Colossiens 1 - Jacques 1 - La souffrance du chrétien
Colossiens 1 - Jacques 1 - La souffrance du chrétien
« Je me réjouis maintenant dans mes souffrances pour vous et je supplée dans ma chair à ce qui manque aux afflictions du Christ pour son corps qui est l’Église. »
Colossiens 1.24
« Mes frères, considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves que vous pouvez rencontrer, sachant que la mise à l’épreuve de votre foi produit la patience. Mais il faut que la patience accomplisse une œuvre parfaite. »
Jacques 1.2-4
Nous pouvons difficilement imaginer la somme des souffrances de l’apôtre Paul : dans les premières années de son ministère, c’est la fatigue des longues marches, le travail des longues nuits, le froid, la faim, les dangers, les coups reçus, sans compter les souffrances de l’esprit.
Vers la fin, au moment où il rédige sa lettre, il se trouve en prison. Il endure la longue captivité solitaire de Césarée; tous l’ont abandonné. Ensuite, il entreprend l’épuisant voyage de Césarée à Rome. Au forum d’Appius, le prisonnier enchaîné voit venir à lui des frères en la foi; « Paul, en les voyant, rendit grâces à Dieu et prit courage » (Ac 28.15). Dans la capitale de l’Empire, deux longues années de séjour surveillé…, et le mystère des souffrances dernières, où l’apôtre disparut. Crucifié, brûlé, persécuté, décapité? On ne sait.
Pour l’heure, il est en prison, à Césarée probablement, et seul. Plus qu’aucun de nous, l’apôtre Paul a connu la joie profonde de la communion fraternelle dans l’Église visible. Le livre des Actes des apôtres en fait foi; il passe plus de deux ans à Éphèse; à Corinthe, une année et demie. Combien de temps à Antioche, la communauté qui fut pour lui le fervent berceau de sa mission? Et à Philippes, la fraternelle Église au cœur d’or? Mais Dieu avait donné, Dieu avait repris. Aux anciens de l’Église d’Éphèse réunis à Milet, l’apôtre expose sa propre foi :
« Et maintenant voici que lié par l’Esprit, je vais à Jérusalem, sans savoir ce qui m’y arrivera; seulement, de ville en ville, le Saint-Esprit atteste et me dit que des liens et des tribulations m’attendent » (Ac 20.22-23).
Ces chaînes et tribulations n’ont pas manqué de s’abattre sur lui. À présent, le voilà seul et prisonnier…
Ceux d’entre nous qui ont connu les douces joies d’un foyer heureux et qui en sont privés peuvent comprendre les souffrances de l’apôtre. Ceux qui ont vécu les heures ferventes d’une communauté fraternelle où la prière jaillissait comme un fleuve et qui en sont privés maintenant parce qu’ils sont seuls peuvent comprendre.
Cependant, notez-le, l’apôtre ne dit pas « je souffre », il dit « je me réjouis ». Je me réjouis dans mes souffrances. Quel est donc le mystère de cette joie dans l’épreuve? Quel est donc le mystère de la joie liée aux souffrances de Paul? L’apôtre le dit lui-même : Au lieu de considérer sa propre souffrance, il ne considère jamais que les souffrances du Christ, qui sont les souffrances d’enfantement du Royaume de Dieu. Alors il accroche ses souffrances aux souffrances du Christ, de telle sorte que sa propre douleur est tout entière absorbée par la douleur rédemptrice du Seigneur de l’Église; il prend la même direction, le même sens, la même valeur. Transfigurées par le Christ lui-même, les souffrances de l’apôtre ont désormais un sens, une fin lumineuse. Et cette fin lumineuse c’est la création, l’enfantement de l’Église; la création, l’enfantement, la victoire du Royaume de Dieu sur la terre.
Or, les souffrances qui ont un but, les souffrances d’enfantement qui produisent la vie, produisent également la joie. Aux anciens de Milet, l’apôtre dit encore :
« Je ne fais aucun cas de ma vie, comme si elle m’était précieuse, pourvu que j’accomplisse avec joie ma course et le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus : rendre témoignage à la bonne nouvelle de la grâce de Dieu » (Ac 20.24).
