Apocalypse 6 - Une histoire bien banale
Apocalypse 6 - Une histoire bien banale
« Je regardai, quand l’Agneau ouvrit un des sept sceaux, et j’entendis l’un des quatre êtres vivants dire comme d’une voix de tonnerre : Viens. Je regardai, et voici un cheval blanc. Celui qui le montait tenait un arc; une couronne lui fut donnée, et il partit en vainqueur et pour vaincre. Quand il ouvrit le second sceau, j’entendis le second être vivant dire : Viens. Et un autre cheval, rouge feu, sortit. Celui qui le montait reçut le pouvoir d’ôter la paix de la terre, afin que les hommes s’égorgent les uns les autres; et une grande épée lui fut donnée. Quand il ouvrit le troisième sceau, j’entendis le troisième être vivant dire : Viens. Je regardai, et voici un cheval noir. Celui qui le montait tenait une balance à la main. Et j’entendis comme une voix au milieu des quatre êtres vivants; elle disait : Une mesure de blé pour un denier; quant à l’huile et au vin, n’y touche pas. Quand il ouvrit le quatrième sceau, j’entendis la voix du quatrième être vivant dire : Viens. Je regardai, et voici un cheval d’une couleur verdâtre. Celui qui le montait se nommait la mort, et le séjour des morts l’accompagnait. Le pouvoir leur fut donné sur le quart de la terre, pour faire périr les hommes par l’épée, par la famine, par la peste et par les bêtes sauvages de la terre. Quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été égorgés à cause de la parole de Dieu et du témoignage rendu. Ils crièrent d’une voix forte : Jusques à quand, Maître saint et véritable, tardes-tu à faire justice et à venger notre sang sur les habitants de la terre? Une robe blanche fut donnée à chacun d’eux, et il leur fut dit de se tenir en repos quelque temps encore, jusqu’à ce que soient au complet leurs compagnons de service et leurs frères qui allaient être mis à mort comme eux. Je regardai, quand il ouvrit le sixième sceau : il y eut un grand tremblement de terre : le soleil devint noir comme un sac de crins; la lune entière devint comme du sang, et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre, comme lorsqu’un figuier secoué par un grand vent laisse tomber ses figues. Le ciel se retira tel un livre qu’on roule, et toutes les montagnes et les îles furent écartées de leurs places. Les rois de la terre, les grands, les chefs militaires, les riches, les puissants, tous les esclaves et les (hommes) libres se cachèrent dans les cavernes et dans les rochers des montagnes. Et ils disaient aux montagnes et aux rochers : Tombez sur nous, et cachez-nous loin de la face de celui qui est assis sur le trône, et de la colère de l’Agneau, car le grand jour de leur colère est venu, et qui pourrait subsister? »
Apocalypse 6
Jusqu’à présent, les sept lettres adressées aux Églises rappelaient leur vocation sur terre, elles les mettaient en garde contre les formes de relâchement; elles les préparaient aussi à affronter les épreuves et à subir la tribulation, mais de manière à remporter l’ultime victoire.
Ensuite, ce fut la vision du Christ glorifié, dévoilant la transcendance absolue de Dieu.
Avec la page qui s’ouvre devant nos yeux, nous redescendons sur terre et prenons part aux feux croisés qui n’épargnent personne ou presque. Nous-mêmes, chrétiens, n’échapperons pas à l’intensité du feu, car sur terre nous partageons avec les hommes un sort commun, même si notre sort éternel a déjà été fixé.
Toutefois, prenons garde de ne pas identifier exactement à la hâte et à la légère tel ou tel malheur dont nous serions les spectateurs, voire la victime, avec ce que nous annonce le livre de l’Apocalypse. Ne nous égarons donc point en des conjectures intéressantes et attrayantes qui ne nous donneraient qu’un goût prononcé pour ce que les journalistes du sensationnel font de leur côté. Saisissons plutôt la dimension spirituelle du message de cette page.
Rappelons-nous que les visions de l’Apocalypse ont trait avec tous les mouvements communs à toute époque. Elles ne prédisent pas un événement particulier comme tel, n’en déplaise aux amateurs de prédictions « apocalyptiques », si nombreux à encombrer les chaires et les cathédrales des prophéties bibliques, et en dépit de l’engouement de ceux qui peuplent les bancs de nos modernes Églises de futurologie millénariste.
