Apocalypse 14 - Babylone ou béatitude?
Apocalypse 14 - Babylone ou béatitude?
« Je regardai, et voici l’Agneau debout sur la montagne de Sion, et avec lui 144 000 (personnes), qui avaient son nom et le nom de son Père écrits sur leur front. J’entendis du ciel une voix, comme la voix de grandes eaux, comme le bruit d’un fort coup de tonnerre; et le son que j’entendis était comme celui de joueurs de harpes jouant de la harpe. Ils chantent un cantique nouveau devant le trône et devant les quatre êtres vivants et les anciens. Personne ne pouvait apprendre le cantique, sinon les 144 000 qui avaient été rachetés de la terre. Ce sont ceux qui ne se sont pas souillés avec des femmes, car ils sont vierges. Ils suivent l’Agneau partout où il va. Ils ont été rachetés d’entre les hommes, comme des prémices pour Dieu et pour l’Agneau, et dans leur bouche il ne s’est pas trouvé de mensonge; ils sont irréprochables. Je vis un autre ange qui volait au milieu du ciel; il avait un Évangile éternel, pour l’annoncer aux habitants de la terre, à toute nation, tribu, langue et peuple. Il disait d’une voix forte : Craignez Dieu et donnez-lui gloire, car l’heure de son jugement est venue; et prosternez-vous devant celui qui a fait le ciel, la terre, la mer et les sources d’eaux! Un autre, un second ange suivit, disant : Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande, qui a fait boire à toutes les nations du vin de la fureur de son inconduite. Un autre, un troisième ange les suivit, en disant d’une voix forte : Si quelqu’un se prosterne devant la bête et son image, et reçoit une marque sur le front ou sur la main, il boira, lui aussi, du vin de la fureur de Dieu, versé sans mélange dans la coupe de sa colère, et il sera tourmenté dans le feu et le soufre, devant les saints anges et devant l’Agneau. La fumée de leur tourment monte aux siècles des siècles, et ils n’ont de repos ni jour ni nuit, ceux qui se prosternent devant la bête et devant son image, et quiconque reçoit la marque de son nom. C’est ici la persévérance des saints, qui gardent les commandements de Dieu et la foi en Jésus. J’entendis du ciel une voix qui disait : Écris : Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur, dès à présent! Oui, dit l’Esprit, afin qu’ils se reposent de leurs travaux, car leurs œuvres les suivent. Je regardai, et voici une nuée blanche, et sur la nuée était assis quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme. Il avait une couronne d’or sur la tête et une faucille tranchante à la main. Un autre ange sortit du temple, en criant d’une voix forte à celui qui était assis sur la nuée : Lance ta faucille et moissonne, l’heure est venue de moissonner, car la moisson de la terre est mûre. Et celui qui était assis sur la nuée jeta sa faucille sur la terre. Et la terre fut moissonnée. Un autre ange sortit du temple qui est dans le ciel; il avait lui aussi une faucille tranchante. Un autre ange, qui avait pouvoir sur le feu, sortit de l’autel et s’adressa d’une voix forte à celui qui avait la faucille tranchante, en disant : Lance ta faucille tranchante, et vendange les grappes de la vigne de la terre, car ses raisins sont mûrs. L’ange jeta sa faucille sur la terre. Il vendangea la vigne de la terre et jeta (la vendange) dans la grande cuve de la fureur de Dieu. Et la cuve fut foulée hors de la ville; du sang sortit de la cuve, jusqu’aux mors des chevaux, sur une étendue de 1 600 stades. »
Apocalypse 14
Un nouveau changement intervient à cet endroit du livre de l’Apocalypse. Soudain, un message joyeux succède à la scène de persécution cruelle. Cela s’était déjà produit entre la sixième et la septième trompette. Un nouvel épisode est introduit dans ce passage après l’anéantissement des deux bêtes. L’annonce de leur défaite et de leur destruction apportera en temps de péril un encouragement certain à tout disciple du Christ. Comme dans les interludes précédents, nous sommes en présence de deux parties. D’abord, la vision de l’Église en gloire; ensuite, le message diffusé par les trois anges et une voix céleste.
