long de l’histoire du peuple d’Israël. Le verset 14 dit littéralement que Jésus a « tabernaclé » au milieu de nous, en référence explicite avec la tente de la rencontre au désert.
Enfin, l’attitude de Jésus lui-même à l’égard des Écritures nous rappelle que la rédemption est annoncée et signifiée dès le commencement et qu’elle culmine avec sa venue et l’œuvre de la croix (Lc 24.27). Toute la Bible nous parle de Dieu qui se révèle en Jésus-Christ. Toute la Bible nous montre que les impératifs de la Parole de Dieu sont rattachés à l’identité précise de son peuple, le peuple de l’alliance, le peuple racheté, et non à un programme utopique pour construire une humanité meilleure…
C’est pourquoi, pour le lecteur de la Bible comme pour le prédicateur, tous les thèmes mènent à Christ. Peut-on apporter une prédication chrétienne sans attirer les regards sur la personne et l’œuvre de Jésus-Christ? Non, pour deux raisons :
- Il est l’unique Seigneur de la création (Ps 119.89-91; Jn 1.3; Co 1.16-18).
- Il n’y a pas d’autre voie pour accéder à Dieu (Jn 14.6; Ac 4.12; 10.42-43).
Sans l’Évangile, en effet, l’exhortation devient très facilement légaliste. Est-il juste de placer, dimanche après dimanche, les chrétiens sous une loi et dans la culpabilité? Prêcher ce que nous devrions être et faire, sans rappeler ce que Dieu a fait à cause de notre incapacité totale à lui obéir, c’est détruire d’une main ce que l’on a tenté de construire de l’autre.
2. La prédication théocentrique←⤒🔗
John Piper commence son livre6 en écrivant : « Je crois plus que jamais que la prédication fait partie intégrante de l’adoration de l’Église réunie. La prédication est un acte d’adoration. » Et il cite le grand prédicateur de Réveil Jonathan Edwards (1703-1758) :
« Dieu se fait connaître au cœur de ses créatures et se glorifie dans la joie, la satisfaction et le plaisir qu’elles éprouvent quand il se révèle. Sa gloire est alors accueillie par l’être tout entier, par l’entendement comme par le cœur… La raison pour laquelle la prédication est si essentielle lors de l’adoration de l’Église est qu’elle répond parfaitement aux besoins de l’entendement et des sentiments. »
Pour John Piper, le but de la prédication est la gloire de Dieu. Il écrit : « Dieu le Père, Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit sont le commencement, le cœur et la finalité du ministère de la prédication. » Il cite un prédicateur écossais, James Stewart :
« Toute prédication authentique vise à stimuler la conscience par la sainteté de Dieu, nourrir la pensée par la vérité de Dieu, purifier l’imagination par la beauté de Dieu, ouvrir le cœur à l’amour de Dieu et susciter la soumission à la volonté de Dieu. »
Charles Spurgeon fut un prédicateur qui sut captiver les foules. Ses messages étaient imprégnés de Dieu : « Nous n’aurons pas de grands prédicateurs, disait-il, tant que nous n’aurons pas une vision grandiose de Dieu. »
Le pasteur Cotton Mather déclara en Nouvelle-Angleterre, il y a trois siècles : « La responsabilité du prédicateur chrétien est avant tout de restaurer le trône et le règne de Dieu dans le cœur des hommes. »
L’attention de l’homme naturel n’est pas centrée sur Dieu; elle est centrée sur lui-même. Le pasteur R.C. Sproul a mis cela en évidence en commentant le passage de Luc 13 où l’on voit des personnes qui viennent raconter à Jésus que Pilate a fait périr des Galiléens qui offraient des sacrifices. La réponse de Jésus opère un renversement. Il dit :
« Êtes-vous étonnés que Pilate ait tué quelques Galiléens? Ce qui devrait vous surprendre, c’est que vous n’ayez pas été tués, vous, mais que vous le serez un jour si vous ne vous repentez pas. »
Les hommes centrés sur eux-mêmes sont étonnés que Dieu refuse la vie et la joie à ses créatures. Mais la Bible centrée sur Dieu s’étonne de ce que Dieu reporte son jugement sur les hommes. C’est bien une conversion de l’intelligence qui est requise!
« L’objectif de la prédication, écrit Piper, c’est la gloire de Dieu dans la joyeuse soumission de sa création. Mais cette prédication se heurte à un double obstacle : la nature de Dieu et la nature de l’homme orgueilleux… Est-il possible d’atteindre l’objectif de la prédication : que Dieu soit glorifié dans la vie de ceux qui trouvent en lui leur satisfaction? Oui, à la croix de Christ. »
3. La prédication christocentrique←⤒🔗
Les réformateurs avaient recours au principe de « l’analogie de la foi » ou « analogie de l’Écriture », selon lequel il existe une « cohésion des vérités de la foi entre elles et dans le projet total de la révélation ». Il s’agit d’identifier le message qui était destiné aux premiers lecteurs du texte, puis de repérer dans la situation présente ce qui donne une actualité à ce même message. Le message ne change pas; seul le contexte varie. Cela signifie que les applications pourront varier alors que l’interprétation du message central du texte ne varie pas7.
