Cet article a pour sujet le conseil de Dieu, en particulier ses décrets de prédestination, d'élection et de réprobation. Notre élection est en Christ, elle est en lien avec l'Église; elle encourage la prédication de l'Évangile.

Source: La connaissance de Dieu. 14 pages.

Le conseil de Dieu - La prédestination, l'élection et la réprobation

  1. La prédestination et l’élection
  2. L’élection en Christ
  3. L’élection et l’Église
  4. La prédestination et la prédication
  5. La connaissance de notre élection
  6. La réprobation

1. La prédestination et l’élection🔗

L’idée fondamentale de l’élection est la sélection ou le choix de quelque chose ou de quelqu’un parmi d’autres choses ou personnes, en vue d’un but particulier.

Dans l’Ancien Testament, le verbe « bachar » est celui qui est le plus couramment employé pour signifier cette idée. Dans la version grecque de la LXX, en général il est traduit par « eklegesthai », c’est-à-dire choisir pour soi-même. Le grec du Nouveau Testament aussi l’emploie en ce même sens. Le Nouveau Testament emploie également « airéomai » pour dénoter l’élection ou le choix entre plusieurs possibilités (Ph 1.22; 2 Th 2.13; voir Dt 26.18 dans la LXX). L’adjectif élu ou choisi en hébreu est « bachîr », en grec « eklektos », et le substantif « eklogè ». Le mot connaître « yada » est aussi employé parfois en se référant à l’élection de Dieu ou à son choix (Gn 18.19; Am 3.2; Os 13.5). La pensée exprimée ici est l’amour de Dieu et le choix des objets ainsi connus. La même pensée se retrouve dans le Nouveau Testament avec le terme de « proginoskô », que l’on pourrait même traduire par aimé d’avance (Rm 8.19; 11.2).

a. L’Ancien Testament🔗

Le verbe élire apparaît 164 fois dans l’Ancien Testament, dont 92 occurrences sont sous forme de verbe actif. Dans 13 cas passifs, l’élection est effectuée par lui. Il n’existe pas d’indication quant au motif de l’élection dans ce terme. Lorsqu’il s’agit des choses comme objet, le choix est en vue d’un but (1 R 17.40) ou bien le rejet du choix (És 7.15-16).

Le verbe choisir est d’abord employé avec Dieu comme sujet (Nb 16.5-7). Dieu choisit entre Moïse et Aaron d’une part, et Koré et les usurpateurs de l’autre. C’est un cas clair du choix effectué par Dieu entre plusieurs possibilités. De même, dans Nombres 17.5 est illustré le choix de la verge d’Aaron parmi d’autres verges pour désigner le sacerdoce ainsi choisi par Dieu.

Au livre du Deutéronome, nous trouvons 29 occurrences du verbe choisir. Tous ont pour sujet Dieu. Le Deutéronome est le document de la relation dans l’alliance qu’Israël doit avoir avec Dieu. La nature singulière de cette alliance est vue dans Deutéronome 4.32-37. Le choix est celui effectué pour Dieu lors de l’Exode. Le fondement se trouve dans son amour antérieur manifesté aux pères (voir aussi Dt 7.6-9).

Ici se trouve la définition fondamentale théologique de l’élection. Elle n’est point basée en l’objet, mais en l’acte de la grâce souveraine de Dieu. Elle implique la discrimination divine entre plusieurs objets. Israël est le peuple élu choisi en vue de sa rédemption de la maison de servitude, ce qui est le type du salut et de la délivrance du pouvoir du péché.

Le choix souverain du roi est prophétisé dans Deutéronome 17.15. Le choix particulier est celui de David (1 R 8.16; 2 Ch 6.6); de même avec Aaron (Ps 105.26), Salomon (1 Ch 28.5) et les prophètes (Jr 1.5). Le psalmiste parle du choix en vue de bénédictions spirituelles (Ps 65.4). L’élection est la condition préalable à l’appel efficace.

