Apologétique (1) - Introduction à l'apologétique
Apologétique (1) - Introduction à l'apologétique
1. Définitions⤒🔗
Au sens originel, « apologie » signifie défense. En langage théologique, l’apologie est essentiellement la réponse ou bien une réponse donnée à une accusation portée contre la foi en la révélation biblique. Les premiers discours chrétiens commençaient précisément par une apologie de cette nature (voir Ac 2.14). La foi chrétienne comporte nécessairement un élément défensif et il est presque impossible de dire précisément à quel point la défense sera dépassée pour devenir une attaque. Ainsi, au sens chrétien, l’apologie implique la défense de la vérité révélée. Elle fait face à une accusation explicite ou implicite; elle affirme des faits ou bien elle en tire des conclusions rationnelles.
Le terme se rencontre pour la première fois dans Actes 26.1, lorsque Paul devant le roi Agrippa fait l’apologie de sa foi (« apologgeisthai »). De même, dans Actes 2.4, dans son premier discours public, l’apôtre Pierre fera œuvre d’apologète, c’est-à-dire de défenseur de la foi en Christ.
En général, l’apologétique s’occupe du rapport de la foi chrétienne avec le domaine plus large du savoir, tel que la philosophie, la science, l’histoire, la sociologie. En passant, elle prouvera que la foi ne s’oppose point ni n’est en divergence avec ces diverses disciplines qui étudient les divers aspects de la réalité créée, offrant un champ d’investigation et cherchant le savoir, et en interprétant des faits concrets. En tant que discipline théologique, l’apologétique se servira d’un ensemble de matériaux intellectuels, légitimes du point de vue biblique, et réunis par le penseur chrétien. Elle devient alors l’étude entreprise par des chrétiens pour des chrétiens. Dans ce sens-là, elle se distingue de « l’apologia », qui, elle, s’adresse plus particulièrement à des non-chrétiens.
On a parfois établi une distinction entre l’apologétique religieuse générale et l’apologétique chrétienne particulière. Cette distinction permettra de définir les limites du sujet avec une certaine précision. L’apologétique religieuse générale s’occupera des sujets tels que la défense de la conception théiste du monde, les arguments en faveur de l’existence de Dieu, la réponse donnée au problème du mal, de même que la contre-offensive à des positions athées ou agnostiques. Dans ce sens, elle s’appellera théologie naturelle ou philosophie de la religion.
Au sens étroit, l’apologétique chrétienne s’occupe des implications de la révélation chrétienne pour l’intelligence du monde et de l’existence humaine, rationnelle, éclairée et autorisée par la révélation. Elle cherche à montrer que la révélation telle qu’elle est reçue par la foi n’est pas simplement compatible avec l’exercice de la raison humaine, mais encore le seul et exclusif guide de la raison lorsque celle-ci cherche le savoir. En outre, elle démontre que la révélation n’est pas une fiction due à l’imagination chrétienne, mais une catégorie réelle de la pensée que l’on peut réduire à des faits observables ou à des expériences vérifiables.
L’apologétique est donc la science de l’apologie. Elle est l’étude des principes qui souligne la défense correcte de la foi chrétienne ou la défense du christianisme en tant que système cohérent. La défense de la foi implique qu’elle l’est contre quelqu’un ou contre quelque doctrine, contre ce qui l’accuse ou l’attaque. La défense entreprise se fera de manière spécifique. Les principes de la défense seront alors appliqués seulement en vue des situations données dans laquelle la défense est entreprise. Certains spécialistes modernes ont distingué entre deux éléments qui composeraient l’apologétique chrétienne : d’une part un élément juridique, d’autre part un élément polémique. L’objectif à atteindre dans une cour de justice, dira-t-on, est autre que celui dans un champ de bataille (J. Reid). L’un cherche à détruire l’adversaire, l’autre à prouver et à convaincre. Les arguments de l’un ne seront pas nécessairement ceux de l’autre.
Contre qui ou contre quoi s’adresse l’apologétique? Diverses réponses ont été apportées. Origène, en écrivant son Contra Celsum, avait en vue un adversaire spécifique. Thomas d’Aquin n’est pas très précis lorsqu’il rédige son Contra Gentiles. Il n’y visait pas un adversaire particulier. Son apologétique s’adressait à tous les non-chrétiens sans distinction, en vue de les amener à la foi. Une autre question s’est posée à propos du genre d’auditeurs de l’étude d’apologétique. Sont-ils des croyants, des chercheurs, des confessants? Il existe une unanimité selon laquelle l’apologète ne vise pas la conversion du croyant. L’on a dit qu’il ne plaît pas à Dieu de convertir par des arguments rationnels. Simultanément, le démantèlement systématique des raisons sur lesquelles se fonde l’incroyance ne peut faire quelque chose pour préparer le passage vers la foi pour ceux qui délibérément se sont retranchés dans une incroyance dogmatique. Dans ce sens, l’apologétique pouvait se concevoir comme la préparation à l’Évangile. Si le non-croyant est un chercheur, l’apologète aura quelque chose à lui offrir. Mais alors l’apologétique n’a de valeur qu’uniquement pour le chrétien, ce qui serait l’équivalent de s’adonner à un narcissisme théologique. Ici, la dogmatique et l’apologétique se côtoient. La question complexe est de savoir comment il convient d’entreprendre et de conduire la défense.