Nous pouvons nous demander si cela concerne seulement l’apôtre Paul. Pouvons-nous comparer nos souffrances avec les souffrances de l’apôtre? N’y a-t-il pas là une différence de plan, une différence de dimension qui ne nous permettrait pas de le suivre dans la même ligne? Certes non! L’apôtre Jacques adresse son épître précisément « aux douze tribus dans la dispersion » (Jc 1.1), c’est-à-dire à l’Église de Dieu, à tout le peuple des croyants qui sont dans le monde, donc à nous. Au seuil de son admirable épître, il se baisse pour nous prendre par la main, car il veut nous faire connaître, à nous aussi, la joie de la souffrance transfigurée par la croix du Christ.
Car nos souffrances peuvent, elles aussi, devenir dans l’éclairage de la croix des souffrances d’enfantement, des souffrances qui produisent la vie.
« Mes frères, écrit-il, considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves que vous pouvez rencontrer, sachant que la mise à l’épreuve de votre foi produit la patience. Mais il faut que la patience accomplisse une œuvre parfaite » (Jc 1.2-4).
Il y a des souffrances qui produisent la mort, des souffrances qui rongent, des souffrances qui creusent, des souffrances acides, des souffrances d’amertume, des souffrances de révolte. Ce sont des souffrances de mort qui enfantent la mort. Ces souffrances-là sont la conséquence de notre refus de comprendre, d’accepter et de nous soumettre à notre humble mission dans la voie de la souffrance. Souffrances de raidissement, souffrances d’empoisonnement, souffrances de désobéissance… Les neuf dixièmes du volume et du fardeau de nos souffrances proviennent de cette non-observation, de ce raidissement dans la douleur. Alors la douleur s’amplifie, prend des proportions énormes, incommensurables, et tourne au fiel, au ressentiment, devient une sève mortelle. Il nous faut apprendre du Christ l’acceptation des voies de Dieu où la souffrance prend un sens lumineux, car « il a appris, bien qu’il fût le Fils, l’obéissance par ce qu’il a souffert » (Hé 5.8). Alors nos souffrances deviendront des souffrances d’enfantement, d’enfantement de vie, des souffrances de vie, et non d’amertume et de mort.
Il n’est qu’un chemin pour cela : offrir nos souffrances au Christ, offrir nos souffrances petites et grandes, les accrocher à la croix de Jésus-Christ. Ramassons-les et accrochons-les à la croix de Jésus-Christ! Nos pauvres souffrances, nos laides souffrances… Dieu ne veut pas qu’elles soient des souffrances inutiles. Il les veut toutes. Il les réclame toutes afin de les prendre sur lui et de leur donner un sens, le sens même de la croix, qui est mort et résurrection, mort et vie. La seule chose qui puisse sauver le monde, c’est la croix de Jésus-Christ. Mais il faut que l’Église tout entière entre avec ses souffrances dans la croix de Jésus-Christ, vive la croix de Jésus-Christ. Le Seigneur réclame l’offrande de nos souffrances pour que la croix apparaisse de nouveau aux hommes, lumineuse et salvatrice.
Offrir nos souffrances afin que ceux qui ne voient point voient. Il ne faut pas que la croix de Jésus-Christ demeure seule et délaissée sur la terre ravagée comme un char funèbre dépouillé, sans fleurs ni couronnes. Il faut qu’elle soit fleurie des larmes et des souffrances des chrétiens, des larmes de la prière de l’Église, des larmes et des cantiques des fidèles. Il faut maintenant que l’Église soit et devienne l’unique cortège du Crucifié, le cortège uni des suivants de la croix en marche avec le Christ vers la lumière pascale du Royaume de Dieu.
Il faut que l’Église soit le cortège d’offrande et d’humble obéissance, dont les yeux brillent d’espérance et qui chante les cantiques de la foi. Il faut que l’on voie cette offrande; il faut que l’on entende ce chant; il faut que, devant le témoignage de la chrétienté unie à son Sauveur dans l’amour, le monde découvre comme devant un cortège royal.