Ne dissimulons pas le fait que, s’il était facile d’offrir jusqu’ici une explication claire du contenu du livre que nous étudions, à partir de maintenant notre tâche sera beaucoup moins aisée. Ceci est en partie dû aux multiples interprétations qu’on en a données et qui décourageraient le plus patient des docteurs de la Bible, voire le lecteur le plus avide de certitudes.
Épargnons-nous cependant certaines peines. En accord avec un principe d’interprétation déjà posé, nous trouverons sur cette page deux aspects d’une même révélation.
Les sept sceaux dont il est question nous adressent un double message : Au monde incrédule, ils posent la question : « Quand le Fils de l’homme [c’est-à-dire Jésus-Christ] viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre? » (Lc 18.8). À l’Église, ils rappellent cette parole de Jésus-Christ : « Vous aurez des tribulations dans le monde; mais prenez courage, moi, j’ai vaincu le monde » (Jn 16.33).
Ainsi, par moments, la Bible nous place en face de situations paradoxales ou devant des aspects de la même réalité qui semblent à première vue contradictoires. Tâchons cependant d’en saisir l’essentiel. L’une des images bibliques nous montre ce que le monde temporel aurait pu être s’il n’avait pas rejeté le Prince de la paix, le Sauveur divin, et s’il n’avait pas succombé à la tentation. Parallèlement à cette image, elle nous en montre une autre, celle de la réalité quotidienne avec laquelle nous sommes si familiers; c’est l’image du monde qui n’a pas accueilli son Seigneur.
La première nous laisse entendre que le monde aurait pu s’épargner les calamités dont il est la victime. Il est inconcevable que la Bible puisse nous offrir l’image utopique d’un monde qui n’aurait existé que dans l’imagination fertile des auteurs sacrés. Le monde aurait été réellement différent s’il avait reconnu en Dieu son Créateur et son Seigneur, et en son Christ, le Berger universel. Malheureusement, entre cette image originelle du monde visible et sa restauration finale s’étend une période de l’histoire tourmentée et sans cesse saccagée par toutes les ordalies et par tous les cataclysmes dus au courroux divin. Si notre histoire quotidienne, tortueuse et torturée, ne veut pas entendre l’invitation du Christ ni se conformer à la volonté souveraine du Dieu tout-puissant, il ne lui reste qu’à s’enfoncer toujours plus dans le dédale sans issue dont chaque nouveau tournant lui réserve un nouveau malheur. Ce sort attend parfois l’Église lorsqu’elle aussi refuse de se conformer à sa vocation divine et ne vit pas d’une manière digne de l’Évangile.
À ce propos, signalons brièvement une certaine tentation qui la guette. Celle de hâter, par n’importe quel procédé, l’avènement du Christ, d’instaurer ici et maintenant son Royaume de façon visible et palpable. Cette tentation effleurait presque, déjà, les premiers disciples du Christ qui semblaient impatients de connaître les détails du retour de leur Seigneur. Sans doute se plaisaient-ils à s’imaginer qu’ils seraient les témoins privilégiés des réalisations définitives des antiques prophéties messianiques et les heureux citoyens du nouvel âge d’or.
Depuis, de nombreux chrétiens, certes armés de bonnes intentions, mais hélas égarés dans des fanatismes parfois violents et meurtriers, cherchèrent à en finir une fois pour toutes avec les guerres, l’oppression, la faim, les tyrannies despotiques, et même à se mettre à l’abri de toute persécution. Nombre de chrétiens n’ont sans doute pas compris que l’ennemi sème encore son abominable ivraie dans le champ ensemencé par le bon grain. Ils oublient que les citoyens du roi qui était parti au pays lointain avaient envoyé son fils, l’héritier, mais que les iniques l’ont mis à mort par haine et cupidité. On s’est imaginé que le jour du Seigneur arriverait avec le soleil du lendemain!
La vision des sept sceaux que nous méditerons nous met en garde contre de telles précipitations optimistes. Le Royaume s’établira, mais seulement lorsque les temps décidés par Dieu seront accomplis. Il ne s’établira pas par la force des armes ni par les emportements de chrétiens spiritualistes, encore moins par la violence des théologies de la révolution. En attendant, Église de Jésus-Christ, il nous faut entrer dans le Royaume avec beaucoup de tribulations. Le Seigneur nous en a laissé le vivant exemple en personne.
Les sceaux de ce chapitre dévoilent le sort de l’humanité ainsi que le cours ordinaire de l’histoire universelle. Cette histoire va parcourir encore un certain temps depuis l’ascension jusqu’à l’heure de la fin, fixée par Dieu et connue de lui seul. Que les disciples se le rappellent, ils en avaient été informés. Il y aura des guerres et des rumeurs de guerre, mais ce ne sera pas encore la fin!
