La révélation générale - (2) Arrière-plan du problème
La révélation générale - (2) Arrière-plan du problème
Avant de traiter de la question de l’Écriture sainte, de son autorité suprême en matière de foi et de vie, en la tenant pour la révélation divine inscripturée, spéciale, à la suite de la théologie réformée, nous traiterons de la distinction entre révélation générale et révélation spéciale.
Des théologies protestantes ultérieures ont considéré la révélation générale pour être une théologie naturelle, ainsi qu’est par ailleurs la conception romaine. Nous verrons que, pour la théologie réformée orthodoxe, la révélation générale est la révélation que Dieu accorde dans sa création après la chute. C’est dans le cadre de celle-ci que la révélation spéciale aura lieu, aussi bien avant la rédemption accomplie qu’après elle.
Selon le Psaume 19 et Romains 1, la révélation générale est une révélation non verbale, la révélation de sa puissance éternelle et de sa divinité manifestées à tous les hommes universellement, tant dans la création que dans la préservation et le gouvernement de l’univers. La réflexion théologique sur ce que la théologie réformée appelle révélation générale de Dieu a suscité un grand nombre de questions et soulevé des débats, notamment au cours du 20e siècle, constate le professeur Berkouwer, au début de sa monographie consacrée à la révélation générale. Ces débats ont principalement touché la question de la légitimité de reconnaître une révélation générale de Dieu en dehors de celle qu’il nous fait en Christ.
Il semblerait que l’ère de la distinction entre révélation générale et révélation spéciale soit à jamais révolue. L’approche donc en requiert une considération attentive capable d’offrir de nouveau une réponse satisfaisante aux questions que l’on pose actuellement à ce sujet. D’aucuns ont objecté qu’une distinction entre les deux révélations ne rendait pas justice au caractère du ef hapax (une fois pour toutes) de la révélation apportée en et par Jésus-Christ. La révélation générale, déclare-t-on, serait le fruit amer d’une raison abstraite qui, soit consciemment soit inconsciemment, aurait engendré le sentiment de l’insuffisance de la révélation rédemptrice en Christ.
Cette critique attend une réponse, à savoir si une telle aliénation par rapport à la révélation en Christ s’est réellement produite. Croire en la révélation générale, est-ce abandonner la toute suffisance de la révélation en Christ? Et si c’est le fait, faudrait-il abandonner la traditionnelle distinction entre les deux révélations? S’il s’avérait cependant que la révélation générale jette une ombre sur la révélation spéciale, en Christ, dans ce cas elle se trouverait en conflit avec l’ensemble du témoignage même des Écritures, lesquelles, sans la moindre hésitation, affirment le caractère unique et décisif de la révélation en Christ. Car l’Écriture sainte souligne le mystère des âges et fait résonner l’hymne de louange concernant l’acte principal de Dieu entrepris et accompli par le Fils (1 Tm 3.16).
Selon l’Écriture, la révélation en Christ concerne celle du mystère (Rm 16.25-26). En effet, la Parole devint chair et elle a habité parmi nous (Jn 1.14). En Jésus-Christ habite corporellement toute la plénitude de la divinité (Col 2.9). Il est la révélation de Dieu dans la plénitude des temps (Ga 4.4). « Nous avons contemplé sa gloire », déclare avec émerveillement l’apôtre (Jn 1.14). Christ a révélé le nom du Père. Nul n’a vu le Père; le Fils unique qui est dans le sein du Père l’a fait connaître (Jn 1.18). Cette connaissance de Dieu n’est-elle pas toujours et partout dépendante de la connaissance du Christ, et peut-on aller vers le Père sans passer par lui? (Voir Jn 14.6-9). De tels discours ne résolvent-ils pas, une fois pour toutes, le problème de la révélation? Le caractère exclusif de la révélation chrétienne est exprimé de manière permanente dans les paroles mêmes du Christ (voir Mt 11.27 et Lc 10.22). Comment discourir encore sur une révélation qui serait différente de l’acte décisif de Dieu? Ne lui rendrait-on pas injustice?
Ces questions sont importantes parce que l’on s’est référé à la révélation « générale » de telle manière que la révélation en Christ a été relativisée. On a soutenu que l’on ne doit pas perdre de vue les manifestations plus générales de Dieu dans le monde, tenant compte des expressions religieuses diverses de l’humanité, qui de la sorte sont plus aisément expliquées. La théologie de Hegel tenait l’esprit fini comme étant l’essence de la religion; le penseur allemand parlait d’une révélation immédiate de l’esprit absolu dans l’ego humain, à savoir en la raison et la liberté de ce dernier. Ainsi s’opposait-il à l’unique révélation offerte en Christ. La philosophie hégélienne voulait considérer la révélation de Dieu comme étant beaucoup plus large et vaste que la révélation accordée en Jésus-Christ.
