1 Jean 2 - L'amour, épreuve de la foi
1 Jean 2 - L'amour, épreuve de la foi
« À ceci nous connaissons que nous sommes en lui : celui qui déclare demeurer en lui doit marcher aussi comme lui, le Seigneur, a marché. Bien-aimés, ce n’est pas un commandement nouveau que je vous écris, mais un commandement ancien, que vous avez eu dès le commencement; ce commandement ancien, c’est la parole que vous avez entendue. D’autre part, c’est un commandement nouveau que je vous écris; ceci est vrai pour lui et pour vous, car les ténèbres passent et la lumière véritable brille déjà. Celui qui prétend être dans la lumière, tout en haïssant son frère, est encore dans les ténèbres. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et ne risque pas de tomber. Mais celui qui a de la haine pour son frère est dans les ténèbres; il marche dans les ténèbres et ne sait où il va, parce que les ténèbres ont rendu ses yeux aveugles. »
1 Jean 2.5-11
« Nous l’avons connu », affirmait l’apôtre quelques lignes plus haut (1 Jn 2.3). Il se servait du temps parfait du verbe. Il exprimait une action passée dont les conséquences s’étendent au présent. Parce qu’une chose a été faite, elle existe à l’heure actuelle. Par conséquent, nous savons que nous le connaissons, maintenant, au moment présent. Notre connaissance de Jésus-Christ, connaissance véritable, n’a pas été un enthousiasme passager, un élan d’émotion vite évanoui, un emportement sans racine, un feu de paille religieux. Nous ne vivons pas uniquement du passé, d’une expérience de conversion que nous aimons raconter, mais d’une expérience de chaque jour, active et présente.
Le connais-je à présent? Suis-je sûr de mes convictions? Ne serais-je pas victime d’une illusion religieuse? Comment tester cette connaissance, vérifier que nous l’avons connu? L’apôtre Jean nous conduit vers un critère extérieur; il nous éloigne de nos introspections tourmentées par le doute et de nos inquiétudes causées par l’incertitude. La foi produit ses preuves de véracité, des preuves externes; il faudra souligner cela fortement : c’est-à-dire qu’il existe un test extérieur qui atteste la réalité de la foi intérieure. Ce test lui accorde une valeur absolue.
De quel test s’agit-il? Simplement de l’observation des commandements de Dieu. Car, pour la Bible, la foi n’est pas une vertu dont la pure et simple possession devrait nous satisfaire et nous réjouir, comme si nous eussions fait l’acquisition d’un rare joyau, que nous l’aurions placé dans le coffre-fort pour ne l’exhiber qu’à de rares occasions! Dieu veut que nous soyons les témoins sûrs de la foi. Nous ne prendrions pas au sérieux quelqu’un dont les actes contrediraient les paroles. Voilà pourquoi le test extérieur de la foi est indispensable. Ne nous contentons pas d’examiner et d’analyser, de scruter et de mesurer la grandeur ou la petitesse de notre foi. Faisons-la passer à travers le feu de l’épreuve. Qu’elle se libère de la prison du cœur, pour faire de nous le soldat engagé dans des combats livrés sur le front.
Nous avons appris qu’il existe une connaissance de Dieu qui, par moments, risque d’éteindre et d’étouffer même la présence du Saint-Esprit. Car il est fort possible de citer à longueur de journée des passages bibliques, de réciter catéchismes et litanies, de prononcer des Ave et de débiter de multiples Pater, d’avoir appris par cœur et de répéter des credo, néanmoins ignorer le commandement de Dieu et transgresser sa sainte volonté. Beaucoup de théologie ne ferait pas du chrétien un meilleur témoin, s’il se cantonnait dans des considérations abstraites et à des exercices de spéculation. Mystique et contemplation, lorsqu’elles sont divorcées de l’engagement concret, ici et maintenant, sont de vains exercices de piété; celle-ci n’en aura alors que conservé les apparences tout en ayant nié la force intérieure. Les beaux discours pourraient ne couvrir que du vide, s’ils sont divorcés de la vérité. Jésus nous a avertis : « C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez » (Mt 7.20). Si les fruits sont tarés, l’arbre est mauvais.
