Christologie (17) - Le Christ a caché sa gloire divine
Christologie (17) - Le Christ a caché sa gloire divine
Christ a caché sa gloire divine pendant son humiliation afin de pouvoir être notre Sauveur.
Philippiens 2 parle du dépouillement du Fils de Dieu du fait qu’il a pris la forme d’un serviteur. 2 Corinthiens 8.9 dit qu’il est devenu pauvre pour pouvoir être notre Sauveur. Nous avons déjà fait remarquer que ces passages ne disent pas que Christ a perdu sa divinité par son incarnation, comme la christologie kénotique l’enseigne. Jésus était Dieu selon Paul aussi pendant sa vie terrestre. Cette pensée de la divinité de celui qui nous a réconciliés tient une fonction centrale dans l’Évangile. Christ ne s’est donc pas dépouillé de sa divinité pendant sa vie terrestre. Il s’est dépouillé de la gloire qu’il avait auprès du Père (Jn 17.5). Christ est demeuré Dieu, mais a caché cette divinité en ce sens que l’on ne pouvait le reconnaître comme le Fils de Dieu si ce n’est par la foi. Par la foi, on comprend justement la forme du serviteur qu’il a prise comme une révélation de la grandeur de l’amour et de la sainteté divins, tandis que pour l’incroyant cette forme dissimule la divinité de Christ. Christ n’aurait pas pu souffrir s’il avait vécu sur la terre avec toute sa gloire divine, étalée de telle manière qu’on pût la voir sans la foi. Alors cette méconnaissance dont Ésaïe 53 parle n’aurait pas été possible. Alors les attaques du diable n’auraient pas été possibles. Si Christ n’avait pas voulu s’abstenir de l’emploi de sa gloire et de sa richesse divines, son abandon sur la croix par le Père n’aurait jamais eu lieu.
Concernant cette pauvreté du Fils de Dieu, cette « kénose », la théologie réformée parle de la « dissimulation » de la divinité. Elle exprime la divinité tout à fait intacte, bien qu’on ne la voie pas sans l’illumination par l’Esprit. Cette dissimulation rend possible la véritable souffrance de Christ. Christ ne s’est pas montré sous sa forme divine. Il a déposé la gloire qu’il avait auprès du Père avant l’existence du monde. Nous devons maintenant nous garder d’une idée théopaschite (la souffrance de Dieu). Nous ne devons pas dire que c’est la nature divine de Christ qui a souffert et qui est morte. Mais cela ne veut pas dire que la dissimulation de la gloire divine ne soit qu’une apparence. Le Fils de Dieu ne s’est pas simplement couvert d’un habit sans rien supprimer de sa richesse. Il est vraiment venu pour servir et non pour être servi (Mt 20.28; Mc 10.45). Il s’agit d’une dissimulation sans analogie, d’une dissimulation « sui generis » (originale). Parce qu’il n’est pas question d’une apparence, cette dissimulation est en effet une révélation de l’amour et de la grâce de Dieu, comme Philippiens 2 et 2 Corinthiens 8.9 l’affirment. La théologie réformée veut ainsi désigner un mystère par le terme de dissimulation, non l’expliquer.
Christ ne s’est pas dépouillé de sa divinité. C’est pourquoi la kénose n’exclut pas qu’il y eût des moments de gloire (« doxa ») pendant la vie terrestre de Christ. Pensons à la transfiguration, aux miracles, à l’impression faite par sa prédication. Toutefois, la dissimulation de la gloire divine caractérisait toute la période de l’humiliation de Christ. Car Christ a toujours pris soin que sa gloire restât tellement cachée qu’il pouvait accomplir la tâche prescrite en Ésaie 53. Christ n’aurait pu être le Serviteur de Dieu, dont parle Ésaïe, sans cette dissimulation de son identité. Ce qui explique pourquoi il n’a pas voulu qu’on le fasse connaître avant sa résurrection (voir Mt 12.16-17; Mc 9.9). Il a interdit aux démons et à des hommes qu’il avait guéris de le faire connaître, de parler de ses miracles. Cette attitude de Christ explique aussi pourquoi même les disciples devaient souvent se demander : « Quel est donc celui-ci? »
Le fait que Jésus se soit servi de paraboles et d’expressions énigmatiques (voir Mt 16.4; 21.23-27; 22.41-46) est aussi rattaché à cette dissimulation. Ces paraboles et ces autres sentences ne sont pas compréhensibles en ce qui concerne leur sens essentiel, sans que l’on croie en Christ comme en le Messie. Ces paraboles parlent du Royaume. Mais on ne peut comprendre le plus important dans ces paraboles sans savoir d’abord que ce Royaume de Dieu est venu en Christ.