Cet avertissement n’épuise certainement pas la totalité du message de notre texte. Car les visions décrites ici virent aussi, quoique partiellement, leur application immédiate, historique, durant le temps de l’apôtre Jean. Le parallèle de Matthieu 24 nous vient à l’esprit. Jésus y annonce la chute de Jérusalem et le châtiment de la nation élue. Pourtant, la portée de ce discours eschatologique ne se limitait pas aux seuls événements des années 70 de notre ère.
Nous voici donc parvenus à un passage abrupt qui transite de la vision lumineuse décrite sur les pages précédentes à un désordre universel. Rien n’a été prévu pour amortir le choc que nous ressentirons. Rien, ou presque. Au cantique de jubilation de tout à l’heure suivra la kyrielle des malheurs. « Les chevauchées dévastatrices sèment la frayeur et engendrent une indescriptible panique. » Remarquons cependant — et c’est en cela que nous pouvons espérer trouver un amortisseur de choc — que les fléaux en question sont appelés sur ordre et avec la permission de l’Agneau, celui « qui pour nous hommes et pour notre salut » s’est incarné, a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort, a été enseveli, et qui le troisième jour est ressuscité des morts, qui est monté au ciel et siège à la droite de Dieu, le Père tout-puissant. En personne, il déclenche les cataclysmes indescriptibles.
Ne nous étonnons pas et ne soyons pas scandalisés par une telle assertion. Avec l’ensemble du message de ce livre et même de toute la Bible, nous avons la conviction que les puissances maléfiques qui s’obstinent à ne pas restituer le domaine usurpé apprendront que les fléaux dont ils sont les exécutants sont permis et voulus par le Christ Seigneur. Quelque choquant que cela puisse sonner à nos oreilles, nous pouvons ajouter que notre réconfort et notre assurance résident précisément en cette connaissance certaine. En lisant la Bible qui proclame la souveraineté absolue du Dieu Créateur et Sauveur, nous n’avons pas le droit de dissocier le déluge des malheurs de sa sainte, majestueuse et juste volonté.
À la question qu’on lui posait, s’il croyait encore à la providence, un récent prix Nobel de littérature, Elie Wiesel (1986), parlant de l’holocauste, répondait par cette incroyable phrase :
« J’accepte votre question, mais il n’y a pas de réponse. Vous savez bien qu’il n’y a pas de réponse. Il faut vivre avec la réponse, parfois contre la réponse ou avec la question parfois contre la question. Mais dire la réponse, et la réponse seule sans la question je ne peux pas le faire. »
Comme moi, vous n’y avez sans doute rien compris! « Ces phrases mériteraient d’être gravées au fronton du temple de galimatias », écrivait le lecteur du quotidien qui publiait l’interview du prix Nobel; et d’ajouter : « quel beau sujet pour le baccalauréat! »
Quant à nous, revenons à la clarté de l’Apocalypse. L’Agneau immolé en qui nous avons placé notre confiance est aussi l’Agneau en colère. Ces deux portraits du Christ sont constamment juxtaposés dans ce livre. Une fois encore, soulignons-le : si la cité terrestre refuse de se soumettre à celui qui dispose de toute autorité sur la terre et dans les cieux, elle apprendra, à ses dépens, ce qu’il lui en coûtera. Le « Dies irae » (la colère de Dieu) n’est pas un beau sujet de mise en scène cinématographique pour des cinéastes comme Ingmar Bergman. Les jugements de Dieu, au pluriel, sont bien vrais, pesants et mortels.
Nous n’avons pas de raison de nous attendre à la disparition des guerres, des maladies, de la mort, de la persécution. Notre mission chrétienne ne consiste pas à les déraciner définitivement de la surface de notre planète. À cet égard, nos sanglots d’homme blanc ou nos actions violentes ne pourraient y contribuer. Notre mission principale, bien qu’elle doive s’accompagner de toute bonne œuvre, consiste à inviter tout homme, à chaque génération et quelle que soit sa condition, à fuir ce jour de colère. Notre humble, mais persévérante proclamation de l’Évangile fera plus que tous les engagements fiévreux dans une action sociopolitique. Dieu est l’unique invincible. À nous donc, Église chrétienne, de confesser publiquement et hardiment notre foi en lui.