Pour Karl Barth, il n’y a pas de distinction absolue entre dogmatique et apologétique. La dogmatique elle aussi parle tout au long de la ligne de la foi qui s’oppose à l’incrédulité. Lorsqu’elle est critique, elle devient intentionnellement apologétique. Ce qui signifie qu’elle est une activité théologique au bénéfice des seuls besoins des chrétiens. Mais, dit Barth, la foi ne s’engage pas sérieusement avec l’incrédulité.
Selon Emil Brunner, la relation entre les deux peut être suggérée par la désignation de « Sach bezogen » et « Hörer bezogen », l’une étant liée ou orientée vers la chose proclamée, l’autre vers l’auditeur. Dans la pensée de ces deux théologiens, l’apologétique et la dogmatique ne sont pas distinguées de manière tranchante.
Pour John Macquarie, l’apologétique n’est pas une branche de la théologie, mais plutôt un style théologique; elle défend la foi contre l’attaque. Mais elle opère sur un champ de force et sera humble, car elle est consciente de posséder l’Évangile que le monde entier doit entendre. Elle nécessite l’humilité parce que l’Évangile révèle d’autres richesses offertes au monde pour ses besoins. Elle consiste dans la déclaration positive de cet Évangile face aux circonstances dans lesquelles elle est confrontée et s’opposant à elle. Elle s’engage avec des ennemis convaincus de l’extérieur, elle défend la foi contre l’ignorance, contre le malentendu, la diffamation, l’incrédulité. Elle s’engage contre les démolisseurs de l’intérieur qui la ruinent, mais aussi pour proclamer la foi afin d’obtenir une audience, sachant que la raison n’est pas toute la foi et que la foi ne peut s’isoler de la raison. Elle ne fait donc pas seulement défendre la foi, elle la commande et surtout la recommande.
Du côté protestant, on a encore donné des réponses séparées à chaque objection (par exemple de l’anthropologie, de la théologie, des miracles, de l’évolution, etc.). La question fondamentale durant des siècles avait été l’existence de Dieu en opposition au panthéisme et à l’athéisme. Les arguments sur l’existence de Dieu ont soulevé la question des limites de la raison. Combien grande est notre connaissance de Dieu? Aurions-nous même un concept de Dieu? L’esprit fini de l’homme est-il en mesure de découvrir le Dieu infini? En reconnaissant la place importante qu’occupe dans les disciplines humaines le behaviorisme, nous pourrions virtuellement identifier l’apologétique avec une discipline qui s’occuperait de la question fondamentale : La connaissance de Dieu est-elle possible?
2. La nécessité de l’apologétique←⤒🔗
L’apologétique est la préparation nécessaire au travail de l’apologète, et comme telle une partie importante de la formation des prédicateurs, des évangélistes et des docteurs chrétiens. En tant que défense de la foi en la révélation et la rédemption, l’apologétique référera à Jude 1.3. Notons cependant que ce passage ne contient pas une formule commode qui arrangerait tout de manière presque mécanique, voire miraculeuse. Si ç’avait été le cas, la foi cesserait d’être une réalité vivante et un combat spirituel constant. Elle consisterait simplement en une série de propositions et se confondrait avec le simple assentiment intellectuel (éléments de la foi biblique : connaissance, conviction, assentiment, confiance personnelle, connaissance obéissante, obéissance connaissante). Mais la foi n’est pas simple assentiment intellectuel à une série de propositions. Son noyau et sa périphérie sont également importants. Sans la périphérie, le noyau ne pourrait subsister ni se faire saisir; la périphérie, elle, aidera à transmettre le noyau; cependant, sans le noyau l’enveloppe sera dépourvue de tout intérêt. Les apologètes doivent se garder de distraire leur attention en dilapidant leurs énergies. L’apologétique devrait rarement être négative. Il convient de se rappeler qu’au-delà d’elle-même, la foi indique Jésus-Christ et conduit à lui.
