Luc 19 - L'entrée à Jérusalem
Luc 19 - L'entrée à Jérusalem
« Lorsqu’il approcha de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont appelé mont des Oliviers, Jésus envoya deux de ses disciples, en disant : Allez au village qui est en face; quand vous y serez entrés, vous trouverez un ânon attaché, sur lequel aucun homme ne s’est jamais assis; détachez-le et amenez-le. Si quelqu’un vous demande : Pourquoi le détachez-vous? vous lui direz : Le Seigneur en a besoin. Ceux qui étaient envoyés s’en allèrent et trouvèrent les choses comme Jésus le leur avait dit. Comme ils détachaient l’ânon, ses maîtres leur dirent : Pourquoi détachez-vous l’ânon? Ils répondirent : Le Seigneur en a besoin. Et ils amenèrent à Jésus l’ânon, sur lequel ils jetèrent leurs vêtements, et firent monter Jésus. À mesure qu’il avançait, les gens étendaient leurs vêtements sur le chemin. Il approchait déjà de Jérusalem vers la descente du mont des Oliviers, lorsque tous les disciples, en foule, saisis de joie, se mirent à louer Dieu à haute voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus. Ils disaient : Béni soit le roi, celui qui vient au nom du Seigneur! Paix dans le ciel, et gloire dans les lieux très hauts. Quelques Pharisiens, du milieu de la foule, dirent à Jésus : Maître, reprends tes disciples. Il répondit : Je vous le dis, s’ils se taisent, les pierres crieront! Comme il approchait de la ville, Jésus en la voyant, pleura sur elle et dit : Si tu connaissais, toi aussi, en ce jour, ce qui te donnerait la paix! Mais maintenant c’est caché à tes yeux. Il viendra sur toi des jours où tes ennemis t’environneront de palissades, t’encercleront et te presseront de toutes parts; ils t’écraseront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas connu le temps où tu as été visitée. Il entra dans le temple et se mit à chasser les marchands, en leur disant : Il est écrit : Ma maison sera une maison de prière. Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs. Il enseignait tous les jours dans le temple. Et les principaux sacrificateurs, les scribes et les chefs du peuple cherchaient à le faire périr; mais ils ne savaient comment faire car tout le peuple était suspendu à ses lèvres. »
Luc 19.29-48
Le premier jour de la fête de Pâque, Jésus quittait la tranquille bourgade de Béthanie et, s’approchant de la capitale, il cherchait, pour y pénétrer, une modeste monture. La suite du récit nous révèle le sens de ce que nous appelons d’ordinaire l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. Il n’est pas douteux que Jésus ait voulu donner à son entrée dans la capitale l’allure d’une manifestation messianique. Bien que, comme Marc, Luc ne mentionne pas la prophétie de Zacharie 9.9 relative à l’ânon, comme le font Matthieu et Jean, l’intention de Jésus ressort clairement du récit : il veut pour lui une monture messianique. C’est par l’est qu’il aborde la ville, par cette colline de la montagne des Oliviers, dont le prophète (Za 14.4) avait dit que le Messie y poserait les pieds. Et sa réponse aux pharisiens (Lc 19.40) montre que l’hommage qu’il reçoit est conforme à sa volonté.
C’est dans ce village tout près de Jérusalem que les disciples doivent se procurer cet ânon qui n’avait jamais été monté, car pour jouer ce rôle saint, il était préférable que l’animal n’eut jamais été utilisé. Tout semble indiquer que Jésus avait pressenti la présence de l’ânon. Tout signe extraordinaire sert d’annonce prophétique, mais n’épuise pas la réalité définitive. Le miracle est le canal de la révélation, non la révélation elle-même. Aussi est-il toujours subordonné à la Parole divine. Le signe visible de la grâce se trouve placé au service de l’invisible, qui s’exprime par son moyen.
On s’attendait à ce que le Messie apparaisse glorieux et resplendissant, plein de puissance. Certains textes de l’Ancien Testament laissaient supposer une venue glorieuse : « Je te donnerai les nations pour héritage, et pour possession les extrémités de la terre; tu les briseras avec un sceptre de fer » (Ps 2.8-9; voir És 11.4-6).
Mais le temps de son avènement glorieux n’est pas encore arrivé. Il ne porte pas de couronne et pénètre dans la capitale humble et désarmé. La ville elle-même ne lui réserve pas d’accueil officiel. Au contraire, les princes de la capitale retiennent leur souffle le voyant s’avancer, suivi d’une foule immense jubilante et exaltée, en ce jour de visitation du Seigneur tant attendu. Eux, ils sont envieux. Ils ne peuvent supporter que pareil hommage soit rendu à Jésus, et ils le rendent responsable de ce « désordre populaire » doublé d’un scandale religieux. La réponse de Jésus est d’une majesté terrifiante. Mais qu’importe, le Roi vient quand même à sa ville. Il y vient pour accomplir une autre prophétie; c’est comme Roi qu’il va pénétrer dans la ville sainte, mais comme un Roi pacifique, « doux et humble de cœur ».