Le premier épisode correspond à celle entre la sixième et la septième trompette. Alors, le peuple saint et scellé de Dieu avait été dénombré et son nombre, porté à 144 000, symbolisait la plénitude. Ils étaient vêtus de blanc et se tenaient devant le trône avec des rameaux de palmier entre les mains (Ap 7). Ici encore, c’est l’Église dans toute la plénitude de sa gloire qui apparaît. Elle se tient avec l’Agneau sur la montagne de Sion. La scène se passe d’abord au ciel. La compagnie des rachetés porte sur le front la marque de l’Agneau et celle du Père. Leur béatitude est chantée par des chœurs angéliques. La musique est d’une grandeur majestueuse, « comme la voix de grandes eaux ». On y entend le son mélodieux de la harpe. L’antienne est un chant nouveau, celui de la rédemption, qu’on ne peut apprendre à moins d’appartenir à la multitude des rachetés sur terre, à moins d’être parmi ceux qui ont été délivrés d’entre les hommes, car eux seuls peuvent comprendre ce qu’est la rédemption.
Babylone est l’antithèse de la Jérusalem céleste et du paradis de Dieu. Étymologiquement, Babylone signifie « porte du dieu ». Mais le dieu sur lequel s’ouvre cette porte, s’il fut un temps recherché dans les cieux, s’est perverti en homme dans ce qu’il a de plus vil en lui; l’instinct de domination et l’instinct de luxure ont été érigés en absolu.
« Cette ville est si magnifique, écrivait Hérodote, qu’il n’y a pas au monde une cité qu’on puisse lui comparer. » Ses murs d’enceinte et ses jardins suspendus comptaient parmi les sept merveilles du monde. Tout sera détruit, car tout était bâti sur des valeurs uniquement temporelles. Le symbole de Babylone n’est pas celui d’une splendeur condamnée à cause de sa beauté, mais celui d’une splendeur viciée qui s’est condamnée elle-même en détournant l’homme de sa vocation.
Babylone symbolise le triomphe passager d’un monde matériel et sensible qui n’exalte qu’une partie de l’homme et, en conséquence, le désintègre. Capitale mondiale et siège de pouvoir universel, elle est le type de toutes les tentatives humaines, depuis la tour de Babel, d’ériger un paradis sans Dieu, d’établir une unité humaine sur le principe même de l’exclusion de celui-ci et sur la rébellion contre le Tout-Puissant. Babylone représente toutes les tentatives non seulement de se hisser à la place de Dieu, mais, en révoquant sa souveraineté, de s’accorder tout ce que Dieu peut et veut offrir dans sa grâce. C’est d’elle qu’émane la Déclaration universelle des droits de l’homme qui proclame : « Je suis le maître de mon sort, je demeure le capitaine de mon âme. » Le programme de Babylone est une tragique contrefaçon de tout ce qui est divin : vie agréable en toute sécurité, paix et unité, accomplissement de soi en dehors et indépendamment de Dieu. Aussi est-elle constamment plongée par Dieu dans la confusion et tous ses projets et ses efforts sont dispersés par lui. Elle est maudite pour toujours.
Babylone la grande fait suite à la tour de Babel. Souvenons-nous que Babel symbolise la confusion et la dispersion. Le mot même de Babel vient d’une racine qui signifie « confondre ». L’homme présomptueux veut s’élever démesurément, mais il lui est impossible de dépasser sa condition humaine. Ce manque d’équilibre entraîne la confusion, aussi bien sur le plan terrestre que divin. Et les hommes ne s’entendent plus. Ils ne parlent plus la même langue. C’est-à-dire qu’il n’y a plus entre eux le moindre consensus, chacun ne pensant qu’à lui-même et se prenant pour l’absolu.