Ésaïe emploie l’expression dans plusieurs endroits. D’importance particulière sont Ésaïe 41.8-9; 43.10; 44.1-2; 48.10. Le « Serviteur » d’Ésaïe est un terme collectif qui peut soit indiquer le Messie avec son peuple, soit le peuple seul ou le Messie seul. Ainsi, le Messie est vu comme le Choisi élu de Dieu, comme aussi le peuple qu’il représente. Le Christ est l’Élu quand il représente le peuple élu et doit nécessairement conditionner pour leur salut, à savoir à la fois une obéissance active et passive à la loi. L’idée de distinguer la grâce se trouve mise en avant dans le concept de l’élection propre à l’Ancien Testament.

L’Ancien Testament emploie aussi le terme pour le choix d’hommes. En outre, les hommes sont appelés à choisir Dieu qu’ils doivent servir (Jos 24.15). Être le peuple élu ne dispense pas les hommes de leurs responsabilités. Au contraire, avec le privilège va aussi la responsabilité. Pour avoir failli de reconnaître cet élément si essentiel a été la cause de l’égarement et des erreurs du peuple de l’Ancienne Alliance.

b. Le Nouveau Testament🔗

Le Nouveau Testament présente la même gamme d’emploi que l’Ancien Testament. Comme dans la première partie de la Bible, il existe ici des exemples de sélection parmi d’autres possibilités (Lc 6.13; 10.42; 14.7). L’élection des disciples en vue de leur ministère est effectuée librement (Jn 6.70; 13.18). Le choix de Judas par Jésus est présenté comme un acte délibéré, conscient de Jésus. Jésus savait ce qu’il faisait, mais il n’y renonça pas afin que l’Écriture s’accomplît. Cette élection-là n’était donc pas en vue du salut, mais en vue d’une tâche spéciale, même négative. D’autres exemples abondent (Ac 1.24; 6.5; 15.22; 24.15,22).

L’idée de l’élection d’un peuple du monde pour le salut se trouve dans plusieurs passages (Jn 15.16,19). Ici, il n’est pas simplement question du choix-élection des disciples, mais du choix à partir du monde. Le texte classique se trouve dans Éphésiens 1. L’élection est effectuée ou arrêtée depuis avant la fondation du monde, en vue de la sainteté et de l’adoption comme enfants et à la louange et à la gloire du Père. C’est selon son bon plaisir, et non fondée sur les œuvres qu’elle est réalisée. Ce texte est en parfait accord avec Romains 9, qui parle de l’élection de Jacob, laquelle ne se fonde pas sur ce que le patriarche aurait accompli, mais d’après le but de Dieu. Ce passage ne parle pas seulement de l’élection de Jacob, mais aussi du rejet d’Ésaü. Ces deux frères sont devenus les types de l’élection et de la réprobation (Rm 11.5). Dans Romains 11.7, le contraste entre les élus et les réprouvés est clairement établi.

Le Nouveau Testament parle plus clairement au sujet de l’élection. Nous avons en premier lieu les passages relatifs à la soumission de tous les hommes à la puissance du péché de telle sorte qu’ils n’ont nulle possibilité de venir à Dieu. Ainsi, il apparaît que le salut est totalement gratuit. L’adoption repose donc exclusivement sur l’élection. Les passages suivants sont spécialement importants :

« Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son Fils, afin qu’il soit le premier-né d’un grand nombre de frères. Et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés » (Rm 8.29-30).
« En Christ, Dieu nous a élus avant la fondation du monde » (Ép 1.4).
« En lui, nous avons aussi été mis à part, prédestinés selon le plan de celui qui opère tout selon la décision de sa volonté » (Ép 1.11).

Ne prenons pas notre point de départ dans Romains 9 si nous voulons examiner la doctrine en question. L’objet immédiat dans ce passage n’est pas la prédestination comme telle. N’isolons pas ce chapitre des deux autres qui le suivent. Dans ces trois chapitres, il s’agit de la place spéciale qu’Israël occupe dans le dessein de rédemption. Certes, nous y trouverons des éléments qui se rapportent aussi à notre sujet. Mais c’est un autre passage de la même lettre, Romains 8.28, qui sera le point de départ de l’examen que nous nous proposons de la doctrine biblique de la prédestination. De même et parallèlement Éphésiens 1.