Les visions auxquelles nous assistons ici et celles qui suivront après forment une série de trois : celle des sceaux, celle des trompettes, celle des coupes. Chacune est divisée en deux parties : d’abord les six premiers, ensuite le septième. Notons aussi que ces visions décrivent toutes les mêmes événements, vus cependant à partir d’un angle différent. Elles couvrent toutes le même terrain, mais en projetant une lumière particulière sur le même objet.
À la fin du jugement exercé par la série des sceaux, l’apôtre voit 144 000 membres d’Israël ainsi qu’une multitude sans nombre composée de toutes les nations païennes. Le Rédempteur s’est acquis un peuple nouveau. En faisant tomber le mur de séparation, il a formé une nation sainte, un peuple élu, un sacerdoce royal, son Église universelle, formée aussi bien de Juifs que de païens.
À la fin du jugement exercé par les trompettes, une grande voix céleste déclare : les royaumes de ce monde sont devenus le Royaume du Seigneur et de son Christ. Le Rédempteur prend possession de son héritage.
À la fin du jugement exercé par les coupes, on assistera à la célébration du mariage de l’Agneau. Le Rédempteur accueillera son Épouse, l’Église chrétienne. Et, lorsqu’il paraîtra dans sa splendeur, Satan sera jeté dans le grand abîme. Alors seulement, notre salut sera total et définitif.
Voici donc des certitudes bienfaisantes qui se dégagent de chacune des pages de ce merveilleux livre. Les secrets de notre univers sont entre les mains divines. Aucun homme, pas même un ange, ne pourrait les appréhender. Seul l’homme du Calvaire, Jésus, le Christ de Dieu, le crucifié à présent déclaré avec puissance Fils de Dieu, à cause de sa résurrection d’entre les morts, est capable de les dévoiler à celui et à celle qui a des oreilles pour entendre, c’est-à-dire la foi pour croire aux paroles prononcées ici.
Examinons à présent l’ouverture individuelle de chaque sceau. Ils sont au nombre de sept. Mais, nous l’avons déjà laissé entendre, nous ne verrons pour l’instant que l’ouverture des six premiers. Celle du septième sera réservée pour la fin.
Après l’ouverture des quatre premiers sceaux, quatre cavaliers surgiront sur la scène mondiale. L’apparition de chacun sera accompagnée de l’annonce terrifiante d’un nouveau cataclysme. Ils nous rappelleront les forces agissantes de l’outre-monde. Comme l’écrivait saint Paul, « nous ne luttons pas contre la chair et le sang — contre des hommes —, mais contre les principautés » (Ép 6.12), bien que ce soient des hommes de chair et de sang qui soient devenus des instruments vendus entre les mains des hordes démoniaques. Des pouvoirs lucifériens ont reçu l’ordre d’exécuter les jugements divins.
Le premier sceau fait apparaître le premier cavalier et celui qui nous surprend le plus. Il vient avec une belle apparence, monté sur un cheval blanc, celui des conquérants romains. Il tient un arc entre ses mains et il porte une couronne sur sa tête. Nous sommes d’autant plus surpris qu’au chapitre 19 de l’Apocalypse un autre cavalier monté sur un cheval blanc apparaîtra aussi. Il y est appelé la Parole de Dieu. Nous savons qu’il n’est autre que Jésus-Christ en personne. Celui dont nous parlons maintenant réunit exactement les traits de l’autre. Qu’est-ce à dire, si ce n’est qu’il en est le double, qu’il double Jésus-Christ. Pour être plus clair, nous l’appellerons, ainsi que le fait le Nouveau Testament, l’anti-christ.
Nous sommes non seulement surpris par cette première apparition, mais encore et avec raison, terrifiés. Ce personnage est véritablement effrayant, car il réussit parfaitement à tromper les gens et à égarer même les élus de Dieu. Il est sorti, n’en doutons point, du sein de l’Église. Il est devenu le vicaire du Christ (2 Th 2.4). Depuis l’antiquité, des remplaçants usurpateurs du divin Sauveur et du suprême Pasteur de nos âmes n’ont pas manqué. Ils sont apparus tels des anges de lumière, revêtus de blanc, parcourant le monde, traversant les mers, poursuivant leurs conquêtes temporelles. Les réformateurs n’hésitaient pas à les identifier avec les représentants du clergé de leur époque. Nous ne contesterons pas la justesse de leur vue. Mais, actuellement, force nous est de constater que les anti-christs ne sont pas les produits exclusifs et le triste apanage de telle ou telle confession, mais que toutes les confessions, ne serait-ce que par des erreurs d’ordre théologique et moral, pourraient effectivement produire des anti-christs.