Ce récit biblique se situe à la fin des chapitres concernant les origines de l’humanité (Gn 11.1-9) et précise l’histoire plus circonstanciée des patriarches. Il forme une sorte de conclusion au terme de cette première phase de l’histoire de l’humanité qui est caractérisée par une constitution progressive de grands empires et de grandes cités. La confusion babélique est le châtiment de la tyrannie collective qui, à force d’opprimer l’homme, fait exploser l’humanité en factions hostiles. L’intervention de Dieu à Babel fut la manifestation de sa justice immanente, l’expression de son autorité contre le despotisme d’une organisation humaine à caractère totalitaire. Une société sans Dieu est forcément une société sans âme ni amour, sans loi ni justice. En conséquence, elle est vouée à la dispersion.
Sa faute est encore une faute de démesure. L’union ne sera restaurée qu’en Christ, dont l’Esprit accomplit le miracle de la Pentecôte. L’antithèse de la tour de Babel, avec son incompréhension et sa dispersion, est, en effet, cette vision que nous révèle l’Apocalypse de la société nouvelle organisée par l’Agneau ainsi que le don des langues lors de la Pentecôte.
Babylone apparaît à chaque âge; elle s’érige en tyran dans le monde entier et prospère sous tous les climats. Jadis, ce fut Athènes contre Jérusalem, Rome contre l’Église. Aujourd’hui, Babylone se retrouve à Paris ou à Moscou, à Chicago ou à Montréal, dans un état minuscule d’Amérique centrale ou dans la lointaine Tasmanie. Le péché de toutes les nations consiste à s’enivrer « du vin de la fureur de la fornication » et à s’élever contre Dieu. Si l’Église est composée de membres qui ne se souillent point, les nations, elles, se comportent précisément comme des prostituées. Toutes les nations s’enivrent avec la même coupe de Babylone. À moins qu’elles ne soient amenées à la repentance, elles périront (Ps 11.6; 75.9; És. 51.17; Jr 25.15).
C’est un ange (le troisième) qui introduit sans transition le thème des séductions enivrantes, la luxure et la débauche idolâtres. Mais, simultanément, il y est question du vin de la coupe de la colère de Dieu. Des nations se sont égarées, séduites par Babylone, et elles partageront le même sort. Ici, de manière cryptique, Babylone tient lieu de Rome, mais aussi de l’esprit athée universel, du monde infidèle au Christ. Aussi, comme dans le passé, à présent et dans l’avenir, toute cité, nation ou langue à la traîne de Babylone devra boire jusqu’à la lie de la coupe de la colère divine.
L’ange profère des menaces de ruine. Il avertit ceux qui s’adonnent au culte de la bête et en portent la marque sur leurs fronts. Ces mots dépeignent la plus effroyable image de punition jamais décrite sur les pages de l’Écriture. Les coupables seront tourmentés dans le feu et le soufre en présence des saints et de l’Agneau; la fumée de leur tourment montera toujours plus haut, « ils n’auront de repos ni le jour ni la nuit », sans qu’ils puissent s’attendre à la moindre miséricorde.
On ne peut lire ces paroles sans trembler. Elles décrivent la colère de Dieu qui est réelle et qui manifeste sa haine contre l’iniquité. Elle n’a aucune parenté avec nos emportements passionnels. La souffrance des châtiés est comparée à celle que subirent les martyrs en présence de foules cruelles et déchaînées. Bien que figures de style, ces paroles ne décrivent pas moins la réalité terrifiante qui attend l’impie et le non-repenti. Pourtant, l’intention de l’avertissement et de la menace est d’amener les humains à la loyauté au Christ et à les mettre en garde contre la tentation de s’égarer ou de fuir. C’est pourquoi l’apôtre parle de « la persévérance des saints, qui observent les commandements de Dieu, et de la foi en Jésus ».