Ces textes reconnaissent la grâce souveraine de Dieu comme la seule cause du salut de l’Église. En Christ, Dieu nous a élus avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints et irrépréhensibles devant lui. Ce n’est pas à cause de nos œuvres que nous avons été élus, mais uniquement par pure grâce, à cause du bon plaisir de Dieu. Dieu nous a aimés, parce qu’il nous a vus de toute éternité ensemble avec le Christ, en qui il se réconcilie avec nous (Ép 1.3-12).

D’autres écrits du Nouveau Testament expriment la même pensée. Si le Père n’attire, nul ne vient au Christ (Jn 6.44). Ces affirmations expliquent le ton doxologique qu’emploie l’apôtre Paul en développant la doctrine de la prédestination (Ép 1.3). En insistant sur l’élection avant la fondation du monde, l’Église reçoit l’assurance ou la certitude inébranlable de son salut. Dieu l’a aimée de toute éternité en Christ. Cette certitude lui sera d’un grand réconfort dans ses tribulations, angoisses et au cours de persécutions. Elle peut être assurée que rien ne la séparera de l’amour de Dieu manifesté en Christ (Rm 8.35).

Rappelons-nous que la doctrine paulinienne qui est à la base de la théologie d’Augustin comme celle des réformateurs, c’est-à-dire l’élection gratuite, est essentiellement liée à son pendant, la corruption totale de l’homme et son incapacité à procurer le salut par ses propres efforts. Elle est donc liée à la justification par pure grâce. C’est une telle relation culpabilité-justification gratuite qui enferme une grande consolation pour les croyants. En reconnaissant leur totale indignité, ils ont accès à l’absolue certitude de l’œuvre rédemptrice divine, dont l’origine et la conception remontent à toute l’éternité. Notre certitude est basée sur la miséricorde divine.

C’est pourquoi tant saint Augustin que les réformateurs refusèrent la théorie pélagienne, semi-pélagienne et catholique romaine du salut par les œuvres (voir Ép 2.8-10). Nos œuvres ne sont pas le fondement, mais le fruit de la grâce.

Dans le Nouveau Testament, plus encore que dans l’Ancien Testament, l’élection est l’adoption par Dieu. Cette élection comme enfants de Dieu implique certainement la destination au service et à la sainteté (Ép 1.4; 1 Pi 2.9). Ici, l’élection ne concerne pas uniquement un peuple entier, mais encore chaque croyant à titre individuel (Mt 24.31; Lc 19.7; Ac 13.48; Ép 1.4; Rm 8.29, etc.). De même, l’élection pour la vie éternelle est davantage accentuée (Ac 13.48). Plusieurs passages désignent expressément que l’élection est une élection au salut (Mt 24.25,31; Mc 13.20; Lc 18.7; Ac 13.48; Rm 8.33; Ép 1.4-5; 2 Th 2.13; 1 Pi 1.2-5). Le nombre des élus est fixé (Jn 6.37,44,65; 10.26,29; 17.2,6,24; Lc 10.20; Ph 4.3; Hé 12.23; Ap 3.5; 13.8; 20.12; 15; 21.27).

L’élection a sa base seulement dans la grâce souveraine de Dieu. Selon la Bible, l’élection concerne un groupe fixe.