C’est du fruit de la foi dont il est ici question. Il faut observer les commandements divins, à l’opposé de ceux qui divorcent discours et actes, parole et action, et qui restent indifférents à la morale. Qu’est-ce que le commandement de Dieu sinon le don qu’il nous fait, le don par excellence qu’est l’amour? J’espère que la patience que vous avez montrée jusqu’ici sera à présent récompensée. Vous vous attendiez à entendre le mot, presque magique pour certains, d’amour. Il nous fallait cependant au préalable déblayer le terrain en suivant saint Jean, pour ne pas faire du don céleste de l’amour un demi-dieu, un autre prétexte pour nous passer de Dieu, faire de lui une nouvelle hérésie. Lorsque l’amour cesse d’être pris comme une grâce accordée d’en haut, il ne peut être que le fruit taré de nos cœurs corrompus. Mais nous nous demandons aussi : de quel amour s’agit-il?
Sans le moindre doute, nous entendons d’abord l’amour que Dieu a pour nous. Si c’est le cas, garder ses commandements ne sera pas une dure obligation, mais un privilège que le croyant utilisera dans la reconnaissance. L’essentiel de ce passage consiste à développer le thème de l’amour. La lettre de saint Jean est remplie de sérieux avertissements; certains passages contiennent même de sévères reproches. Quand nous avertissons ou reprochons, nous le faisons avec beaucoup de froideur et de détachement. Certains chrétiens peuvent même prendre plaisir dans les agressions verbales. Mais lorsque Jean prononce des vérités, mêmes dures, il le fait avec amour. Il avait appris la leçon du Maître.
Il parle d’un commandement qui est à la fois ancien et nouveau. Certainement, il se rappelait des paroles de Jésus dans l’Évangile : « Je vous donne un commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres » (Jn 13.34). Commandement ancien, puisqu’il est inscrit en lettres lumineuses déjà dans l’Ancien Testament (Lv 19.18). Les premiers lecteurs de l’apôtre n’en entendaient pas parler pour la première fois.
Commandement nouveau cependant, puisqu’un nouveau critère de conduite a été exposé dans la vie du Christ. Il fallait aimer son prochain comme Jésus avait aimé. Nul ne connaît l’amour à moins de le voir manifesté dans la vie du Christ. L’amour de Jésus atteint le pécheur. Pour le juif orthodoxe, Dieu ne pouvait que détester le pécheur et même vouloir le détruire. « Il y a de la joie au ciel lorsqu’un pécheur est retranché de la terre », affirmait-il. Jésus en revanche fut l’ami des pécheurs, le proche des païens honnis.
La vérité, pour l’apôtre, nous l’avons vu, n’était pas une chose abstraite, elle était une pratique. Ainsi le commandement d’aimer était la vérité la plus élevée. En Jésus-Christ nous le voyons appliqué dans sa plénitude, avec une force explosive et édifiante.
Le croyant doit marcher comme Jésus-Christ a marché; imiter son obéissance, transposer ses attitudes dans sa vie. Jésus est Sauveur, mais il est aussi Modèle; il a vécu une vie exemplaire, il a donné sa vie en rançon pour beaucoup. Il a laissé un dernier commandement : « Aimez-vous les uns les autres. » En donnant à ses disciples le mot d’ordre destiné à inspirer leur conduite, Jésus résumait sa propre vie dont le signe distinctif était l’amour le plus pur et le plus profond. Il faut marcher comme il a marché; aimer ses frères comme il a aimé les siens. Voilà pourquoi le commandement ancien est un commandement nouveau. Nous reproduisons aujourd’hui ce qu’il a fait il y a deux mille ans sans nous figer simplement dans le passé et sans uniquement raconter une histoire du passé, aussi émouvante soit-elle. Car Dieu est en ce moment précis le Maître de nos vies.
C’est ainsi que la lumière luit dans les ténèbres. Vivre dans la foi, l’espérance et l’amour signifie dissiper les ténèbres du mal, de la malice, de l’ignorance, de la haine. L’amour est lumière, la haine est ténèbres.