Babylone est ce monde révolté dont la tête insolente a protesté contre le ciel et qui est condamné à la peine capitale. « La débâcle de Babylone, ce confluent d’abominations », est proclamée d’avance, sa chute est certaine. Avant même son effondrement extérieur, la Rome impériale est déchue aux yeux de Dieu parce que sa débauche a contaminé les autres nations. En vue de ce qui attend Babylone dans le monde, l’Église fidèle a une mission à accomplir auprès des nations, des États et des sociétés humaines : celle de proclamer la chute de « Babylone la grande » et d’amener captive toute pensée à l’obéissance du Christ, d’avertir les hommes à ne pas se laisser séduire par les illusions, à ne pas se fier à des espoirs humains, à ne pas persister dans l’utopie d’un paradis terrestre bâti par les bras humains, même lorsque cette illusion s’habille d’oripeaux religieux.
Recevoir la marque de la bête veut dire placer son espoir en l’homme plutôt que dans le Tout-Puissant, souverain Maître de l’univers, accepter le contrôle de l’État ou de toute autre institution politique ou sociale totalitaire et se laisser asservir par un pouvoir humain. Cet avertissement proclame clairement la responsabilité de tout homme et prévient qu’il sera jugé. L’homme peut fuir sa véritable responsabilité et se rebeller contre Dieu ou se compromettre avec le monde et créer une église apostate. C’est pourquoi celui qui porte la marque de la bête n’a pas de repos ni le jour ni la nuit.
Deux anges exécuteront la sentence. L’un vient du sanctuaire, après avoir reçu l’ordre du Dieu saint. Il a une faucille tranchante entre ses mains. Un autre ange descend de l’autel, ce qui nous rappelle l’autel sur lequel brûle l’encens des prières des saints martyrs. Le second ange crie au premier : « Envoie… » Les grappes sont les individus incroyants. De la même manière que les grappes sont pressées, ainsi les méchants seront punis éternellement. Un lac de sang apparaît qui couvre toute l’étendue jusqu’à hauteur de cheval. Il s’étend sur 1600 stades, c’est-à-dire 300 kilomètres, la longueur même de la Palestine. Mais ce chiffre a de nouveau une signification typologique, formée de la racine carrée de 1600 qu’est le quatre. Or, on s’en souvient, ce dernier chiffre symbolise l’univers créé et il est multiplié par cent, son coefficient. Il devient alors symbole de plénitude.
Le pressoir se trouve en dehors de la Cité de Dieu, là où le Seigneur de gloire avait été mis à mort. Le pressoir fonctionne et le résultat en est effrayant : une véritable tragédie mondiale. C’est le dernier coup dramatique pour détrôner les forces du mal. Sous l’autorité du dragon, ce pouvoir avait atteint une dimension universelle. À présent, ces puissances de la nuit seront abattues et leur ruine sans rémission sera totale et définitive.
L’image du pressoir avait depuis toujours impressionné les Israélites (Jl 4.12-13). Vu du côté de l’ange, il s’agit en effet d’un spectacle terrifiant. Il existe donc une contrepartie angélique à tout ce qui se produit sur terre. L’Église fidèle proclame la Bonne Nouvelle, mais derrière la scène sur laquelle se déroule l’action humaine se trouve une puissance suprahumaine qui donne la direction et amène à sa réalisation, de manière invisible, le Royaume de Dieu. Les hommes s’imaginent tirer les ficelles de l’histoire avec leurs guerres dévastatrices, leurs terreurs démoniaques ou encore les accomplissements dont ils s’enivrent. Mais derrière tout cela, de manière cachée, mais réelle, une main transcendante contrôle chaque détail. Elle manie la faucille de la moisson ou lève la manette du pressoir. Car tout ce qui se fait sur notre terre est une affaire de vie ou de mort, dont les répercussions sur les princes humains ou l’incidence sur le Royaume sont certaines. Le livre de l’Apocalypse nous invite à regarder au-delà du rideau vers cette partie invisible, mystérieuse et pourtant décisive du drame humain.