Déjà, l’Ancien Testament insiste beaucoup sur la liberté de Dieu dans son élection d’Israël (Dt 4.37; 9.4; 10.15; Éz 16.1; Am 9.7). Le Nouveau Testament parle encore plus clairement. Nous avons en premier lieu tous les passages qui disent que tous les hommes sont tellement sous la puissance du péché que leur élection ne peut jamais reposer sur quelque chose qui se trouve en eux. Les passages principaux qui traitent de la prédestination (Ép 1.1-4 et Rm 8.28) montrent clairement que notre élection n’est pas fondée sur quelque chose en nous. On ne trouve pas seulement cette pensée dans les écrits de Paul, mais aussi chez Jean (Jn 6.44). Il dépend seulement du Père si nous nous convertissons à Dieu. Dieu donne les hommes au Christ (Jn 6.24; 10; 17.2). Tout ce qui nous est dit du salut gratuit, du salut sans les œuvres, montre la souveraineté de l’élection divine. Le passage qui s’occupe le plus expressément de cette question est Romains 9 à 11. Ce passage traite en premier lieu de la position d’Israël dans l’histoire de la rédemption. Israël se trouve comme peuple hors de l’Église. La question se pose si ce fait n’implique pas la fausseté de la prédication de Paul. Serait-il possible que le peuple d’Abraham soit hors de l’alliance de Dieu, hors du peuple élu à la vie éternelle?

Paul commence par dire que l’appartenance au peuple élu n’a jamais dépendu de la descendance naturelle d’Abraham. Cela est prouvé par le fait que Dieu a décidé librement de ne pas élire Ismaël, mais de faire naître miraculeusement Isaac et de continuer l’alliance avec Abraham uniquement avec Isaac. Isaac n’est pas élu seulement parce qu’il fut le fils de Sara, tandis qu’Ismaël fut le fils d’Agar. Cela est prouvé parce que la Bible dit d’Ésaü et de Jacob, des jumeaux nés d’une seule mère, que Jacob a été élu seul. Et Dieu n’a pas fait cela à cause de ses œuvres. Car Dieu avait déjà dit avant leur naissance que l’aîné serait assujetti au plus jeune (Rm 9.10). L’histoire de l’Ancien Testament montre donc que Dieu ne fait jamais dépendre son élection des œuvres. L’élection de Dieu est une élection qui dépend uniquement de la volonté divine. Cela est confirmé par ce que Moïse dit : « Je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde, et j’aurai compassion de qui j’aurai compassion. » (Rm 9.15). On peut conclure que l’élection ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde.

Ainsi Romains 9.20-29 parle de la liberté de Dieu vis-à-vis de l’homme. Paul a prouvé deux choses dans ce chapitre : Dieu n’est pas obligé d’élire quelqu’un parce qu’il appartient à la postérité d’Abraham, et Dieu a le droit d’endurcir un pécheur (Pharaon) et de se servir de lui pour se glorifier. Ainsi Paul a-t-il préparé la conclusion des versets 22 à 24.

Ce passage ne veut pas parler d’une double prédestination en ce sens que Dieu crée certains hommes pour les faire périr. Ce passage parle du problème historique de la relation entre Israël et les païens. Dieu a le droit de supporter encore le peuple juif, malgré le fait que ce peuple, par son manque d’obéissance, soit déjà mûr pour la perdition comme Dieu a encore supporté le Pharaon. Et comme Dieu a pu se servir du Pharaon, ainsi peut-il se servir d’Israël pour faire connaître la richesse de sa gloire à ceux qui seront sauvés. Paul pense ici au fait que la désobéissance d’Israël a entraîné le salut pour les païens. Dieu n’appellera plus Israël charnel son peuple. Il a le droit de rejeter les juifs comme son peuple. Dieu élit un nouveau peuple. Et il en a le droit. C’est ce que le chapitre veut démontrer. Notons encore que le passage parle du nouveau peuple comme des vases que Dieu a préparés d’avance pour la gloire. Leur élection est un don gratuit. Le peuple juif est cependant appelé « des vases formés pour la perdition ». Cela veut simplement dire que le peuple était déjà prêt pour la perdition. Le reste du passage montre que ce fait avait été causé par la faute d’Israël lui-même.

