Christologie (11) - La christologie de Jean Calvin - La mort réconciliatrice du Christ
Christologie (11) - La christologie de Jean Calvin - La mort réconciliatrice du Christ
Nous placerons ici ensemble les passages de l’Institution de Calvin qui traitent de la mort, de la résurrection et de l’ascension du Christ (II.16).
1. « Tout ce que nous avons dit jusqu’ici de notre Seigneur aboutit à cette conclusion qu’étant par nous-mêmes condamnés, morts et perdus, nous devons chercher en lui l’absolution, la vie et le salut. […] Encore faut-il bien examiner comment il nous a acquis ce salut, afin que nous soyons persuadés que c’est lui qui nous l’a acquis, et que nous nous attachions à tout ce qui affermit notre foi, en rejetant tout ce qui peut nous en éloigner.
2. Avant d’aller plus loin, nous devons résoudre une contradiction apparente : comment Dieu, qui avait par avance décidé de nous faire miséricorde, a-t-il pu être notre ennemi avant que nous soyons réconciliés avec lui par Jésus-Christ? Car comment nous eut-il donné en son Fils un gage si extraordinaire de son amour s’il ne nous avait pas fait grâce par avance?
3. Dieu qui est la justice souveraine, ne peut aimer l’injustice qu’il voit en nous tous. Par la corruption de notre nature, manifestée dans notre vie dépravée, nous sommes tous haïssables à ses yeux, passibles de son jugement et voués à la mort éternelle. […] Mais parce qu’il ne veut pas perdre ce qui lui appartient, Dieu, dans sa miséricorde, trouve encore en nous quelque chose à aimer. Car, bien que nous soyons pécheurs par notre faute, nous n’en sommes pas moins ses créatures. Bien que nous ayons appelé sur nous la mort, il nous avait créés pour la vie. Il est ainsi amené par tendresse pure et gratuite à nous recevoir en sa grâce.
Mais, comme il y a une opposition irréductible entre la justice et l’iniquité, il ne peut nullement nous accueillir aussi longtemps que nous sommes pécheurs. C’est pourquoi, abolissant toute inimitié, il nous réconcilie avec lui : au bénéfice de l’expiation accomplie par la mort de Jésus-Christ, il annule tout le mal qui est en nous afin que nous paraissions purs et justes devant sa face, nous qui étions auparavant des créatures souillées. Il est donc bien vrai que l’amour de Dieu le Père précède notre réconciliation avec lui en Christ. Ou plutôt c’est parce qu’il nous a d’abord aimés qu’il nous a réconciliés avec lui. […] Si nous voulons être assurés que Dieu nous aime et nous est propice, il nous faut fixer nos regards sur Christ et nous attacher à lui. En vérité, c’est par lui seul que nous pouvons obtenir que ne nous soient pas imputés nos péchés, dont l’imputation nous place sous la colère de Dieu. […]
5. Si l’on demande maintenant comment Christ, ayant aboli le péché, a mis fin à notre séparation d’avec Dieu, et en nous acquérant la justice nous a rendu Dieu bienveillant et favorable, nous pouvons répondre que c’est par sa parfaite et constante obéissance, ainsi qu’il ressort du témoignage de Paul : comme par la désobéissance d’un seul homme beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul beaucoup seront rendus justes. […]
C’est très légitimement que le sommaire de la foi, qu’on appelle le Symbole des apôtres, passe sans transition de la naissance de Christ à sa mort et à sa résurrection, pour montrer que c’est là que réside l’assurance de notre salut. Mais l’ensemble de son obéissance, celle qu’il a montrée toute sa vie, n’est pas exclue. Et c’est bien de l’obéissance de toute sa vie que parle saint Paul lorsqu’il dit que Christ s’est anéanti, prenant la forme d’un serviteur et se rendant obéissant au Père jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix. De fait, sa soumission volontaire tient la première place même dans sa mort; car son sacrifice n’aurait pu obtenir notre justification s’il n’eut été offert librement. […] Et voici de quelle manière nous sommes absous : tout ce qui pouvait nous être imputé dans notre procès criminel devant Dieu a été transféré sur Christ, de sorte qu’il a effacé nos fautes. Nous devons nous souvenir de cette compensation déjà faite quand nous sommes assaillis de doutes et de frayeurs, et savoir que nous n’avons plus à redouter la vengeance de Dieu, que Christ a fait tomber sur lui. […]