L’anti-christ n’est pas seulement un personnage de la fin des temps; ce pourrait être une idéologie spirituelle, voire ecclésiastique, courante, au milieu de nous. C’est d’ailleurs le sens de ce que saint Jean écrit dans sa première lettre lorsqu’il signale qu’il y a déjà de nombreux anti-christs! (1 Jn 2.18). Toute Église qui a cessé d’entendre la voix et de suivre le bon Berger produit son propre anti-christ, en attendant qu’à la fin des temps apparaisse le coryphée de tous ceux qui auront vécu et agi en opposition au Christ de Dieu au cours de notre histoire.
Le deuxième sceau fait apparaître un cavalier chargé de répandre la guerre. Il porte une épée, une « machaira ». On peut discerner chez lui la figure de tout militarisme sanguinaire, l’auteur de guerres dévastatrices. Mais nous verrons en lui plus qu’un banal stratège et semeur de mort. Nous discernerons chez ce cavalier le persécuteur par excellence des enfants fidèles de Dieu. Sa mission principale consistera à exterminer les disciples et les témoins de Dieu. Ce signe-là est accordé aux croyants, afin qu’ils sachent que c’est eux qui en sont l’enjeu véritable et non pas les nations en général. On fera bien de se rappeler la parole du Christ : « Je suis venu non pour apporter la paix, mais pour apporter l’épée » (Mt 10.34). En outre, le terme « massacrer » n’est pas courant chez Jean. Ce terme exceptionnel dans notre livre s’emploie dans le cas de la mort violente du Christ, mais aussi pour la mort des croyants (voir aussi 1 Jn 3.12; Ap 5.6; 5.9; 13.8; 18.24). Notre interprétation se justifie encore par la lecture de l’ouverture du cinquième sceau qui permettra de voir les âmes des martyrs chrétiens. Ils ont été massacrés pour la Parole.
Le terme « machaira », une courte épée, s’emploie en une multitude de sens. Strictement parlant, c’est un instrument qui sert pour le sacrifice sanglant. C’est avec une « machaira » qu’on immole la victime (dans la version des Septante de Gn 22.6,10, par exemple). Il nous faut également garder à l’esprit qu’ici le Christ s’adresse à des chrétiens qui sont précisément la cible des persécutions et des candidats sans défense au massacre. Le martyre des chrétiens est le problème majeur qui préoccupe l’Église apostolique. Les chrétiens primitifs ne se sont pas intéressés au premier chef à des guerres et à des militarismes sanglants. Ils ne se soulevèrent pas d’indignation chaque jour en apprenant qu’une nouvelle hostilité s’engageait dans telle ou telle région de la planète; ils n’étaient pas d’abord, et par pur amour, des lecteurs assidus de leur journal quotidien; ils s’intéressaient avant tout au sort inique que des hommes sans Dieu ni loi leur infligeaient de par le vaste monde.
Cependant, ceci admis, louons Dieu de ce que la « machaira », cette courte épée, soit mise entre les mains du cavalier sur ordre divin. Car nous savons que Dieu ne tolérera pas l’activité de celui-ci au-delà de ce qu’il aura prescrit. Il contrôlera même les massacres dont des rebelles se rendent coupables sur la personne de ses élus. Louons donc Dieu, car l’Agneau règne en souverain.
Le troisième sceau fait apparaître un cavalier qui représente la famine et la peste. Il est monté sur un cheval pâle. Il porte entre ses mains une balance. Il sera le responsable des confusions et d’inextricables problèmes d’ordre économique. L’inflation et les hausses de prix seront telles qu’aucun salaire ne suffira pour acheter la plus indispensable des denrées alimentaires. Mais comble d’ironie, des articles de luxe tels que le vin et l’huile ne seront pas frappés par la disette; seulement ce qui est indispensable, le pain quotidien par exemple! Cette situation économique n’épargnera personne. Les chrétiens ne seront pas plus à l’abri que les païens.
Il est vain de s’attendre à ce que les utopies économico-politiques d’humanistes athées puissent trouver la solution convenable et urgente aux grandes crises, ou même aux petites, puisque les dernières théories en cours dans ce domaine laissent entendre que des petites crises économiques pourraient offrir quelques solutions! Il semble que les uns et les autres soient renvoyés dos à dos et que les mesures divines se moquent de toutes les solutions boiteuses dans ce domaine comme dans tous ceux de la vie sociale. Souvenons-nous que ce cavalier apparaît à son tour sur ordre du Christ. Dieu oppresse et juge les païens et il les laisse s’enfoncer dans leurs abîmes.
