La Bible seule?
La Bible seule?
Tous les protestants ont à cœur d’affirmer que l’autorité qui prime, dans les domaines de la foi et de la vie chrétiennes, est celle de la Bible1. Cela est exprimé par le sola Scriptura de la Réforme : l’Écriture seule! Cependant, nous devons comprendre ce que les réformateurs ont voulu dire avec cette expression. En effet, les protestants libéraux ou les Témoins de Jéhovah affirment aussi qu’ils se réfèrent à la Bible seule.
Le professeur allemand libéral Rudolph Bultmann (1884-1976) a expliqué que personne n’ouvre la Bible sans doctrines et sans présupposés. Mais quels sont-ils? Ne vont-ils pas colorer ma lecture de la Bible, voire la fausser en y projetant des principes erronés? Bultmann évoque alors un « cercle herméneutique » qui relie trois pôles : l’Écriture, mes présupposés (hérités de ma famille, de mon milieu, de mes choix philosophiques), les « doctrines » que j’ai pu élaborer sur Dieu, l’homme, la vie, etc. Si le cercle herméneutique fonctionne correctement, l’étude de la Bible peu à peu corrigera mes « doctrines » et mes présupposés, de telle sorte que les outils que j’utilise pour étudier la Bible se trouvent eux-mêmes soumis à la Bible. C’est sans doute là un travail qui n’est jamais achevé. Ce travail est sans doute celui que Paul évoque : « Amener toute pensée captive à l’obéissance de Christ » (2 Co 10.5).
L’article 5 de la Confession de foi de La Rochelle dit ceci au sujet de l’Écriture :
« […] Cette Parole est la règle de toute vérité et contient tout ce qui est nécessaire au service de Dieu et à notre salut. Il en découle que ni l’ancienneté, ni les coutumes, ni le grand nombre, ni la sagesse humaine, ni les jugements, ni les arrêts, ni les lois, ni les décrets, ni les conciles, ni les visions, ni les miracles ne peuvent être opposés à cette Écriture sainte. »
Le professeur Pierre Courthial2 commente cet article ainsi :
« Il peut et il doit y avoir tout cela : l’ancienneté, les coutumes et le grand nombre. Nos pères ne disent pas que c’est mauvais, tout cela. Non, non. Mais cela ne doit jamais être opposé à l’Écriture sainte. Mais au contraire tout cela doit être examiné, réglé et réformé d’après elle. C’est bon qu’il y ait des traditions dans l’Église. Et c’est bon qu’il y ait des conciles et des synodes. Et c’est bon qu’il y ait des miracles. […] Mais dans aucun cas tout cela ne peut être opposé à l’Écriture. Et c’est important qu’aujourd’hui nous retrouvions ce sens de la Parole de Dieu.3 »
Cet article 5 se prolonge ainsi :
« Dans cet esprit, nous reconnaissons les trois symboles, à savoir : le Symbole des apôtres, le Symbole de Nicée, le Symbole d’Athanase, parce qu’ils sont conformes à la Parole de Dieu. »
Ces confessions de foi anciennes sont aussi appelées « symboles œcuméniques », car elles ont été acceptées par un grand nombre d’Églises chrétiennes catholiques, protestantes et orthodoxes4. Nous remarquons que ce qui accorde de l’autorité à ces confessions de foi, ce n’est ni leur ancienneté ni le fait qu’elles soient œcuméniques. C’est parce qu’elles sont « conformes à la Parole de Dieu ».
Cela signifie que si l’Écriture seule a le statut de Parole de Dieu, il est néanmoins possible et même nécessaire de l’aborder à la lumière de textes reconnus qui expriment de manière succincte les enseignements principaux qu’elle contient. Ces textes ne sont pas infaillibles, mais ils sont le fruit du travail des docteurs que Dieu a donnés à son Église : en formulant comme ils le font ses doctrines majeures, ils éclairent la Bible d’une lumière qui vient de la Bible elle-même. L’expérience montre que ceux qui se sont affranchis de cet éclairage se sont souvent exposés à diverses dérives5.
Notes
1. Des différences importantes existent cependant chez les protestants au sujet du statut de la Bible. Les protestants évangéliques ne la confondent pas avec le Fils qui est la Parole éternelle de Dieu, mais ils affirment que la Bible est la Parole écrite de Dieu. Les protestants de sensibilité plus libérale préfèrent dire que la Bible contient la Parole de Dieu. Il revient à chacun, alors de déterminer ce qui dans la Bible est la Parole de Dieu, ce qui accorde une grande place à la lecture subjective de l’Écriture, avec le risque d’en arriver à cette position : Est inspiré ce qui m’inspire.
2. Il fut mon professeur à la Faculté de théologie réformée d’Aix-en-Provence de 1975 à 1981.
3. P. Courthial, La Confession de foi de La Rochelle. Commentaire. Les cahiers de « Tant qu’il fait jour » et Société des compagnons pour l’Évangile. Paris, 1979, p. 29-30.
4. Les Églises d’Orient, cependant, n’ont jamais reconnu ni le Symbole des apôtres ni le Symbole d’Athanase.
5. Voir en complément mon article intitulé Doctrines principales, principales hérésies.