1 Timothée 6 - La reconnaissance
1 Timothée 6 - La reconnaissance
« Certes, c’est une grande source de gain que la piété, si l’on se contente de ce qu’on a. Car nous n’avons rien apporté dans le monde, comme aussi nous n’en pouvons rien emporter. Si donc nous avons la nourriture et le vêtement, cela nous suffira. Mais ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans le piège et dans une foule de désirs insensés et pernicieux, qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. »
1 Timothée 6.6-9
Lorsqu’il nous arrive de penser à la situation des « nantis » et à celle des « démunis », nous nous posons presque inévitablement une question qui nous trouble profondément, qui parfois même nous révolte : celle de l’inégale répartition des biens entre les hommes. Ou c’est encore avec une envie ou une amertume à peine dissimulées que nous faisons la recension des possessions de nos voisins. Il nous semble, en effet, que la nature et l’existence leur ont prodigué, avec une générosité incroyable, tout ce dont nous sommes si cruellement privés…
Remarquez qu’il n’y a pas que les possessions matérielles qui nous déroutent; il peut y avoir d’autres avantages tels, par exemple, la beauté physique, la prestance, la culture, les positions sociales élevées; ou encore les honneurs, les amitiés, l’estime et l’affection dont nous les voyons jouir… Quant à nous, ainsi que l’écrivait naguère le poète Alphonse Piché :
« Geignant et criant comme des bêtes,
nous abordons au genre humain;
humbles trésors, piteux destins,
chacun sa vie et sa misère… »
Même les auteurs de certaines pages bibliques décrivent parfois, de manière poignante, ces inégalités. Il y a ceux qui ont reçu tout ce qu’ils désiraient, alors que leur part à eux ne semble être que disette et opprobre…
Dès lors, entendre l’apôtre Paul nous parler dans ce vieux texte deux fois millénaire de nous contenter du pain et du vêtement nous apparaît comme un langage archaïque et même comme un langage d’extra-terrestre, traduisant une philosophie de vie bonne peut-être pour une autre planète, mais complètement insensée pour cette vieille terre où nous avons échoué… Décidément, diront certaines gens bien terre à terre, cette Bible et ceux qui y croient seront toujours dans les nuages! Me contenter du strict minimum dans une société de consommation, pleine de gadgets dernier cri, et dont les vitrines regorgent de marchandises aussi désirables les unes que les autres et qui sollicitent impudemment mon regard… La seule idée de me contenter du pain et du vêtement m’est totalement insupportable! Que l’apôtre Paul ait écrit sa lettre pour des esclaves et autres bougres de son époque, citoyens de seconde et même de troisième zone, passe encore, mais de nos jours…
Moi, pense le lecteur des magazines, l’auditeur assidu de la publicité radio, le téléspectateur gavé d’annonces, j’ai un appétit robuste; mes besoins se multiplient chaque jour. J’ai encore besoin de l’article qui vient juste de paraître sur le marché et que le concessionnaire du quartier vient de recevoir…
Aucun démagogue moderne, à moins d’avoir perdu la raison, ne tiendrait le langage de l’apôtre Paul. Car les meneurs d’hommes et les agitateurs professionnels de la vie sociale et politique savent fort bien comment nourrir les envies, pousser toujours plus loin les revendications, obtenir des avantages, augmenter les besoins… Quelle déraison si même une seule fois, dans l’une de ces réunions enfiévrées ou autres réunions houleuses, l’orateur se mettait à exhorter la foule assemblée : « Amis, contentez-vous du pain et du vêtement, cela doit pouvoir vous suffire… » Il serait hué et chassé à coups de tomates.
