La révélation générale - (10) La morale
La révélation générale - (10) La morale
Ce n’est pas seulement la religion et la « métaphysique » des incrédules qui témoignent de la révélation, c’est aussi leur moralité. Un passage important pour la relation entre la moralité des hommes et la révélation générale est Romains 2.14-15. Dans ce chapitre de la lettre aux Romains, Paul dit que les juifs ne sont pas moins coupables envers Dieu que les païens. Ils sont également l’objet de la colère divine. Certes, ils possèdent la loi. Cependant, ils n’obéissent pas à la loi. Dieu juge sans acception des personnes.
Ceux qui ont péché avec la loi seront jugés par la loi, comme ceux qui ont péché sans la loi périront aussi sans la loi. La possession de la loi sans une vie selon la loi ne sauvera pas. Alors la question se pose : Est-il juste que les païens périssent? Paul dit lui-même qu’ils n’ont pas la loi. À cette objection, il répond dans les versets 14 et 15. Paul dit que les païens qui ne possèdent pas la loi, qui n’ont pas reçu la révélation spéciale, ne sont pas sans aucune connaissance de la volonté de Dieu. Personne ne peut nier qu’il y a des païens qui n’ont pas la loi de Moïse, mais ils sont pour ainsi dire une loi pour eux-mêmes. Car parmi les païens on trouve aussi des œuvres qui sont prescrites dans la loi. Cela montre que cette œuvre a été inscrite dans leurs cœurs. Le fait que les païens ont aussi une connaissance et qu’ils s’accusent ou se défendent mutuellement confirme ce fait que les païens ne sont pas dénués de toute idée d’une norme.
Paul n’examine pas plus profondément d’où vient cette idée. Cependant, son raisonnement suppose que cette idée d’une norme trouvée dans la vie des païens implique une certaine connaissance de la loi de Dieu. Paul voulait prouver que Dieu n’est pas injuste quand il punit les païens qui n’ont pas la loi de Moïse. Il ne dit pas que la loi de Dieu a été écrite dans le cœur des païens, comme si les païens avaient encore une connaissance plus directe de la volonté de Dieu que les juifs qui pouvaient avoir une connaissance comme celle promise par Jérémie 31 au peuple de la Nouvelle Alliance. Il parle de l’œuvre de la loi qui provient de leur cœur, qu’ils font « naturellement ». Le fait que cette œuvre a été écrite dans leurs cœurs les rend inexcusables.
L’apôtre ne veut pas prouver qu’il y a pour les païens une possibilité d’être sauvés par une certaine bonté naturelle. D’après lui, les païens ne font pas des œuvres qui sont vraiment bonnes (voir Rm 3.19-20). Qu’entend-il alors dans Romains 2.14 quand il dit qu’il y a des païens qui font naturellement ce que prescrit la loi, qui montrent que l’œuvre de la loi a été écrite dans leurs cœurs? D’un côté, Paul nie que les païens puissent faire ce que Dieu exige, d’un autre côté il dit que les païens font quelquefois ce que la loi prescrit.
L’activité de leur conscience et leurs idées concernant la valeur morale de ce que d’autres font prouve, d’après Paul, que l’œuvre de la loi a été écrite dans leurs cœurs. Il semble qu’une comparaison avec ce que l’apôtre a écrit dans Romains 1.18 puisse résoudre le problème. Dans ce dernier verset, il a voulu prouver que les païens sont inexcusables quand ils ne connaissent pas le seul vrai Dieu, car ils ont la révélation générale. L’étude d’Actes 17 a montré que la vérité concernant Dieu est « refoulée » et « changée » par les païens, mais que leur religion témoigne quand même de la révélation générale. Ce témoignage est rendu par exemple par le fait que les païens ont des idées sur Dieu semblables à celles des chrétiens. Cependant, nous avons constaté qu’il n’est pas question d’éléments de vérité dans le paganisme, puisque l’on doit considérer une religion comme un tout. Ces idées qui ressemblent à des idées chrétiennes fonctionnent dans ce tout.
Quel est le contenu de la révélation générale? Selon Romains 1.32, les païens connaissent le jugement de Dieu et déclarent dignes de mort ceux qui commettent les choses indignes dont Paul vient de parler. La révélation générale fait donc connaître également la volonté de Dieu. Certes, il s’agit d’une connaissance assez vague. On ne serait pas capable de définir le contenu de la loi divine sans avoir une connaissance de la révélation générale. Cependant, la conséquence de la révélation générale peut être que l’œuvre de la loi est écrite dans le cœur, qu’un païen agit et pense d’après la norme de telle ou telle prescription divine, comme Paul le dit dans Romains 2.14-15. Cela n’entre-t-il pas en conflit avec ce que Paul affirmait de la corruption totale des païens dans le chapitre 3? Nous devons comprendre le fait que les païens ont quelquefois des idées religieuses qui semblent être identiques à celles que les chrétiens confessent. La différence n’apparaît pas quand on considère en elles-mêmes certaines affirmations des païens. C’est vrai que tous les hommes ont la vie, le mouvement et l’être en Dieu. Cependant, si on tient compte du fait qu’une telle affirmation fonctionne dans un autre « tout » chez les païens que chez les chrétiens, il devient clair que de telles affirmations ne font pas franchir les frontières du paganisme, ne rompent pas le jugement divin d’après lequel les païens retiennent la vérité captive.
