Calvinisme et capitalisme
Calvinisme et capitalisme
« Il n’y aura point d’excuse pour les paresseux qui suppriment les dons de Dieu et passent leur vie en oisiveté, dont aussi nous recueillons qu’il n’y a état plus louable devant Dieu, que ceux qui apportent quelque profit à la société commune des hommes.1 »
Pour traiter parfaitement notre sujet, deux conditions semblent nécessaires : une connaissance approfondie du calvinisme et une idée très précise de la science de l’économie sociale.
Je ne crois pas être très au-dessous du niveau requis par la première condition. Mais je dois faire l’aveu que si je ne suis pas totalement étranger aux notions de la science économique, je suis loin d’être un économiste distingué et même un économiste tout court.
Ce qui me donne la hardiesse de traiter la question des rapports du calvinisme et du capitalisme, c’est qu’il s’agit moins de déterminer ce qu’est le capitalisme, de traiter un sujet d’économie politique, que de traiter un sujet d’histoire religieuse qui est celui-ci : étant donné qu’on entend par capitalisme, le mammonisme, la prédominance des intérêts économiques, ou plutôt la domination de l’argent, exerçant sa suprématie sur toutes les formes de l’activité humaine (y compris les forces spirituelles) et la recherche du gain matériel, comme fin dernière de tous les modes d’activité de la société, quelle part le calvinisme a-t-il eue, volontairement ou involontairement, dans la naissance de cet état d’esprit, que l’on considère comme la caractéristique du monde moderne, par opposition au Moyen-Âge?
Ceux qui accusent le calvinisme d’avoir été l’un des facteurs de l’éclosion du capitalisme, défini comme je viens de le faire, et d’avoir ainsi très involontairement livré les parvis du temple aux marchands et aux vendeurs, reconnaissent, au prix d’un terrible réquisitoire, que le calvinisme est bien ce qu’il prétend être. Ils reconnaissent qu’il n’est pas seulement une dogmatique confessionnelle comme une autre, une forme particulière de la piété personnelle, mais qu’il est, au même titre que le catholicisme et que le subjectivisme, un principe de civilisation devant exercer son influence sur toutes les formes de la vie, sur toutes les fonctions de l’activité intellectuelle et sensible. À la bonne heure, nous ne sommes plus sur le terrain de la religion Privatsache, affaire privée, où le marxisme prétendait nous enfermer.
Dire que le calvinisme a contribué à créer ce phénomène social qu’est le capitalisme, c’est reconnaître que les faits sociaux ne sont pas uniquement régis par des forces économiques, mais qu’ils sont déterminés, pour une part, une très grande part, par des forces spirituelles, par la plus spirituelle de toutes : la religion, et que le calvinisme, parmi ces forces spirituelles, a été l’une des plus puissantes.
Avant de croiser le fer avec les Sombart, les Max Weber, les Fuchs et avec leur vulgarisateur français, M. Louis Rougier, il nous plaît de prendre acte de cette concession, qui est un aveu : le calvinisme, à l’exclusion des autres formes de la pensée protestante, a exercé une action prépondérante sur la formation de la civilisation moderne et sur sa vie économique.
Mais, ceci dit, nous croyons que l’action que le calvinisme a exercée et qu’il exerce sur le monde est tout autre que celle qu’on lui impute.
1. Qu’est-ce que le calvinisme?⤒🔗
Qu’est-ce que le calvinisme? Quel est le sens de son action économique et sociale? Voilà ce qu’il faut examiner.
Le calvinisme n’étant pas seulement une théorie de la grâce, la théorie de saint Augustin explicitée par l’esprit de la Réforme, ni seulement une Église, l’Église presbytérienne, mais étant un principe universel, nous devons rechercher quelle est sa conception des rapports de l’homme avec l’universalité du réel, avec Dieu, avec les autres hommes, avec le monde et les biens du monde.
1. Par rapport à Dieu. — Par rapport à Dieu, l’homme est une créature; une créature dont les actes sont libres quant au mode de leur apparition, et pourtant entièrement dépendant du décret souverain de Dieu quant à leur futurition, quant à leur devenir dans le temps. Dieu est souverain; l’homme, qu’il se révolte ou s’incline, concourt toujours, bon gré, mal gré, à la réalisation du plan divin. Ce plan a pour fin la manifestation de la gloire de Dieu, par le salut de tous ceux qu’il n’est pas contraint (coactus) de frapper par sa justice mystérieuse. C’est là la double prédestination.
