Apocalypse 3 - Une porte ouverte
Apocalypse 3 - Une porte ouverte
« Écris à l’ange de l’Église de Philadelphie : Voici ce que dit le Saint, le Véritable, celui qui a la clé de David, celui qui ouvre et personne ne fermera, celui qui ferme et personne n’ouvrira : Je connais tes œuvres. Voici : j’ai mis devant toi une porte ouverte que nul ne peut fermer, parce que tu as peu de puissance, que tu as gardé ma parole et que tu n’as pas renié mon nom. Voici : je te livrerai des gens de la synagogue de Satan, qui se disent juifs et ne le sont pas, car ils mentent. Voici : je les ferai venir se prosterner à tes pieds et reconnaître que je t’ai aimé. Parce que tu as gardé la parole de la persévérance en moi, je te garderai moi aussi de l’heure de l’épreuve qui va venir sur le monde entier pour éprouver les habitants de la terre. Je viens bientôt. Tiens ferme ce que tu as, afin que personne ne prenne ta couronne. Du vainqueur, je ferai une colonne dans le temple de mon Dieu et il n’en sortira plus. J’écrirai sur lui le nom de mon Dieu et celui de la ville de mon Dieu, la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel d’auprès de mon Dieu, ainsi que mon nom nouveau. Que celui qui a des oreilles écoute ce que l’Esprit dit aux Églises! »
Apocalypse 3.7-13
Philadelphie sert de centre de propagation de la langue et la culture grecques en Lydie. Dès avant l’an 19 de notre ère, la langue lydienne n’est plus utilisée et elle est remplacée par le grec (la « koinè »). Des poches de résistance, notamment dans les régions rurales, persisteront quelque temps, mais sans grand succès. Une des portes de l’Orient, Philadelphie pourra servir à ce dessein de propagation. Elle est bien située pour helléniser la Phrygie; l’orientation asiatique y est remplacée par la grecque et on assiste déjà à la fusion religieuse et culturelle. Bacchus est la principale divinité, d’autant mieux servie que la ville se trouve au centre d’une région très importante de vignobles. Sur des monnaies frappées ici, on trouve l’effigie du dieu de la débauche.
Selon M. Ramsay, la ville se distingue par quatre traits qui expliquent le message de la lettre reçue : elle est missionnaire; ses habitants vivent constamment dans la crainte d’un nouveau désastre tellurique; plusieurs d’entre eux s’expatrient pour vivre en dehors de la ville; elle reçoit un nouveau nom de la part du dieu impérial.
En sa qualité de ville représentant l’amour fraternel, « la philadelphia », elle est bien placée pour encourager et promouvoir l’entente harmonieuse entre les nouveaux maîtres impériaux et les autochtones. La synthèse religio-culturelle est une affaire qui semble aller de soi. Elle se donne comme mission de réaliser l’unité des esprits et des coutumes. La ville est devenue l’apôtre par excellence de l’hellénisme au monde oriental.
En s’adressant à l’Église, Jésus-Christ se dit le Saint, le Véritable et celui qui a les clés de David. Dans l’Ancien Testament « saint », n’est réservé qu’à Dieu. Ici, le terme dénote la sainteté du Christ séparé du monde; c’est d’ailleurs là le sens précis du terme biblique : se séparer du monde pour se placer au service de Dieu.
Le Christ est également le Véritable, celui dont la fidélité est au service des desseins divins. Sa parole est ferme et fiable.
Enfin, il possède « les clés de David » (voir És 22.22 où Éliakim, ministre du roi Ézéchias, est chargé de la garde des clés du palais royal et où celui qui veut s’adresser au souverain devra donc nécessairement passer par lui). Il détient une autorité absolue. Notons qu’il ne déclare pas posséder les clés de la maison de David, car les promesses jadis faites à la maison royale de David ont été accomplies en lui. Par son actuelle exaltation, il se trouve au-dessus de la tête de la maison de son illustre ancêtre et de celle de Dieu. Il décachette les sceaux mystérieux et dévoile aux hommes la vérité qui leur était jadis cachée. Il ouvre et nul ne peut fermer. Il ferme et nul ne peut ouvrir. N’avait-il pas déclaré déjà dans l’Évangile : « Je suis la porte, si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé » (Jn 10.9)?
« Lorsqu’on évoque les génuflexions éperdues devant les champions vantards, on est heureux d’apprendre à qui appartient la puissance effective. Christ force bien grande les portes que les grands de ce monde verrouillent et il referme en silence les portails que les grands de ce monde ouvrent béants. Mais Christ ouvre aussi sur la vie éternelle des portes que des autorités ecclésiastiques abusant de leur ministère auront closes; et il annulera des entrées que ces mêmes instances complaisantes à bon compte auront promises ou même vendues à n’importe qui.1 »
La description qui est faite du Christ est destinée à confondre les Juifs qui prenaient sans doute en dérision le Jésus de Nazareth, le proscrit et le maudit de la croix. Pourtant, c’est bien lui qui est leur Messie véritable. Il n’est pas un imposteur.