Offrir nos souffrances! Quelles souffrances? Toutes; les souffrances de l’Église sous la croix, les souffrances des captifs, la souffrance des autres, mais aussi les nôtres. Celles de notre vie difficile, les difficultés de joindre chaque jour les deux bouts; notre dépérissement quotidien, soit par la maladie, la solitude, le veuvage, les larmes pour un enfant mort… Les souffrances de l’éloignement, d’être séparé et sans nouvelles d’un être cher dont on ne sait même pas s’il vit encore; souffrance du déracinement, du dépaysement. Et toutes les déceptions de la vie et toutes les routes barrées, et les espoirs effondrés; souffrances des faibles petites natures, chargées d’hérédité, souffrances des vaincus, des pécheurs… Il y a de la place pour tout cela sur la croix de Jésus-Christ. « Déchargez-vous sur lui de tous vos soucis » (1 Pi 5.7), de tous vos fardeaux de trop lourdes souffrances.
C’est difficile, il y a une crise à surmonter, l’apôtre Jacques ne la cache pas :
« Considérez comme un sujet de joie complète les diverses épreuves [y compris les plus sournoises] que vous pouvez rencontrer, sachant que la mise à l’épreuve de votre foi produit la patience » (Jc 1.2-3).
L’épreuve de votre foi! Il y a dans toute épreuve, à la façon d’aborder toute épreuve, à l’atterrissage de toute nouvelle souffrance, un choc, un trouble profond, une crise aiguë, une épreuve de foi difficile à surmonter. Il traverse cela jusqu’à atteindre, au-delà de la barre des vagues tumultueuses et brutales, la surface plane et douce des difficultés surmontées, le terrain tranquille de la patience fidèle.
Il faut encore, dit l’apôtre Jacques, que la patience accomplisse parfaitement son œuvre; autrement dit, il faut combattre le combat de la foi jusqu’au bout, se tenir tous les jours d’aplomb dans la grande et forte main de Dieu.
C’est difficile, mais il faut accepter de souffrir pour le Christ en obéissance, avec le Christ en abandon. Accepter de souffrir même si nos souffrances semblent n’avoir aucune relation directe avec le combat de l’Église, avec le combat de Jésus-Christ contre les idoles et les démons. Rappelle-toi, toi qui souffres, que le Père te donne la main, te tient dans sa main pour le passage de la passerelle sur le ravin de la nuit (Ps 145.14; 1 Co 10.13; 1 Th 3.3).
Il nous faut accepter la purification, ce dépouillement de la souffrance. Car, en Christ, elle produira la vie. N’en doutons pas, il sortira quelque chose de grand des souffrances du monde, si nous, chrétiens, acceptons cette attitude d’humble soumission et d’offrande totale.
Un peuple baptisé, c’est-à-dire plongé dans la croix du Sauveur, un peuple à sa ressemblance, une Église purifiée qui soit à la face du monde la maquette lumineuse du Royaume de Dieu.
Il est le Seigneur de l’Église. Ce n’est pas l’Église qui tient son Seigneur, c’est le Seigneur qui tient l’Église et qui a promis de la faire paraître devant lui sans tache ni ride. Le prophète Ésaïe nous avertit que cela ne se fera qu’à travers beaucoup de tribulations :
« J’étendrai de nouveau ma main sur toi, je passerai au creuset tes scories, comme avec de la potasse, et j’enlèverai toutes tes parcelles de plomb. […] Après cela, on t’appellera ville de la justice, cité fidèle » (És 1.24-26).
Il vaut la peine de souffrir. Nous avons un stratège dans ce combat-là et nous ne sommes jamais que des petits soldats. Comme un soldat dans la guerre est bien obligé de tenir le secteur qui lui a été assigné, parfois l’ennuyeux, l’insignifiant secteur d’une solitude douloureuse, le Christ, notre grand, premier et dernier stratège du combat de la foi, demande à chacun de nous d’accepter de tenir, et de tenir le secteur d’isolement, de souffrances, de douleur, de combat et de larmes qu’il nous a confié, et d’achever ainsi dans notre chair, pour son corps qui est l’Église « ce qui manque aux souffrances du Christ », le combattant du Royaume de la lumière, l’architecte des nouveaux cieux et de la terre nouvelle. À lui la victoire. L’éternel régnera éternellement à toujours. À lui la puissance aux siècles des siècles! Et d’abord la victoire et la puissance de transfigurer nos souffrances en joie profonde, durable et paisible.