Mais en affirmant la prédestination, le calvinisme n’était pas original : Augustin, Thomas d’Aquin, l’avaient affirmée avant lui.
Ce qui constitue l’originalité du calvinisme, c’est qu’il affirme que le croyant peut prendre conscience, dès ici-bas, par un acte de foi divine, de l’amour gratuit, éternel et irrévocable dont il est l’objet, objectivement, en saisissant le message de l’Évangile, et subjectivement, en affermissant lui-même sa vocation et son élection par la pratique des vertus chrétiennes. L’élection est ferme en elle-même, puisqu’elle repose sur un décret divin. Mais la prédestination impliquant les moyens avec la fin, c’est le fidèle qui, par sa foi et par l’effort de sa sanctification, lui donne psychologiquement sa fermeté. « La pureté de vie », dit Calvin, « n’est point sans cause appelée signe d’élection…, par lequel les fidèles se confirment en cette foi (qu’ils sont sauvés) : en sorte toutefois qu’ils constituent ailleurs leur ferme fondement.2 »
Veuillez noter cette restriction de Calvin, sur laquelle il revient souvent : les bonnes œuvres, la vie sainte sont un signe d’élection, mais non le ferme fondement de la certitude; une présomption subjective seulement. Le signe certain est ailleurs. Il est objectif. C’est la promesse de l’Évangile faite à quiconque s’abandonne au Christ pour être sauvé. Il y a donc dans le dogme un élément quiétiste : l’abandon de celui qui renonce à tout, même à la qualité de sa foi, et un élément énergique : la constatation que Dieu produit en nous la bonne volonté. Ceci aura une grande importance dans la discussion.
La relation de la créature au Créateur est celle d’une dépendance absolue.
2. La position de l’homme par rapport aux autres hommes. — Il y a une hiérarchie entre les hommes. Mais cette hiérarchie, cette autorité que les hommes exercent les uns sur les autres, n’a pas son fondement sur le droit naturel. En lui-même et par lui-même, aucun homme n’a un droit naturel quelconque sur un autre. Toute autorité, toute supériorité, toute hiérarchie viennent de Dieu. La hiérarchie sociale n’est pas « celle d’une organisation aristocratique n’existant qu’en vue de procurer à une élite les loisirs nécessaires pour mener en marge du siècle une vie extatique et contemplative » (C. Rougier). Non, c’est une hiérarchie organique, dans laquelle chaque organe a sa vie propre et sa fin propre : la gloire de Dieu; et où chaque organe n’existe que pour l’organisme entier. Nul ne vit pour soi-même. Dans la société que veut Calvin, il veut une hiérarchie; il est adversaire de l’égalitarisme malsain fondé sur l’envie. « Cette sotte jalousie d’être égal », dit-il, « est chose impossible…, car il est impossible que le corps demeure sain et sauf, s’il n’y a une diversité de puissance ès membres et communication mutuelle d’une part et d’autre. »
Ce dernier membre de phrase nous montre que la conception calviniste de la société est solidarité. La supériorité des grands n’a sa raison d’être que dans leur activité; « les rois eux-mêmes ne peuvent pas dominer, ainsi qu’il appartient, qu’ils ne servent ».
Toutes les professions, toutes les vocations honnêtes sont donc, non pas seulement égales, mais également saintes, et les plus agréables à Dieu sont « celles qui apportent quelque profit à la société commune des hommes ».
Il semble de là que tout supérieur spirituel ou temporel qui agit contre l’intérêt général, en vue duquel seul il existe, se disqualifie et qu’il peut être démis de sa charge par les voies légitimes. Il est bien entendu que les simples particuliers n’ont pas le droit de se révolter. La destitution doit être exécutée par ceux que Dieu a constitués les gardiens de l’ordre et des libertés publiques : des libertés, car Calvin ne dit pas : de la liberté, qui n’est qu’une abstraction.
