Christologie (1) - Qui disent-ils que je suis?
Christologie (1) - Qui disent-ils que je suis?
En abordant notre étude dogmatique sur la christologie, nous voulons de prime abord prêter attention à la question que le Christ, Dieu et Seigneur, nous pose.
L’un des moments dramatiques dans l’histoire des Évangiles est la confession de Pierre, écrit Klaas Runia : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16.16; voir Mc 8.29; Lc 9.20). Jésus en personne demande une telle confession de foi en lui. Il sait que les hommes parlent souvent de lui et nombre d’entre eux le considèrent comme un personnage extraordinaire. La réponse que les disciples donnent à sa question est révélatrice. Une grande variété d’opinions circule à son sujet. Mais le Christ leur pose maintenant sa question directement : « Mais vous, qui dites-vous que je suis? » C’est le cœur même de sa question. En dernière analyse, chacun doit répondre personnellement.
Récemment, la question a surgi avec une grande acuité dans l’Église et les milieux théologiques.
Examinons le passé. La grande bataille christologique a été livrée dans le passé, par l’Église des premiers siècles. Plus loin, nous signalerons les grandes lignes des développements christologiques, en mentionnant également les grandes controverses. Les décisions des conciles œcuméniques furent de toute première importance. À Nicée, en 325, Jésus a été déclaré Fils de Dieu au sens plein du mot. Le mot-clé ici est le grec homoousios, c’est-à-dire que Jésus est de même substance que le Père. Certes, le terme ne se trouve pas dans l’Écriture (il avait été antérieurement utilisé par des non-orthodoxes); cependant, les Pères conciliaires jugèrent qu’ils pouvaient s’en servir, puisqu’avec tant de clarté et sans ambiguïté aucune, il exprimait l’enseignement scripturaire. Plus tard, dans le Symbole dit de Nicée-Constantinople, la même doctrine fut affirmée. Le Credo souligne également l’humanité de Jésus. Ainsi, Nicée confesse aussi bien la divinité que l’humanité du Christ.
Mais la confession a soulevé de nouvelles questions. Comment établir le lien entre ces deux affirmations? Comment une personne peut-elle être en même temps Dieu et homme? Le Concile de Chalcédoine (451) a apporté la réponse à la question. Il a parlé d’une personne et de deux natures; une nature divine et une nature humaine.
L’Église s’est toujours rendu compte que cette formulation n’en restait pas moins inadéquate. Elle s’est bien rendu compte que l’être de Jésus-Christ resterait pour toujours un mystère. C’est aussi la raison pour laquelle, dans une large mesure, la formule chalcédonienne a été négativement exprimée : « sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation ». Le mystère résidait autour de ce point. Néanmoins, l’on fut convaincu que, malgré l’insuffisance de la formulation, la décision exprimait la vérité au sujet de Jésus, à savoir qu’en une personne il est vrai Dieu et vrai homme.
Durant les siècles suivants, l’Église adhéra sans réserve aux dogmes de Nicée, Constantinople et Chalcédoine. Même le Grand Schisme entre l’Orient et l’Occident (1054) n’y a rien changé. Les deux branches de l’Église maintinrent la christologie orthodoxe des décisions conciliaires des premiers siècles. Les Églises issues de la Réforme, dans leur majorité, aussi bien luthérienne, calviniste que zwinglienne, souscrivirent à la christologie orthodoxe des symboles anciens et la maintinrent. Ce ne fut qu’au 18e siècle que de sérieuses objections s’élevèrent contre le dogme christologique. Cependant, aucune des grandes Églises mentionnées n’a, au moins officiellement, abandonné la confession des credo. C’est d’ailleurs elle qui sépare l’orthodoxie théologique du libéralisme dogmatique.
« Cependant, il y a du neuf sur le terrain », écrit Runia. Ces dernières décennies, on observe le fait remarquable de l’opposition au dogme ancien par ceux-là même qui, jusqu’à récemment, n’étaient pas classés dans le camp libéral. Nombre de théologiens contemporains, tant du côté protestant orthodoxe que du côté catholique, estiment que la christologie des vieux credo ne peut plus être défendue.
Après la Deuxième Guerre mondiale, l’accent tomba sur l’aspect anthropologique de la foi chrétienne. Dès lors, la question centrale devenait : De quelle manière convient-il d’interpréter le message chrétien, de telle sorte que l’homme moderne puisse le reconnaître comme important pour lui? À l’intérieur de ce cercle de pensée, aux yeux de nombreux théologiens, la christologie des anciens credo devenait de plus en plus problématique. Leur argument principal est que ces credo ne rendent pas justice à la personne du Christ telle que les pages du Nouveau Testament la décrivent (notamment les Évangiles). Les credo, dit-on, regardent Jésus comme quelqu’un qui combinerait la divinité et l’humanité en une personne; cela est-il possible? Si l’on admet le dogme, Jésus est-il encore un homme réel, semblable à nous? Avec de telles questions, nombre de théologiens modernes se mirent donc à élaborer de nouvelles théologies, lesquelles prenaient leur départ non en la personne divine ayant pris sur elle la nature humaine, mais plutôt en le Jésus de l’histoire, en l’homme Jésus tel qu’il fut parmi les hommes sur terre. Ce faisant, ils voulaient affirmer qu’il fut véritablement un homme comme nous, un homme réel. Sa singularité résiderait seulement dans la relation humaine unique qu’il aurait maintenue avec Dieu.
Cette brève introduction montre clairement que plusieurs facteurs incitèrent les développements christologiques modernes. Il y eut d’abord le point de vue exégétique. Ensuite, les anciens credo furent considérés comme trop redevables à la philosophie grecque et à son langage. Enfin, notre christologie ne signifierait plus rien aux modernes. Inversant l’ordre ancien des questions, on affirma que la question n’est plus : « Qui est Jésus et qu’a-t-il fait pour moi? », mais « Qu’a-t-il fait, et alors qui est-il? »
Le corps de notre étude affirmera la position orthodoxe classique, laquelle fut également la position de la Réforme; et ensuite, nous examinerons les diverses positions qui s’y opposent.