Ainsi trouve-t-on dans la vie des païens des actes qui, en eux-mêmes, sont conformes à la loi de Dieu. Seulement, on ne peut pas isoler ces actes et en conclure que les païens font quelquefois ce qui est vraiment bon, ce qui est vraiment né de la volonté de Dieu. Car ces actes ont aussi une fonction dans la totalité de leur existence. Le fait que des païens peuvent faire ce que la loi divine prescrit n’enlève rien au fait qu’ils soient coupables devant Dieu et qu’ils soient entièrement pécheurs. Car Dieu ne juge pas seulement d’après un acte isolé, il tient aussi compte du cœur dont provient cet acte, du but auquel cet acte vise, bref du tout dans lequel cet acte fonctionne, comme il juge aussi les idées religieuses des païens en rapport avec la place qu’elles ont dans toute leur religion.
La correspondance extérieure d’actes des incrédules est d’une grande importance. Grâce à la révélation générale, les païens ont une idée de normes, leur cœur les pousse souvent à faire des œuvres qui peuvent être appelées « des œuvres de la loi ». Cependant, ils considèrent les normes reconnues par eux comme normes qu’ils posent dans une autonomie prétendue ou comme des normes qu’ils voient à propos d’un ordre du monde déifié, ou avec des dieux qu’ils se sont formés. En tout cas, ils séparent les normes du seul véritable Législateur. C’est pourquoi le fait que les païens peuvent faire naturellement ce que la loi prescrit ne s’oppose pas au fait que, sans la régénération opérée par le Saint-Esprit, il n’y ait aucun d’eux qui fassent le bien.
Il est clair que le résultat de la révélation générale n’est pas toujours le même. Bien que tous les païens soient entièrement sous l’empire du péché, Dieu peut encore freiner l’influence du péché dans la vie des incrédules, l’influence du fait que le cœur est détourné de Dieu. La révélation générale elle-même ne doit pas être conçue comme la communication d’une série de vérités. Dieu se révèle dans la vie de chaque homme, mais il se manifeste comme le Dieu vivant. Dieu rencontre l’homme dans des conditions spéciales et toujours changeantes de sa vie. Ainsi se manifeste-t-il à lui.
Il est évident que, par la révélation générale de sa volonté, Dieu ne veut pas seulement donner une certaine connaissance de l’aspect strictement moral de son commandement. Par sa révélation générale, Dieu ne dit pas seulement qu’il faut aimer le prochain, mais aussi que l’on doit tenir compte de certains cadres donnés par lui-même, de certaines règles posées par lui. Nous pouvons remarquer que la corruption humaine apparaît moins à mesure que le cœur humain est moins directement engagé dans la reconnaissance de tel ou tel cadre, dans l’obéissance à telle ou telle règle.
Pour les incrédules, la révélation générale a encore une autre signification que de rendre inexcusables. Elle est aussi le moyen par lequel l’incrédule est conduit à la reconnaissance de certaines règles sans lesquelles la vie sur la terre ne serait pas possible. Une obéissance extérieure à certains commandements de Dieu n’est certes pas une obéissance à Dieu lui-même. Cependant, cette obéissance extérieure rend la vie supportable pendant les temps d’ignorance. Ainsi, Dieu conserve-t-il encore la vie humaine pendant la période de sa longanimité, pendant la période durant laquelle il ne veut pas encore faire périr les incrédules, mais maintenir leur vie sur la terre et leur donner l’occasion de se faire sauver par le Christ. Cela ne veut pas dire que la moralité païenne puisse être considérée comme une préparation à la vie chrétienne, que les idées religieuses qui résultent de la révélation générale puissent être conçues comme une préparation pour la prédication de l’Évangile.
Il est devenu clair que la reconnaissance de la révélation générale ne donne pas la possibilité de reconnaître aussi une religion naturelle qui serait la base de toutes les religions, d’une théologie naturelle, qui pourrait donner une connaissance pure de Dieu en dehors du Christ, d’un droit naturel que tous les hommes, indépendamment de leur attitude vis-à-vis du Christ, doivent accepter comme valable d’après un critère reconnu par tous. « Nul ne vient au Père que par moi », a dit Jésus (Jn 14.6). Le Christ seul est le critère pour un homme pécheur d’après lequel il peut distinguer avec certitude le bien et le mal.