L’étude plus approfondie des religions de l’humanité conduisit à la généralisation de la révélation. Refusant le caractère absolu du christianisme, on se trouvait devant un dilemme : révélation générale ou révélation spéciale? On rejeta la position comme faisant partie de la vieille méthode propre aux théologies se réclamant du surnaturel. Plus on souligna la révélation générale, moins la révélation spéciale revêtit de l’importance. Relativisée, cette dernière ne fut qu’une « manifestation divine générale dans le monde ». Telle est l’actuelle position dans le monde théologique, qu’il faut considérer comme le fruit d’un relativisme toujours plus grand. La théologie moderne et moderniste, peut-on dire, est partisane de la révélation générale, mais par cela elle entend tout à fait autre chose que la théologie réformée.
Du côté opposé, l’on voit une généralisation de la révélation. Aussi cherche-t-on à retourner à l’ancienne conception du caractère unique de la révélation en Christ. Passant de la largeur, on veut accéder à la profondeur, et de l’hésitation atteindre la décision, de l’abstrait parvenir à la révélation concrète et historique en Christ. Aussi s’oppose-t-on à la révélation générale, en soulignant que Dieu n’est pas simplement révélé dans la nature et au cours de l’histoire; pour cela, on se réfère aux discours du Christ qui effectivement déclarait qu’il a été, lui, la révélation de Dieu. Dans un tel contexte théologique, il est urgent de signaler que croire à la révélation générale ne rend nullement injustice à la révélation spéciale. Certes, la première a souvent éclipsé la seconde, mais non de manière systématique et régulière. La distinction entre les deux a été établie à la suite d’une lecture très attentive des Écritures, lesquelles parlent de la révélation de Dieu dans les œuvres de ses mains, en distinguant celles-ci de celle qui a été réalisée en Christ.
Il ne faut pas s’étonner que la référence aux données bibliques ait tenu une place si prééminente. Ceux qui s’opposent à la révélation générale simplifient à l’excès l’affaire dans leurs critiques à l’adresse des tenants de l’autre position. Or, il existe un moyen sûr de soutenir la foi en la révélation générale en s’appuyant exclusivement sur les Écritures et en son autorité ultime et suprême. C’est sur ce terrain-là que l’on devra résoudre tous les problèmes, y compris ceux soulevés par la théologie.
Un autre aspect à considérer est celui de la doctrine de la révélation générale qui, dit-on, conduit vers une théologie naturelle. La première ouvrirait-elle la porte à la seconde? On y répond souvent de manière affirmative; tel est le cas historique précis, insiste-t-on. Les deux théologies se trouveraient structurellement au même niveau. Aussi doit-on discuter l’arrière-plan de la théologie naturelle pour examiner le lien entre les deux. Il faut examiner la question pour savoir s’il est vrai que les deux sont liées indissolublement. Le catholicisme romain admet ouvertement une telle relation. Cependant, est-ce le cas pour la théologie réformée?
Reste un dernier aspect des divers débats mentionnés. Il s’agit de l’approche au moyen de la phénoménologie de la religion. En étudiant diverses religions ou des phénomènes religieux, on se trouve en présence de la question de la révélation. Il y aurait deux voies théologiques : l’une de la révélation au monde, voie théologique par excellence, et ensuite la voie partant du monde et conduisant à la révélation, celle-ci étudiée dans les sciences dites religieuses ou bien l’étude des religions. Le rapport entre les deux poserait alors une question urgente. Van der Leeuw avertit contre la science des religions qui bien souvent ne reconnaît que la révélation générale et croit que seule une théologie naturelle soit possible. D’autre part, il réfute la position qui néglige totalement la théologie naturelle et ses méthodes. La phénoménologie de la religion a par conséquent donné une nouvelle poussée aux débats relatifs à la théologie naturelle et la révélation générale. Tout ceci rend clair que nous ne nous occupons pas d’une question purement théorique. Le sujet requiert une attention de la plus haute importance. Il n’existe point de question plus importante dans toute la théologie et la vie humaine que celle relative à la nature et la réalité de la révélation.