Qui faut-il aimer alors? Des déclarations grandiloquentes célèbrent actuellement les droits de l’homme pour des peuples lointains qu’on ne connaît pas et que peut-être on ne souhaite même jamais rencontrer. Mais que de fois en croisant un étranger vivant dans la même rue, ou sur le même palier, notre attitude dément les générosités de palabres. Mais pourquoi limiter l’amour aux frères, demanderez-vous, puisque Jésus a demandé qu’on aime et qu’on bénisse même ceux qui nous persécutent? Une première réponse : À quoi bon de faire de grandes déclarations de philanthropie si l’on n’est pas capable d’être l’ami de ceux que Dieu a mis à nos côtés? Les discours sur la solidarité humaine n’ont aucune valeur tant que les paroles ne se traduisent pas en actes dans la vie de tous les jours. L’Église locale, par exemple, est ou devrait devenir précisément l’endroit où le commandement se concrétise.
Une deuxième réponse : L’Église est le lieu où règne la paix de Dieu. Nous avons reçu sa lumière, nous sommes des enfants de lumière, nous formons la communauté de la lumière, unis par la connaissance du même Dieu, participant à la vie divine unique. Les chrétiens sont soudés les uns aux autres. L’Église n’est pas seulement le terrain où l’amour s’exerce; elle est par définition et dans son essence, le lieu de l’amour. En son sein, la haine devrait être impossible!
Or, l’effet de l’amour est visible non seulement dans le prochain, mais encore en nous. Si nous aimons, nous marchons dans la lumière. Si nous haïssons, nous sommes plongés dans les ténèbres. « Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et ne risque pas de tomber » (1 Jn 2.10). Celui qui se livre à la haine, grossière ou subtile, vit à l’écart de Dieu. Il hait parce qu’il refuse la révélation. La haine dans toutes ses formes est mauvaise conseillère, source de méfiance et de mécontentement. Aigri, déçu, l’homme se replie sur lui-même. Les ressentiments provoquent en lui des réactions absurdes. La rancune suscite des paroles irréfléchies et des gestes inconsidérés. L’homme haineux n’est plus lui-même, il ne s’appartient plus. Il s’enfonce toujours plus en avant dans un isolement contraire à sa vocation. L’amour fraternel rapproche de Dieu. La haine des frères rejette l’homme sur lui-même. Jean-Paul Sartre a déclaré que « l’enfer c’est les autres ». Pour saint Jean et pour toute la Bible, l’enfer c’est d’être livré à la haine, seul avec soi-même.
Ainsi, la foi est inséparable des œuvres, celles de l’amour. Les protestants, qui par une réaction excessive contre l’abus d’une théologie du salut par des œuvres négligeraient leurs responsabilités morales, seraient autant coupables que ceux dont ils combattent la doctrine. S’ils divorcent la foi qui sauve des œuvres qu’elle doit produire, la raison en est qu’ils ignorent leur catéchisme protestant, et encore plus leur Bible. Nous ne sommes certes pas sauvés par les œuvres, mais jamais sans les œuvres! À l’opposé, ceux qui pensent que le protestantisme encourage une pure jouissance intérieure de la foi, stérile d’œuvres bonnes, ignorent la haute exigence morale que la Réforme impose au fidèle évangélique.
Saint Jean nous permet d’entrevoir par ces points que tout ce que nous attendons et espérons nous est déjà donné ici-bas. Le ciel peut donc être déjà sur terre! Certes, les chrétiens vivent par l’espérance, mais dès maintenant ils en offrent le témoignage concret. Car la vie, la vérité, la voie ont été déjà manifestées. Le futur a déjà commencé dans l’Église. La haine ne peut pas être le partage des chrétiens, même pas l’indifférence. Notez qu’on ne hait pas simplement par des sentiments violents, mais aussi en négligeant, en ignorant, en méprisant, en oubliant. La seule issue est d’être dans la lumière; non en paroles seulement, mais en actes. La circulation de l’amour divin est comme le sang répandant la vie dans le corps. Pour aimer, il faut être dans la lumière; Jésus-Christ est la lumière; hors de lui point d’amour fraternel, humaniste, communiste, démocrate, racial ou social.