La Révolution française
La Révolution française
Au moment où l’on commémore, en France, le bicentenaire de la Révolution de 17891, il convient de s’interroger aussi bien sur sa portée dans le monde d’aujourd’hui, que sur sa signification. Il y a peu de doutes que cet événement radical a marqué les débuts de l’époque contemporaine et que nous vivons toujours sous l’influence d’un certain nombre d’idées professées par les auteurs de la Révolution française. Il est étonnant de constater à quel point les discours de cette époque sont proches des mentalités contemporaines dans la manière dont elles sont exprimées. À certains égards, 1789 a servi de modèle à bien des révolutions ultérieures, notamment par son caractère radical, qui s’est progressivement affirmé de 1789 à 1794. Rappelons-nous que le terme de terroriste a été appliqué pour la première fois au gouvernement républicain de la France entre 1793 et 1794, période connue sous le nom de « La Terreur ». Au cours de celle-ci, pour parer aux dangers internes et externes qui le menaçaient, le gouvernement révolutionnaire tentait d’instituer un contrôle total sur les individus et leurs actions en les soumettant à une réglementation étatiste entièrement centralisée depuis Paris. En même temps, l’insurrection royaliste du centre du pays était impitoyablement réprimée (environ 300 000 morts dans ce qu’on a appelé le génocide franco-français).
Pourtant, la « révolution » avait commencé dans la plus grande légalité, avec la convocation par le roi d’États généraux représentant les trois ordres de la nation : la noblesse, le clergé et la masse du peuple nommée le Tiers-État. Ces États généraux avaient pour mission de trouver une solution à l’insurmontable crise financière du régime, mais, directement inspirés de théories politiques énoncées par divers penseurs et philosophes (principalement Montesquieu et Rousseau), et travaillées par des clubs de pensée humaniste au premier rang desquels se trouvaient les loges franches maçonnes, les députés du Tiers-État décident de se constituer en assemblée nationale afin de résoudre la crise du régime et de la France par l’élaboration d’une nouvelle constitution dans laquelle le roi sera le garant de la volonté du peuple. L’abolition des privilèges nobiliaires et ecclésiastiques devait sanctionner un nouvel ordre social exempt de classes et libéré de l’ancien ordre féodal. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen était la charte de cette nouvelle humanité émancipée et promise enfin à la liberté, à la prospérité et au bonheur, conquis par les lumières de la raison humaine. Si l’on excepte le sanglant et somme toute peu glorieux épisode de la prise de la Bastille (14 juillet 1789), durant lequel périrent 100 personnes et furent libérés 4 escrocs, 2 malades mentaux et un jeune homme accusé d’inceste, les deux premières années de la Révolution ne furent guère violentes. Il faut d’ailleurs se rappeler que l’anniversaire que l’on célèbre chaque année en France n’est pas celui de la prise de la Bastille, mais le 14 juillet 1790, un an plus tard, jour de la Fête de la Fédération où le roi et les différents corps de la nation célébrèrent leur union dans une liesse qui paraissait des plus prometteuses.
Alors, que s’est-il passé pour qu’on en arrive à la Terreur? C’est l’une des grandes questions qui se posent à l’historien de la Révolution aujourd’hui. Y a-t-il eu dérapage à cause de circonstances extérieures et d’une mauvaise gestion de la situation par les différents acteurs du drame? Ou bien tout ceci était-il déjà en germe dans les idées motrices de la Révolution? Différentes écoles s’affrontent sur cette question. Pour ma part, tout en tenant compte de la complexité des faits et de la première de ces interprétations, je donnerai volontiers mon aval à la seconde, rendant hommage en cela à Edmund Burke, homme politique anglais contemporain de ces événements, lequel, dès 1789-1790 prophétisait, dans son essai Réflexions sur la Révolution en France, les excès à venir, et les rapportait au motif fondamental du nouvel esprit en vigueur, la volonté de déchristianisation affichée dès le départ par nombre de théoriciens et protagonistes de la Révolution.
C’est dans cette optique que je voudrais présenter une interprétation personnelle et résolument chrétienne de cet aspect fondamental de la Révolution, centrée autour de l’exécution du roi, lequel fut guillotiné le 21 janvier 1793. L’aspect sacrificiel de cette exécution prend toute son importance une fois placée dans le contexte religieux de l’époque. Quelques mois auparavant, la Convention (assemblée) décide de comptabiliser désormais les années à partir de 1792 qui devient l’an 1 de la Révolution (c’est l’année où le roi, anciennement « de droit divin » a été déposé, et où l’on instruit son procès); ainsi, la nouvelle histoire de l’humanité ne débute plus avec l’incarnation de Christ, mais avec la mise à bas de ce qui était jusque-là considéré comme un ordre divinement institué. Quelques mois plus tard, une nouvelle religion, celle de l’Être suprême, sera instaurée par le chef de la Révolution, Robespierre, avec ordre aux membres de l’ancien clergé de s’y conformer, sous peine de prison, voire de guillotine. Cet Être suprême étant une projection divinisée de la raison humaine. La naissance de cette nouvelle religion aura été consacrée par l’événement sacrificiel qu’est la mort de Louis XVI, que les zélotes révolutionnaires ne pouvaient plus tolérer vivant en tant qu’il ne s’était pas conformé à leurs visions politiques. L’exécution du roi était une étape supplémentaire dans la libération de l’ordre ancien. L’assimilation de ce début de religion humaniste avec l’événement fondateur du christianisme, dans une sorte de saisissant négatif, est plus frappante encore lorsque l’on prête attention aux trois paroles de Louis XVI prononcées avant son exécution : « Français, je meurs innocent ». Comme Christ, il est une victime innocente, dont la mort est réclamée par une foule qui l’avait adulé deux ans auparavant.
« Je pardonne à mes ennemis. » Le pardon des offenses est la dernière vertu dont il fait preuve durant sa vie terrestre. « Je souhaite que ma mort serve au peuple. » Sa mort est envisagée par lui-même comme pouvant être rédemptrice pour son peuple.
Ce qui ressort de cette analogie, c’est que, dans leur recherche d’un ordre spirituel et humain nouveau, les révolutionnaires, attachés à détruire le fondement du christianisme, n’ont pu se dégager du modèle chrétien, mais au contraire n’en ont produit qu’une contrefaçon; cela devrait aujourd’hui nous inciter à méditer avec une acuité renouvelée sur notre foi en la souveraineté de Christ sur l’histoire, au moment même où elle semble le plus niée, et aussi sur le fait que l’Adversaire n’a, depuis Pâques, plus la possibilité de nous tromper sur l’existence d’une quelconque alternative rédemptrice.
Note
1. Cet article a été écrit en 1989.