Nature et objet de l'espérance dans l'Ancien Testament
Nature et objet de l'espérance dans l'Ancien Testament
Recensons, pour commencer, les données bibliques de l’Ancien Testament. Dans d’autres articles, nous présenterons les données bibliques du Nouveau Testament, pour tenter ensuite une possible synthèse et parvenir à une vue d’ensemble.
L’article elpis, dans le Dictionnaire théologique du Nouveau Testament, introduira notre recherche.
« L’Ancien Testament ne connaît pas de concept neutre de l’attente. L’attente est toujours bonne ou mauvaise, et dans ce cas elle est ou bien espérance ou bien crainte et angoisse. L’espérance se distingue ainsi de la crainte de l’avenir. En tant qu’attente du bien, l’espérance se lie étroitement à la confiance. L’attente est aussi ce désir dans lequel l’élément de la patience, de l’attente patiente, ou bien la fuite vers le refuge, sera souligné. L’espérance attend le bien. Tant qu’il y a la vie, il y a de l’espérance (Ec 9.4). »
Elle n’est pas un rêve doux et réconfortant, le fruit de l’imagination qui nous ferait oublier la peine de l’heure présente. Il n’y a pas d’incertitude, comme dans le monde grec. La vie du juste de l’Ancien Testament est ancrée en elle. La posséder c’est posséder l’avenir. Elle est le signe que les choses vont bien. Elle s’oriente vers Dieu. L’on espère que dans la peine Dieu viendra à notre secours. Toutefois, la confiance en lui est toujours nécessaire, même quand les bénédictions abondent.
Le recueil des Psaumes devient ainsi le livre de prières de l’assemblée cultuelle. La requête de la délivrance est alors absolue. Lorsque les justes prient Dieu, ils sont persuadés qu’il interviendra, de sorte que leur espérance s’orientera vers quelque chose de spécifique; celle-ci ne sera jamais un désir, des vues personnelles projetées vers l’avenir, mais la confiance en la protection et le secours de Dieu. Dieu en personne est l’espérance et la confiance du juste. Par opposition au concept grec, l’homme ne contrôle pas le présent, car celui-ci reste incontrôlable par l’esprit humain. Dans l’Ancien Testament, toute différence entre espérance et confiance s’efface; confiance et certitude se traduisent par l’espérance; l’état ou la situation présente subsistera, de telle sorte que les facteurs sur lesquels on a compté ne changeront point.
Là où une telle espérance fait défaut, toute confiance en une quelconque sécurité sera considérée comme une attitude irresponsable, car soudain, Dieu la renversera et il la changera en crainte et en angoisse. Alors, que nul ne se fie à ses richesses, en sa justice, en l’homme, en son héritage religieux, pas même au temple de Béthel ou de Jérusalem, surtout pas aux idoles vaines. Les résolutions et les calculs des hommes qui ne tiennent pas compte de la confiance en Dieu sont vains, ne sont que du vent. Dieu les livre à leur nullité. La nation et les politiciens habiles seront confus s’ils se mettent à bâtir sur des forces et des facteurs tangibles, matériels, et sur des traités habiles avec d’autres peuples ou d’autres nations.
Une confiance charnelle comptera et se fondera sur des facteurs contrôlables. L’espérance, elle, s’adressera à celui qui ne peut être contrôlé par l’esprit humain.
Elle est affranchie à l’égard de toute angoisse. Cependant, elle devra être accompagnée de crainte, du respect de la foi. Aussi devra-t-elle devenir une attente tranquille de Dieu et en Dieu.
Si l’attente du secours délivre de la détresse présente, elle est considérée plus spécifiquement encore comme le secours eschatologique qui met un terme à toute détresse. L’attitude de celui qui attend exprime sans cesse la réalisation de tout ce qui dans le présent terrestre n’est que temporaire. Aussi devient-elle une espérance en l’avenir eschatologique.
Nombre de spécialistes de l’Ancien Testament soulignent le fait que l’un des traits particuliers de celui-ci par rapport à toutes les religions païennes de l’antiquité, est la valeur qu’il accorde au temps autant qu’à l’espace. L’histoire existe, l’Ancien Testament lui rend témoignage. Celle-ci n’est pas une mythologie ni une idéologie religieuse. L’Ancien Testament valorise l’histoire. Étape par étape, mais sûrement, le dessein de Dieu s’accomplit au cours d’elle. Dieu y poursuit une seule ligne. À cause de son dessein, le fidèle peut parler d’espérance et « espérer contre toute espérance ».
Non seulement il rend témoignage aux grands actes de Dieu dans le passé, qui du néant appelle les choses qui n’existaient pas et forme la nation d’Israël, mais en outre l’Ancien Testament fait une sorte de traction en avant. Il montre ces événements à la lumière de leur fin. Il en déchiffre le sens. L’histoire présente sera couronnée, il n’y aura pas d’échec pour Dieu.