7. Le Symbole des apôtres dit ensuite qu’il est mort et a été enseveli. Nous voyons là à nouveau comment en toutes choses il s’est substitué à nous pour payer le prix de notre rachat. La mort nous tenait sous son joug : il s’est livré à son pouvoir pour nous en libérer. C’est en ce sens que l’apôtre dit qu’il a souffert la mort pour tous. Car en mourant il nous a soustraits à la mort; ou, ce qui revient au même, par sa mort, il nous a acquis la vie. Il s’est exposé à la mort comme si elle eût dû l’engloutir, non cependant pour être anéanti par elle, mais pour l’anéantir et lui enlever sa puissance sur nous. Il a accepté d’être comme subjugué par elle, non cependant pour être écrasé, mais pour renverser l’empire qu’elle exerçait sur nous. […]
8. Nous ne saurions négliger ce que dit le Symbole des apôtres de la descente aux enfers, car ce fait a une grande importance dans l’accomplissement de la rédemption. Quoiqu’il semble d’après les écrits des anciens que cet article n’ait été en usage commun dans les Églises, il est nécessaire de lui donner sa place dans l’exposé de la doctrine du salut, car il renferme un mystère qu’il est important de comprendre. […]
10. […] Si Christ n’avait souffert que la mort corporelle, sa mort eût été sans effet. Il était nécessaire que son âme soit atteinte par la vengeance de Dieu pour apaiser sa colère et satisfaire sa justice. Il fallait donc qu’il affronte les forces de l’enfer et combatte l’horreur de la mort éternelle. […]
11. […] Son âme a souffert les tourments effroyables de ceux qui sont éternellement perdus […] au point de s’écrier dans ses angoisses : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?”
13. Vient ensuite sa résurrection d’entre les morts, sans laquelle cet exposé doctrinal serait bien incomplet. […] Il est vrai que sa mort a été pleinement suffisante pour accomplir notre salut : par elle, nous avons été réconciliés avec Dieu; sa justice a été satisfaite, la malédiction a été abolie et toutes les peines que nous devions purger ont été remises. Mais il est dit que c’est par sa résurrection que nous avons été régénérés pour une espérance vivante. Car de même que par la résurrection il a manifesté sa victoire sur la mort, la victoire de notre foi est fondée sur sa résurrection. […] C’est pourquoi nous devons attribuer notre salut en partie à la mort du Christ, en partie à sa résurrection; par sa mort, le péché a été détruit et la mort abolie; par sa résurrection, la justice a été établie et la vie a triomphé; de sorte que sa mort affirme sa puissance salvatrice par le moyen de la résurrection.
14. Il n’est pas non plus superflu que le Symbole affirme que le Christ est monté au ciel après être ressuscité, car si ayant dépouillé la condition méprisable de cette vie mortelle et l’ignominie de la croix, il a commencé à exalter sa gloire et sa puissance par la résurrection, c’est lorsqu’il est monté au ciel qu’il a affirmé sa royauté.
15. C’est pourquoi le Symbole ajoute tout aussitôt qu’il siège à la droite du Père. Cette image évoque les rois, dont les délégués, chargés de gouverner, exercent le pouvoir à leur côté. C’est en ce sens qu’il est dit que le Christ, en qui le Père veut être exalté et par la main duquel il veut exercer son pouvoir souverain, est assis à la droite du Père. Ceci revient à dire qu’il a été ordonné Seigneur du ciel et de la terre et qu’il a solennellement pris possession de ce pouvoir pour l’exercer jusqu’à son retour sur terre au jour du jugement. […]
17. Le Christ donne dès maintenant à ses serviteurs des signes de son pouvoir souverain. Mais comme sur cette terre son règne est encore voilé par la faiblesse de la chair, le Symbole des apôtres tourne le regard de la foi vers sa présence visible, qu’il manifestera au dernier jour. […] Il nous est donc commandé d’attendre le retour de notre Rédempteur au jour où il séparera les agneaux des boucs, les élus des réprouvés, et où personne, qu’il soit vivant ou mort, ne pourra se soustraire à son jugement.
18. Quel puissant encouragement pour nous de savoir que le jugement est remis à celui qui, bien loin de monter sur son trône pour nous condamner, nous accorde l’honneur de participer au jugement à ses côtés. Car comment un Souverain d’une si grande clémence perdrait-il son peuple? Comment le Chef de l’Église disperserait-il ses membres? Comment l’Avocat condamnerait-il ceux dont il a pris la défense?
