Les fruits de la Réforme
Les fruits de la Réforme
La Réforme fut avant tout un retour aux sources de la religion chrétienne. Retour aux sources historiques, en premier lieu, le protestantisme mettant la Bible au-dessus de toute autorité humaine, recourant à une continuelle confrontation de la vie de ce monde avec l’enseignement et l’exemple du Christ, s’inspirant de l’Église primitive, idéal et modèle de toute Église.
La Réforme fut en même temps un retour aux sources profondes de la vie spirituelle. Ne dit-elle pas, selon le témoignage apostolique, que l’essentiel du christianisme réside dans l’action directe de Dieu dans l’âme même du croyant?
Enchaîné dans une vie anormale et contraire à la loi de Dieu, corrompu dans son cœur et dans sa volonté, l’homme ne peut être sauvé ni par des croyances théoriques, ni par son effort moral, ni par l’appartenance à une Église, ni par l’accomplissement d’actes rituels, mais uniquement par une transformation intérieure accomplie par Dieu, en réponse à la repentance et à la foi.
C’est ce qu’exprime saint Paul dans ces paroles qui furent le mot d’ordre des réformateurs : « Ce n’est pas par les œuvres de la loi que l’homme est justifié [c’est-à-dire pardonné], mais par la foi en Jésus-Christ » (Ga 2.16). « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu » (Ép 2.8).
Par une évolution lente à travers les siècles, l’Église chrétienne s’était éloignée de l’esprit de ses origines. Doctrines, cérémonies, institutions en subirent un grave dommage. Trop accommodante aux idées et aux usages régnants, elle n’a pas été suffisamment vigilante devant tous les dangers qui la menaçaient. Elle ne vit point, en particulier, qu’une perfide infiltration païenne était en train de faire d’elle une institution contraire à l’Évangile. Les réformateurs ont vigoureusement réagi contre ces courants dangereux. Ils revendiquèrent le droit et le devoir de juger l’enseignement et l’organisation ecclésiastiques à la lumière du message du Christ et de ses apôtres. Ils entendirent séparer dans la tradition séculaire de l’Église ce qui venait de Jésus-Christ et ce qui venait d’ailleurs. Restaurer dans sa pureté le trésor de l’Évangile, puis le conserver pieusement, tel est le but qu’ils se sont assigné.
Jamais ils n’eurent l’intention de rompre avec l’Église catholique, mais ils voulaient la réformer par le dedans et dans son ensemble. Que de luttes et de condamnations ne durent-ils pas endurer, avant d’être convaincus que Rome demeurait réfractaire à toute réforme! Alors, ils se virent forcés — mais cela ne fut pas sans beaucoup souffrir — de fonder d’autres Églises et de consentir à la division en deux fractions de la chrétienté. Encore une fois, décidés à rester dans l’Église établie, ils furent contraints d’en sortir, malgré eux, et après avoir épuisé tous les moyens de conciliation.
Jésus a déclaré : « C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez » (Mt 7.16). Ce principe s’applique aux Églises comme aux individus. Pour bien comprendre et apprécier la Réforme, il faut donc voir quelles en ont été les conséquences. Celles-ci sont nombreuses et remarquables dans les domaines les plus divers.
Pour les réformateurs, l’essentiel de la religion chrétienne est l’action de Dieu à travers sa Parole dans la vie du croyant; le salut est la régénération de la personne. C’est de ce principe central que découlent tous les fruits de ce vaste mouvement de l’Esprit.
1. Dans le domaine proprement religieux, il est la source d’un immense bienfait. Plus d’intermédiaires humains, institutions et rites ecclésiastiques, absolution du prêtre, intercession de la Vierge et des saints, mais la communion directe avec celui qui est la source de toute vie. La certitude joyeuse du salut est rendue au pécheur repentant, mais cette certitude reste toujours simple et désintéressée, puisqu’elle exclut tout mérite de sa part et tout calcul de récompense.
« La Réforme n’est pas autre chose que le rétablissement du contact direct immédiat, entre l’âme et le Christ, le seul Berger des brebis, le seul prêtre de la nouvelle alliance; contact direct établi du côté de Christ par sa parole, organe du Saint-Esprit, souffle vivant du Sauveur, et du côté de l’homme par la foi, par le joyeux élan de l’âme qui s’abandonne à l’amour divin, au céleste attrait de la miséricorde infinie du Rédempteur » (Henri Gagnebin).
2. En abattant la cloison étanche entre le domaine sacré et le domaine profane, la Réforme a ramené Dieu dans la vie quotidienne; elle a proclamé que la vie familiale, professionnelle et sociale doit être caractérisée par la recherche de la gloire de Dieu (occasions de service et de témoignages chrétiens). « La plus grande gloire de Luther », a dit l’historien Ranke, « c’est d’avoir ramené la religion dans la vie de tous les jours ». Quand le célibat des prêtres et des moines est considéré comme un devoir supérieur de sainteté, quand la vie oisive et contemplative des couvents est jugée plus agréable à Dieu que la vie active de celui qui demeure dans le monde, la moralité publique baisse fatalement. En réhabilitant le mariage et le travail, la Réforme a entraîné un relèvement général de la moralité. L’histoire des nations protestantes depuis quatre cents ans en est la preuve. Et l’effet s’en est fait sentir jusque dans l’Église catholique elle-même où le niveau moral de la papauté et du clergé a fait de considérables progrès depuis le 16e siècle.
3. La Réforme a développé l’instruction publique. Dès le premier jour et partout, elle a créé l’école populaire gratuite; elle a ouvert aussi de nouvelles universités. Loin de mépriser le travail de la raison, elle respecte la science et la stimule. L’instruction jointe à l’éducation des consciences, a lentement refoulé la superstition.
4. La Réforme a proclamé, avec une netteté incomparable, le respect de la personne humaine, qui, par la régénération, reçoit de Dieu une mission nouvelle, une vocation. Ce qui fait la valeur et la dignité de chaque être humain, c’est qu’il peut incarner une volonté particulière de Dieu : Conviction qui le distingue de ses semblables et lui donne une responsabilité à leur égard. C’est par cette notion, admirablement mise en lumière par Calvin, de la personne à la fois libre et engagée que le protestantisme évite aussi bien l’individualisme égoïste que l’oppression de l’individu par la collectivité.
Les conséquences de cette notion se sont manifestées tout d’abord sur le plan religieux et ecclésiastique. Les Églises protestantes, respectueuses de la diversité, ont toujours repoussé l’uniformité et s’organisent en fédérations. Mais la notion protestante de la personne a aussi exercé une influence dans le domaine politique : Elle a favorisé le fédéralisme, cette union dans la diversité, et elle a été une semence de liberté. C’est par une filiation logique, quoique non immédiate, que la Réforme est à l’origine d’une notion nouvelle du droit (le droit naturel d’Hugo Grotius, mort en 1645), de la démocratie, de la liberté d’opinion. C’est, de plus, sous des influences nettement protestantes que la liberté de conscience a été proclamée en premier lieu, aux Pays-Bas par la paix de religion (1578) et en France par l’Édit de Nantes (1598).
Enfin, la Réforme a communiqué au monde moderne un dynamisme social extraordinaire, dont les croisades humanitaires du 19e siècle constituent l’un des effets les plus admirables.