Pourtant, par moments, ou dans une étape ultérieure, apparaît aussi la rupture. L’histoire de la nation d’Israël est précisément l’aboutissement — provisoire, mais certain — de cette rupture-là. Dieu juge son peuple de même qu’il jugera les nations.
Telle est l’espérance à laquelle est rendu un témoignage dès le début. Il ne s’agit pas, ce que nous oublions si souvent, d’une simple espérance relative à l’au-delà. L’espérance est intimement liée à un acte puissant, c’est-à-dire à l’Alliance de Dieu et aux promesses qui l’accompagnent. Certes, l’espérance de l’au-delà n’en est pas absente (Ps 88.10-13). Mais elle se situe sur un autre plan. Elle est liée à l’expérience vécue ici et maintenant. La nation élue a reçu une vocation. Elle est devenue la partenaire d’une alliance, bénéficiaire des promesses divines. Le Dieu unique d’Israël et la foi en lui excluent tout autre dieu. C’est lui le Maître des cieux et de la terre et de toute l’histoire, durant laquelle s’accomplissent ses desseins éternels.
Il crée l’histoire unique de son peuple (Ex 19.5-6). Il établit une communion avec lui. Son alliance en sera le signe et la suprême garantie. Sa loi en deviendra la charte par excellence, car Israël n’est pas mis à part afin de s’évader hors du monde présent.
Au contraire, l’ici et le présent deviennent le domaine dans lequel il fait l’expérience de ses dons et où il peut le louer pour tous ses bienfaits (Dt 8.7-10). On remarquera cependant le mode conditionnel des promesses que Dieu fait à Israël. Pour éviter tout malentendu, nous devrions parler de condition plutôt que d’obligation. Quant à l’avertissement : « Si vous écoutez ma voix et observez mon alliance… », l’homme ne peut en déterminer les conditions. Celles-ci lui sont imposées d’en haut. En créant l’homme libre et responsable de lui-même, Dieu l’a placé face à un choix (Dt 30.15-16,19). Les passages qui résument la loi de Dieu se terminent par ce même rappel (Ex 23.20-33; Lv 26; Dt 28).
Dans la mesure où il ne cède pas à la tentation et à l’emprise du péché qu’il possède en commun avec les autres nations, Israël pourra réussir; mais il n’est pas meilleur que les autres; et ce n’est certainement pas pour sa valeur intrinsèque qu’il fut élu, mais par pure grâce.
Durant les règnes de David et de Salomon, sommets de gloire et de domination, l’espoir d’Israël s’est agrandi et la paix et la prospérité ont été assurées de manière permanente. Mais le succès et la réussite ne se confinent pas au niveau humain. L’extension du règne universel reste subordonnée à la pratique de la justice (2 S 7.12-16). Le schisme entre les deux royaumes du Nord et du Sud fait apparaître le jugement de Dieu porté contre un état infidèle à sa vocation.
Vient ensuite une deuxième étape. Les passages cités se réfèrent et se rattachent tout d’abord à l’espérance nationale et politique. À partir des prophètes apparaîtra une nouvelle eschatologie. Désormais, l’avenir ouvert à Israël sera scindé en deux : ce jugement mettra fin à la progression harmonieuse de son histoire et à celui de son salut, qui s’accrochera aux antiques promesses. On aperçoit simultanément un côté sombre et un côté lumineux.
C’est ce dernier aspect qui suscitera dans les cœurs du « reste fidèle » une espérance que ne voilera aucune ombre. Quelle est la proximité du temps du salut? On peut parler d’une imminence psychologique. Ce qui n’a rien de commun avec l’imminence chronologique que nous examinerons plus loin. On ne peut s’aventurer à fixer des dates. Prophétie et divination ne sont pas des notions ou des fonctions interchangeables. Si le jugement est la menace suspendue sur la tête des « nations » sombrant dans le péché et dans l’ignorance, le salut lui succède sans transition et s’enchaîne sur un avenir si proche qu’il peut paraître à portée de la main. Le prophète ne prédit pas des événements comme tels, mais entretient l’espérance en rappelant les promesses jusqu’à ce que vienne la plénitude des temps. Pour ce qui est du jugement, on fera bien de méditer quelques-uns des passages les plus significatifs de l’Ancien Testament (És 2.11-22; 13.10-13; 24.18-20; Jr 4.23-26; 15.1-2; Am 5.18-20; So 1.14-18).
Abordons à présent plus particulièrement la promesse du salut qui allume cette espérance unique.
