1 Jean 1 - Les témoins
1 Jean 1 - Les témoins
« Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché, concernant la parole de vie — et la vie a été manifestée, nous l’avons vue, nous en rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée, — ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Or, notre communion est avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ. Ceci, nous l’écrivons, afin que notre joie soit complète. »
1 Jean 1.1-4
Des témoins; un témoignage; celui dont on témoigne! Tel est le thème que, dès les premières lignes de sa lettre, va développer l’auteur de ce billet. Témoin parmi d’autres témoins oculaires ayant fait la même constatation, forts de leur expérience prouvant l’authenticité des faits qu’ils rapportent, solidement convaincus de la réalité des événements dont la véracité ne soulève à leurs yeux aucun doute. À présent, ce témoin en rend témoignage, afin que vous et moi, près de deux mille ans après, nous lui accordions foi. L’auteur, aussi bien que des hommes de tous les âges, de toutes les races, de toutes les nations peuvent regarder en arrière pour savoir comment cela s’est produit. Leur histoire de croyants a donc eu un commencement, et ce commencement est aussi bien attesté par ces témoins que l’histoire de l’Empire romain ou celle, si mouvementée, de notre temps. Non seulement l’auteur a été témoin de ce qu’il annonce, mais encore il atteste que sa vie à lui et celle de ses compagnons en a été profondément modifiée, bouleversée de fond en comble.
Prêtons donc attention à la description de cet événement décisif; « la vie a été manifestée » (1 Jn 1.2), la vie qui était auprès du Père, c’est-à-dire auprès de Dieu qui en est la source exclusive. Cette vie s’est révélée, a rendu visite aux hommes, s’est adressée à eux et ils l’ont entendue, l’ont contemplée dans la plénitude de sa gloire. Elle ne s’est pas manifestée pour éblouir des esprits crédules, mais pour accomplir une telle œuvre que des hommes témoins de cet accomplissement, comme l’auteur de la lettre, se sont mis à transmettre aussitôt l’étonnante histoire : « Nous en rendons témoignage, et nous vous l’annonçons » (1 Jn 1.2). Saint Jean ne parle pas d’une vie abstraite, au sens métaphysique; il n’a pas contemplé davantage des idées susceptibles de donner lieu à des débats philosophiques. Au contraire, il annonce une réalité concrète, car il témoigne de la vie; vie concrète qui est en fait une personne en chair et en os. Elle n’est autre que celui qui avait déclaré : « Je suis la vie » (Jn 14.6).
Jésus-Christ est la vie, et nous savons à présent que le commencement de la vie est en Jésus-Christ. Tel est, en résumé, l’extraordinaire message qu’un homme d’il y a vingt siècles a transmis aux générations qui l’ont succédé, afin que nous n’allions pas chercher loin, trop loin et en vain, la réponse à nos questions et qu’enfin nous mettions un terme à nos quêtes décourageantes et infructueuses quant au sens…
Examinons de façon un peu plus serrée ce témoignage. Il y a eu un « commencement », celui du monde comme celui de notre vie individuelle, du cosmos comme de l’humanité. Or, ce commencement est en Jésus-Christ, et nulle part ailleurs. Vous vous êtes peut-être demandé, plus d’une fois, quand tout a commencé. Vous vous êtes peut-être penchés sur les nébuleuses se trouvant à des milliards d’années-lumière, sans raison véritable pour tout dire, mais heureux de chercher à résoudre une telle énigme comme une banale devinette, en vous disant : « Mais voyons, c’est bien cela, bien sûr que tout s’est passé il y a quinze milliards d’années. » Le journal hebdomadaire, qui vous sert quasi de Bible de vulgarisation scientifique, vous l’annonçait comme une « vérité vraie ». On y était enfin parvenu! Big Bang aidant, dont nul n’a entendu d’ailleurs le vacarme, vous voilà persuadé que l’humanité bienheureuse de notre époque avait pu remonter la machine du temps. Jusqu’au moment où un autre journal hebdomadaire, mieux informé des toutes dernières nouvelles — journalisme professionnel oblige! — a corrigé ces données dépassées…
Celui-ci vous informe à la une que l’univers est beaucoup plus jeune qu’on ne se l’était imaginé; il ne daterait que de douze milliards d’années… Cela a-t-il avancé d’un pouce votre quête la plus profonde, sourde, mais tenace, cherchant une réponse que physiciens, astrophysiciens et autres scientifiques ne peuvent fournir à votre esprit curieux? Curieux parce que créé pour rencontrer la vie, la vie dont la source est en Dieu et qui s’est manifestée en Jésus-Christ. Le fait de ramener l’âge de l’univers à une date plus récente ou de le reculer à une date plus ancienne, le décodage des millénaires, les mensurations de la croûte terrestre ou les résultats obtenus grâce au carbone 14 ou à tout autre outil n’éclaireront pas davantage la question de fond. Or, votre esprit ne supportera pas de s’enliser sans fin dans le brouillard ni votre âme de se torturer au sujet des « commencements ».