3. Rapports de l’homme avec le monde et ses biens. — Le monde est originairement bon en soi, puisqu’il est une création de Dieu. Le péché en a troublé l’harmonie et il y a introduit des éléments sataniques. Mais il n’en a pas changé la substance. De plus, il appartient à Dieu et à Dieu seul. « La terre au Seigneur appartient, la terre et ce qu’elle contient, l’homme et les autres créatures. » Ces vues vont déterminer la morale calviniste et l’idée de propriété.
Ce qui est mauvais, ce n’est pas la matière; c’est l’homme tout entier, esprit et matière. Il est totalement corrompu. Le salut moral de l’individu implique donc deux éléments : un élément mortification et un élément vivification. Il faut détruire en nous l’homme naturel et ses inclinations, et animer, rendre toujours plus vivant l’homme nouveau-né par la grâce de la nouvelle naissance. Il y a donc une morale de renoncement dans le calvinisme. Comme Calvin ne croit pas qu’il y ait deux morales, une morale des simples conseils pour ceux qui visent à la perfection et une morale d’un niveau assez bas, pour ceux qui se contentent d’être sauvés, à travers les feux du purgatoire; comme il croit que la loi de perfection s’adresse à tous les hommes, il ne pourra pas dire à ses ouailles : faites deux parts dans votre vie, une pour Dieu, et l’autre pour le monde. Il ne pourra pas leur dire non plus : renoncez à tous les biens de la terre et faites-vous moines. Il devra leur prêcher et il leur prêche le renoncement virtuel, préconisé par saint Paul : usez de ce monde comme n’en usant pas. Soyez prêts à tout quitter ou à tout perdre, comme si vous n’étiez pas de ce monde, mais comme des citoyens du ciel. Ainsi : le détachement intérieur à l’égard du monde.
D’autre part, l’élément vivificateur comporte la culture de la tempérance, de la justice et de la piété. La tempérance et non l’abstinence. Calvin repousse expressément la dureté stoïcienne :
« Quand nous voyons que Dieu nous donne de super-abondant, outre la nécessité précise, plus qu’il ne nous faut; eh bien, jouissons de sa bonté et connaissons qu’il nous permet d’en user en bonne conscience avec action de grâce. Il ferait bien venir le blé pour notre nourriture sans que la fleur précédât; il ferait bien aussi croître le fruit sur les arbres sans feuille ni fleur. Et nous voyons que notre Seigneur veut nous réjouir en tous nos sens, et nous a voulu présenter ses bénédictions en toutes sortes et en toutes les créatures qu’il nous offre pour en jouir.3 »
Mais disposer des choses et les consommer, user du sol et de ses productions, c’est agir en propriétaire. Calvin reconnaît donc le droit de propriété personnelle? Sur quoi le fonde-t-il?
Dieu seul est propriétaire. Nous, nous ne sommes que les usufruitiers et les intendants de Dieu. Notre empire sur les choses et sur les animaux ne dépend que de Dieu, qui distribue aux hommes ce qui lui plaît, et qui bénit leur travail dans la mesure où il lui plaît. Nous, nous sommes ses gérants. Nous pouvons jouir dans la mesure où le plaisir nous rend plus aptes au travail. Et nous devons travailler, parce que le travail est, non un châtiment, mais la vocation normale de l’homme. Il a été institué avant la chute. Celui qui ne travaille pas, alors qu’il le pourrait, méconnaît la loi sainte. Malheur aux oisifs! Tout travail utile directement ou indirectement, celui du maître qui enseigne, du peintre qui nous élève au-dessus de nous-mêmes et nous fait mieux comprendre la beauté de la nature, œuvre de Dieu, comme celui du négociant, tout travail est saint. Mais il faut qu’il soit propre. Voilà pourquoi Calvin, le premier des théologiens chrétiens, a reconnu, avec un courage véritablement chevaleresque, la légitimité du prêt à intérêts, pourvu qu’il ne fût pas usuraire (5 %) et qu’il fût permis par le magistrat. Par là, Calvin a purifié l’atmosphère commerciale des ruses, des faux contrats, des restrictions mentales qui la déshonorent pendant le Moyen-Âge parce que l’Église l’interdisait, tout en y ayant recours pour les besoins de la cause pontificale.
