Éphésiens 1 - Un si grand salut
Éphésiens 1 - Un si grand salut
« En lui, Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et sans défaut devant lui. »
Éphésiens 1.4
C’est un langage exalté au meilleur sens du terme, le seul adéquat pour parler de la nature de l’activité de Dieu, qui est utilisé par l’apôtre pour introduire le message qu’il développera dans le corps de sa lettre aux Éphésiens.
Calvin en a saisi aussi bien le ton que la très grande importance :
« En louant la grâce de Dieu, il incite le cœur de ses lecteurs à reconnaître les bienfaits qu’ils ont reçu afin de les embrasser, de les saisir et de les remplir entièrement de cette sainte méditation. À condition qu’ils s’exercent continuellement en cette méditation, ils ne recevront jamais de doctrine nouvelle par laquelle cette grâce, qu’ils sentent déjà en eux-mêmes avec efficacité, puisse être obscurcie. »
Dieu est le Dieu d’un si grand salut! Décidé avant la fondation du monde et exécuté dans les temps historiques par Jésus-Christ, ce salut éternel ne vise rien de moins que la sainteté irréprochable des fidèles.
Or, qu’est-ce que la sainteté selon la Bible, si ce n’est cette fidélité, cette obéissance, cet amour envers Dieu, cette sainte et saine imitation de sa personne? On ne saurait se considérer comme fidèle à moins d’être saint; inversement, il ne peut y avoir la moindre prétention à une quelconque sainteté à moins d’être d’une vigilante fidélité. Vérité essentielle, ce langage dépouillé de tout artifice rhétorique ne supporte aucune fioriture de style.
Et pourtant, cette grammaire élémentaire, d’une simplicité tout évangélique, est la seule qui nous permette de balbutier encore notre foi et même de nous élever, à l’instar de Paul, par nos doxologies et nos cantiques de louange.
Je tiens à insister, dans le présent exposé, sur son actualité — à vrai dire tout à fait spéciale ces derniers temps —, et ce à plusieurs titres.
Lorsqu’il est considéré tout d’abord dans sa source éternelle, le salut cesse d’être aux yeux du fidèle une affaire de pure contingence historique. Dès avant la fondation du monde, Dieu voulait nous arracher à notre misère pour nous ouvrir à la plus haute destinée.
Une fois les contingences historiques balayées, sont aussi balayées nos prétentions à quelque mérite que ce soit, ce qui opère un renversement total de la méthode dite inductive en matière de foi et de théologie chrétienne.
Saint Paul, lui, opère avec une approche déductive. Au lieu de commencer au bas de l’échelle — là où nous nous plaçons invariablement — au lieu de s’engager dans une hypothèse contradictoire ou dans des recherches sans objet, au lieu d’arrêter son choix sur des matériaux de construction humains — trop humains — hétéroclites et toujours fragiles, il rappelle, avec son autorité de plénipotentiaire, que le vécu de la foi et sa soumission, l’obéissance et ses engagements, l’élan même vers la sainteté, ne découlent que de la décision prise par Dieu dès avant la fondation du monde.
Les méthodes inductives et la théologie horizontaliste ne se trouvent pas nécessairement d’un seul côté, à gauche par exemple! Elles peuvent également se trouver à droite… voire au centre. Comme tout homme naturel, nous cherchons à remplir des conditions pour accueillir Dieu. Nous voilà nous évertuant à élaborer un point de contact pour faciliter notre rencontre avec Dieu, afin de bien le disposer à notre égard et de nous rendre ainsi quelque peu méritants…
Nous avons la fâcheuse manie de nous imaginer que nous devons arracher la décision de Dieu et qui, en forçant sa main, nous devenons effectivement les artisans de notre salut. Ainsi, Églises et chrétiens se sont constamment fourvoyés dans les mystiques douteuses dont se repaissent les hommes, au lieu de méditer et de louer l’insondable mystère de la grâce éternelle.
