Marc 9 - La transfiguration
Marc 9 - La transfiguration
« Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il les conduisit seuls à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux : Ses vêtements devinrent resplendissants et d’une telle blancheur qu’il n’est pas de blanchisseur sur terre qui puisse blanchir ainsi. Élie et Moïse leur apparurent; ils s’entretenaient avec Jésus. Pierre prit la parole et dit à Jésus : Rabbi, il est bon que nous soyons ici; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. Il ne savait que dire, car l’effroi les avait saisis. Une nuée vint les envelopper, et de la nuée sortit une voix : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le. Aussitôt, les disciples regardèrent à l’entour, mais ils ne virent plus personne que Jésus seul avec eux. Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur recommanda de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. Ils retinrent cette parole, tout en discutant entre eux : Qu’est-ce que ressusciter d’entre les morts? »
Marc 9.2-10
Il faut essayer de comprendre ce récit mystérieux, tout rempli du miracle divin, en partant des événements décisifs qui viennent de se produire : la confession de Pierre et la révélation de Jésus sur la nécessité pour le Fils de l’homme de souffrir et de mourir (Mc 8.27-38). Nous avons une bonne raison d’agir ainsi, notamment à cause du fait surprenant que ce récit soir daté avec précision. Le chroniqueur s’est souvenu que six jours (Luc, lui, parle de « huit jours environ ») s’étaient écoulés entre ces deux révélations fondamentales et l’événement qu’il raconte ensuite. Dès lors, ce récit ne peut avoir qu’un sens : Dieu justifie, confirme aux yeux et aux oreilles des trois fidèles ce Messie qui doit souffrir et ressusciter et dont la figure était si totalement incompréhensible à la conscience populaire.
Cette justification du Seigneur s’effectue tout d’abord par le moyen d’une « métamorphose ». Avec son autorité souveraine, Jésus conduit les siens « sur une haute montagne » (s’agit-il du Tabor ou de l’Hermon?) et là, à l’écart du monde, sur ce sommet où Dieu est apparu si souvent à ses témoins, le miracle de la transformation s’accomplit. Luc dit expressément que les disciples « virent la gloire de Jésus » (Lc 9.32). Ils contemplent Jésus dans la gloire céleste dont il sera revêtu plus tard, quand il siégera à la droite de Dieu et exercera le jugement. Ce passage affirme donc ceci : celui qui va souffrir et mourir est celui que Dieu confessera, en lui conférant la gloire surnaturelle. Marc décrit cette gloire d’une manière naïve et touchante : « Ses vêtements devinrent resplendissants et d’une telle blancheur qu’il n’est pas de blanchisseur sur terre qui puisse blanchir ainsi » (Mc 9.3). On entend parler Simon le pêcheur, empruntant ses comparaisons à la vie artisanale de sa petite ville.
Puis vient le second miracle : Élie et Moïse, le grand prophète et le grand législateur d’Israël leur apparaissent. En plaçant Élie avant Moïse, Marc veut peut-être faire entendre que la prophétie est supérieure à la loi. Luc nous donne davantage de détails sur le contenu de leur conversation avec Jésus : « Ils parlaient de son départ, qui allait s’accomplir à Jérusalem » (Lc 9.31). Cet entretien est de la plus haute importance pour l’histoire du salut. Seuls Moïse et Élie interviennent. Le Fils de Dieu parle seulement avec les témoins de l’Ancienne Alliance. On ne trouve ici aucun philosophe païen, pas plus Platon qu’Aristote; on n’y voit pas apparaître non plus les dieux de l’histoire tels Jupiter, Capitolin ou Odin, et pas davantage les dieux du sol et de la nature, tels Baal ou Freyja…
Jésus reste entièrement dépendant de la révélation que Dieu a accordée à Israël. Il n’existe pas la moindre divergence entre les trois interlocuteurs. Au cours de cet entretien, la plus étrange des conversations religieuses, on ne discute pas. La nuée lumineuse qui les couvre est le signe de la présence et de la grâce de Dieu. C’est sous cette forme que Dieu se tenait au-dessus d’Israël, pendant la traversée du désert et, plus tard, dans le temple (1 R 8.10). Qu’est-ce que cela signifie, sinon qu’à cette heure où le Fils de l’homme s’apprête à souffrir et à mourir les représentants principaux de l’Ancienne Alliance lui attestent qu’il est sur la bonne voie, que la loi et les prophètes, dans leur sens profond, rendent témoignage à l’Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde?
Enfin, la voix de Dieu se fait entendre. Elle commence par répéter la parole qu’elle avait prononcée au moment du baptême : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mc 9.7) c’est-à-dire mon unique, que j’ai élu. « Celui-ci », c’est-à-dire celui qui doit souffrir et mourir. Puis la voix, reprenant la déclaration de Moïse sur le grand prophète des derniers temps (Dt 18.15), donne cet ordre : « Écoutez-le. » Autrement dit : reconnaissez en lui le Messie Serviteur de Dieu. Ainsi, non seulement les hommes de l’Ancienne Alliance, mais Dieu lui-même atteste aux disciples que le Christ souffrant est le vrai Messie.
Les trois disciples fidèles ont vécu là une heure indescriptible. Il n’est pas accordé à tout mortel de voir de ses yeux un peu de la gloire céleste. Les paroles que balbutie Pierre expriment la félicité extrême d’une pareille expérience. Quand il parle de dresser trois tentes, il a peut-être présent à l’esprit l’idée qu’à la fin des temps Dieu lui-même « campera » sur la terre (voir Jn 1.14; Ap 7.15; 21.3), à moins qu’il ne songe à la fête israélite des Tabernacles, au cours de laquelle on édifiait des huttes de feuillage pour annoncer sous cette forme imagée le séjour de Dieu parmi son peuple.
Marc ajoute : « Il ne savait que dire » (Mc 9.6), remarque qui semble contenir un certain reproche. En vérité, il n’est pas facile de dire pourquoi Pierre doit être blâmé. Est-ce parce qu’il voudrait garder égoïstement toute cette félicité pour lui seul, et qu’en cette minute il oublie le monde non racheté? Parce qu’il considère les choses célestes avec des yeux trop terrestres? Ou encore parce qu’il saisit sans réfléchir la gloire du monde céleste et qu’il oublie le chemin de la croix, dont son Maître a parlé, et qui seul conduit à cette gloire? Peut-être faut-il donner raison aux exégètes qui estiment que son erreur est de désirer trois tentes là où il ne peut y en avoir qu’une seule. Dans la Nouvelle Alliance, Jésus sera sous la même tente que les croyants de l’Ancien et du Nouveau Testament.
Bien entendu, le vœu de Pierre n’est pas exaucé. Soudain, comme dans une vision, tout disparaît. Les disciples sont de nouveau seuls avec Jésus. Les mots « Jésus était seul avec eux » ont une résonance particulière. Ils sont avec lui dans la solitude du chemin de la croix.