La date de la crucifixion de Jésus
La date de la crucifixion de Jésus
Aussi importante, sinon plus que la date du début du ministère de Jésus et sa durée, est la question soulevée par la date de la mort de Jésus, non simplement pour des raisons de chronologie, mais encore pour des raisons théologiques bien évidentes.
Nous ne pensons donc pas que la question soulevée soit superflue, même si nous convenons que l’essentiel, pour notre foi, consiste à croire en la mort expiatoire elle-même du Sauveur. Peu de questions bibliques ont été aussi passionnément débattues. Dans l’impossibilité d’y consacrer plusieurs pages (il faudrait même des volumes), nous nous en tiendrons au rappel essentiel des différentes positions. Pour éviter que le lecteur ne s’égare dans ces considérations, il est important qu’il soit familiarisé avec la terminologie juive qu’emploient les évangélistes.
Nous avons déjà signalé que le calendrier juif se fonde sur le mois lunaire. Le 15e de Nisan correspondait au début avril. On se souvient également que le jour juif commence le soir du jour précédent. Le jour liturgique du 15 Nisan commence non pas à minuit, mais au coucher du soleil de la veille (une journée est comprise entre 6 heures du matin et 6 heures du soir). Ainsi, le 14 de Nisan prend fin non pas à minuit, mais à 6 heures du soir. L’agneau pascal devait être immolé non le soir, mais durant l’après-midi, et on le mangeait après le coucher du soleil. Et le 15e de Nisan commençait précisément ce soir-là. Le 14 Nisan était donc la préparation de la fête. Il était aussi connu sous le nom de jour des azymes. Le vendredi était appelé Paraskevé (jour de préparation). La lecture des quatre Évangiles montre un accord unanime quant au jour de la semaine où eurent lieu l’arrestation et la mort de Jésus (Mt 27.62; Mc 15.42; Lc 23.54; Jn 19.31). Ils parlent tous du jour de la préparation. Nous notons dans le texte de Matthieu l’expression « te de épaurion » (le lendemain).
Pour les évangélistes, il est clair que Jésus est mort avant le commencement du sabbat, c’est-à-dire un vendredi avant 6 heures du soir, début du sabbat, celui qui coïncidait avec la Pâque. Les synoptiques le disent expressément.
Il reste à déterminer le jour du mois. C’est ici que les problèmes surgissent. Pour Marc 14.12-16, c’est le premier jour des azymes. Arrêté à minuit, il sera crucifié le lendemain, c’est-à-dire, selon la chronologie, pendant le jour de Pâque, le 15 Nisan. Matthieu et Luc s’accordent avec le premier Évangile sur ce point. Mais pour Jean 18.28, les autorités juives n’ont pas voulu entrer dans le prétoire, afin de ne pas se souiller. Ainsi, Jean situe la mort au 14e jour de Nisan, le jour où on immolait l’agneau. Selon les synoptiques, on pourrait conclure que Jésus avait mangé la Pâque et qu’il est mort le 15e jour de Nisan. Pour Jean, le Seigneur n’a pas mangé la Pâque, puisqu’il est mort le 14, au moment où on immolait l’agneau.
Remarquons encore les textes : Pour Marc 14.1-2,11,17, Jésus mange avec ses disciples. Dans 15.42, nous notons que Simon de Cyrène revenait des champs. Matthieu 26.2 parle de « méta duo èméras » (deux jours après). Luc 22.1-8 mentionne la fête des azymes. Jean 11.15 parle de la proximité de la Pâque des juifs. En Jean 13.1-2, il est mentionné « avant la fête de la Pâque »; en Jean 13.12, il est question de « deipnon » (souper); en Jean 19.14, la condamnation de Jésus a lieu le jour de la préparation de la Pâque; en Jean 19.31, on descend le corps de la croix pour ne pas le laisser durant la fête, le jour du sabbat; et en Jean 19.42, Jésus est enseveli avec hâte à cause de la préparation de la fête des juifs.
Ce problème de chronologie se ramène à la question de savoir si le dernier repas de Jésus fut un repas pascal ou non. Dans les synoptiques, on ne trouvera aucun détail qui permette de rapprocher le dernier repas d’un repas pascal. Il n’y est pas question d’agneau, et le pain est « artos », pain, mais pas un azyme.
Jésus a avancé ce repas de 24 heures pour accomplir autour de ce repas un geste offrant un enseignement théologique. C’est pourquoi nous optons pour une solution théologique, sans tâcher d’harmoniser les données évangéliques, mais sans les refuser non plus dans leurs apparentes contradictions. À notre avis, on ne peut retenir la date du 15 Nisan comme jour de la crucifixion.
Ainsi, le retour de Simon de Cyrène des champs serait considéré comme une démarche inconcevable pour un juif pieux. Et puis, comment penser que Jésus fut crucifié le jour de la Pâque, alors que ses adversaires cherchaient précisément à éviter tout complot populaire durant la fête?
Quel est alors le caractère de ce dernier repas? Est-il ou non un repas pascal? Il ne l’est pas, dans le sens traditionnel. Il y avait une impossibilité matérielle à l’accomplir. Jésus et ses disciples n’auraient pas pu obtenir des sacrificateurs du Temple la faveur exceptionnelle d’immoler l’agneau la veille du jour fixé pour ce repas rituel. Aucun texte biblique ne parle d’ailleurs d’agneau. Mais ce repas fut pascal dans son intention et par la date choisie, car Jésus y offre un enseignement. Il est connu que les juifs résidant hors de Palestine pouvaient célébrer la Pâque sans agneau et qu’un tel repas était avancé. Selon le Talmud, il était permis de le célébrer le soir avant le 15. C’est ce que fit Jésus pour des raisons parfaitement compréhensibles. Luc 22.7 parle d’un repas célébré dans la soirée du 13. Ce repas fut pascal même sans l’agneau.
Quant à l’année, des calculs astronomiques ont été effectués par plusieurs auteurs, et ils se sont arrêtés à la date du 7 avril de l’an 30. En faveur de cela, nous possédons le témoignage de Clément d’Alexandrie. Outre les années 26 à 36, quand Pilate est procurateur, il faut trouver une année avec un vendredi 14 Nisan. Seules sont possibles les années 27, 30 ou 33. L’année 27 est précoce, et l’année 33 tardive. Nous retenons l’année 30; si cela est exact, Jésus aurait eu 34 ans le jour de sa mort.