Pour saint Jean, au commencement il y avait une personne, et elle n’était autre que Jésus-Christ. C’est lui que Jean et ses compagnons éblouis ont contemplé émerveillés et ont touché avec une indicible joie, témoins et bénéficiaires d’un événement insoupçonné. « Témoin oculaire », écrit-il. Ah, si seulement nous apprenions, avec réalisme et une pure simplicité, à faire crédit à ce témoignage-là!
Jésus-Christ était « au commencement » (Jn 1.1). Il vint parmi les hommes, et cela inaugura un autre commencement : le commencement de la réfection de l’humanité. Car rappelons-nous que saint Jean ne nous conduit pas dans les dédales des mystères métaphysiques; les occultistes et les mystiques s’en chargeront; les religions antiques et les idéosophies modernes se contenteront d’abstractions; saint Jean ne dévoile pas des énigmes, il nous révèle un mystère qui est de la plus haute importance, d’une importance essentielle pour chacune de nos existences. Le premier commencement explique et fonde ce recommencement, qui inaugure pour nous la nouveauté de vie. Si seulement nous avions des oreilles pour entendre ce témoignage, qu’aucune religion antique ni aucun gnosticisme moderne ne peuvent rendre ni même imiter!
La Bible commençait déjà par le commencement. Le tout premier mot du livre de la révélation est précisément le mot « commencement ». « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » (Gn 1.1). Au commencement, il plaça l’homme et la femme au cœur de cet univers. Il les fit non seulement mâle et femelle, mais les créa à son image et à sa ressemblance. Savoir cela nous mettra définitivement à l’abri de toute exaction, injustice, violence, qu’elles soient humaines ou démoniaques; savoir cela nous préservera aussi de notre arrogante suffisance et de nos prétentions à vouloir nous passer de Dieu. Déjà, le premier homme et la première femme se sont détournés de lui; lui qui les avait faits pour qu’ils vivent heureux sous son regard comme « maîtres et possesseurs » (Descartes) de la terre… Ils l’ont bafoué, refusé, lui ont tourné le dos. À quelle fin? Je vous le demande. Pour leur propre perte, car la vie, le mouvement et l’être ne sont qu’en Dieu.
Coupés de cette source, nous nous étiolons et étouffons; nous cessons même d’exister… Nous avons commis le plus insensé des suicides, un suicide collectif. « Celui qui me hait hait sa vie », déclare Dieu. Il n’y a pas que les suicides collectifs des sectaires et autres illuminés qui devraient nous choquer et nous indigner; le fait que l’humanité soit rebelle à Dieu — et à sa tête ses plus brillants conducteurs, philosophes et poètes, littérateurs et politiques, s’acharnant à s’autodémolir et à nous démolir — devrait nous laisser pantois. Il n’y a pas de vie en dehors de Dieu, et Dieu, notre vie, s’est manifesté en Christ Jésus afin que les morts-vivants que nous sommes reprennent vie, regagnent leur souffle et commencent à se mouvoir vers la bonne direction, vers le centre, la source, vers celui dont le regard paternel nous entoure. Autrement nous respirerons difficilement, péniblement, pour finir de mourir d’ennui, d’angoisse et de la morbide recherche de suicides individuels ou collectifs. Relisez les pages de la Bible, vous verrez avec quel réalisme elles cherchent à ouvrir nos yeux sur la vie et sur la mort. Avez-vous entendu cette poignante, cette tragique question que nos jeunes, ceux que nous élevons, se posent de plus en plus souvent? « Y a-t-il une vie après la naissance? »
Nous, les plus vieux, nous nous posons encore nos anciennes interrogations, plus ou moins convaincus de la nécessité de les poser, comme celle de savoir s’il y a une vie après la mort. Les jeunes me paraissent si sincères, mais suffit-il d’être sincère pour atteindre la vérité et pour vivre la vraie vie? « Y a-t-il pour moi une vie après ma naissance? » Nous sommes, je crains, nous autres adultes, quelque peu responsables de leur angoisse. Car nous avons tout fait pour leur dissimuler la vérité et pour leur occulter la vie. Nous avons refoulé la connaissance des commencements.
Notre système d’éducation, notre acharnement culturel, nos passions politiques suicidaires et nos érotismes de dégénérés ont réussi à l’exclure, à la placer là où nul ne pourra la rencontrer. Qu’a-t-on fait dans les familles, voire dans certaines Églises modernes courant toujours dans le sens du vent, en vue de leur transmettre la seule nouvelle qui devrait occuper la une de tous nos journaux et être diffusée toutes les heures de grande ou de petite écoute? Dieu en Christ veut transmettre sa vie divine.
Nous avons été créés pour Dieu; nous ne trouverons pas le repos de notre angoisse, celle qui, sous des formes diverses et une intensité variable, nous suffoque tout au long de nos existences consumées comme une passion futile, à moins d’apprendre qu’au commencement il y avait Jésus-Christ; depuis son arrivée parmi les hommes, il y a aussi un recommencement, si nous ne nous obstinons pas à lui tourner le dos, non repentis comme nous sommes.