L’histoire de l’entrée de Jésus à Jérusalem, qui coïncide avec la célébration de la Pâque et inaugurera la dernière semaine de son ministère terrestre ainsi que sa passion, nous est relativement bien connue. Reprenons-en cependant les étapes principales, qui nous communiquent le message essentiel de cette entrée de Jésus à Jérusalem.
Jésus fait préparer par ses disciples cette manifestation qui est une véritable prédication en action. Il n’a jamais voulu provoquer l’enthousiasme populaire, bien au contraire, il s’en est toujours défendu. Maintenant, il l’accepte. Il a voulu, au moins une fois, être ouvertement proclamé Roi d’Israël. L’enthousiasme de la foule est sincère. Les vêtements étendus sur le passage de Jésus et les rameaux agités disent l’espérance que beaucoup ont fondée en lui. D’autres crient, peut-être sans trop savoir pourquoi, entraînés par le mouvement de la foule. Ces hommages sont nécessaires; il faut qu’en cette occasion le peuple rende témoignage à son Roi. Tandis que le cortège royal poursuit son avancée triomphale, il prend l’allure d’une festivité inhabituelle : des rameaux coupés des arbres bordent la route, des branches sont brandies en l’air pour acclamer le Roi.
Il y a en cette matinée printanière je ne sais quel air de célébration festive, même si aucun organisateur ne l’a précédée; tout se déroule dans une touchante improvisation, issue des cœurs et des esprits. Il y a, en effet, des raisons pour se réjouir. Jésus en reconnaît la légitimité par les mots célèbres : « S’ils se taisent, les pierres crieront! » (Lc 19.40). Qu’il est donc réjouissant que le prophète de Nazareth, qui durant si longtemps avait interdit toute explosion spontanée de joie relative à sa personne, accorde à ses concitoyens, en cette occasion unique, la liberté de manifester une joie apparemment sincère!
Nous rappelions que cette entrée de Jésus à Jérusalem inaugurait la semaine de la passion du Sauveur. Aussi, nous notons qu’en dépit d’une ambiance euphorique, il plane sur l’ensemble de la scène un douloureux malentendu. Jésus, qui accepte l’ovation de la foule, doit ressentir sans doute à cet instant même une profonde douleur.
Douleur parce qu’il se rend bien compte que la foule enthousiaste ne saisit pas le sens de l’antique prophétie. Certes, elle s’y réfère, ou en tout cas y songe, mais de manière équivoque, souscrivant aux prophéties dans la mesure où celles-ci corroborent ses idées, caressent ses espoirs, s’harmonisent avec ses visées… Les péans chantés seront vite oubliés lorsqu’elle découvrira l’incompatibilité de la mission du Christ avec ses espoirs d’un triomphe nationaliste. Si la prophétie convient à la populace, elle y donnera son plein consentement; le prophète Zacharie trouvera, un bref instant seulement, accueil et approbation chaleureux, lui qui prédisait plusieurs siècles d’avance les événements messianiques.
Mais le Roi Messie, le Serviteur souffrant, quant à lui, est peiné de voir que le peuple retient des écrits saints du passé ce qui lui est agréable tout en ignorant le reste. Le canevas total des saintes Écritures est tissé d’une seule pièce, comme la tunique que le Christ porte lors de son procès et de sa crucifixion. Quiconque divise les Écritures pour n’en retenir que ce qui va dans le sens de ses rêves et s’accorde avec ses propres idées ne fait, en définitive, que déchirer le corps de la révélation rédemptrice. Aussi l’âme du Sauveur en souffre. Toute atteinte portée à sa Parole est une atteinte portée à son âme. Toute rupture entre les parties de la Bible équivaut à la dislocation du corps du Fils incarné.
Or, le Fils est venu pour accomplir dans ses moindres détails la prophétie du livre de Zacharie dans l’Ancien Testament, qui prévoit déjà que l’entrée triomphale aboutira à la tombe et à l’ensevelissement du Roi. L’Israël charnel cherche en ce matin des Rameaux à braquer ses propres projecteurs sur ce fait. Pourtant c’est le Christ qui, seul, éclaire le peuple fidèle. C’est pourquoi chaque fois que le Christ ouvre les Écritures, c’est pour éclairer les esprits, en expliquer le contenu et diriger les pensées vers sa propre mission rédemptrice. Ne regarder le Christ qu’à la faible lueur de nos fumants lumignons, c’est déformer sa personne et dégrader le sens de sa mission. C’est commettre un grave péché; c’est trahir le Fils de Dieu et renier le Sauveur des hommes.