Voilà ce qu’est le calvinisme comme principe religieux, social et moral.
2. Quelle a été maintenant son influence économique?←⤒🔗
On nous dit (Rougier après Fuchs et les autres Allemands que j’ai nommés) :
« Tous les hommes sont prédestinés et nul n’est fixé sur son sort… Le travail est le meilleur refuge contre cette tentation qu’est l’angoisse de la damnation. Comment ne pas penser que la réussite qui le couronne et le profit qu’on en retire sont les plus sûrs garants que l’on est au nombre des élus? »
Je ne sais si l’on peut travestir d’une manière plus grotesque l’idée que les œuvres sont une présomption de l’élection, et cette autre idée que le succès est une bénédiction de Dieu. Pour Calvin, le travail ni aucune œuvre ne sont le meilleur refuge contre le doute sur le salut. Jamais il ne lui serait venu à l’esprit de dire à un homme : « Vous doutez de votre élection? Enrichissez-vous, et vous serez fixé sur l’amour de Dieu. » C’est tout simplement grotesque. D’autre part, Calvin rappelle très souvent que les bénédictions de la vie présente ne font qu’augmenter notre responsabilité et le danger de l’inquiétude.
Ce n’est pas le travail qui est le meilleur refuge contre la tentation, ni même les œuvres de la plus sublime charité. Mais c’est la promesse de l’Évangile. Écoutons encore Calvin4 :
« Et par cela, nous l’avons connu, savoir si nous gardons ses commandements… Toutesfois il ne faut point recueillir de tout cela que la foi soit fondée sur les œuvres, néanmoins il ne s’en suit point de là qu’elle soit fondée sur icelles : vue que c’est une seconde approbation qui convient comme signe. Pourquoi la certitude de la foi réside en la seule grâce de Christ. »
M. Rougier dit : « meilleur refuge »; Calvin dit : « seconde approbation, signe » (présomption).
Même le puritanisme, même le calvinisme éthicisé, moralisé, abâtardi du 18e siècle, qui faisait des œuvres une marque plus importante d’élection que Calvin ne l’a fait, même ce calvinisme-là n’a jamais présenté le succès en affaires comme un signe d’élection au salut.
On nous dit, en second lieu : en substituant à la hiérarchie du Moyen-Âge sa conception solidariste et utilitaire, en glorifiant le travail utile, Calvin a fait deux choses : il a renversé l’échelle des valeurs, mis le banquier au-dessus du clerc contemplatif, et il a tué la culture désintéressée et le rêve de l’artiste.
Calvin n’a nullement renversé l’échelle des valeurs, et il est faux qu’il ait dit ou cru que toute profession fût égale. Nous avons vu qu’il condamne l’égalitarisme. Ce qu’il a dit, c’est simplement qu’on pouvait faire son salut dans n’importe quelle profession, pourvu qu’on l’ait embrassée pour répondre à une vocation de Dieu. Or, cela est bien différent. Mais il suffit de jeter un coup d’œil sur Inst. II, 2, 13, pour voir le prix qu’il attache à la culture, aux lettres, aux sciences, dans lesquelles il voit des dons excellents de Dieu et des manifestations de la grâce générale, qui empêche l’homme de sombrer dans l’animalité.
Dans l’accusation de Rougier, il y a tout simplement un malentendu.
Aux sciences, aux arts, à la littérature, le calvinisme a rendu des services éminents.
Sans doute, il n’encourage ni les esthètes ni les dilettantes. Mais il ne tue pas le rêve de l’artiste. Pensez à un Bernard Palissy, sacrifiant tout, son bien, son foyer, brûlant ses meubles pour réaliser le chef-d’œuvre que son génie avait conçu. Et ce Bernard Palissy était un pur calviniste. Il est mort à la Bastille, pour n’avoir pas voulu renier sa foi. Enfin, M. Rougier nous dit que Calvin, petit bourgeois, a condamné le faste de la cour, le luxe des riches et qu’il a vanté la parcimonie poussée jusqu’à la ladrerie, jusqu’à la parvificentia, et qu’il a fait ainsi le jeu du mammonisme — sans le vouloir — en créant chez les calvinistes le goût de l’épargne; l’épargne a produit chez eux l’accumulation des capitaux et celle-ci l’ère capitaliste.
