Apocalypse 1 - Le Christ au milieu de son Église
Apocalypse 1 - Le Christ au milieu de son Église
« Moi Jean, qui suis votre frère et qui prend part à la tribulation, à la royauté et à la persévérance en Jésus, j’étais dans l’île appelée Patmos, à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. Je fus ravi en esprit au jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix, forte comme le son d’une trompette, qui disait : Ce que tu vois, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept Églises : à Éphèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie et à Laodicée. Je me retournai pour découvrir la voix qui me parlait. Après m’être retourné, je vis sept chandeliers d’or, et au milieu des chandeliers quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme. Il était vêtu d’une longue robe et portait une ceinture d’or sur la poitrine. Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme laine blanche, comme neige. Ses yeux étaient comme une flamme de feu, ses pieds étaient comme du bronze qui semblait rougi au four, et sa voix était comme la voix des grandes eaux. Il avait dans sa main droite sept étoiles, de sa bouche sortait une épée aiguë à deux tranchants, et son visage était comme le soleil, lorsqu’il brille dans sa force. Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort. Il posa sur moi sa main droite en disant : Sois sans crainte! Moi je suis le premier et le dernier, le vivant. J’étais mort et me voici vivant aux siècles des siècles. Je tiens les clés de la mort et du séjour des morts. Écris donc ce que tu as vu, ce qui est et ce qui va se produire ensuite. Quant au mystère des sept étoiles que tu as vues dans ma main droite, et aux sept chandeliers d’or : les sept étoiles sont les anges des sept Églises et les sept chandeliers sont les sept Églises. »
Apocalypse 1.9-20
Notons pour commencer le lieu où la vision est reçue. C’est sur l’île de Patmos, l’une parmi les douze îles de la Méditerranée orientale que les Grecs appelaient le Dodécanèse, c’est-à-dire les Douze Îles. Son sol est accidenté et volcanique, elle mesure environ quarante kilomètres carrés de surface et sa périphérie est de soixante-dix kilomètres. Dès la plus haute antiquité, elle était renommée pour son port. Jean ne précise pas le motif de sa présence à Patmos. Il a seulement une courte phrase : « À cause de la Parole de Dieu et du témoignage de Jésus » (1.9). Une chose est certaine : il n’y effectue pas un séjour d’agrément. Certains ont pensé qu’il aurait pu s’y trouver en tournée d’évangélisation. Cependant, dès l’antiquité chrétienne, on a plutôt pensé qu’il y était exilé. C’est l’explication que nous retiendrons ici.
Ce sont des mesures de représailles qui l’ont jeté sur l’île rocheuse. Les autorités romaines cherchaient à l’éloigner du lieu où il exerçait son ministère. Peut-être était-il même condamné aux travaux forcés dans des mines d’or; mais il n’existe pas de mines d’or sur Patmos. Ou encore peut-être dut-il travailler dans une carrière de marbre? À nos yeux, ce qui importe c’est de savoir que Jean est à Patmos en sa qualité de témoin du Christ. On peut lui appliquer la courte phrase que nous lisons dans la troisième lettre de Jean : « C’est pour le nom qu’ils sont partis » (3 Jn 1.7).
Notons ensuite la date : c’est « le jour du Seigneur » (« Kuriake hémera »). C’est le jour où, dès le début, l’Église chrétienne célébrait la résurrection de son Seigneur. Il correspondait au premier jour de la semaine, à notre dimanche actuel. Si ce n’avait été le cas, Jean l’aurait précisé; il aurait par exemple parlé du sabbat. Il n’est pas davantage probable que l’auteur ait eu en vue de célébrer le jour de l’Éternel de l’Ancien Testament (le « yom Jahvé »), jour de vengeance et de salut divins. N’y voyons pas davantage une quelconque célébration eucharistique, si chère à nos liturgistes esthètes modernes. Si cela avait été le cas, Jean n’aurait pas manqué de nous signaler sa propre activité. Or, sur ce sujet encore, il ne dit pas un mot. Car il est tout entier au service du Christ et à l’écoute de sa Parole. Il ne met pas en avant ses ouvrages et ses services chrétiens.
Notons également son humilité. Il se dit « votre frère ». Même s’il est investi d’une mission exceptionnelle, celle d’apôtre, il ne veut pas se prévaloir d’une prééminence parmi les fidèles. Ce qui est important à ses yeux, c’est sa relation vitale avec ses lecteurs et non ses privilèges. « Frère », il est comme eux pris dans les feux de l’épreuve, il a part au Royaume et il endure « par la persévérance qui est en Jésus ». Mais, de même qu’à présent il a part à la tribulation, de même un jour, déjà proche, il aura part à la gloire.