19. Puisque nous voyons que la totalité de notre salut et chacune de ses parties sont contenues en Christ, nous devons nous garder d’en transférer ailleurs la moindre parcelle. Si nous cherchons le salut, le seul nom de Jésus nous enseigne qu’il est en lui. Si nous désirons les dons du Saint-Esprit, nous les trouvons dans son onction. Si nous cherchons la force, elle est dans sa seigneurie. Si nous voulons trouver la bonté, tournons-nous vers sa naissance, par laquelle il a été fait semblable à nous pour apprendre à nous être compatissant. Si nous demandons la rédemption, sa passion nous la donne. Dans sa condamnation, nous avons notre absolution. Si nous voulons échapper à la malédiction, la croix nous procure ce bien. Notre rançon est dans son sacrifice; l’expiation dans son sang; notre réconciliation a été effectuée par sa descente aux enfers. La mortification de notre chair se trouve dans son sépulcre; la nouveauté de vie dans sa résurrection, qui nous donne aussi l’espérance de l’immortalité. Si nous cherchons l’héritage céleste, il nous est assuré par son ascension. Si nous souhaitons aide et réconfort, l’abondance de tous biens, nous les avons en son règne. Si nous désirons attendre le jugement en sécurité, ce bien nous est également acquis, car il est notre Juge. En somme, puisque tous les biens sont réunis en lui, c’est à ce trésor qu’il faut puiser pour être rassasiés, à l’exclusion de toute autre source. »
Bien que l’importance rédemptrice de la mort du Christ ait été abordée brièvement dans l’œuvre sacerdotale, toutefois le sujet mérite plus d’attention. On pense souvent, dans des discussions au sujet de l’expiation, que l’opinion de Calvin est un peu le raffinement de l’approche d’Anselme (Cur Deus Homo), laquelle peut être décrite comme la théorie de la satisfaction ou théorie pénale. Évidemment, il existe des similarités entre les deux conceptions, anselmienne et calvinienne. Calvin n’hésite pas à utiliser le terme de « satisfaction » et par moment il laisse l’impression que Christ a apaisé la colère de Dieu le Père en se chargeant de nos péchés. Car, écrira-t-il :
« Dieu avait été provoqué en colère par la désobéissance; par l’obéissance du Christ, il a effacé la nôtre, se montrant obéissant au Père, jusqu’à la mort. Et par sa mort, il s’offrit comme un sacrifice à son Père afin que sa justice puisse une fois pour toutes l’apaiser pour toujours, afin que les fidèles puissent être éternellement sanctifiés, afin que la satisfaction éternelle puisse s’accomplir. Il versa son saint sang comme rançon pour notre rédemption, afin que la colère de Dieu provoquée contre nous puisse s’apaiser et que notre iniquité soit purifiée. »
Calvin continue à employer un tel langage dans la dernière édition de l’Institution.
« La somme toutefois revient là, que la dignité sacerdotale n’appartient qu’à Jésus-Christ, d’autant que par le sacrifice de sa mort il effacé l’obligation qui nous rendait criminels devant Dieu, et a satisfait pour nos péchés. » (Hé 9.22; Institution II.15.6).
Il trouve appui pour une telle vue non seulement dans le passage cité plus haut, mais encore dans des textes tels que 1 Jean 2.2 et 4.10; 2 Corithiens 5.19,21; Colossiens 1.19-20; Éphésiens 1.7 et 2.15-16. Ensuite, il commente :
« Or que Jésus-Christ nous ait acquis par son obéissance faveur envers le Père, et même qu’il l’ait méritée, cela apparaît et se peut recueillir sans aucun doute de plusieurs témoignages de l’Écriture. » (II.17.3).
Ensuite, citant Romains 5.10 et 19, il conclut :
« Car le sens est tel, que de même que nous avons été séparés de Dieu par la coulpe d’Adam, et destinés à perdition, aussi par l’obéissance de Jésus-Christ nous avons été remis et reçus en amour comme justes. Comme aussi il dit, que le don est pour effacer plusieurs délits afin de nous justifier (Rm 5.19). »
Si on isole ces citations de leur contexte, on a l’impression qu’il existe une tension en la déité concernant le mode de la rédemption. L’on pourrait conclure que Dieu, le saint Père, est seulement disposé à juger et à punir l’humanité rebelle, tandis que Christ, le Fils plein d’amour et compatissant en vertu de son sacrifice vicarial pour le péché, persuade le Père, presque contre son gré, de sauver une race déchue.