Tout cela ne veut pas dire que nous devons comprendre la relation entre Dieu et les rejetés à la manière de l’indéterminisme. L’image du potier (Rm 9.21) le montre clairement. Dieu est le souverain aussi dans le péché. Cela n’exclut pas la culpabilité. Le rejet a une place dans le conseil de Dieu. Mais il y a une tout autre place que la foi et l’élection. Certes, nous ne devons pas concevoir la réprobation comme étant seulement l’objet d’une permission passive de Dieu. Cependant, la punition n’est pas voulue par Dieu de la même façon qu’il veut le salut des élus.

Il se réjouit de ce salut. Sans doute, Dieu se glorifie aussi par le péché, mais cela se passe malgré la nature du péché. Augustin a désigné la relation entre la réprobation et la bonté de Dieu en disant que la réprobation et le péché ont lieu « contra voluntatem Dei » (contre la volonté de Dieu), mais non pas « praeter voluntatem Dei » (au-delà de la volonté de Dieu).

Cette conception de la relation entre l’élection et la réprobation, conception que nous croyons être biblique, ne résout pas tous les problèmes. Mais nous estimons que nous avons dit ce que l’Écriture nous veut faire comprendre de la prédestination divine. Nous avons réfuté la conception déterministe que l’on n’a pas toujours su éviter dans l’Église et qui est un danger pour la certitude du croyant et pour la prédication du salut.

Le mot élection ne concerne pas exclusivement l’élection au salut. Parfois, le mot n’a aucun rapport avec le salut, par exemple quand il s’agit de l’élection pour un certain office. Certes, l’élection au salut inclut l’élection pour le service de Dieu et la destination à la sainteté. Cependant, le salut que Dieu donne à ses élus est au premier plan déjà dans l’Ancien Testament. L’Ancien Testament nous présente l’élection comme un acte de Dieu dans l’histoire. Dieu élit Abraham du milieu de toute sa famille. Il élit Isaac et Jacob, mais n’élit pas Ismaël et Ésaü. Israël est élu parmi tous les peuples du monde (Dt 7.6). Israël n’est pas seulement appelé au service de Dieu (Dt 7.6-8; 14.2), mais il est également l’objet de l’amour de Dieu (Dt 4.37; 10.15).

Dieu est libre dans toute élection (Dt 4.37; 10.15; 7.7-8; 9.4; És 16.1; Am 9.7). L’élection est immuable (Os 11.8) et le reste en reçoit la « confirmation » (És 10.21; Jr 23.3; Mi 2.12).

La foi vit de son objet qu’elle n’est pas une cause de salut, mais le moyen par lequel nous recevons le salut. La foi n’existe que comme réceptive. C’est pourquoi nous ne pouvons jamais rechercher ce que la foi est en elle-même, car la foi n’est rien en elle-même. La foi vit de ce que le Christ a fait pour nous. Elle ne peut pas être une condition qui doit être en nous, par laquelle ce que le Christ a fait pour nous en puissance est actualisé. Nous n’avons pas à penser que l’acquisition et l’application du salut appartiennent aux catégories de puissance et de réalité. La foi reçoit ce qui est totalement achevé par le Christ.

Ainsi, théologiquement parlant, l’élection est le choix souverain de Dieu qui agit selon son bon plaisir (Ép 1.4-9). Elle n’est pas motivée par les bonnes œuvres (Rm 9.15-18).

Dieu traite avec les pécheurs qui méritent la condamnation. Il les traite comme des pécheurs endurcis en les endurcissant (Rm 9.18; 11.7-10) et les condamnant finalement. Ce sont les réprouvés sur le terrain de leurs propres péchés. Il n’y a point d’injustice en cela, car c’est ce que le pécheur mérite justement.

Ensuite, l’élection est gracieuse. Ceux que Dieu élit pour les traiter comme objets de sa miséricorde, il le fait par pure grâce, par un acte de pure bonté et faveur à ceux qui autrement méritent la condamnation. Tous ceux qui ont été sauvés l’ont été par pure grâce. Ce qui est étonnant ce n’est pas qu’il ait laissé de côté quelques-uns, mais qu’il ait sauvé des milliers.