Voici enfin le quatrième sceau faisant apparaître le quatrième cavalier. Celui-ci représente la mort. Derrière lui, il traîne toute la panoplie et les services infernaux du séjour des morts. Sur son passage, un quart de l’humanité succombera. Les animaux aussi seront parmi ses victimes. La mort est universelle. On peut donner raison à Georges Wells et à son humour macabre. Selon le célèbre écrivain, « il paraît, d’après les dernières statistiques, qu’un homme sur un est mortel ». Nous le savions déjà sans l’humour britannique de Wells, et nous le savions pour d’autres raisons. Cependant, même le séjour des morts ne possède pas de pouvoir illimité. Son champ d’action est circonscrit; car comme aux vagues déchaînées de la mer, Dieu lui ordonne aussi : jusqu’ici et pas au-delà! Cependant, il n’est pas question ici de massacres dans le même sens que tout à l’heure. Il s’agit plutôt de la mort, la mort ordinaire. L’instrument utilisé pour frapper n’est plus la « machaira », mais la « romphaia », une épée longue et lourde, celle avec laquelle l’adolescent David avait coupé la tête du géant Goliath. Cependant, ce fléau concerne également l’Église, même si les quatre formes dont il est question sont universellement connues. Les fléaux ne prennent leur importance qu’à cause de l’Église chrétienne.
Les quatre cavaliers sont encore présents parmi nous. Nous savons qu’ils apparaissent parce que l’Agneau les appelle. Ils n’ont pas de secret pour lui. Ces agents impitoyables sont placés sous contrôle divin. Dieu, qui autorise leurs agissements, délimite aussi leur champ d’action. Parce que sa souveraineté est totale, nous resterons confiants au milieu des pires malheurs. Il exerce un contrôle si minutieux qu’aucun détail ne lui échappe. Le feu peut faire rage, c’est Dieu qui circonscrit l’étendue des flammes. Elles ne dévoreront que ce qu’il a décidé de consumer!
Le cinquième sceau est différent des quatre précédents. Il n’est pas annoncé par la voix des êtres vivants ni par le cri « viens ». La voix qu’on entend à ce moment n’est pas celle du gémissement d’un univers en agonie ou en labeur, mais celle d’une Église opprimée. Après l’ouverture du quatrième sceau, on aurait pu penser qu’on avait atteint le comble du mal et que la souffrance humaine ne pouvait connaître une escalade. En effet, les premiers sceaux étaient sans pitié pour personne. On savait qu’au lieu de disparaître, les malheurs allaient s’intensifier. Mais si tel est le cas, que doit faire l’Église? Où est la promesse de la victoire? L’ouverture du cinquième sceau offre une partie seulement de la réponse que nous cherchons.
Il nous faut nous rappeler les grandes étapes de l’histoire de l’Église, car elle suit les traces de son Maître. La belle vision de la nuit étoilée de Bethléem s’évanouit en même temps que les chants des chœurs célestes; lui succède l’agonie de Gethsémani : la croix du Calvaire est dressée, le cri « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » retentit et déchire nos oreilles. À présent, l’Église aussi est en tribulation, persécutée et saignée à blanc. Ses martyrs interrogent le Maître : « Jusques à quand Seigneur? » Ils l’appellent en grec « Jusques à quand Despote! » « Despote » est ce terme que nous utilisons aussi en français et qui veut bien dire Maître. En effet, Dieu seul est le Maître absolu, le vrai Despote au sens plein du mot. L’Église a eu son Bethléem et sa ville de Nazareth, son Gethsémani et son Calvaire, mais elle aura aussi son matin de Pâques et elle verra le tombeau vide. Parce que le Christ lui a promis : « Là où je suis, vous serez aussi » (Jn 12.26), elle peut réellement suivre les traces de son Sauveur.
Ainsi, les cinq sceaux de l’Apocalypse ne précipitent pas de simples fléaux indéterminés, mais, ô paradoxe, à travers l’apparente défaite, la victoire du Christ éclate pleinement. Les quatre premiers sceaux laissaient entendre l’échec apparent, le cinquième fait état d’une très grande souffrance. Le témoignage des disciples a été rejeté. Dans le monde, ils ont effectivement eu des tribulations. Et cela est ainsi, car chaque fois qu’un témoignage fidèle est rendu à la Parole, il y a persécution et mise à mort. Les hommes animés de l’esprit malin cherchent à détruire le peuple de Dieu, à déraciner l’Église, à faire disparaître toute trace chrétienne.