Tout l’Évangile — et celui-ci débute déjà sur les pages de l’Ancien Testament — parle de la décision décisive de Dieu, de son choix, par exemple dans le cas d’Israël, qui était davantage un ramassis de nomades fugitifs qu’un peuple méritant le nom de nation, bien inférieur aux Égyptiens à la brillante civilisation et à ces Grecs dont le génie ne cesse d’éblouir les hommes depuis des générations…
Dieu a choisi pourtant les faibles, voire ceux qui sont considérés comme « les balayures du monde », renchéri Paul (1 Co 4.13). Et cela, afin que nul ne se glorifie, mais que tous puissent se joindre au chœur des rachetés pour chanter le Dieu du salut éternel, salut d’autant plus immérité qu’il nous est offert exclusivement en Jésus-Christ. N’est-ce pas d’ailleurs la signification du baptême, même celui des petits enfants qui ne peuvent pas encore décider d’eux-mêmes, mais qui sont devenus aussi les bénéficiaires d’un salut éternel?
Tel est le bon plaisir de Dieu. Dès avant la fondation du monde, son amour m’enveloppait et mon nom était inscrit sur les registres célestes.
Les premiers lecteurs de cette lettre pouvaient se réjouir en Dieu. Cette méthode déductive était la seule raison qui pouvait fonder leur certitude et leur arracher des alléluias. Dieu était le Dieu de leur salut éternel. Eux, hommes obscurs, minorité méprisée mise souvent au bas de la société, subissant parfois des manifestations de violence et même de haine meurtrière… Les événements du jour, même dans leur pénible actualité, perdaient de leur importance. Christ les avait insérés à son corps et Dieu était devenu l’artisan de leur salut.
L’actualité du message apostolique nous saisira à un autre titre. Depuis peu nous sommes les témoins souvent affligés de ce que nous appelons le « spectacle dieu », que ce soit du dieu des philosophes ou de n’importe quel autre auteur d’articles sur le fait religieux, et nous assistons à une consommation boulimique de sacré. De faux sacré, bien entendu…
Les nouveaux discours sur Dieu sont devenus, hélas!, pour leurs auteurs, un prétexte pour beaucoup bavarder sur eux-mêmes. C’est ainsi que nous avons appris que « Dieu était mort ». Il n’y a pas eu de tocsin, mais les tambours n’ont pas manqué pour battre avec vacarme et jubiler à cause de cette « disparition ». Mais impossible de se débarrasser du cadavre, comme dans la pièce bien connue de Ionesco… Aussi avait-on commencé à le disséquer.
Vers le soir, on s’est aperçu que le « cadavre » de Dieu s’était mis à bouger. Et voilà, il paraît qu’aujourd’hui il revient, ce Dieu qu’on disait mort, asphyxié par tant de pollution séculariste…
La nouvelle a suffoqué les uns, les autres jugent que c’est une nouvelle récupération des attardés de l’âge infantile. D’autres encore s’adonnent de plus belle à leur occupation préférée : celle de le couvrir de leurs crachats et de leurs blasphèmes. Quelques bonnes âmes veulent bien tendre une main secourable à ce dieu rescapé et malheureux…
Mais voilà, le Dieu de Jésus-Christ et de saint Paul ne se trouve pas dans la file des nécessiteux qui, carte à la main, attendent la ration de secours qu’on voudra bien leur accorder.
Je me dis alors — et peut-être vous aussi — à quoi bon le retour triomphal d’un sacré qui n’a pas l’exigence de la sainteté? À quoi bon tout ce verbiage métaphysique qui se garde bien d’annoncer l’incarnation de Dieu? Et à quoi servirait la religion, si elle n’offrait pas en même temps la rédemption?
