Vivre par toute la Parole de Dieu
Vivre par toute la Parole de Dieu
La Réforme du 16e siècle, réveil religieux, théologique et ecclésiastique, donna naissance à une Église appelée réformée, réformée par l’Esprit et par la Parole de Dieu. Les objectifs en furent la présentation, l’exposition et la proclamation de la foi chrétienne telle que la contient l’Écriture sainte. Les diverses confessions de foi issues des Églises réformées la reconnaissaient comme telle. La forme du gouvernement ecclésiastique dérivait, elle aussi, du même enseignement biblique.
Mais la Réforme fut encore autre chose qu’une création d’Églises nouvelles ou une apparition d’une nouvelle forme de gouvernement ecclésiastique. Soumise à l’éclairage de la Parole et nourrie d’elle seule, la foi devenait une conception globale du monde et de l’existence. En termes modernes, on parlerait de vue holistique, terme grec qui veut dire une vue globale et totale des choses, de la réalité. Intéressée au premier chef aux rapports entre l’homme et Dieu, la Réforme — calvinienne tout au moins — s’intéressa également à la vie tout entière dans ses rapports étroits entre ses différents aspects et ses manifestations. D’où le motif reformé principal : Soli Deo gloria; à Dieu seul, en toutes choses, soit la gloire. En dehors de lui, source unique de vérité, de bonté et de beauté, rien ne possède de sens en soi. La conviction selon laquelle Dieu est vivant et souverain constitue le principe directeur fondamental de la Réforme.
Que la Réforme se soit essentiellement préoccupée des rapports de Dieu avec l’homme, nul ne le contestera.
Il faut néanmoins se garder d’un malentendu. Le discours réformé ne se borne pas à prononcer le vocable Dieu, sans autre. Dans la perspective réformée, un tel discours ne dérive pas d’une spéculation scolastique, pas plus qu’il ne s’inspire d’une philosophie naturelle relative à un Dieu perdu quelque part dans l’univers, inaccessible si ce n’est inconnu. La Réforme a catégoriquement refusé de souligner un aspect isolé de la révélation biblique en négligeant les autres aspects de la riche et claire révélation de Dieu. Ce serait méconnaître sa nature que de laisser entendre que la Réforme luthérienne aurait insisté sur la seule justification par la foi, le méthodisme mis en avant le salut individuel du pécheur et le catholicisme romain, lui, se serait exagérément référé au magistère ecclésiastique. Quant à la théologie réformée calvinienne, elle, se serait occupée de la transcendance divine.
Une vue aussi partielle et fragmentée de la vérité sied à une secte, qui, elle, fait des choix dogmatiques avec des a priori, tout en négligeant de tenir compte de l’ensemble cohérent de la riche et salutaire doctrine biblique. Faut-il encore rappeler que la révélation biblique n’est pas une auberge espagnole dans laquelle chacun peut s’attabler pour s’y restaurer selon ses goûts gastronomiques! Si une approche fragmentaire peut contenir une part de vérité, il nous faut veiller toutefois à ne pas réduire la théologie chrétienne à une sélection de thèmes bibliques, comme si la Bible n’était qu’une concordance biblique ou la Sélection du Readers Digest, dépourvue d’un message unique et cohérent… On peut s’imaginer, en effet, que les groupes et confessions ecclésiastiques mentionnés plus haut sont tous très partiels dans leur intelligence de la réalité révélée par Dieu et que la vérité, elle, doit se trouver partagée entre les uns et les autres… Ce faisant, on ouvre la porte à tous les relativismes, qui gomment les profondes divergences qui existent entre ces différents groupes. Conséquence logique d’une telle conception, on se permet, on s’aventure plutôt, à former un nouveau groupe sous prétexte que celui-ci contiendra et détiendra à lui seul la totalité de la vérité.
Mais revenons à nos perspectives qui, elles, se veulent strictement réformées. Reconnaître la présence d’un Dieu transcendant, c’est une claire confession de foi formulée sur le roc de l’Écriture sainte. La révélation biblique débute par la déclaration : « Au commencement Dieu… » C’est à la lumière de celle-ci que nous devrions examiner la vérité, afin d’en comprendre aussi bien la nature que ses implications pratiques salutaires pour notre conduite concrète. Nous ne minimiserons ni l’importance de la doctrine du salut de l’homme pécheur — parce que rebelle — ni la justification par la seule foi, pas plus que les principes de gouvernement ecclésiastique, en nous limitant à confesser seulement une foi abstraite en la transcendance de Dieu. Au contraire, c’est à cause de cette transcendance souveraine de Dieu que nous pouvons expliquer ce qui précède. Ce dogme souligne autant que les articles de foi mentionnés l’universalité de l’Église chrétienne.