Sans doute en ce « jour du Seigneur », Jean songe-t-il aux frères assemblés pour célébrer le culte. À Éphèse, par exemple, dont il fut, selon la tradition, longtemps le pasteur…
Il leur décrit la vision qui le saisit soudainement. Il se trouve « en Esprit » et il reste ouvert à l’Esprit. Certes, il est surpris, mais il n’est pas la victime d’une hallucination, car dans ce cas il n’aurait pas pu transmettre avec toute la clarté requise le message qu’il est chargé de communiquer. Comme tous les auteurs bibliques, il est conscient d’œuvrer au service du Dieu vivant, lequel œuvre sans cesse en toute clarté, contrairement aux agissements des démons qui sont auteurs et fauteurs de multiples et infernales confusions.
Jean écrit « aux sept Églises de l’Asie Mineure ». Pour quelle raison à ces sept Églises, puisqu’on sait qu’il en existait bien d’autres dans cette province? Signalons pour commencer qu’il s’agissait d’Églises bien concrètes, car leurs noms sont réels et non fictifs. Rien ne laisse supposer que les Églises nommément mentionnées représentaient à ses yeux, ou doivent représenter à nos yeux, les étapes successives de l’histoire ecclésiastique. Par exemple, le temps de la pureté apostolique, la période de la fidélité des martyrs, l’époque d’une tiédeur mitigée et puis à la fin celle de l’apostasie1.
La raison du choix de ces sept Églises se trouve dans leur position géographique et leur importance administrative. Elles sont situées sur un axe principal formant à l’époque des relais postaux. Ainsi, à partir de celles-ci, les lettres reçues pouvaient être recopiées et envoyées à d’autres Églises des environs. Pourtant, par delà même ces sept Églises, le chiffre sept indique une fois de plus, sur cette page biblique, une figure de totalité, la complétude de l’Église universelle. Ce sont des lettres adressées à toutes les Églises depuis les origines jusqu’à la fin de l’histoire. Jusqu’au retour du Christ, toutes auront part à leur manière à la tribulation et au Royaume selon leur fidélité et leur endurance.
Qui sont les anges? On a donné à ce terme plusieurs sens. Ce seraient des messagers transmettant les lettres. Ils désigneraient les pasteurs-ministres des Églises, ou encore l’esprit prévalant dans chaque Église. Il faudrait comprendre ce terme dans son sens courant, biblique. Pourquoi Jean leur aurait-il adressé des lettres? Mais, dit-on, ce ne sont pas des lettres au sens ordinaire d’épîtres. Peut-être s’agit-il de l’Église locale elle-même. Toutes ces explications et hypothèses restent ouvertes à la critique.
La vision à proprement parler est saisissante. Jean entend une voix comme celle d’une trompette (le « tshophar » de l’Ancien Testament). Ensuite, il aperçoit des chandeliers d’or. L’ange chargé de lui expliquer la vision lui signale que ces chandeliers sont les sept Églises déjà mentionnées.
Déjà dans l’Ancien Testament le chandelier représentait symboliquement le peuple de Dieu. Mais s’il n’y avait dans l’Ancien Testament qu’un seul chandelier symbolisant l’unité du peuple élu, le peuple juif, dans le Nouveau Testament, le peuple de Dieu est varié, formé « de toute nation, de toute race et de toute langue ». Il trouve son unité spirituelle en Christ, présent et actif par son Esprit. Le peuple de l’ancienne dispensation devait éclairer lui aussi ceux qui l’entouraient par la vérité divine et la Parole de vie. L’Église à son tour est appelée à devenir lumière du monde. Selon un commentateur :
« Le propre du chandelier est de servir de support à la lumière. Seule flamboie la Parole de Dieu. Sans elle, l’Église a beau se dresser comme un chandelier magnifiquement ciselé et serti. Un candélabre sans lumière, fut-il en or massif, n’est qu’un obstacle de plus dans la nuit. Il ne faut pas dire : Les chandeliers sont en or, ils ne dépendent pas de la lumière qu’ils portent pour éclairer, ils ont en eux-mêmes une sorte de clarté; mais plutôt : Jésus ne veut pas de chandeliers qui brillent, mais il veut des chandeliers qui éclairent… Jean ne voit pas de chandeliers reliés les uns aux autres par une chaîne d’or; tous les chandeliers entourent le Christ. Ce qui importe plus que l’Église, c’est celui qui se trouve au milieu d’elle.2 »
C’est donc vers lui que nous devons regarder. Lui qui ordonne à son serviteur, notre « frère Jean » d’écrire « ce qui est et ce qui va se produire ensuite » (1.19).