L’objectif que poursuit l’annonce du jugement c’est d’amener la nation, ou l’individu, à la foi et à la conversion. Le prophète est celui qui annonce avec fermeté le dessein de salut de Dieu. L’espérance qui s’est ouverte à Israël dès son origine nationale de nation libre, partenaire de l’alliance, garde son actualité bien que sa réalisation soit reportée à un temps futur. Pourtant, l’essentiel de l’espérance, la communion présente avec Dieu, demeure présent et possible (És 51.7-8; 54; Jr 31.31-33; Éz 36.24-28; Os 2.21-22). Aux yeux de tous, une ère nouvelle s’instaure. « Ils sont beaux sur les montagnes les pieds de ceux qui portent de bonnes nouvelles » (És 52.7).
Le Seigneur a pitié de Sion (És 51.3). Il faut noter la diversité du riche registre de l’eschatologie prophétique pour pouvoir l’interpréter correctement et parler de l’avenir ouvert par Dieu. Ici apparaît dans toute sa pauvreté spirituelle l’attente touchante et dramatique d’Israël.
« Alors la lumière de la lune sera comme la lumière du grand jour et la lumière du grand jour croîtra au septuple comme la lumière de sept jours, au jour du Seigneur. Le Seigneur pansera la plaie de son peuple et guérira la meurtrissure de ses coups » (És 30.26; voir 25.6-8).
Nous n’examinerons pas la manière dont cette espérance eschatologique s’est encombrée d’éléments étrangers, parasitaires et impurs de l’apocalyptique ultérieure. Relevons encore, avant de clore ce paragraphe consacré à l’espérance dans l’Ancien Testament la distinction entre l’espérance communautaire et celle qui s’attache à l’individu.
Les promesses eschatologiques s’adressent premièrement à la nation. Le peuple choisi en est le dépositaire. Mais l’individu qui participe au salut collectif est assuré que son péché aussi a été pardonné et effacé. Ézéchiel est parmi les premiers qui, laissant de côté un message pour la collectivité, préciseront la portée aussi individuelle du jugement (Éz 18.4).
Nombre de psalmistes nous font découvrir la dimension et la valeur de l’expérience individuelle. Le Psaume 73 expose une contradiction entre la promesse de salut et l’échec individuel (Ps 73.23-28). Le texte reste ouvert à l’espérance après la mort. Le Psaume 49 représente les riches insouciants comme des impies qui descendent dans le shéol, tandis que l’âme du juste est rachetée par Dieu. C’est l’auteur du Psaume 16 qui apporte l’une des plus claires et des plus belles certitudes à cet égard (Ps 16.5-6, 9-11).
Quel que soit le point de vue qu’on adopte sur la date exacte de la composition du livre de Daniel, on ne peut ignorer son apport extrêmement vigoureux à l’espérance, à la fois collective et individuelle. Voici quelques passages qu’on méditera avec le plus grand profit (Dn 2.44-45; 7.13-14; 7.23-27; 12.2-3).
La description de l’espérance en la vie éternelle est d’une sobriété qui tranche avec l’imagination prolifique et fantaisiste des apocalypses juives contemporaines. Le Nouveau Testament et la théologie chrétienne l’ont affinée et rendue plus claire et plus ferme.
Assurément, l’espérance eschatologique de l’Ancien Testament ne se confine pas au seul livre de Daniel, de même que dans le Nouveau Testament elle ne se confine pas au seul livre de l’Apocalypse. L’Ancien Testament en est tout imprégné. Il oriente le regard de la foi vers l’avenir. Contrairement aux théologies qui prétendent qu’il n’existerait que peu de traces d’eschatologie dans l’Ancien Testament, T.C. Vriezen, de l’université d’Utrecht, affirme que la vision eschatologique est quelque chose qu’on ne peut trouver nulle part ailleurs en dehors de l’Ancien Testament. Elle en fait partie intégrante, déclare l’éminent spécialiste néerlandais.
Reprenons quelques points discutés par Anthony Hoekema. L’Ancien Testament insiste sur l’espérance qu’attend l’avènement du futur Rédempteur. À cet égard, il faudrait, ne serait-ce que pour mémoire, citer déjà Genèse 3.15, promesse que Apocalypse 12.9 et 20.2, reprennent à leur compte. Dans Genèse 22.18, le Rédempteur à venir est dit « la semence d’Abraham » (voir aussi Gn 48.19).
Moïse fera à ce sujet une promesse très explicite (Dt 18.15), tandis que l’auteur du Psaume 110 fait une déclaration triomphante. En lisant Zacharie 9.9, on voit la joie du prophète qui annonce l’avènement du Rédempteur qui occupera le trône de David. Ésaïe 7.17 l’identifie avec l’Emmanuel, la présence de Dieu avec nous.