Certes, la formulation de ces mêmes articles de foi varie d’une confession à l’autre, suivant la sensibilité spirituelle de chacune d’entre elles. Reconnaissons cependant que ceci n’est pas une simple affaire de sensibilité, mais souvent de profonde divergence, par moments irréconciliable, même entre familles ecclésiastiques issues de la Réforme protestante.
La vraie question demeure. Qu’est-ce qui est fondamental pour la foi et la morale chrétiennes? Notre réponse sera : le Dieu vivant tel qu’il se révèle à l’homme. Ce Dieu peut-il être connu? Qui est-il? De quelle manière se révèle-t-il? Quels sont ses modes d’opération? Comment nous approcher de ce Dieu vivant et lui répondre? À moins de répondre correctement à ces questions, notre foi sera superficielle et fragile.
Dieu se fait connaître parce qu’il se révèle à nos esprits et déclare qui il est : Il n’est pas un être abstrait, un principe de vie impersonnel, une identité méconnaissable, mais un Dieu personnel, qui établit une relation personnelle, qui conclut une alliance et prononce un discours intelligible; le Logos, qui désigne la deuxième personne de la Trinité, le Fils incarné de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ, ce Logos peut se traduire par Parole et même par raison. Il est le Dieu libérateur, le fondement de chacune de nos véritables libertés. Dieu n’est pas simplement un Dieu d’amour qui serait incapable de briser l’opiniâtre résistance de l’homme. Au sens plein du terme, il est absolument souverain. Dieu trinitaire, il est un Dieu personnel dans son Alliance de grâce. Par lui subsistent toutes les choses, animées et inanimées, les anges comme les êtres humains. Sa Parole appelle à l’existence les choses qui n’existaient pas. Toute destinée est soumise à sa direction bienveillante. S’il est le Dieu transcendant, il est aussi le Dieu immanent. Être unique que nous rencontrerons un jour ou l’autre, que nous le voulions ou pas, que nous le fuyions ou que nous le niions. Rien dans notre pensée et dans nos expériences chrétiennes ne saurait se substituer à lui, le Dieu tout suffisant.
Comment le connaître? De quelle manière s’adresse-t-il à l’homme?
D’abord par une connaissance innée, une conscience plus ou moins vive de son pouvoir éternel et de sa divinité, que Jean Calvin appelait le sensus divinitatis. Aucun mortel ne saurait l’appréhender par lui-même de quelque façon que ce soit, même pas à l’aide de sa raison naturelle. Même lorsque cette connaissance innée est repoussée ou réprimée, elle reste inéradicable. L’homme rebelle cherchera à le fuir, mais le Dieu souverain ne lui permet à aucun moment d’échapper à son regard et à ses sollicitudes. Nul ne peut se mettre à l’abri sous prétexte de l’ignorer, car Dieu accorde à tous la possibilité de l’approcher, même si ce n’est qu’en tâtonnant, de sorte que l’homme peut quand même connaître Dieu, savoir qui il est, qu’il est son Créateur; lui échapper ne peut que le conduire à sa perte, car il n’aura pas adoré ni servi celui qui est le fondement de tout ce qui existe et le souverain Maître de l’univers.
Dieu se fait également connaître en dehors du cœur intérieur de l’homme. L’univers dépend de son Créateur, chaque instant, en toutes choses, et proclame sa présence et manifeste son autorité. L’univers est le théâtre dans lequel Dieu n’agit pas uniquement tel un metteur en scène, mais encore comme l’acteur principal. Placé au-dessus de tous et au-delà de tout, sa volonté suprême s’accomplit en dépit de toute résistance. Cette conscience cosmique de la présence de Dieu fait partie intégrante de la foi biblique et chrétienne.
Si elle semble dépourvue de sens pour l’humanité, ce n’est pas parce qu’elle est inadéquate en soi, mais à cause de la chute et de la corruption de l’esprit humain. Non seulement l’homme déchu résiste à la Parole de Dieu, mais encore il la déforme, quand il ne la retient pas tout à fait captive en la refoulant. Mais Dieu ne tolère pas que ses desseins échouent; il se fait encore plus familier au moyen de sa Parole écrite dans laquelle il fait éclater toute la splendeur divine.