Non seulement il y a un recommencement, mais encore il y aura un rétablissement ultime et total de toutes choses; la fin, non pas du siècle, qui est imminente, de l’histoire, qui est une conjecture, mais la fin qui signifie pour nous, depuis la manifestation du Christ sur notre terre, un terme, celui de l’accomplissement. Une fin qui n’est pas le désespoir de notre histoire mouvementée, bouleversée, sans cesse battue et torturée, mais qui est Jésus-Christ, la fin et la récapitulation de toutes choses, lui qui se tient au milieu de nous comme l’espérance de notre gloire.
Jésus-Christ est le commencement de l’humanité et il la mènera à son but. Ma vie intime, mon existence individuelle, les énigmes qui sans cesse torturent mon esprit insatisfait par des réponses factices et à courte vue s’expliquent et s’éclairent par ce commencement qui s’appelle Jésus-Christ. Mon commencement ne date pas du jour de ma naissance. Il a été inscrit dans le livre céleste, dans lequel mon nom est inscrit avec autant de clarté que le sont tous les membres de mon organisme physique. Je puis croire que Jésus me prend en charge; il s’est approché de moi pour me faire passer de mes ténèbres à son éclatante lumière divine. Je suis intégré à son corps, devenu le membre de son organisme. Je sais qui je suis, je suis à Dieu; je sais où je vais, je vais vers Dieu.
Si le Christ est le commencement, pourquoi chercher l’explication ailleurs? Prenons saint Jean au mot, car il n’y a pas d’autre commencement qu’en lui. Les témoins du passé, comme les disciples d’aujourd’hui, nous sommes tous enchaînés à sa venue, liés à sa personne, bénéficiaires de son œuvre. Ce commencement apparaît et réapparaît à chaque tournant; non pour nous figer dans une position de repli, mais pour nous permettre d’avancer, jeunes d’esprit, aventuriers de la vie, arrachés à nos morosités, délivrés de nos morbidités.
Depuis l’antiquité grecque, deux écoles philosophiques se disputent l’explication de la réalité. Selon l’école éléatique, rien ne change, tout est immobile. Selon l’école héraclitéenne, tout change, rien n’est permanent; aussi, selon la célèbre phrase d’un penseur présocratique : « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Le fleuve qui coule sous vos yeux effectivement n’a pas les mêmes flots! Des penseurs ultérieurs se sont engagés dans le même débat, se plaçant devant l’alternative : ou bien tout change, ou bien tout demeure immuable.
Qu’en est-il de saint Jean, des apôtres, de l’Église universelle, de notre intime conviction de disciples du Christ? Nous annonçons qu’il y a un commencement, et ce commencement est Dieu, l’immuable, plus solide que les splendides rochers millénaires de nos Alpes. Mais voici que le même Dieu se manifeste, il est en mouvement, dispensant la vie et animant l’être, nous faisant faire le seul progrès qui compte. Il est « l’Ancien des jours », mais aussi le Compagnon de chacune de nos étapes.
Une dernière question : Ce Christ, à qui saint Jean, et à sa suite l’Église universelle depuis vingt siècles, rend un témoignage unanime, vibrant, où le trouverons-nous? Quel Christ allons-nous contempler et annoncer à nos contemporains? Il n’est pas le Christ fantôme, spéculation et caricature à la Kazantzakis, Scorsese et consorts. Il est celui qui prit naissance dans le sein de la vierge après avoir été conçu du Saint-Esprit, et qui pourtant était le commencement de la vie. Nous avons connu le véritable; aussi nous vous l’annonçons, celui qui était auprès du Père et qui s’est manifesté aux hommes : « La Parole a été faite chair », écrivait le même apôtre Jean dans son Évangile (Jn 1.14). Dieu s’est fait homme. La vie s’est manifestée, il a été possible de la saisir avec toutes nos facultés : l’ouïe, la vue, le toucher.
Comment l’entendre, le voir, le toucher? me demanderez-vous. Est-ce possible de l’actualiser? Les témoignages de Jean et des autres apôtres sont authentiques. Le Nouveau Testament dresse une image fidèle, véridique et authentifiable de Jésus-Christ. Ses apôtres ont été des gens choisis et désignés pour rendre le témoignage de plénipotentiaires. Nous n’avons d’autre moyen de savoir qui est Jésus si ce n’est par le Nouveau Testament. À cette condition-là, nous serons en communion avec le Père et avec le Fils. Nous recevrons la plénitude de la vie, de sa vie divine; d’une vie divine offerte, sacrifiée, écrasée par le mal dont nous sommes tous, sans exception, responsables, afin que désormais nous connaissions un recommencement.
Tous, même le plus misérable et le plus découragé, peuvent à présent puiser à la source de l’espérance, la seule qui compte, et trouver enfin la vie en Christ. En lisant le Nouveau Testament et toute la Bible, nous serons dans la vraie succession apostolique. Liés à Jésus-Christ, nous le sommes aussi aux prophètes et aux apôtres qui nous témoignent de la vie manifestée.