Le lecteur à l’esprit pragmatique me dira : « Non, monsieur, votre Bible ne fait pas mon affaire, elle est bonne pour les enfants ou pour les vieillards qui vont trépasser. J’ai besoin de plus que cela; il me faut un bon appartement et, en plus, une voiture; il me faut aussi des loisirs, des boissons alcoolisées, des vacances, si possible à l’étranger… Et il me faut encore toute la liberté, aidée à l’occasion par la pharmacopée, pour jouir sans entraves de mon corps… Laissez donc votre philosophie du pain et du vêtement à ceux du troisième âge ou bien aux retardés mentaux! »
Notre époque est enflammée par toutes sortes de désirs et par des convoitises toujours renouvelées. L’ancien mythe du tonneau des Danaïdes n’a jamais été aussi approprié pour décrire la situation. Les mots d’ordre sont relance, production industrielle, consommation illimitée…
Prêcher l’Évangile de la reconnaissance pour ce que nous avons reçu, n’est-ce pas une utopie? Il faudrait une solide dose d’optimisme pour compter avoir du succès. Mais quoi qu’on en pense, l’apôtre Paul a fait preuve de beaucoup d’audace pour prêcher de la sorte dans une société d’abondance qui n’avait rien à envier à la nôtre. Le problème du contentement et de la reconnaissance est de toute autre nature que matérielle. Écoutez le témoignage de l’un des plus célèbres auteurs de notre époque :
« Les satisfactions que j’ai cherchées pour combler une vie, un vide, une nostalgie, et que j’ai obtenues ont réussi parfois, mais si peu, à masquer le malaise existentiel… Elles m’ont distrait, mais ne peuvent plus le faire… J’ai toujours essayé de vivre, mais je suis passé à côté de la vie. Je crois que c’est ce que ressentent la plupart des hommes. »
L’auteur désabusé de ces lignes n’est autre qu’Eugène Ionesco, de l’Académie française, qui les signe dans son J’avoue. Il illustre fort bien le sort des « nantis » qui courent la course au bonheur sans jamais en atteindre le but.
Ma vieille Bible a une manière toute spéciale d’apprécier la vie et d’évaluer la situation économique de chacun d’entre nous. Elle fait un inventaire apparemment trop sommaire, mais au fond combien réaliste, de nos besoins vitaux. Et dans la prière universellement connue, Jésus ne nous demande-t-il pas de prier pour le pain quotidien? Pas de surplus pour le gaspillage! Ne faites donc pas de la prière chrétienne un chapelet de revendications…
Comment pouvons-nous atteindre une attitude de contentement? S’agirait-il de cultiver des vertus spartiates ou de bâtir un caractère stoïque? Je n’en crois rien. Il nous faut apprendre une grande leçon, aussi difficile pour les nantis que pour les pauvres. Elle s’appelle la reconnaissance.
Ainsi, dans une attitude d’humilité et d’émerveillement, nous pourrons reconnaître que Dieu est vivant et même présent dans notre vie personnelle. Le premier de ses dons immérités est la grâce, qu’il renouvelle chaque matin avant même que ne se lève l’aurore. En mesurant les véritables besoins de la journée, nous nous savons les débiteurs reconnaissants envers l’Auteur de la vie, source unique de toute providence. Nous apprendrons alors que des possessions matérielles que nous poursuivons dans une course frénétique, nous n’en emporterons rien. Cette philosophie de vie, aussi sommaire que lucide, devrait être toujours présente dans notre esprit. Elle donnera la force et la sagesse aux incorrigibles dépensiers que nous sommes par nature. Oui, qu’emporterons-nous, lorsque l’heure sonnera, lentement ou brusquement? Nos biens ne pourront certainement pas nous servir à approvisionner nos tombes en vue d’un au-delà mythique, comme le pensaient les peuples païens…
Souvenons-nous surtout de l’essentiel : Il n’y a pas que les biens matériels dans les provisions de Dieu. Il y a surtout le don de sa personne en Jésus-Christ. Et si Dieu n’a pas épargné son Fils pour nous, comment ne nous donnera-t-il pas avec lui toutes choses? (Rm 8.32). C’est encore saint Paul que nous écouterons, qui prit soin de rassurer ses lecteurs, et nous après eux, avant de les exhorter : Plus rien, affirme-t-il, ne peut nous séparer de lui, ni la faim ni la nudité, pas même la mort (Rm 8.38-39).
Le secret du contentement se trouve en la foi et en la confiance en Dieu. Sa présence dans notre vie et le vide qu’il comble par son amour, sa communion permanente au fond de nos solitudes, la liberté et le salut qu’il rend possibles par l’offrande suprême de la croix permettent de forger une nouvelle philosophie de l’existence et de pratiquer une politique radicalement nouvelle, pour ne pas dire révolutionnaire.
Aucune mesure sociale, que ce soit une augmentation de salaire, des revenus élevés ou que sais-je encore, ne sera en mesure de résoudre nos problèmes économiques de manière satisfaisante et définitive. Dieu seul, la réalité de sa présence et les promesses qu’il tient, que nous saisirons par la foi, nous arracheront à nos lèche-vitrines intérieurs pour faire de nous des hommes nouveaux qui courent pour saisir la vie éternelle.