Philadelphie est l’Église du privilège parce que le Christ ouvre une porte devant elle. Elle n’est pas la plus importante des sept Églises de l’Asie Mineure. Le nombre de ses membres est infime; son influence sociale ou culturelle quasiment nulle. Sans doute n’a-t-elle même pas de prédicateur qui électrifie les foules et leur arrache « des décisions pour le Christ » par milliers. Elle ne publie pas de statistiques impressionnantes. Mais elle a fait ce qui est essentiel : Elle est restée fidèle à la Parole, a annoncé la Parole de la crucifixion, a cherché à glorifier Dieu, a résisté à la tentation de troquer la Bonne Nouvelle contre des discours agréables pourtant incompatibles avec l’exigence de fidélité en rupture avec le « monde ».
Elle vit une situation précaire, presque dramatique. L’opposition ne lui vient pas de la part des païens et elle ne souffre pas comme ailleurs de la présence de faux docteurs et d’hérésies pernicieuses. L’opposition lui vient plutôt des attaques des Juifs qui ne méritent même pas d’être appelés des Juifs. Du fait qu’ils persécutent l’Église, ils sont appelés « synagogue de Satan ». Or, à présent, seule l’Église est l’Israël véritable de Dieu. D’autres persécutions sont en vue. Elles seront plus sévères que les précédentes et la tourmente deviendra plus intense. L’heure de l’épreuve est donc proche; les assauts redoubleront de violence; l’on traversera la fournaise ardente. Mais qu’on prenne courage; à cause de la fidélité éprouvée, l’Église sera préservée.
Depuis que ce message fut adressé à Philadelphie, à chaque génération, là où les chrétiens y prêtèrent l’oreille, ils tinrent bon, en dépit des circonstances les plus adverses. Effectivement, ce message inspire cet « optimisme biblique » que nous oserons qualifier d’« incorrigible »! Car l’espérance chrétienne n’est pas fondée sur la force fragile des êtres humains, mais sur la certitude que le Christ est aussi bien le Seigneur de l’Église que le Maître souverain de l’univers. Par sa main ferme et à travers toutes les tourmentes, il conduit l’une et dirige l’autre. Lorsque des civilisations partent à la dérive quand des philosophies nihilistes créent la débâcle et que des chrétiens timorés sombrent dans une morne résignation, il fait germer la foi, il fonde l’espérance, il rend l’amour actif, même au milieu des tensions aboutissant à des explosions gigantesques. Certes, les civilisations mortelles de jadis rendirent l’âme et des Églises succombèrent corps et biens. Mais le Christ n’a jamais cessé de renouveler la vitalité du petit reste fidèle attentif à ce que disent l’Esprit et la Parole.
C’est vers la fin d’une autre civilisation, au 5e siècle de notre ère, lorsque des hordes barbares saccagèrent la ville éternelle, que le grand Augustin clama de toute sa force la victoire du Christ, depuis la cathédrale d’Hippone en Afrique du Nord. Tandis que Goths et Vandales dévastaient impunément la capitale, la réduisant à feu et à sang, saint Augustin annonçait ses certitudes :
« Pauvres ruines que nous sommes, le monde va âtre détruit, mais écoutez ce qui est écrit dans l’Évangile; les cieux et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. C’en est assez de vos lamentations et de vos pleurs. N’êtes-vous pas personnellement responsables de vos malheurs? Ce sont des temps difficiles, dites-vous. Mais ne font-ils pas partie de vous-mêmes? Mais la compassion nous est aussi promise. N’avez-vous pas été baptisés dans l’espérance? Ne comprenez-vous pas que le dessein de Dieu s’accomplit dans la plus redoutable des afflictions? Aucun Goth ni Vandale ne peut se saisir du Christ. Les véritables richesses ne sont pas celles que les Vandales pourraient nous ôter. Aucun barbare ne peut nous enlever la vie éternelle.2 »
Combien il est tonifiant de réentendre la voix puissante de l’évêque d’Hippone! Combien bienfaisant surtout de relire cette page du livre de l’Apocalypse; ses rappels sont si actuels!