Ceux qui ne croient pas en Christ écoutent bien les paraboles. Mais les mystères du Royaume restent cachés pour eux. Même la compréhension des disciples fut souvent bien défectueuse. Christ s’est servi expressément des paraboles parce qu’il ne voulait pas se révéler aux incroyants. Les paraboles n’avaient pas seulement pour but de le révéler à ceux à qui le mystère du Royaume a été donné, mais aussi de le cacher devant le peuple incroyant (voir pour cette question Mt 13.10-23; Mc 4.1-20). Par rapport à cette dissimulation de soi-même par le Christ, pensons aussi au nom dont le Seigneur s’est servi pour se désigner, le titre de « Fils de l’homme ». Ce titre a un caractère ambigu. Il révèle le Christ, mais il le dissimule à la fois pour les incroyants. Les Évangiles nous montrent à plusieurs reprises que ce titre fut mal compris.
Ce sont surtout les Évangiles synoptiques qui insistent sur le fait que Christ voulut cacher son identité. Cependant, on le remarque aussi dans l’Évangile de Jean. Le quatrième Évangile montre aussi que Christ a observé certaines limites quant à la révélation de sa gloire (Jn 6.15). En raison de ce que les Évangiles synoptiques enseignent, on peut dire que cette dissimulation chez Jean avait encore un but plus essentiel que le fait d’éviter une fausse interprétation de sa gloire, bien que ce dernier motif n’ait naturellement pas été absent. Il me semble que l’on ne peut pas expliquer la dissimulation de soi-même par Jésus comme si elle n’avait qu’une raison pédagogique.
Christ a caché sa divinité derrière la forme de serviteur parce qu’il a voulu subir la punition que nous méritions. Cette dissimulation est à la fois la révélation de la justice de Dieu et de la miséricorde de Dieu. On peut aussi dire que Dieu révèle le caractère souverain de son amour par la forme de serviteur qu’a prise le Christ. Mais cette souveraineté de l’amour divin ne peut naturellement être reconnue que par celui qui admet qu’il est lui-même un pécheur. C’est le contenu de la révélation (Dieu en son amour saint) qui détermine sa forme. À cause de ce contenu, la révélation de Dieu en Christ ne peut être reconnue que par celui qui s’humilie devant Dieu et l’accepte avec foi et repentance. C’est ce que Luther voulait désigner en insistant sur le fait que notre théologie doit être « theologia crucis » (théologie de la croix), c’est-à-dire premièrement une théologie qui ne néglige pas la place de la croix dans la révélation et deuxièmement une théologie dans laquelle nous nous chargeons de notre croix en nous reconnaissant pécheurs devant Dieu. C’est pourquoi ce n’est que celui dont Dieu a ouvert les yeux qui comprend la révélation (Mt 16.17; 1 Co 12.3). La révélation est une révélation en dissimulation à cause de son contenu; Dieu se révèle en Christ crucifié. C’est pourquoi ceux qui ne reconnaissent pas leurs péchés sont scandalisés par la révélation (Jn 6.60-66).
Ce fait n’est cependant pas une excuse pour l’incrédulité, pour le scandale. Car ce scandale ne consiste pas en l’obscurité de la révélation, mais dans le refus de se faire condamner par Dieu comme pécheur, dans le refus de confesser ses péchés, dans le rejet du contenu de la révélation (voir par exemple Mt 11.20-24; 23.37, où la responsabilité de l’incroyant est maintenue).