L’élection est éternelle; car elle fait partie des décrets éternels de Dieu (Ép 1.4-5; 2 Th 2.13; 2 Tm 1.9). Éternelle, elle est donc immuable. Elle ne changera point. Ce caractère immuable de l’élection est d’un réconfort précieux au fidèle. Il les assure de la certitude de leur salut (Rm 8.28-30 et 2 Tm 2.19).

L’élection est un décret efficace. Ce que Dieu a décidé il l’accomplira. L’élection décrétée dans l’éternité s’accomplira au cours du temps. Les élus seront glorifiés. Jésus l’affirmait dans Jean 6.37.

Le caractère irrésistible ne veut pas dire qu’il ne puisse pas y avoir de résistance du péché. Saul de Tarse est un bon exemple. Mais Dieu exerce une telle influence en l’homme qu’il le plie à sa volonté pour accepter le salut par pure grâce. Cette influence vient avec la régénération, œuvre du Saint-Esprit (Ép 2.8-9).

Enfin, l’élection est désignée en vue d’un double but. Un but immédiatement proche est le salut des élus (2 Th 2.13; 1 Pi 2.9-10). Une partie du salut inclut la sanctification et le service. Mais le but ultime est la gloire de Dieu (Ép 1.5-6,12-14).

D’habitude, la théologie réformée a traité l’élection d’une manière synthétique, c’est-à-dire en la considérant comme la source dont découle tout le salut. Aussi a-t-elle reçu sa place dans la dogmatique immédiatement après le chapitre consacré à la personne de Dieu.

Certains réformés, qui reconnaissent aussi bien la souveraineté de Dieu, suivent cependant la méthode analytique. Ils prennent leur point de départ dans le salut de l’homme, qu’ils raisonnent du salut à sa cause. Ainsi l’élection reçoit une place dans le chapitre de la sotériologie (doctrine du salut). Cette dernière méthode est peu à peu abandonnée. La raison en est qu’elle semble accentuer la gloire de Dieu plus que le salut de l’homme. Il va de soi que les adhérents de la première méthode (Calvin) ne veulent parler de l’élection qu’en se basant sur la révélation de Dieu en Christ.

2. L’élection en Christ🔗

L’élection est en Christ (Ép 1.4-7,9-12). C’est Dieu le Père qui élit. Le langage de l’élection ou du choix est employé du Christ lui-même (Lc 9.35). Luc emploie aussi le pluriel élus, se référant à la communauté choisie par le Christ (Lc 18.7). Pierre appelle le Christ la pierre d’angle choisie (1 Pi 2.6). Ensuite, il parle des chrétiens comme d’une race élue. La race élue est fondée et édifiée sur la pierre d’angle élue (1 Co 3.11).

Selon Éphésiens 1.4, notre élection est en Christ. Cela ne veut pas dire que le Christ est le sujet de la prédestination ou que le Christ a mû le Père à son amour pour nous. Car l’Écriture attribue l’élection au Père; Dieu a réconcilié en Christ le monde avec lui (2 Co 5.19; Rm 5.8-11). Le Christ est le Médiateur de la réconciliation. Il est prédestiné comme tel avant la fondation du monde (1 Pi 1.20).

Comment savons-nous que nous sommes en Christ? Nous le savons par la Parole et par les sacrements. Mais il y a encore une chose à discuter. La Parole de Dieu ne promet le salut qu’aux croyants et les sacrements sont aussi pour les croyants. Alors nous pouvons nous demander comment nous savons que les promesses sont pour nous. Avons-nous besoin d’un critère hors de la Parole et des sacrements qui nous dise que nous sommes des croyants et que les promesses sont pour nous?