C’est pourquoi nous pouvons dire que l’ensemble de la Bible est christocentrique : l’œuvre rédemptrice du Christ, dans ses diverses dimensions, est la pierre angulaire de toute la révélation des rapports entre Dieu et son peuple.
Quel que soit le sujet traité, je dois le mettre en rapport avec la rédemption8, sinon ma prédication risque de devenir moralisatrice. « Je n’ai pas estimé devoir vous apporter autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (1 Co 2.2). Une bonne prédication est une prédication rédemptrice9, christocentrique. Trop de prédications sont anthropocentriques10.
La Bible n’est pas un livre de « développement personnel »11. Elle nous explique qu’il faut recevoir le Christ comme Sauveur et source de vie pour être et faire ce que Dieu demande. La vraie prédication chrétienne doit être centrée sur la croix de Jésus-Christ. La croix est la doctrine centrale des Écritures. La croix représente ici l’ensemble de l’œuvre rédemptrice de Dieu, passée, présente et future, y compris la résurrection, l’intercession et le règne qu’ouvre la victoire de la croix. Le message central de la croix est notamment présenté au début de Romains 6 : Jésus-Christ n’est pas seulement mort à notre place; il est aussi mort pour nous entraîner, dans l’union (baptême) avec lui dans sa mort et sa résurrection afin que nous puissions marcher en nouveauté de vie.
Une parole de Paul dit cela : « Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer l’Évangile, et cela sans la sagesse du langage, afin que la croix du Christ ne soit pas rendue vaine » (1 Co 1.17)12.
« En d’autres termes, dit Piper, aucune prédication ne peut être valable sans la croix. »
La prédication christocentrique correctement comprise ne cherche pas à découvrir où le Christ est mentionné dans le texte, mais comment le texte se rapporte au Christ. Cette démarche christocentrique reflète les principes homilétiques de Jésus lui-même : « Alors, commençant par les livres de Moïse et parcourant tous ceux des prophètes, Jésus leur expliqua ce qui se rapportait à lui dans toutes les Écritures » (Lc 24:27). L’épisode de la transfiguration illustre également ce principe : l’Ancien et le Nouveau Testament encerclent Jésus et parlent de lui.
Une erreur fréquente consiste à ajouter au texte un message rédempteur au lieu de le faire jaillir du texte. Il ne s’agit pas de mentionner arbitrairement la croix à la fin du sermon ni de faire des « sauts messianiques » hasardeux tout au long du sermon, mais de faire en sorte que l’ensemble du sermon conduise les auditeurs à comprendre la place du texte dans le plan de la rédemption.
Lorsque tout est dit, le regard de l’auditeur est-il orienté vers lui-même ou vers le Rédempteur?
Notes
1. Graeme Goldsworthy, Christ au cœur de la prédication. Excelsis, 2005.
2. C’est le sens de l’expression « l’amour croit tout » (1 Co 13.7). Cela ne signifie pas que l’amour croit n’importe quoi, car « il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité » (1 Co 13.6). Cela signifie que l’amour (qui vient de Dieu) croit (accepte avec joie) tout ce qui vient de Dieu, sans choisir, sans trier!
3. La foi dans l’action du Saint-Esprit n’autorise pas à fermer la Bible ou à l’utiliser de manière légère. L’homme n’est-il pas assez malin pour être capable de démontrer presque n’importe quoi en citant des versets bibliques?
4. Voir mes articles intitulés La notion biblique de prochain et Action sociale et amour fraternel : Qui est mon prochain?
5. De nombreux prédicateurs considèrent que la prédication-exposition de la Parole de Dieu est sans aucun doute la meilleure manière de prendre en compte l’unité de la révélation biblique autour de la personne de Jésus.
6. John Piper, Replacer Dieu au cœur de la prédication. BLF, 2012.
7. Voir mon article intitulé L’arrière-plan doctrinal de la prédication.
8. La rédemption qui est beaucoup plus que le pardon des péchés.
9. Voir le chapitre IV de ce cours intitulé Construire des prédications rédemptrices.
10. Il existe un exercice qui consiste à repérer, dans un message (ou dans une prière), « les flèches qui montent » (= ce que nous offrons à Dieu) et « les flèches qui descendent » (= ce que nous demandons à Dieu pour nous). Il est normal que les deux existent (nous recevons tout de Dieu), mais il est souhaitable que, d’une manière générale, « les flèches qui montent » soient plus nombreuses, comme le démontrent le début et la fin du Notre Père, par exemple.
11. Comment pourrions-nous comprendre, sinon, les multiples passages qui évoque la possibilité de souffrir pour Christ (Hé 10.32-34; 1 Pi 3.14-17)?
12. C’est ainsi que le premier chapitre du livre de Graeme Goldsworthy, Christ au cœur de la prédication (Excelsis, 2005) prend pour titre cette parole de Paul : Rien d’autre que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié.