Comment résoudre les conflits dans l'Église? (5) - Reprendre son frère avec humilité
Comment résoudre les conflits dans l'Église? (5) - Reprendre son frère avec humilité
La Bible utilise plusieurs mots différents pour parler du péché, de ce qui nous sépare d’avec Dieu et notre prochain. Dans le Nouveau Testament, on trouve par exemple le mot hamartia, qui signifie « manquer le but, perdre ce qui est bien ». Le mot anomia, lui, signifie agir contre la loi de Dieu. Un autre mot, adikia, a plutôt la connotation de tout ce qui s’apparente à l’injustice. La Bible soutient que tout le monde commet des péchés, ce n’est pas l’apanage de certains seulement.
Ainsi, dans l’Ancien Testament, on trouve le passage suivant au livre de l’Ecclésiaste : « Il n’y a sur terre aucun homme juste qui fasse toujours le bien sans jamais pécher » (Ec 7.20). Le Psaume 14, toujours dans l’Ancien Testament, est sans équivoque à ce sujet : « Du ciel, l’Éternel observe tout le genre humain : Reste-t-il un homme sage qui s’attend à Dieu? Ils se sont tous égarés, tous sont corrompus, plus aucun ne fait le bien, même pas un seul » (Ps 14.2-3). Dans sa lettre aux chrétiens de Rome, Paul reprend ce psaume et en fait le résumé suivant : « Tous ont péché, en effet, et sont privés de la gloire de Dieu » (Rm 3.23). Nous lisons au troisième chapitre de la lettre de Jacques, dans le Nouveau Testament : « Car chacun de nous commet des fautes de bien des manières. Celui qui ne commet jamais de fautes dans ses paroles est un homme parvenu à l’état d’adulte, capable de maîtriser aussi son corps tout entier » (Jc 3.2). Un peu avant, au chapitre 2, Jacques écrit à ses lecteurs : « En effet, celui qui désobéit à un seul commandement de la loi, même s’il obéit à tous les autres, se rend coupable à l’égard de toute la loi » (Jc 2.10). Dans la première lettre de Jean, nous lisons : « Si nous prétendons n’être coupables d’aucun péché, nous vivons dans l’illusion, et la vérité n’habite pas en nous » (1 Jn 1.8).
Tout ceci rend clair que, dans l’Église, ce ne sont pas quelques-uns seulement qui possèdent la prérogative de reprendre les autres sur leurs péchés. En fait, si tous les péchés commis par chacun devaient tomber sous la censure de l’Église, la communauté tout entière devrait être mise sous discipline. Comme l’enseigne le réformateur Jean Calvin, il faut donc distinguer entre les péchés que les croyants commettent par faiblesse (non pas qu’ils soient innocents et qu’on ne doive pas chercher à être pardonné par Dieu, mais ils ont des conséquences limitées), et certains péchés qui eux entraînent des conséquences sérieuses non seulement pour le pécheur lui-même, mais aussi pour d’autres personnes et, avant tout, attaquent l’honneur de Dieu devant l’Église et le monde. Il s’agit donc de péchés qui créent un scandale devant l’ensemble de l’Église. Ce qui mène à l’application de la discipline ecclésiale, c’est le refus entêté de se soumettre aux admonitions répétées de l’Église et l’absence de repentance sincère.
Le croyant guidé par le Saint-Esprit peut accomplir des œuvres qui glorifient le Père céleste. Jésus dit en effet : « C’est ainsi que votre lumière doit briller devant tous les hommes, pour qu’ils voient le bien que vous faites et qu’ils en attribuent la gloire à votre Père céleste » (Mt 5.16). En contraste, une vie qui ne manifeste pas l’amour entre en conflit avec Dieu, avec la communauté des croyants, et finalement le pécheur entre aussi en conflit avec lui-même, ce qui a des effets destructeurs à tous les niveaux. C’est là que le service de la réconciliation par l’Église doit intervenir. Cela commence par une admonition personnelle, en privé, face à face. Il s’agit d’abord de fautes qui ne sont connues que de quelques personnes, et qui ne sont pas nécessairement scandaleuses pour l’ensemble de la communauté, mais qui méritent tout de même d’être relevées.