3. L’élection et l’Église🔗

L’objet de l’élection de Dieu est l’Église du Christ. Cette Église a son fondement dans l’élection de Dieu. Nous sommes sûrs que le fondement de notre appartenance comme membres vivants de l’Église ne peut être que la miséricorde éternelle de Dieu. La certitude de notre élection n’a donc aucun autre fondement que la certitude que nous sommes des membres du Christ. La certitude que le Christ nous donne par les promesses de sa Parole et de ses sacrements implique l’assurance que nous sommes élus par Dieu de toute éternité. Celui qui connaît le Fils connaît aussi le Père (Jn 14.17). Calvin a exprimé cette pensée en parlant du Christ comme du « speculum electionis ».

L’expression « en Christ » affirme l’unité des élus, devenus un corps, à savoir l’Église du Christ (Ép 1.22-23). Le Christ est la tête de ce corps. Dieu a déterminé de toute éternité qui appartiendrait au corps, qui est enseveli et ressuscité avec le Christ, qui est avec le Christ dans les lieux célestes (Ép 2.6) et qui paraîtra avec lui dans la gloire (Col 3.4). Cela ne veut pas dire que l’élection ne serait pas une élection des individus. Mais cela implique qu’il n’y a pas de communauté avec Dieu sans la communauté que les croyants ont ensemble avec Dieu et mutuellement.

Avec Auguste Lecerf, nous considérerons la prédestination dans ses rapports avec la doctrine de l’Église et avec la prédication de l’Évangile ou la foi en l’Évangile. Calvin distinguait entre l’Église visible et l’Église invisible. L’Église, c’est le corps du Christ. Mais ce corps est en effet à la fois visible et invisible et ces deux faces de la même réalité ne sont pas superposables.

On peut se placer du point de vue de l’Alliance de grâce, poursuit A. Lecerf. Cette alliance comprend les enfants et les parents. Dans ce cas, on doit considérer le corps du Christ dans la totalité des éléments qui le composent à un moment donné du temps, y compris les éléments spirituellement morts, qui en seront retranchés à l’heure du jugement. Ce corps est alors comparable à un cep. Parmi les sarments entés, il y a ceux qui portent du fruit et il y a ceux « qui n’ont point de racine en la vigne ».

Dans ce cas, le corps du Christ est visible par les marques qui en attestent la présence (Parole et sacrements), et parce que ceux qui font profession d’appartenir à l’Église sont en chair et en os.

Mais on peut considérer le corps du Christ du point de vue de l’élection éternelle au salut. En vertu de cette élection, Dieu a donné son Fils à tous ceux qui sont entés ou qui seront entés sur ce cep qu’est le Christ, mais entés pour n’en jamais plus être retranchés. Dans ce sens, le corps du Christ, l’Église, est invisible.

Tout fidèle n’a alors qu’à écouter l’appel à la conversion que Dieu lui adresse dans l’Évangile. Sa foi en Christ est le gage de son élection. Mais pour les autres, il ne peut que former un jugement de charité.

Avec la doctrine de l’Église invisible, nous mettons l’accent sur l’élection éternelle.

« Pour que le Christ ne demeure pas un roi sans sujets, il faut la grâce invisible du Saint-Esprit. Le sang du Christ ne peut être rendu stérile qu’il ne porte quelque fruit. Par quoi il nous faut regarder à l’élection de Dieu et aussi à sa vocation intérieure par laquelle il attire à soi ses élus.1 »

Sans l’élection, personne ne serait sauvé. Or, l’Église visible avec sa prédication de l’Évangile adressée non à des élus, mais à tous les pécheurs indistinctement, c’est le témoin du Dieu de l’Alliance de grâce envers le genre humain.