Aussi, l’avertissement solennel résonne avec force : « Craignez Dieu et donnez-lui gloire! » Nos contemporains, pas moins ivres de leur révolte antithéiste que ceux du passé, y prêteront-ils attention? Nous pouvions lire récemment que Madelyn O’Hare, une Américaine, qui avait mené dans les années soixante, telle une Jeanne d’Arc à rebours, le combat insensé de l’athéisme militant, se plaçait parfois sous un ciel orageux et, pointant son poing vers le ciel, défiait Dieu de l’anéantir par la foudre s’il en était capable ou s’il existait! Nous pourrions nous amuser sur le compte d’une écervelée, d’une « pasionaria » moderne de l’athéisme idolâtre. Dieu ne l’a pas anéantie. Mais il en anéantit, par centaines et par milliers, parmi ceux qui s’obstinent dans leurs pratiques perverses, les frappant d’un malheur pire que dix mille foudres…
L’avertissement concerne tous ceux qui, fascinés par le bien-être matériel, les charmes et l’éclat des richesses, demeurent indifférents à la seule gloire de Dieu, séduits par le scintillement de la gloire passagère. L’ange, pourtant, prononce une parole extraordinaire : « Craignez Dieu et donnez-lui gloire. »
L’heure du jugement est proche. L’incrédule n’échappera pas à Dieu. Ceux qui sont attachés au monde périront avec le monde. Si l’on a choisi de servir l’adversaire de Dieu, il faut s’attendre à subir la colère céleste. Une peine sans rémission attend celui qui tourmente l’Église du Christ. Dieu se sert de cette cité arrogante comme d’un abcès de fixation et de la coupe d’or du monde comme d’un dépotoir.
« Qui veut boire le vin capiteux du monde videra aussi la coupe de la colère divine, dont le vin n’est pas coupé d’eau. Qui veut hurler avec les loups dans ce monde hurlera aussi avec lui dans l’autre. Ne haussons pas les épaules en murmurant : ce sont des superstitions surannées. […] Notre texte évoque un tourment dont “la fumée monte au ciel aux siècles des siècles”. Et qui nous donne le droit d’infirmer superbement de telles assertions?1 »
Jésus aussi a parlé « de pleurs et de grincements de dents », de rejet aux ténèbres extérieures avant qu’il ne soit question de la cuve foulée hors de la ville et du sang qui s’étend.
L’impie sera détruit, car tout péché est un affront direct contre Dieu. La vengeance d’un péché non expié par l’offrande du Fils de Dieu, notre Sauveur, devra être proclamée.
Nous avons déjà mentionné qu’au début du chapitre 14 la scène changeait de nouveau de manière dramatique. À présent, au lieu de regarder vers les eaux furibondes de la mer ou de voir surgir le second monstre des entrailles de la terre, nos regards sont portés vers le haut où les choses sont tellement différentes. Nous avions eu le droit de pénétrer, quoique superficiellement, dans le mystère de l’iniquité et de nous rendre compte de l’obscurité des secrets du mal, mais à présent, il nous est accordé la vision d’un ciel serein. Le chapitre 14 commence par une page lumineuse; elle succède à la description effrayante du dragon et aux terreurs qu’a pu nous causer l’apparition des deux bêtes. C’est comme une matinée sereine qui arrive avec ses rayons de soleil et chasse les restes du cauchemar d’une nuit interminable.
Ce n’est plus la bête, dont le matricule d’identification indiquait ses limites, mais c’est l’Agneau en personne qui apparaît. Il se tient non sur les sables au bord de la mer comme le dragon, mais sur la montagne de Sion. Là où se tient Jésus se trouve la véritable montagne de Sion. Notre terre n’est pas seulement baignée de ténèbres démoniaques qui, maintes fois, semblent la recouvrir totalement, mais elle reste dominée par la fidélité du Christ qui suscite son peuple fidèle, l’innombrable multitude des 144 000 qui représente, comme nous l’avons vu, la perfection parfaite si on ose employer un tel pléonasme. L’Agneau se tient sur la montagne de Sion, laquelle, selon le psalmiste, ne peut être déplacée (Ps 125.1). En réalité, Sion représente ici le ciel. Il s’agit du Royaume de Dieu lui-même.