Un second portrait tracé dans l’Ancien Testament est celui du promis qui viendra en tant que le Serviteur souffrant. Bien que cette figure puisse désigner toute la nation d’Israël, elle concerne plus sûrement le Messie promis. Faut-il comparer le Serviteur souffrant au Fils de l’homme daniélique? On peut le faire pour la commodité de l’étude, mais la foi chrétienne discerne dans le premier comme dans le second la personne même du promis, c’est-à-dire du Christ-Messie.
Bien entendu, l’Ancien Testament attend la manifestation du Royaume de Dieu; même si le terme comme tel en est absent, l’idée y domine toute entière (voir Dt 33.5; Ps 93.1-2; 145.11-13; És 43.15). C’est sans doute Daniel 2 qui développe le plus clairement cette idée.
Nous avons déjà évoqué le rôle que tient l’idée de l’alliance dans l’espérance vétérotestamentaire. W. Eichrodt avait raison de construire sa théologie de l’Ancien Testament autour de ce concept de l’alliance.
Le jour du Seigneur est un composant extrêmement important de l’espérance eschatologique. On trouve déjà l’expression chez un petit prophète du 8e siècle avant Jésus-Christ, Abdias (Ab 1.15-16). D’autres aussi reprendront ce terme, tels Ésaïe, Amos et Sophonie. Mais le jour du Seigneur n’apporte pas uniquement le jugement, comme nous l’avons déjà vu plus haut; il offre aussi le salut (Jl 4.14-15; Ml 3.19-20).
Il ne faut pas négliger l’attente de la rénovation cosmique. Avant l’Apocalypse est déjà annoncé le renouvellement des cieux et de la terre. Tout le message de salut transmis par l’Ancien Testament concerne non seulement le temps, mais aussi l’espace (És 11.6-9; 66.22).
L’ensemble de ces « objets » d’espérance reste à l’horizon. Ils sont l’objet de l’attente.
Le fidèle de L’Ancien Testament n’a pas une idée très claire, très précise de son espérance. Pourtant il attend. Il attend le jour du Seigneur, le dernier jour, et le Messie. Cette attente montre la fermeté de l’espérance à la fois nationale et individuelle. On a souvent rappelé que les prophètes confondirent dans leur perspective le premier avènement du Messie avec la seconde venue telle que la laisse entendre le Nouveau Testament. Cependant, la foi du fidèle de l’Ancien Testament est une espérance entièrement eschatologique.
Le regard du fidèle est fixé en avant. Les prophètes déclarent les intentions de Dieu concernant l’avenir. C’est pourquoi ils dénoncent avec vigueur toute fausse espérance (És 30.1-15; Jr 4.7; 5.1-7; Am 2.6; 5.18).
Si le jugement est certain, il ne constitue pas pour autant le dernier mot. Car le renouveau de l’espérance se fonde sur la fidélité de Dieu. Dieu se préoccupe de son honneur (És 48.11; Éz 36.22). La promesse initiale faite à Abraham s’accomplira. L’espérance est possible. Son fondement se trouve dans le caractère de Dieu et en ses desseins. « Le Seigneur est ici », conclut Ézéchiel dans son message, en parlant du renouveau du Temple (Éz 48.35).
Les prophètes ont été des hommes qui ont eu une vision d’avenir. Ils se souviennent que Dieu œuvre au cours de l’histoire et la contrôle. Il se sert des nations pour faire parvenir ses desseins à leur finalité (És 41:2-4).
Mais les prophètes aperçoivent également l’existence d’une continuité et d’une discontinuité, d’une rupture et d’une prolongation entre l’action de Dieu dans le passé et celle qu’il entreprendra à l’avenir. À leurs yeux, l’histoire n’est pas emprisonnée dans le passé. Toutefois, cette discontinuité et la rupture ne rendent pas nulles la continuité et la prolongation. C’est la raison pour laquelle des termes tels qu’« alliance » et « nouvel exode » ont tant de force ici. Dieu n’opère pas d’une manière arbitraire. Il n’y a aucune inconsistance dans ses propos et dans ses interventions. Le Dieu qui se révélera à l’avenir est le même qui s’est montré dans le passé, en vue du salut du monde.
Toutefois, l’avenir est aussi un horizon qui s’élargit. Il ne supporte pas d’interprétation étroite ni de prédiction précise et détaillée. La variété des formes dans lesquelles les prophètes se sont exprimés montre leur intelligence de l’action de Dieu au cours de leur propre histoire. L’accomplissement littéral de la promesse faite dans le passé ne se voit pas au cours de l’histoire. Le mouvement est amorcé vers l’avant. C’est pourquoi toute approche littérale nous jetterait dans une confusion sans fin.
Des pages de l’Ancien Testament se dégage une certitude : Dieu viendra. Il viendra pour prouver son autorité. Il sera avec son peuple, il régnera pour toujours et son règne sera universel, permanent, juste, assurant la paix. Tout homme et toute langue lui rendront enfin le culte dont il est digne.