Dans cette vision, on entend une protestation : « Jusques à quand Seigneur? » Cela ne signifie pas que les martyrs cherchent la vengeance pour eux-mêmes. Ils prient pour que vienne enfin le Royaume céleste. Ce « jusques à quand » est une requête pour que règnent enfin la paix et la justice, et que prévale la sainteté divine. Les âmes des martyrs se trouvent au ciel, contrairement à celles de leurs oppresseurs qui sont encore sur terre.
« Après avoir été traités de rebuts par des hommes, ils sont revêtus de vêtements blancs. Les morts pour la parole sont en communion avec Christ. Mais ils doivent attendre jusqu’à ce que le nombre des élus soit complété. »
On peut s’acharner à lutter contre les élus et à empêcher la réalisation des desseins établis depuis toute éternité, on sera éconduit. Dieu est patient, infiniment patient. Pour l’heure, la mort des martyrs n’est que l’occasion de rendre grâces au Dieu de l’univers, mais aussi le temps où les incrédules sont invités à se convertir.
Pourquoi Dieu permet-il la souffrance des siens? N’y aurait-il pas une contradiction entre sa puissance et son amour? Ne devait-il pas juger et anéantir par son souffle puissant tous les auteurs d’iniquités? Dieu a attendu jusqu’au Vendredi saint, le jour du Calvaire et de l’exécution capitale ignominieuse de son Fils. Depuis, il montre envers les humains son visage d’amour. Il ne jugera les hommes qu’à la lumière du sacrifice de Golgotha. Il n’a pas démissionné. C’est avec cet amour-là, qui satisfait et sa justice et sa sainteté, qu’il traite avec les rebelles insensés. Ce même amour finira par déraciner tout mal et par essuyer toute larme des yeux des innocents.
L’ouverture du sixième sceau est décrite dans un paragraphe majestueux et d’une rare puissance. Pourtant, dans les couleurs avec lesquelles le prophète peint la nouvelle scène, nous ne trouvons rien de nouveau ou de vraiment original. Il emprunte des phrases familières à l’Ancien Testament et même au vocabulaire du Seigneur Jésus.
Que nous disent ces détails? Il est difficile de déterminer l’ensemble; des séismes secouent les fondements de l’univers, le soleil s’obscurcit, les étoiles mêmes tombent, les cieux se déchirent, les montagnes chancellent et s’effritent; ce n’est pas un simple tremblement de terre, mais un bouleversement cosmique qui a lieu. Le prophète de Patmos ne fait que décrire, il n’explique rien. Il dépeint surtout la terreur de l’homme impénitent. On est en présence d’une catastrophe, osons le terme, de nature apocalyptique. Un mouvement gigantesque parcourt le cosmos d’un bout à l’autre. Tout est bouleversé de fond en comble.
Tous les hommes tremblent. Toutes les classes de la société sont mentionnées : les rois et les hommes du commun, les magnats comme les généraux, les riches et les forts, les puissants et les faibles, les libres et les esclaves, les monarques et leurs conseillers, les diplomates comme les commandants des troupes, les princes et les marchands, les hommes capables comme les membres obscurs de la société. Aucune royauté et aucun état humains, aucune célébrité ni aucune intelligence ne semblent à même de résister. Devant ce gigantesque procès, devant le tribunal divin, sur la scène cosmique, tout un chacun est totalement désarmé. Cette révélation d’ordre spirituel sur chacune des vies humaines confondra chacun de ceux dont l’esprit a été aveuglé par l’absorption des splendeurs mondaines, oublieux des gloires éternelles et permanentes. Ceux qui ont oublié durant le temps de leur existence la royauté du Fils de Dieu ne manqueront pas de subir le courroux du Dieu transcendant.
Notons que ces hommes ne redoutent pas tant la mort que le fait de tomber entre les mains du Dieu vivant.
L’ouverture du sixième sceau montre que Dieu ébranle sans cesse toutes choses, afin que ce qui ne peut être ébranlé puisse demeurer plus ferme encore (Hé 12.27). Déjà, les quatre cavaliers étaient une forme de cet ébranlement universel. Mais comment les hommes réagissent-ils devant ce fait? Par la fuite, loin du Dieu omniprésent, comme Adam après sa transgression entendant la voix du Seigneur, mais cherchant à se cacher. À présent, Dieu vient prendre possession de ce qui lui appartient. Il avance avec sa puissance souveraine. Inutile de demander aux montagnes de couvrir une conscience coupable et torturée par le tourment du remords. Plus encore que les calamités naturelles, c’est la colère de l’Agneau qui les terrifie.