Les 144 000 ne sont autres que ceux dont le dénombrement avait été fait en Apocalypse 7. En contraste avec la foule de ceux qui portent la marque de la bête, ils sont « scellés », c’est-à-dire qu’ils portent la marque de l’Agneau et du Père. C’est un signe surnaturel que les forces sataniques n’ont pu leur arracher. Le dragon a cherché de toute sa ruse et de toutes ses forces diaboliques à les détourner de leur Sauveur, mais sans y parvenir. Pas un seul ne manque. Ils sont les prémices de la moisson destinée à l’engrangement céleste. Nous apprenons qu’ils chantent. Ils chantent un cantique nouveau. Leurs voix montent en crescendo, majestueuses, imposantes, comme le bruit de grosses chutes d’eau. Quel contraste avec les hurlements et les cacophonies des masses et l’hallali des assassins! Pas une fausse note n’en déforme l’harmonie. Ils se tiennent devant le trône. Eux seuls peuvent chanter, car l’Agneau les a rachetés et les a délivrés d’entre les hommes.
C’est un chant nouveau, mais aussi un chant antique. C’est le chant que le peuple de Dieu a chanté lors de la première dispensation, à travers toutes les pages de louange de l’Ancien Testament et qui durera jusqu’à la consommation des siècles. Ils se savent entre les mains du Dieu invincible.
« Que la mer retentisse avec tout ce qui la remplit. » (Ps 98.7).
« L’Éternel siège en roi pour toujours. » (Ps 29.10).
« Dieu est pour nous un refuge et un appui, un secours qui se trouve toujours dans la détresse. C’est pourquoi nous sommes sans crainte quand la terre est bouleversée et que les montagnes chancellent au cœur des mers, quand leurs eaux grondent, écument, ébranlent les montagnes en se soulevant. » (Ps 46.2-4).
La multitude des rachetés est désignée comme étant des « vierges ». Vierges non pas au sens littéral du terme, mais au sens spirituel. Ils se sont attachés au Seigneur sans se laisser séduire par les tromperies de l’idolâtrie et le culte de la bête. « Ils suivent l’Agneau partout où il va. » Telle est la béatitude et la communion parfaite avec le Christ. Ce sont des martyrs présentés à Dieu comme des sacrifices vivants et acceptés comme sa possession particulière. C’est un encouragement pour celui qui envisage la souffrance à cause de sa foi et pour le Christ. « Vierges » signifie qu’ils s’abstiennent de toute idolâtrie. Dans leur bouche, il ne s’est pas trouvé de mensonge et ils sont irrépréhensibles. « Ils suivent l’Agneau », cela ne signifie pas qu’il s’agit là d’une phalange de chrétiens supérieurs et sélectionnés, mais de rachetés.
N’est-ce pas d’ailleurs tout le contenu de l’Évangile qui nous annonce la justification par la seule grâce, au moyen de la foi et non par un effort surhumain, héroïque? Qui pourrait gagner son propre ciel et faire valoir ses droits sur le Dieu de toute grâce? Ce sont eux qui ont entendu la voix du Sauveur et qui ont répondu à l’appel : « Si quelqu’un veut venir après moi qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive. » (Lc 9.23). C’est une telle chasteté dans le monde qui caractérisera l’Église. Elle est dans le monde sans être du monde, sans se souiller de la luxure et du mensonge du grand séducteur. Aussi, en Christ, sont-ils sans tache. Leur virginité est caractérisée par quatre points : la pureté, l’obéissance, la séparation et une fidélité extrême. Tout ceci fait de l’Église non pas un peuple passif qui ne sait que souffrir, mais une armée d’engagés, armée prophétique et rédemptrice dont la mission consiste à imiter le triple office du Christ, à devenir comme son Sauveur, Prêtre, Prophète et Roi.