Calvin ne souscrit certainement pas à une position aussi rude de l’expiation. Dans tous ses écrits, il souligne que l’origine de notre salut se trouve dans l’amour et la compassion de Dieu (voir son commentaire sur Hé 2.9), que Christ est Dieu et le Fils de Dieu; notre salut dépend de la compassion divine (voir Institution IV.1.12).
Comment interpréter dès lors ces passages cités plus haut dans lesquels Calvin parle d’apaiser la colère de Dieu et de satisfaire à sa justice? Calvin admet qu’il existe une sorte de « contradiction ». Il cite Romains 5.9-10; Galates 3.10-13; Colossiens 1.21-22, qui parlent de la colère de Dieu et de notre être ennemi de Dieu et placé sous la malédiction. Il observe que des expressions de cette sorte ont été accommodées à notre capacité pour que nous puissions mieux comprendre combien notre condition en dehors du Christ est ruinée et misérable. Voici alors son explication, typiquement calvinienne :
« Car s’il n’était clairement exprimé que la colère et la vengeance de Dieu, et la mort étaient sur nous, nous n’entendrions pas suffisamment et comme il le faudrait, combien nous étions pauvres et malheureux sans la miséricorde de Dieu, et n’estimerions point, selon sa dignité, le bénéfice qu’il nous a élargi en nous délivrant. » (Institution II.16.2).
Notons deux choses ici : La colère de Dieu est sa réponse au péché, mais il entreprend notre libération du péché par sa miséricorde. Celle-ci ne peut être obtenue en dehors du Christ. Bien que par nature nous méritions sa colère, Dieu est ému d’amour pur et libre, pour nous recevoir en sa grâce, et cette dernière se trouve en Christ (Institution II.16.3). Nulle part, l’amour de Dieu comme fondement de notre salut n’est exprimé de manière plus frappante que dans la paraphrase d’Augustin :
« La dilection de Dieu, dit-il, est incompréhensible et immuable. Car il n’a point commencé à nous aimer depuis que nous sommes réconciliés avec lui par la mort de son Fils; mais avant la création du monde, il nous a aimés, afin que nous fussions ses enfants avec son Fils unique, avant que nous ne fussions rien.
Que nous ayons été réconciliés par le sang du Christ, il ne nous le faut pas prendre comme si Jésus-Christ avait fait l’appointement entre Dieu et nous; afin que Dieu commençât à nous aimer, comme s’il nous eût haïs auparavant; mais nous avons été réconciliés à celui qui nous aimait déjà, qui toutefois avait inimitié avec nous à cause de nos iniquités. Que l’apôtre soit témoin si je dis la vérité ou non : Dieu, dit-il, prouve sa dilection envers nous, en ce que Jésus-Christ est mort pour nous, du temps que nous étions encore pécheurs. Il nous portait amour déjà du temps que nous avions inimitié avec lui en mal vivant (Rm 5.8). Ainsi donc, d’une façon admirable et divine, il nous aimait et haïssait tout ensemble. Il nous haïssait, d’autant que nous n’étions point tels qu’il nous avait faits; mais d’autant que l’iniquité n’avait pas entièrement détruit son œuvre en nous, il haïssait en chacun de nous ce que nous avions fait, et aimait ce qu’il avait fait. »
Ceci suffira pour montrer qu’il n’existe nulle tension en la divinité, que Christ, le Fils, n’a pas besoin de forcer le bras du Père pour obtenir notre salut. L’initiative est de Dieu le Père, la réalisation par Dieu le Fils et l’application par Dieu le Saint-Esprit. Toutefois, de telles distinctions pourraient induire en malentendu. Car Christ n’est pas simple instrument ou moyen de rédemption. Notre réconciliation, dès le début et jusqu’à la fin, est l’œuvre d’un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Nous aurons à remonter tout au début aux décrets éternels du Dieu trinitaire pour atteindre la source première de la doctrine calvinienne de l’expiation.