Sur ce point, nous devons apprendre à discerner et à discriminer. À la question : Comment pouvons-nous apprendre à connaître le Dieu vivant? Notre réponse sera : Par le moyen efficace, nécessaire, suffisant et clair des saintes Écritures. En dehors de celles-ci, nous resterions ignorants de la vraie connaissance de Dieu, de nous-mêmes et du monde dans lequel nous avons été placés. La Bible chrétienne, Ancien et Nouveau Testaments, est la clé, selon le témoignage même de Jésus-Christ, qui en cette matière aussi dénonçait les abus pratiqués chez ses adversaires (Lc 11.52). Elle nous est indispensable, même si elle ne constitue pas une fin en soi, comme d’autres livres dits sacrés des religions de l’humanité. Elle nous ouvrira les richesses que Dieu révèle à son peuple. Elle est le fondement de tout savoir réel et salutaire. L’opération du Saint-Esprit sur nos esprits en fait un exceptionnel moyen de grâce pour la foi et nous dévoile et nous offre le salut, nous presse même de l’accepter par la seule foi en Dieu. La Bible devient « une lampe à nos pieds », selon l’expression d’un psalmiste (Ps 119.105).
Actuellement, et depuis l’avènement de l’esprit moderne critique, la suffisance, la nécessité, la clarté et l’autorité des Écritures sont déniées par nombre de gens se disant chrétiens, lesquels leur substitueront soit le magistère d’une tradition ecclésiastique, soit l’illumination subjective de leurs propres esprits, soit une expérience dépourvue de substance ou encore un enseignement théologique divorcé du contenu biblique.
D’aucuns la tiennent pour la simple histoire du peuple d’Israël, dans laquelle ils ne discernent plus ce qui vient de Dieu et ce qui est propre à la malheureuse expérience de ce peuple. D’autres se contentent de leurs propres illuminations intérieures qu’ils baptisent « spirituelles ». Ici et là, un humanisme coloré de christianisme, peut-être s’ignorant, s’élève pour remplacer l’autorité des Écritures. Le mysticisme, florissant et bien portant à l’heure actuelle, porte aussi ombrage à l’autorité suprême de l’Écriture confessée par toute Église issue de la Réforme du 16e siècle.
Est-ce dire que toute notre connaissance n’est qu’une connaissance biblique? Nombre de chrétiens ignorent ou refusent d’admettre que l’étude de l’univers, l’histoire, la biologie, la psychologie, etc., méritent l’appellation de savoir. Ils n’y voient aucun intérêt. Ils ne s’occuperont que « d’affaires spirituelles », ne s’intéressent qu’à l’âme dépourvue de chair. D’autres considèrent la vie quotidienne comme une zone neutre, dans laquelle le Dieu vivant n’a pas ou peu de rôle à jouer. Consciemment ou inconsciemment, ils assujettiront la vie temporelle à l’autorité du grand adversaire. L’amour de Dieu pour le monde se rétrécira en un amour pour quelques êtres. Ils ne manifesteront aucun intérêt pour les activités normales de l’existence et envers une conception globale de l’existence.
Certains iront jusqu’à les classer parmi les instruments dont se servirait le diable! Une telle attitude est étrangère aux perspectives authentiquement bibliques et réformées.
N’affirmons pas que les hommes de justice qui ont établi des règles et de l’ordre pour notre société n’ont reçu la moindre parcelle de lumière divine, que les philosophes étaient tous des aveugles et que les mathématiques ne sont qu’une occupation pour aliénés… Au contraire, nous devrions lire avec la plus grande admiration les écrits anciens et classiques. Ne soyons pas ingrats envers les talents que Dieu a accordés aux hommes. Mais ce n’est qu’à la lumière des Écritures saintes que nous acquerrons la véritable connaissance et que nous pourrons évaluer toutes choses. Elles ouvrent nos yeux, nos esprits et nos cœurs envers la création, l’histoire du passé comme envers le monde où Dieu expose et manifeste ses merveilles. La Bible ne peut être contemplée en l’isolant du reste de la création et de l’histoire des hommes; en réalité, elle nous sert de lunettes pour lire l’univers et pour comprendre ses lois. Elle se prononce au sujet de l’homme et s’adresse à lui pour la plénitude de son existence pour la vie présente et pour celle à venir. C’est cela le but suprême de la vie.
La souveraineté de la grâce divine sera proclamée universellement. L’Église de la Bible attestera Jésus-Christ comme Seigneur universel, lui qui a racheté son peuple. À son retour glorieux, toutes ses promesses seront accomplies. Il fondera le Royaume éternel de paix et de justice. Le Royaume veut pénétrer et s’installer déjà maintenant dans toutes les aires de nos activités. Nos perspectives sont d’après la Parole écrite laquelle interdit tout divorce entre la vie et la connaissance, entre la foi et l’action.