Passons outre les détails d’imagerie orientale qui veulent simplement nous donner une idée de la majesté indescriptible de la personne du Fils de Dieu, notre Sauveur exalté. Un commentaire de l’Ancien Testament aiderait le lecteur à expliquer ces détails. C’est le message transmis par les symboles employés qui est essentiel.
Or, le Christ occupe la position royale la plus élevée. Il possède toute la connaissance. Il est le seul à présenter les traits d’une parfaite pureté. Il est en mesure d’écraser toute opposition. Sa voix puissante comme une mer en furie indique son pouvoir irrésistible. Les sept étoiles qu’il tient entre ses mains symbolisent l’autorité totale avec laquelle il contrôle son Église dont il prend soin sans cesse. L’épée qui sort de sa bouche symbolise sa Parole de jugement qui châtie et détruit, à laquelle personne ne peut résister ni échapper. Son visage, tel le soleil dans tout son éclat, représente la gloire céleste dont il est actuellement revêtu. La majesté que dégage toute sa personne ne peut être contemplée sans danger par un pécheur mortel. Il est le « Fils de l’homme », appellation tirée du livre de Daniel et qui revient fréquemment dans les Évangiles. Elle indique sa transcendance et ses attributs divins. Il n’est nullement le « doux Jésus » de l’imagerie saint-sulpicienne ou de nos cartes de Noël. Il reçoit des titres d’honneur qui sont réservés dans l’Ancien Testament à Dieu seul.
Cependant, cette majesté du Christ ne recèle pour Jean aucune rigueur terrifiante. Il vient vers son serviteur et le rassure. Il pose sa main droite sur la tête de celui-ci. Il lui dit « sois sans crainte », reprenant des termes familiers de l’Ancien Testament. Il est le Christ, le Premier et le Dernier. Il est vivant, il est passé à travers la mort qu’il a domptée, et le sépulcre lui est assujetti3.
« Mais voilà que le “Hadès” n’a pu retenir le Fils de l’homme et le Fils de Dieu. La mort a beau nous cerner de ses épouvantes, nous regardons la droite du Seigneur, munie de la clé libératrice. Quelle consolation pour le disciple persécuté, pour les chrétiens martyrs, pour les témoins fidèles du Christ! Celui qui met sa vie à la disposition de l’Évangile peut être certain qu’il la retrouvera comme son Sauveur l’a retrouvée.4 »
Car il est l’Alpha et l’Oméga, l’Origine et la Conclusion de toutes choses. Tout dépend de sa Parole qui pénètre dans toutes les structures de la vie.
Il n’est pas étonnant que, depuis le premier jour, une multitude de fidèles aient sacrifié leur vie et leur bien-être pour lui rester attachés. En lui, ils avaient reconnu le Fils éternel de Dieu. Pour quelle autre raison l’Église primitive aurait-elle donné tant de martyrs? Pour quelles raisons le 16e siècle réformé aurait-il alimenté tant de bûchers de ses témoins et envoyé sur les galères tant de condamnés pour cause de religion réformée? Saint Athanase ne se serait jamais engagé au 4e siècle dans son combat gigantesque pour le maintien de la foi orthodoxe s’il n’avait pas été convaincu que Jésus-Christ était le Fils éternel de Dieu, de même substance que le Père et l’Esprit. Comment pourrions-nous exister si Jésus n’était rien de plus qu’un gourou parmi tous ceux que produit le sol fertile en religion du Moyen-Orient?
Or, il est le Fils de Dieu et le Fils de l’homme. Aussi peut-il nous rassurer et nous protéger. Il inspire la crainte, mais il relève aussi. Avec lui, ce ne sont pas des châteaux de sable que nous construisons, mais nous sommes embarqués pour la Cité qui demeure et dont l’architecte n’est autre que le Dieu des origines, toujours invincible.
Notes
1. C’est ainsi que se l’imaginait John Nelson Darby, célèbre dispensationaliste du 19e siècle qui pensait surtout aux Églises protestantes dont il était issu.
2. Ch. Brütsch, p. 35.
3. Le terme grec de « Hadès » ne désigne pas ici l’enfer, mais le séjour des morts, le lieu d’une existence hors du corps, l’état durant lequel l’âme se sépare du corps et la vie physique cesse; le « Hadès » suit toujours la mort.
4. Ch. Brütsch.