Oui, Calvin était un bourgeois français sans fortune, et il déconseille et condamne la prodigalité de ceux qui ne vivent que pour le plaisir d’éclabousser les pauvres. Mais il n’y a pas de déchéance à être un bourgeois français et pauvre.
Il est d’ailleurs faux que Calvin ait condamné la munificence des cours princières. Voici ce qu’il dit en propres termes :
« La façon dont les rois servent n’empêche point… qu’ils ne soient élevés au-dessus de leurs sujets en grande pompe et magnificence. Ainsi David, Ézéchias et autres semblables, combien que volontairement serviteurs de tous, ils ont toutesfois eu un sceptre, une couronne, un trône magnifique, et autres ornements royaux.5 »
Il est faux que les moralistes calvinistes préconisent la ladrerie. Calvin a une théorie, que Rougier paraît ignorer, sur l’égalité imposée à tous, dans les questions de luxe et de munificence, et il lui donne un nom d’après Aristote. C’est ce qu’il appelle le droit analogique. Ce qui signifie simplement que chaque état de fortune ou de rang a ses exigences et que ce qui serait un faste ou un luxe coupable chez un simple bourgeois comme Calvin, n’est que modestie et dignité chez un grand.
Bien loin d’avoir inspiré aux moralistes calvinistes qui se réclament de lui la parvificentia, il infuse des idées généreuses au peuple le plus commerçant de la terre, aux Anglais, si enclins pourtant à verser dans le méthodisme et le puritanisme, et à restreindre le champ de la liberté chrétienne. C’est ainsi que l’évêque John Woolton (1576), dans un traité de morale, encore populaire, puisqu’il a été réimprimé jusque dans le cours du 19e siècle, classe la « munificence » et la « libéralité » parmi les vertus ordonnées dans le VIIe commandement.
Le calvinisme n’engendre pas le mépris pour les disciplines de l’esprit, puisqu’aujourd’hui même les paysans hollandais se saignent aux quatre veines pour soutenir une université de plein exercice, et pour créer une chaire nouvelle de mathématiques supérieures.
Il recommande l’épargne, mais crée la générosité. Et c’est pourquoi je n’oserais pas recommander à quelqu’un qui voudrait devenir riche de se faire calviniste. Cela pourrait lui coûter cher. Au lendemain de la Révocation, on vit accourir à Genève une foule immense de calvinistes, dont beaucoup avaient transformé leur renoncement virtuel aux biens de la terre en un renoncement réel. Par hasard, il y avait à Genève un théologien qui était riche, un capitaliste, Bénédict Pictet. Ce fut le dernier des dogmaticiens calvinistes de langue française jusqu’au 20e siècle. Le malheureux suivit si bien les conseils de Calvin sur la libéralité, en secourant ses frères dans la foi, qu’il tomba dans le dénuement et dut être secouru par une pension que lui alloua le Grand Conseil.
Voyez-vous, dans la morale de Calvin, la vie chrétienne est conçue comme un renoncement virtuel, qui doit se transformer en un renoncement actuel, lorsque Dieu l’exige, et cela peut mener loin, quand surgit la vision de Dieu, faisant passer toute sa gloire et toute la misère de nos frères devant nos yeux.
En somme, le calvinisme a donné à ses fidèles le sentiment de leur dignité, des responsabilités liées à leurs droits, et de la valeur de l’aisance conquise par le travail. Le capitalisme, au sens où l’entend M. Rougier, est fils non de l’accroissement des capitaux, mais du commerce; non du calvinisme pessimiste, mais du libéralisme optimiste (laisser faire, laisser passer) et de la négation de l’au-delà. Voilà les origines malfaisantes du mammonisme, confondu, d’ailleurs injustement, avec le capitalisme.
Note
1. Calvin, Commentaire sur Matthieu, XXV, 24.
2. Commentaire sur II Pierre, I. 10.
3. Commentaire sur Deut. XXII, 9-12.
4. I Jean II, 3.
5. Commentaire sur Matth. XX, 25.