Le seul motif qui doit mener quelqu’un à aller parler à son frère, c’est l’amour qu’il lui porte, le souci qu’il a de voir ce frère ne pas se séparer de la communion avec Jésus-Christ. Le péché peut avoir été commis contre lui, ou pas nécessairement. Dans Matthieu 18.15, Jésus dit : « Si ton frère s’est rendu coupable à ton égard, va le trouver, et convaincs-le de sa faute : mais que cela se passe en tête-à-tête. » Dans Luc 17:3, on lit : « Si ton frère s’est rendu coupable d’une faute, reprends-le, et s’il change d’attitude, pardonne-lui. » Quoi qu’il en soit, Jésus reprend ici (comme si souvent d’ailleurs) l’enseignement de l’Ancien Testament. Au chapitre 19 du livre du Lévitique, qui fait partie du Pentateuque, c’est-à-dire des cinq premiers livres de la Bible, on lit :
« Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur, mais tu ne manqueras pas de reprendre ton prochain pour ne pas te charger d’un péché à son égard. Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les membres de ton peuple, mais tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Éternel » (Lv 19.17-18).
À partir de ces données bibliques, qu’il faut considérer dans leur ensemble, on peut progresser dans la compréhension des devoirs mutuels entre chrétiens, consistant à s’avertir, s’encourager, aider l’autre à se remettre sur le chemin de l’obéissance lorsqu’il s’en écarte à son propre péril et au risque de causer du tort à la communauté vivante dont il fait partie. Qu’est-ce qui empêchera que cela devienne une forme d’inquisition malsaine? Deux facteurs, qui doivent à tout moment être gardés à l’esprit : comme on vient de le voir, personne ne peut se croire exempt de péché, se considérer comme intrinsèquement supérieur à son frère ou sa sœur dans la foi. À cet égard, l’apôtre Paul avertit les Corinthiens dans sa première lettre, au dixième chapitre : « C’est pourquoi, leur écrit-il, si quelqu’un se croit debout, qu’il prenne garde de ne pas tomber » (1 Co 10.12).
Ensuite, toute admonition, tout reproche ou toute exhortation et tout encouragement ne doivent avoir qu’un seul but, sous peine de trahir le Christ crucifié et ressuscité : la réconciliation avec Dieu et avec son prochain. Toute forme de discipline ecclésiale, qu’elle soit faite de manière privée selon la voie indiquée par Jésus en Matthieu 18, ou devant les dirigeants de l’Église, si le péché persiste ou est devenu connu publiquement, doit être exercée dans l’esprit des paroles de Paul, au chapitre 5 de sa seconde lettre à ces mêmes chrétiens de Corinthe :
« Nous faisons donc fonction d’ambassadeurs au nom du Christ, comme si Dieu adressait par nous cette invitation aux hommes : C’est au nom du Christ que nous vous en supplions : soyez réconciliés avec Dieu. Celui qui était innocent de tout péché, Dieu l’a condamné comme un pécheur à notre place pour que, dans l’union avec le Christ, nous soyons justes aux yeux de Dieu » (2 Co 5.20-21).
Ces deux motifs, s’ils sont vécus par les croyants sincères et respectés comme des normes données par Dieu dans sa Parole, empêcheront que l’hypocrisie ne s’installe et qu’une forme d’inquisition sournoise et oppressive ne remplace l’exercice sain et juste de la discipline ecclésiale. Car celle-ci n’a pour but que de maintenir le corps des croyants, l’Église, sain et robuste, de le protéger contre toute contamination ou gangrène. Si je vois que mon frère marche sur une voie dangereuse, qu’il se dirige tout droit vers un fossé où il ne manquera pas de tomber, ou encore dans des sables mouvants où il ne manquera pas de s’enliser, et que je néglige de le prévenir sérieusement en lui montrant la voie à suivre, est-ce que je fais preuve d’amour à son égard? Bien sûr que non! Une Église locale qui ne veut ou ne sait pas exercer la discipline ecclésiale selon les normes que le Saint-Esprit a données dans l’Écriture sainte n’honore pas Dieu et ne fait pas preuve d’amour véritable à l’égard de ses membres, en dépit de ses autres œuvres bonnes ou de ses bonnes intentions.