Le plaidoyer pour un monothéisme en dehors du Christ nous invite, une fois de plus, à lâcher la proie pour ne conserver que l’ombre… « Le Testament de Dieu » (je fais allusion à un livre à succès d’un auteur juif qui se dit croyant sans nommer même Dieu) va-t-il me rendre l’héritier d’un si grand salut? Ou bien, nouvel égarement théologique, si ce n’est ruse du Malin, pourquoi s’acharner à séparer le Dieu de la Bible du Christ des Évangiles? L’anti-christ surgit rarement du côté que l’on suspecte. Il peut être monothéiste à souhait, lui aussi…
Quant à nous, nous écouterons la voix passionnée et passionnante de l’apôtre qui, sans complexes ni fausses notes, nous entretient du salut éternel réalisé en Jésus-Christ. En voilà assez de cette actualité religieuse devenue spectacle et de cette théologie journalistique qui n’est qu’une forêt de religion cachant l’arbre de vie et de salut nommé Jésus-Christ.
Le discours de l’apôtre Paul nous avertit du but concret de ce grand salut.
Dieu nous veut pour lui et nous destine à une sainteté irréprochable. D’une part décision éternelle de Dieu, d’autre part vocation et responsabilité de l’homme; rien de contradictoire en ces deux pôles de la même révélation chrétienne, mais une totale complémentarité.
Voici ce qu’écrivait Jean Calvin :
« Où sont maintenant ceux qui ont horreur et qui fuient cette doctrine de la prédestination, comme un labyrinthe dont on ne peut sortir, et qui la juge non seulement inutile, mais pernicieuse? Au contraire, il n’y a point de doctrine qui soit plus utile, pourvu qu’on en traite sobrement, à savoir comme saint Paul en traite ici. »
Porter gloire au nom de Dieu est, certes, toute l’intention du salut, mais elle nous amène aussi à une sainteté irréprochable. La sainteté, ici, n’est rien de moins que « les bonnes œuvres que Dieu a préparées d’avance », elles aussi, avant que nous en prenions connaissance, « afin que nous les pratiquions » (Ép 2.10).
Notre programme d’action et l’ordre de marche, c’est de Dieu que nous les tenons. Ni la situation mondiale ni les besoins de la société, même pas le cri de désespoir humaniste, ne sont des facteurs qui pourraient nous engager dans une praxis chrétienne. Dieu décide de sa nature et en fixe les bornes; il nous rend capables de l’accomplir. « Vous serez saints car je suis saint » (1 Pi 2.16). « Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5.48).
Nous n’avons pas ici une liste de vertus théologales, mais un ordre pour nous engager dans un style de vie nouveau. Dans l’Ancien Testament, même une bête défectueuse ne devait pas être offerte sur l’autel du sacrifice! À plus forte raison, un homme appelé au service de Dieu ne devrait être porteur ni de défauts ni d’infirmités.
Nous voilà donc fixés, nous autres chrétiens du Nouveau Testament, qui serions trop facilement tentés de prendre à la légère les exigences de Dieu.
Désormais, ce qui compte ce n’est pas l’évolution des mœurs, ni les ballons de vente, ni les idées modernes, mais l’exigence sainte du Dieu de sainteté. Sa Parole nous donne à la fois le modèle et le code : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi, je vous ai choisis et je vous ai établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure » (Jn 15.16).
Comment savoir si je suis bénéficiaire d’un si grand salut? L’Évangile vient à moi sans cesse comme appel et invitation. Lorsque j’y réponds et que je franchis le seuil, alors, étonné et reconnaissant, je lis en lettres lumineuses : « Dieu m’a choisi selon son bon plaisir. » Mais cette connaissance et cette certitude doivent être vérifiées chaque jour à l’aide de ce nouveau style de vie qui s’appelle fidélité, amour, obéissance… Dieu a pris tout son temps — l’éternité — pour le préparer. Il se donne toute la peine pour l’offrir et le confirmer, ici et maintenant!
Alors, comment ne pas nous écrier une fois de plus, soulevés de reconnaissance : À Dieu seul la gloire!