En outre, selon le témoignage de l’évangéliste Luc, le peuple loue et glorifie Dieu pour les miracles qu’il a accomplis. Son admiration est motivée simplement par la vue du miracle; il s’arrête devant ce qui est visible et qui frappe à l’œil. Les œuvres puissantes de Jésus ont attiré les Juifs, dont la plupart ne les acceptent que sur leur plan visible, superficiel, et non pour ce qu’elles indiquent de plus profond. Ces œuvres-là ne sont pas l’essence de son ministère ni n’occupent la première place dans celui-ci. La confirmation que le miracle donne à la mission du Christ n’est pas une fin en soi. Le Christ ne s’appuie pas sur une démonstration gratuite de puissance. Le miracle, tout miracle biblique, n’est qu’un bref instant dans le drame divin faisant venir le Royaume éternel. Tout signe extraordinaire sert d’annonce prophétique, mais n’épuise pas la réalité définitive. Le miracle est le canal de la révélation, non la révélation elle-même. Aussi est-il subordonné à la Parole divine. Le signe visible de la grâce se trouve placé au service de l’invisible qui s’exprime par son moyen.
Le Christ souffre donc parce que le peuple surévalue l’élément de puissance au détriment de l’élément fondamental de sa mission, qui est la restauration de la justice divine. Or, il est venu principalement pour restaurer celle-ci. Il la restaure par le sacrifice qu’il a fait de sa divine personne. Ce n’est qu’après cette restauration et la réconciliation effectuée que les fleuves d’eaux vives couleront en surabondance. Ensuite seulement l’Esprit opérera avec son exceptionnel dynamisme.
Ce malentendu est clairement aperçu dans la doxologie chantée par la foule le jour des Rameaux. Celle-ci est chant de louange, mais aussi, hélas!, une profanation, car la foule exalte la puissance de Jésus, mais elle garde le silence sur ce qui devrait être exalté au plus haut niveau, c’est-à-dire le droit de Dieu sur son peuple. Ne nous étonnons donc pas que le vendredi suivant, des gens qui chantèrent sans doute des « Hosannas » le jour de l’entrée de Jésus à Jérusalem se soient trouvés aussi parmi la cohue qui vociféra « Crucifie-le, crucifie-le! » (Lc 23.21).
Or, pour Jésus, ce qui est digne de louanges est l’œuvre divine de grâce, et non les œuvres puissantes qui éblouissent… L’enthousiasme de la foule n’est pas celui de la foi en l’action divine.
Écoutez la doxologie chantée par la foule : « Paix dans le ciel et gloire dans les lieux très hauts! » (Lc 19.38). Elle nous rappelle le chant des anges le soir de Bethléem, avec cependant une notable différence. Les myriades d’anges qui célébraient Dieu en ce soir de la Nativité mentionnaient le ciel, mais aussi la terre, cette terre où vient précisément le Fils de Dieu; la foule du jour des Rameaux n’a de pensées que pour la gloire et pour le triomphe. C’est une piété de nature pharisaïque, car derrière ces louanges se cachent des relents d’une théologie de salut par les œuvres. Un jour, la foule prie pour la paix au ciel, un autre jour elle hurle « Crucifie-le! »
Pourtant, la prophétie du livre de Zacharie s’est accomplie. Selon elle, le Messie ne viendra pas investi d’un pouvoir semblable à celui des despotes et potentats orientaux, abusant de leur autorité. Au contraire, il viendra comme un prince humble, doux et sans arrogance, non pour être servi, mais pour servir, sans armée ni défense. Et Jérusalem, aujourd’hui, devient justement témoin de cette visitation.
Jésus, lui, offrira le vrai commentaire du passage de Zacharie 9. Il le rédigera non en brandissant des rameaux d’olivier, mais avec ses mains ensanglantées. Il n’acceptera l’ovation et les hourras que comme de simples signes. À la fin de cette même semaine, il chantera les paroles du Psaume 118 : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Il viendra, en effet, au nom du Seigneur, à travers la souffrance, monté sur la croix, descendu en enfer, enseveli, éliminé de la terre des vivants… Par sa passion, sa mort et sa résurrection, le Christ nous donne la véritable clé d’interprétation de toute prophétie, voire de toute l’Écriture sainte. Il est venu tel le Serviteur souffrant, le Sauveur crucifié pour devenir le Seigneur universel que nous adorons, comme le Maître de nos destinées, comme la tête de son Église, comme l’unique Prince de la paix.