Or, si nous ne nous fiions qu’aux seules apparences, nous aurions maintes raisons de chanceler et la foi la plus robuste vacillerait sous les rudes coups du doute ou des insinuations malveillantes de nos détracteurs modernes. Chaque jour qui passe sonne le glas de la plus malheureuse et la plus pitoyable des civilisations et sonne aussi le tocsin pour l’Église. L’une et l’autre, nous assurent les Cassandres modernes, se précipitent vers leur destruction finale. Dès lors, les questions angoissantes que des hommes de peu de foi se sont toujours posées reviennent aujourd’hui avec une acuité particulière. Dans une telle situation, quel sens notre existence sur terre revêt-elle et quelle est la finalité de l’histoire humaine?
Depuis que nos contemporains virent s’élever pour la première fois l’effroyable champignon atomique, au milieu de leurs cauchemars quotidiens, ils s’attendent à mille explosions nucléaires. Explosion atomique ou pas, ils ont pourtant acquis une certitude : l’univers se décompose imperceptiblement, quoiqu’inéluctablement. Si sa structure se destine tôt ou tard à la désintégration dans un « big bang » final, à quoi bon croire, espérer, aimer? Existerait-il encore un dessein directeur de notre vie?
Le chrétien a le devoir de poser une autre question : quel est le sens de sa foi en Jésus-Christ? Quelle en est la portée? Il ne se contente pas de poser des questions pour l’amour de la question. Il ne cherche pas davantage des réponses aux questions qu’il se pose comme s’il était emporté par le courant dévastateur de l’incertitude universelle, laquelle déferle sans exception sur toutes les têtes.
Le livre de l’Apocalypse le ressaisit. « Voici, j’ai mis devant toi une porte ouverte. » Il y a ici à la fois une promesse et un ordre. Parmi toutes les interprétations données à cette phrase, retenons-en une : cette parole fonde l’entreprise missionnaire chrétienne. Le Christ pratique une ouverture pour son règne messianique. L’Église de Philadelphie, apparemment sans éclat, exercera une influence insoupçonnée. Devant les pieds de ceux qui sont considérés comme faibles, elle fera prosterner tous ceux qui leur en veulent à mort (voir És 60.14).
Sa situation géographique se prête à l’entreprise d’évangélisation. Nous avons déjà relevé le rôle tenu par cette ville, plaque tournante reliant deux mondes, l’Ouest et l’Est, et conduisant vers les grandes métropoles intérieures de la province de l’Asie Mineure.
Cette mission ne consiste pas à s’émerveiller de soi-même ou au contraire à s’épuiser en analyses morbides, en évaluant ses chances de survie ou en se vantant de ses fiévreux engagements. Investie d’une mission, elle est appelée, tel un phare, à éclairer les égarés, à crier aussi tel un héraut la Bonne Nouvelle qui vaut la peine d’être entendue pour réagir contre toute mauvaise information quotidienne. Jésus-Christ est le Seigneur, l’Alpha et l’Oméga, non Bacchus, ou le cortège des pseudo-dieux olympiens, ou les césars omnipotents pour un jour, mais appelés à être à leur tour réduits en cendres comme leurs illustres prédécesseurs. Il n’est ni la culture arrogante, ni la science vantarde, ni aucune idéologie moderne, pas plus que les mythologies d’hier.
Notre foi consistera donc à proclamer sans répit qu’en effet Jésus est le Seigneur et que tout genou dans le ciel, sur la terre et au-dessous de la terre se pliera devant son autorité souveraine.
Certains passages du Nouveau Testament montrent comment le Seigneur fraie la voie à ses messagers si ces derniers lui font confiance; ils ne forceront pas le passage à tout prix (Ac 14.27; 16.14; 1 Co 16.9; 2 Co 2.12; Col 4.3).
Une promesse est faite; les noms des fidèles seront gravés. Sur les ruines des temples de Philadelphie, on lit de telles inscriptions. Les citoyens les plus méritants voyaient leurs noms inscrits sur la colonne soutenant le temple. En ce qui concerne les fidèles, leurs noms sont associés à celui de Dieu. Un nom nouveau et inconnu des gens, mais connu de Dieu seul, leur est donné.
Le vainqueur sera inébranlable, établi pour l’éternité. Les séismes terrestres ne le menaceront pas. Or l’Église est fondée sur le fondement des prophètes et des apôtres et la pierre d’angle en est le Christ en personne.
La condition de la fidélité est spécifiée. Est fidèle celui qui pratique la rupture avec le monde par motif de foi. Il refuse toute fusion. Si le Christ est saint, l’Église devra l’être aussi. S’il est le Véritable, les siens devront persévérer dans la vérité de l’Esprit et de la Parole. S’il ouvre une porte, ce n’est pas pour leur permettre de fuir en avant, mais pour avancer en vue de la conquête. Alors ils sauront qu’ils appartiennent à Dieu; le Christ le souligne à quatre reprises par son « mon Dieu ».
Notes
1. Ch. Brütsch.
2. Saint Augustin, La Cité de Dieu.