L’apologétique peut-elle être fidèle à la foi? Il existe une tension dont nous trouvons un écho chez Paul : « J’ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns » (1 Co 9.22). L’Évangile prêché ne peut être différent de l’Évangile reçu (Ga 1.9). On peut se demander si l’Église chrétienne, réformée par l’Esprit et la Parole, a vraiment besoin de s’engager dans une activité de défense et d’illustration de la foi qu’elle professe. Le sujet n’est-il pas hautement ou aridement intellectuel? D’autres objections pourront également être levées. Il faut reconnaître qu’à notre époque et dans l’Église, autant que dans la société en général, la théorie, et tout ce qui en relève, a bien mauvaise presse. Nous vivons en une ère dominée par le pragmatisme. Les questions importantes sont le savoir-faire fonctionner les choses. Dans l’Église, cela se traduit par : comment gagner des âmes au salut! Peut-on donc exploiter de manière immédiate une discipline théorique telle que l’apologétique?
Pragmatistes, fonctionnalistes et utilitaires, nos contemporains, même chrétiens, refusent tout ce qu’ils estiment ne pas être terre à terre. Les principes, les doctrines, les théories bibliques, les normes sont ou bien ouvertement refusés ou bien négligés et mis de côté. Contrairement à la loi morale révélée, on arguera que ce qui compte c’est l’amour. Lorsque l’on refuse la théorie, le principe et la doctrine, et nous pensons à ce qui relève de la révélation, tout devient du domaine du possible. Pratiquement, nous savons que rien ne peut fonctionner s’il n’y a pas de théorie. Le contraire du pratique n’est pas la théorie, mais ce qui n’est pas pratique! Inversement, ce qui s’oppose à la théorie ce n’est pas ce qui est pratique, mais ce qui n’est pas théorique! Si l’on devait évoquer deux raisons toutes pratiques pour justifier l’apologétique, la théorie et les méthodes de l’apologétique chrétienne, nous signalerions d’abord qu’elle nous est absolument indispensable dans notre évangélisation moderne. Chrétiens réformés, nous savons qu’il ne suffit pas d’apprendre par cœur les quatre lois spirituelles, les réciter et les faire réciter aux candidats à la merveilleuse et prétendue abondante vie chrétienne! Il faut une intelligence, des arguments et une exposition du contenu de la foi qui soient dignes de l’honneur de Dieu et du salut en Christ. Ce qui implique qu’il faut annoncer tout le conseil de Dieu.
Nous estimons donc que l’ère d’une certaine apologétique n’est pas révolue. Le conflit réel n’est pas entre raison et irrationnel, mais entre foi et incrédulité. La foi prend naissance, se fonde et s’édifie grâce à la Parole de Dieu. La raison ou la non-raison n’en fondent pas la validité. Remarquons seulement qu’en refusant la raison on a laissé la place à l’irrationnel. Cornelius Van Til rappelle que pour être rationaliste l’homme est irrationnel, pour être irrationnel il est nécessairement rationaliste. L’un et l’autre forment les deux faces de la même médaille. Toutefois, la foi ne s’oppose pas à la raison, et le chrétien réformé ne dira pas à la suite du grand Tertullien : « credo quia absurdum est », « je crois ce qui est absurde ».
3. La méthode apologétique←⤒🔗
Signalons les deux principales méthodes d’apologétique chrétienne. La première prend l’esprit comme une table rase et le savoir y est conçu comme ayant son origine dans la perception humaine. La seconde reconnaît les idées innées et pour elle, l’observation du monde perceptible n’est pas l’unique accès au savoir. Elle accorde plus d’importance au péché et à la grâce que ne fait la première. Elle évoque Augustin, pour qui l’esprit n’est pas entièrement vide, comme s’il fût une table rase. Elle admet la réalité de l’idée innée. Tous les hommes savent que 2 et 2 font quatre. Ce sont des vérités nécessaires éternelles. Comme nécessaires, elles ne peuvent être abstraites d’une expérience temporellement limitée et sont supérieures à l’esprit humain. Par conséquent, il doit exister un Esprit éternel qui éclaire l’esprit humain. Du point de vue logique, ceci ne constitue pas un argument en faveur de l’existence de Dieu. Dans un argument, la conclusion est déduite des prémisses, à la suite de Thomas d’Aquin, lequel déduisait l’existence de Dieu de l’observation du mouvement.
S’agissant d’apologétique chrétienne, à nos yeux, seule la foi biblique et réformée est en mesure d’exposer le conseil de Dieu et de demeurer d’une étonnante actualité ainsi que d’un dynamisme étonnant. Le reste relève du colportage de camelotes religieuses. Soulignons alors le fait que les chrétiens réformés devraient s’atteler de toute urgence à la tâche de transformer leur légitime polémique en nécessaire éristique (polémique) bibliquement fondée pour être en mesure de combattre le bon combat et témoigner fidèlement de l’Évangile du salut et de l’honneur de Dieu.