Une autre question devrait s’éclaircir. On a prétendu qu’il existe trois principales approches à cette doctrine : (1) la doctrine classique, ou la conception dramatique, qui domine l’ensemble de la théologie patristique d’Irénée à Jean le Damascène; (2) la conception dite latine que l’on trouverait chez Anselme (Cur Deus Homo : Pourquoi Dieu devint-il homme?); (3) l’influence morale dont le représentant principal fut Abélard. Telle est l’interprétation de Gustav Aulen, dans son Christus Victor; Étude historique de trois types principaux de l’idée d’expiation.
Aulen penche pour la vue dramatique d’après laquelle l’expiation est comprise principalement comme la victoire que Christ remporte sur le péché, la mort et le diable. C’est aussi la conception de Luther, affirme Aulen. Mais il ignore Calvin et il le place dans le second type d’interprétation, dans laquelle la substitution pénale de l’expiation est l’idée dominante. Puisque la « satisfaction » est le mot-clé de la théorie anselmienne et puisque Calvin aussi se sert du terme, on pourrait conclure que l’approche de Calvin fut essentiellement celle d’Anselme. Toutefois, il existe d’importantes différences entre les deux. Tout d’abord, Anselme discute le thème de manière philosophique et non biblique, ainsi que le fera Calvin. Aux yeux d’Anselme, il s’agit de satisfaire l’honneur de Dieu. Calvin souligne plutôt la satisfaction de la justice de Dieu. Plus important encore, Anselme, comme beaucoup de théologiens scolastiques après lui, voit le Christ comme celui qui a obtenu des mérites supplémentaires en vertu de sa parfaite obéissance. La récompense obtenue fut donc le salut de ceux qui croient en lui. Rien de tel chez Calvin. En outre, Calvin, différant encore d’Anselme, regarde l’expiation comme fondée en l’amour de Dieu et en découlant. Pour Calvin, la vie d’obéissance du Christ et la résurrection aussi jouent un rôle important pour notre rédemption, ce qui n’est pas le cas pour Anselme.
La typologie d’Aulen nous paraît trop simpliste, écrit John Hesselink. Car il ignore d’autres motifs bibliques au sujet de la mort du Christ, tels que l’obéissance et le sacrifice. Il sous-estime aussi l’idée du Christ en tant que notre Vicaire pénal, tel que le concevait Luther. Non seulement cela, mais encore il ne parvient pas à reconnaître même le mot de Christus Victor, à savoir la vue « classique » de l’expiation, que l’on trouve fréquemment aussi chez Calvin. Au livre II de l’Institution (12.3 et 16.7), Calvin affirme que notre nature commune avec le Christ est la garantie de notre communion avec le Fils de Dieu; et revêtu de notre chair, il a vaincu le péché et la mort ensemble afin que la victoire puisse devenir nôtre. Il offrit en sacrifice la chair qu’il avait reçue de nous, pour effacer notre coulpe par son œuvre d’expiation et apaiser la juste colère du Père. Il est également important de noter deux autres thèmes majeurs développés dans la doctrine calvinienne de la réconciliation, à savoir l’importance rédemptrice de l’obéissance du Christ et la nature sacrificielle de sa mort. À cet égard, on lira avec profit le Catéchisme à la question 20 et l’Institution, en II.16.3. Le texte-clé de Calvin ici est Hébreux 10.7.
Tâchons de comprendre que l’intelligence qu’a Calvin de l’expiation est bien complexe. Contrairement à Anselme, il n’a pas élaboré de théorie. Ses sermons abondent en une variété d’images et de motifs dans la présentation que le réformateur fait de l’œuvre réconciliatrice du Christ. On peut les classifier comme suit : sacrifice, satisfaction, obéissance, expiation/purification des péchés, victoire.
Ces cinq thèmes ont été mentionnés dans des citations faites du Catéchisme et de l’Institution (on les trouvera aussi dans ses commentaires). Mais il est à noter que nulle part Calvin ne cherche à les relier de manière systématique. S’il existe un thème prédominant, c’est celui de la substitution. Calvin fut surtout un théologien « biblique » refusant de systématiser rigidement le contenu de la révélation. Il ne voulut point imposer une unité artificielle aux matériaux bibliques. N’en déduisons pas toutefois hâtivement que Calvin nous aurait laissé une interprétation incohérente de l’œuvre réconciliatrice du Christ. On a dit que sa doctrine de l’expiation fut un point capital dans la théologie chrétienne.