Arrivés à ce point de notre réflexion, je voudrais vous citer une partie de l’article 29 de la Confession de foi réformée des Pays-Bas ou Belgica, rédigée en 1561 par le français Guy de Brès, qui paya d’ailleurs du prix de sa vie sa fidélité à l’Évangile quelques années plus tard. Cette confession de foi a donc été écrite il y a environ 550 ans, et vous verrez qu’elle n’a rien perdu de son actualité. Dans cet article, il s’agit de distinguer la vraie Église de la fausse. Guy de Brès écrit ce qui suit :
« Nous croyons qu’il faut diligemment discerner et avec prudence par la Parole de Dieu, quelle est la vraie Église à cause de toutes les sectes qui sont aujourd’hui présentes et qui se réclament de ce nom d’Église. Nous ne parlons pas de la compagnie des hypocrites, qui se mêlent aux bons dans l’Église, et cependant n’en sont point, ils y sont présents quant au corps; mais nous distinguons le corps et la communion de la vraie Église d’avec toutes les autres sectes, qui se disent Église. Les marques pour identifier la vraie Église sont les suivantes : l’Église use de la pure prédication de l’Évangile, elle use de la pure administration des sacrements comme Christ les a ordonnés; la discipline ecclésiastique est en usage pour corriger les vices; bref, on a pour règle la pure Parole de Dieu, rejetant toutes choses contraires à celle-ci, tenant Jésus-Christ pour seul Chef. Par cela, on peut être assuré de connaître la vraie Église, et ce n’est le devoir de personne d’en être séparé.
Quant à ceux qui sont de l’Église, on peut les connaître par les marques des chrétiens, à savoir, par la foi; lorsqu’ils ont reçu un seul Sauveur Jésus-Christ, ils fuient le péché, ils suivent la justice, aimant le vrai Dieu et leurs prochains, ils ne se détournent ni à droite ni à gauche, ils crucifient leur chair avec ses actes. Non pas qu’ils n’aient aucune infirmité en eux, toutefois ils combattent par l’Esprit, chaque jour, ayant continuellement recours au sang, à la mort, à la passion et à l’obéissance du Seigneur Jésus, par la foi, en qui ils obtiennent la rémission de leurs péchés. »
À l’article 30, la Confession des Pays-Bas, ou Confessio Belgica, ajoute ce qui suit sur le gouvernement de l’Église :
« Nous croyons que cette vraie Église doit être gouvernée selon la discipline spirituelle que notre Seigneur nous a enseignée par sa Parole : il y a des ministres ou pasteurs pour prêcher la Parole de Dieu et pour administrer les sacrements; il y a aussi des surveillants et des diacres. Ceux-ci, avec les pasteurs, sont comme le sénat de l’Église et par ce moyen ils préservent la vraie religion et gardent la vraie doctrine, corrigeant spirituellement et tenant en bride les hommes vicieux afin aussi que les pauvres et les affligés soient secourus et consolés si besoin est. Le bon ordre régnera ainsi dans l’Église, lorsque des hommes fidèles seront élus, selon la règle qu’en donne saint Paul à Timothée. »
Pour conclure, je voudrais simplement vous rappeler comment l’article 73 de l’ordre ecclésiastique hérité du Synode de Dordrecht suit l’ordre prescrit par le Nouveau Testament :
« Les péchés cachés dont le pécheur s’est repenti après avoir été repris par une personne en privé, ou bien en présence de deux ou trois témoins ne doivent pas être rapportés au conseil de l’Église. »
Dans un prochain article, je reprendrai le fil de notre réflexion sur les conflits dans l’Église et la manière de remédier aux péchés qui y sont commis.