Matthieu 1 - Emmanuel
Matthieu 1 - Emmanuel
« Voici que la vierge sera enceinte; elle enfantera un fils et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : Dieu avec nous. »
Matthieu 1.23
Emmanuel, Dieu avec nous. Le Dieu auquel nous avons affaire à Noël, c’est de ce nouveau-né que nous parle la Bible, ce bébé qui vient de voir le jour… Et devant cette image « naïve », peut-être sommes-nous secrètement déçus, parce que nous avons rêvé d’autre chose; pensé à une vie changée de fond en comble; désiré un monde meilleur; songé à un paradis ici et maintenant. Nous aurions sûrement préféré renverser de manière spectaculaire le cours de l’histoire, tout comme les hommes d’il y a vingt siècles.
Nos efforts tendent encore et toujours à éliminer toute menace planant au-dessus de nos têtes, à disperser tous les nuages sombres, à combattre toute peine, à jouir, enfin, de la plénitude de la vie et du bonheur! Mais à la crèche de Bethléem, rien de cela. Au contraire, Dieu est avec nous dans cet enfant de Noël et il y a, je le crains, de fortes chances que nombre d’entre nous en soient déçus, sinon scandalisés. Que faire d’un tel Messie? Nous nous serions volontiers placés dans les rangs de ceux qui, en un jour de déception amère et de violente colère, s’écrièrent : « Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous! » (Lc 19.14). Plutôt Barabbas! Car la révolution a bien plus d’attrait que la Rédemption, n’est-ce pas?
Mais le Dieu qui se révèle à nous à Bethléem et les signes qui accompagnent sa présence nous surprennent au plus haut degré. Dieu n’est pas dans la tempête ni dans le tremblement de terre. À Noël, il ne bouleverse rien, ne combat point, ne détruit pas… Alors que le plus puissant seigneur de l’époque, César, ordonne un édit qui met en émoi tout l’univers de l’époque, Dieu, lui, vient dans le calme d’une nuit de printemps avec le faible cri d’un nouveau-né. Oui, nous sommes étonnés. Le Dieu tout-puissant renonce ici à sa toute-puissance, car qu’y a-t-il de plus frêle qu’un nouveau-né enveloppé dans ses langes? Mais le Dieu Créateur, qui forma jadis l’univers et enferma les flots de la mer, consent à s’enfermer lui-même dans le sein d’une jeune vierge.
C’est ce même Dieu qui renoncera à sa puissance tout au long de la vie de cet enfant. Un jour, il sera attaché sur une croix et il n’opposera aucune résistance. Il aurait pu, pourtant, ordonner aux légions d’anges, à ceux-là mêmes qui chantèrent sa naissance à Bethléem, de le défendre. Mais dans cet enfant qui crie faiblement dans une crèche, comme dans l’homme qui meurt seul et rejeté cloué sur une croix, nous avons le Dieu Emmanuel. Nous, qui parlons de puissance, qui exhibons la force et qui savons menacer et même exercer la violence, regardons Dieu renoncer à sa toute-puissance à cause de nous.
Emmanuel avec nous; Dieu avec nous dans le dépouillement total, dans l’extrême humilité. Comment ne pas être surpris? Nous croyons qu’il est de notre devoir de nous humilier et de nous prosterner devant lui et, en vérité, c’en est un de bien réel. Mais Dieu choisit lui-même ce chemin et décide de s’humilier devant nous. Alors que les anges chantent la naissance du Roi du ciel, l’enfant qui naît à Bethléem choisit comme palais une étable et pour berceau une crèche.
Regardez-le dormir « entre le bœuf et l’âne gris », ainsi que le chante un vieux Noël français, respirant l’odeur de la paille… Pourtant, cela n’a rien de poétique, quoique maintes et maintes fois chanté par les poètes. Car c’est de l’appauvrissement de Dieu, de son dépouillement total qu’il s’agit, et cela sera sa part toute sa vie durant. À tel point que quelqu’un dira : « La crèche et la croix sont faites du même bois! » Selon sa propre expression, il ne saura où reposer sa tête, jusqu’au jour où celle-ci se penchera sur son corps martyrisé, cloué sur une croix… Matériellement, il vivra des dons de quelques pieuses femmes qui ont cru en lui, et il s’abaissera jusqu’à laver les pieds de ses disciples, parmi lesquels il y aura un renégat et même un traître.
Tel est notre Dieu, le Dieu de Noël. Nous crions de toutes nos forces contre la pauvreté et contre l’oppression, mais lui, il choisit la pauvreté et vit sous l’oppression. Nous sommes inquiets devant le mal, bien plus, nous sommes révoltés et nous essayons de lutter de toutes nos forces contre celui que nous subissons. Lui, il dira : « Le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir » (Mc 8.31).
Regardez-le nous faire don de sa vie. En face de Dieu, calculateurs et intéressés, nous nous posons toujours la question : Que va-t-il me demander? À quoi faudra-t-il renoncer? À quels déchirements devrai-je consentir? Quel sera, en fin de compte, le prix exigé? Certes, Dieu demande, exige, nous veut entièrement pour lui. Mais il fait le premier pas; c’est lui qui vient vers nous; il s’offre avant de demander quoi que ce soit; il renonce avant d’exiger, car il a aimé le monde à tel point qu’il a donné son Fils unique afin de nous donner la vie éternelle. L’enfant de Noël est le don de Dieu, le Pain de vie, celui qui déclare : « Il n’y a pour personne de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15.13). « Personne ne m’ôte la vie, je la donne de moi-même » (Jn 10.18). Parce qu’il a donné le premier, qu’il s’est donné le premier, il a le droit d’attendre de nous, en retour, notre oui et amen à sa personne et à son œuvre, ainsi que notre amour et notre obéissance.
Tel est le Dieu de l’Évangile, Emmanuel, le Dieu de Noël que nous allons encore fêter cette année. Nous déçoit-il? Peut-être. Sûrement, il nous étonne. Car il descend dans la crèche et il monte sur la croix, non pour nous transporter dans un paradis immédiat ici et maintenant, tel que l’ont si souvent réclamé, à cor et à cri et même par la violence, les utopistes de tous les temps, et tel que nous l’escomptions peut-être nous-mêmes. Il ne vient pas pour bouleverser d’un seul coup les structures sociales et politiques de notre monde, mais pour nous accorder la rédemption. Et ceci en renonçant à sa gloire et à sa puissance, au moyen de son humiliation totale, au prix même de sa vie, dont il nous fait don. Aussi, le salut est à présent possible aussi bien pour le berger que pour le savant, pour l’homme qui fête Noël dans une atmosphère de « lyrisme » que pour celui qui évite ou fuit la croix. À tous le salut est offert, parce que depuis la crèche jusqu’à la croix, Dieu a vécu notre vie et qu’il nous a réellement aimés; parce qu’il veut être, vraiment, Emmanuel, Dieu avec nous.