Car, en ce jour de jugement, ce n’est pas tant un Juge céleste qui ouvre le livre et prononce le verdict, mais l’Agneau immolé de Dieu. C’est là un paradoxe à nos yeux, il est en colère, celui qu’actuellement on fuit, celui que les hommes méprisent.
« On voudrait entendre parler de la colère du Lion de Juda, mais c’est la colère de l’Agneau qui éclate comme lors de la première Pâque en Égypte. Là, le sang de l’agneau immolé sauvait ceux qui y prenaient refuge. La Pâque juive était également un jugement divin passé sur l’Égypte. De même que la croix est un jugement passé sur Satan et sur le monde incrédule. Mais elle est aussi le moyen d’expiation des péchés des élus. L’expiation exécutée par le Christ comprend à la fois la restitution et la restauration. Elle suppose la destruction des royaumes de ce monde et l’institution parfaite du royaume de Dieu. Car la restitution et la restauration sont fondamentales à l’expiation. La Pâque fut en effet l’occasion d’une restitution. Sous l’ordre de Moïse, les Israélites demandèrent à leurs voisins égyptiens de l’argent, de l’or et des vêtements pour récompenser leur travail d’esclaves durant des siècles. L’expiation de la Pâque fut suivie par la restauration lorsque les Israélites prirent possession du pays de Canaan, leur héritage. »
Nous parlons de la colère de l’Agneau. N’oublions pas cependant qu’il s’agit aussi d’une colère d’amour. Les grands de ce monde, jouets entre les mains diaboliques, peuvent se concerter et se rebeller contre le Fils de Dieu, le Prince des princes du monde. L’Agneau est irrité, nous annonce la Bible, et il peut détruire ce qui s’oppose à son amour. C’est devant lui que les puissances arrogantes seront réduites en poussière, détruites…
Mais, Dieu merci, la colère de l’Agneau contient aussi son amour. En cela sont la certitude et la consolation de son peuple. L’amour de Dieu s’est manifesté en Christ, l’Agneau immolé. Qui nous séparera de cet amour?
Pouvons-nous actualiser cette page? Nous savons que chaque avènement du Christ est la venue de celui qui a son van entre les mains et qui sépare le bon grain de la paille. Lors de son incarnation, lors des catastrophes naturelles, lors des convulsions de l’histoire, le Christ éprouve tout homme. Qui est capable de soutenir sa colère? Le Christ a déclaré : « Hors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15.5). Qui lui résistera? La réponse nous sera donnée au chapitre suivant.
Pour l’instant, nous savons une chose. Toute la méchanceté des hommes sera passée au crible. L’Esprit puissant du Seigneur souffle violemment sur la mer instable et déchaînée de l’humanité. Tous les hommes sont en convulsion et leurs croyances et leurs convictions sont déjà ébranlées. Dieu met déjà à l’épreuve toutes choses. Par l’Évangile, il juge tout homme qui l’entend. Certes, Dieu n’a pas prononcé son dernier mot. L’histoire présente semble contredire ses desseins d’amour. On s’oppose à sa Parole divine. Mais le jour de jugement est pourtant proche, quoiqu’aujourd’hui ce soit encore le jour du salut.
Aujourd’hui, le Christ nous conseille de ceindre nos reins, de nous revêtir de toutes les armes de Dieu, d’être prêts pour la phase finale. Alors nous saurons que nous ne sommes pas parmi ceux qui seront détruits, mais que nous serons arrachés comme à travers le feu et les eaux du déluge. Non seulement nous résisterons, mais nous pourrons aussi persévérer. Notre foi sera solide, car notre fondement est inébranlable. Nous avons bâti sur le roc et non sur le sable.
Au chapitre suivant, nous apprendrons que le Seigneur aura préservé les siens, au milieu de tous les craquements. Si les royaumes de ce monde s’évanouissent, il existe un royaume qui demeure pour l’éternité. Le germe de la vie est donc indestructible. Il portera des fruits. L’arche nouvelle nous abritera et abritera tous ceux qui ont été lavés et purifiés par le sang de l’Agneau, notre Sauveur bien-aimé.