Christ a pris la nature humaine telle qu’elle est devenue par la chute, sauf en ce qui concerne le péché. C’est pourquoi on ne peut pas admettre sans la foi que l’humanité de Christ est la révélation de Dieu. Sans la foi, il semble que la vie humaine de Christ ne nous révèle pas l’attitude de Dieu envers nous. Cependant, le croyant admet nettement à cause de la forme « sans beauté et sans éclat » que l’amour souverain de Dieu se communique à nous en Christ. Le croyant voit en lui, non pas malgré son humilité, mais justement à cause de cette humilité, la véritable image de Dieu : l’homme qui vit en amour avec Dieu et avec son prochain. Certes, il y a en Christ des traits qui ne rappellent pas Dieu si on les considère d’une manière abstraite, isolés de la totalité de son apparition. Alors ils ne peuvent rappeler que la chute. Mais il serait erroné de les isoler ainsi. On doit les concevoir dans la totalité de la réalité de la vie de Christ. Alors on comprendra qu’ils ne gênent pas l’image de Dieu en Christ, mais qu’ils la confirment justement. Car l’humanité de Christ ne montre pas ces traits à cause de la peccabilité de Christ, mais elle les porte justement à cause de son impeccabilité, justement parce que Christ aime Dieu et son prochain. Son humanité est une humanité sans beauté et sans éclat, parce que Christ s’est mis à notre place.
Certains théologiens pensent que Calvin n’a pas rendu suffisamment justice au fait que chaque révélation divine a lieu dans la dissimulation. Il n’aurait pas assez tenu compte, comme ses disciples, du fait que la Parole n’est pas seulement devenue homme, mais qu’elle a été faite chair. La dissimulation dans laquelle Dieu vient au monde n’aurait été percée qu’au moment de la résurrection, pendant les quarante jours qui l’ont suivie et pendant quelques anticipations occasionnelles de la gloire de la résurrection ayant eu lieu dans ces miracles et dans la transfiguration sur la montagne. L’on dit alors que les événements appartenant à l’histoire du monde cachent la Parole de Dieu pour le monde, si Dieu s’en sert pour faire entendre sa Parole. Car ces événements comme tels ne montreraient en rien que Dieu les emploie comme des instruments pour se révéler. Ils peuvent être interprétés comme appartenant tout à fait à l’histoire profane. La possibilité du scandale est fondée sur cet emprisonnement de la révélation dans le monde, sur cet incognito de la révélation de Dieu en Christ.
Nous sommes d’accord avec ces théologiens sur le fait que ce n’est que par la foi que nous pouvons reconnaître la révélation de Dieu en Christ (et dans la Bible). Nous différons cependant d’eux parce que nous ne basons pas cette conception sur la forme de la révélation (qui comme telle ne serait pas adaptée); en effet, nous l’avons fondée sur le contenu de la révélation. La révélation peut être rejetée parce qu’elle scandalise. Mais elle ne scandalise pas parce que sa forme n’est pas frappante ou parce que cette forme ne la distinguerait pas de ce qui n’est pas une révélation, ou encore parce que la révélation serait cachée par ses instruments. Ce qui est la cause du scandale est le contenu de la révélation. Elle scandalise parce qu’elle ne peut être reconnue que par celui qui est prêt à se faire crucifier avec Christ. C’est à cause du contenu de la révélation que le scandale n’est pas excusable, non à cause de sa forme. La responsabilité de l’incrédulité est affaiblie si on suit leurs idées. L’Écriture enseigne cependant que le refus de la révélation et l’opposition à la reconnaissance de Christ comme Fils de Dieu doivent être qualifiés d’insensés. La cause du scandale et de l’incrédulité n’est pas dans la structure de la révélation, mais se trouve exclusivement dans le cœur pécheur de l’homme.