Aussi, elle reçoit la promesse de la béatitude. Elle proclame l’Évangile et elle avertit. C’est une promesse d’une beauté incomparable : « Heureux à présent ceux qui meurent dans le Seigneur, car ils se reposeront de leurs travaux. »
Quel réconfort pour le disciple du Christ à tout âge et en tous lieux! Les martyrs subiront la persécution et la mort. Leur mort dans le Seigneur est semblable à celle du Sauveur crucifié. Le repos qui les attend n’est pas celui de leurs travaux ordinaires, mais le repos par rapport à la persécution subie et à la souffrance endurée à cause de la foi. L’Église qui a pris part à la tribulation prend à présent part à la gloire. Cette image de la glorification ne manquera pas de donner au disciple, aussi sombre soit l’âge dans lequel il vit, une consolation qui défie tout désespoir. Le jugement est déclaré. La nuée blanche qui apparaît en annonce l’imminence. Le blanc indique la sainteté, tandis que la nuée symbolise le jugement. Celui qui est assis sur la nuée blanche n’est autre que Jésus-Christ, « le Fils de l’homme », qui est également le Fils de Dieu (voir Dn 7).
Ce n’est pas une couronne d’épines qu’il porte sur la tête, mais une couronne de gloire. Il est prêt pour la moisson, sa moisson. Il avait annoncé son avènement futur : « Voici je viens bientôt. » Il réitère sa promesse. Après la longue nuit enveloppée d’épaisses ténèbres, il apparaît. Une voix crie du ciel : « Cueille donc, moissonne, l’heure est arrivée. L’heure qui avait été cachée durant des siècles par le Père a sonné. L’heure pour laquelle l’Église a prié sans se lasser est arrivée. »
Ces images de la moisson, de la vendange, du pressoir, de la faucille, du bon grain et de l’ivraie sont bien familières à tout lecteur de la Bible. La paille est destinée au feu. Mais les élus sont accueillis dans la maison du Père.
Qu’il nous soit permis d’insister sur un détail important qui apparaît dans ce chapitre : il s’agit de l’annonce de l’Évangile. Un ange volait au milieu du ciel pour annoncer « l’Évangile éternel ».
L’Évangile est la puissance de salut pour quiconque croit. Il ne faut pas en avoir honte. Aussi, devant les faits décrits par le livre de l’Apocalypse qui s’adresse à nous avec ses images et ses visions symboliques, nous sommes pressés de nous rendre compte de l’urgence qu’il y a de le proclamer pendant qu’il fait jour.
L’Évangile est annonce de grâce et d’amour divins. Le Créateur des cieux et de la terre s’est occupé de nous en Jésus-Christ, non pas pour entrer dans une relation de courtoisie et de bon voisinage avec nous, mais pour nous attirer à lui, pour nous mettre à l’abri, pour nous arracher à notre néant et nous sauver de la colère à venir. Toute la force de son salut s’est exprimée sur le visage de Jésus-Christ, le Fils incarné, le crucifié du Calvaire. En lui, il accorde le pardon des péchés, mais aussi le sens de notre vie, la direction à suivre, une morale pour chaque jour, une béatitude telle que tous les bonheurs du monde ne sont que néant à côté d’elle. Il offre aussi une cité solide en comparaison de laquelle tous les édifices d’ici-bas, même les plus grandioses, ne sont que des châteaux de cartes qui s’effondrent lorsqu’on en retire la carte de base.
L’Évangile est celui du Christ, le crucifié du Calvaire; c’est lui qui, en personne, déclarait à notre intention comme à l’intention de ses premiers auditeurs : « Ce n’est pas moi qui vous juge, c’est ma parole qui vous jugera au dernier jour. » Avant ce dernier jour, qui peut être demain, voire tout à l’heure, voulez-vous passer du jugement à l’acquittement? Acceptez que le Fils de Dieu vous transporte des sphères de la mort à celles de la vie, de la vie abondante, dès ici et maintenant et pour les siècles des siècles.
Note
1. Ch. Brütsch.