« Dieu ne prend point plaisir aux misères humaines… Lorsqu’il use de sévérité envers eux, c’est volontairement, à la vérité, parce qu’il est juge du monde; mais il ne le fait pas volontiers, parce que toute violence lui est étrangère. Et comme il embrasse tous les hommes d’un amour paternel, il veut qu’ils soient sauvés, à moins qu’ils ne le contraignent mal à propos à la rigueur.2 »

Placée en rapport avec la doctrine de l’Église, la prédestination calviniste n’est pas une limite capricieusement fixée à l’amour de Dieu. Elle est, au contraire, l’effort suprême de la charité divine, qui ne se résigne pas à la réprobation de plusieurs que devant les exigences d’une justice à nous incompréhensibles…

4. La prédestination et la prédication🔗

Nous dirons de notre côté qu’on accuse la doctrine réformée, calviniste, d’avoir élaboré une doctrine qui, appliquée avec rigueur, devrait mettre fin à la prédication de l’Évangile, une doctrine qui risque de mener à penser que Dieu est le responsable de l’incrédulité et de la condamnation des hommes. La manière erronée de comprendre notre position, G.E. Meuleman la signalait dans son article Prédestination et prédication :

Dieu aurait élu certains hommes; il aurait décidé de faire mourir le Christ pour eux, de leur donner la foi, de ne pas permettre leur chute définitive. La grâce leur aurait été donnée d’une manière irrésistible et inamissible, et ils seront finalement sauvés. Parallèlement au décret de l’élection se trouverait une autre décision de Dieu. Car Dieu ne voudrait pas seulement se glorifier par le salut de certains, il voudrait aussi manifester sa justice par la condamnation d’un certain nombre d’hommes. Il y aurait donc des hommes qui seraient l’objet de la haine éternelle de Dieu. Dieu aurait décidé de ne pas leur accorder le salut, et donc pas la foi et la grâce, et de ne pas faire mourir le Christ pour eux.

Il est certain qu’une telle conception peut énormément nuire aussi bien à la correcte compréhension de la doctrine qu’à l’évangélisation du monde. Mais il ne suffit pas d’écarter les fausses interprétations et les malentendus qui défigurent le dogme. Pour en faciliter l’intelligence, il faut encore, non pas se contenter de l’envisager en lui-même, mais le replacer dans sa perspective réelle.

La prédestination implique une rencontre de l’éternité et du temps, de l’infini et du fini. La raison n’est pas faite pour critiquer le mystère ni pour accorder le décret de Dieu avec ses exigences à elle. Elle est faite pour accorder notre conduite avec la volonté révélée de Dieu. Le mystère est du domaine de la religion, il est l’atmosphère de la foi.

Auguste Lecerf le précise bien de son côté : Il n’y est pas question de décret arbitraire d’un Dieu tyran, étranger à toute loi et qui déclarerait juste du seul fait qu’il l’a pris. Calvin ne se lasse pas de condamner ce « divorce exécrable » entre la puissance de Dieu et sa justice. La prédestination, dit-il, n’est autre chose que la dispensation de la justice mystérieuse de Dieu qui ne laisse pas d’être juste, bien qu’elle nous soit mystérieuse. Dieu ne cesse pas d’être juste au moment précis où nous cessons de voir la justice de ses voies.

Pour Calvin, Dieu est sans doute au-dessus de toute loi extérieure à lui. « Mais il n’est pas sans loi, car il est loi à soi-même. » Il a, dans sa volonté, de raison, de sagesse, de justice et de miséricorde qui apparaîtront au jugement dernier. Nous ne savons pas maintenant ce qu’il fait; plus tard, nous comprendrons et nous le glorifierons. La prédestination est un appel à la foi et un rappel de la faiblesse de notre entendement en présence du caractère insondable des pensées de Dieu. Dieu est infini; il faut que notre foi en lui soit infinie.

Considérons maintenant la prédestination et la foi au message de l’Évangile. La doctrine de la prédestination affirme que, par la volonté de Dieu, il y a des pécheurs qui seront vaincus par la grâce et qui seront gratuitement sauvés, et d’autres pécheurs qui recevront la peine qu’ils méritent.

Quel est le rapport entre la prédestination et la prédication? Certains considèrent la prédestination comme un danger pour la prédication de l’Évangile. D’autres résolvent la difficulté par la formule « calviniste quant à la doctrine, arminien quant à la prédication ».

Cette attitude est un compromis impossible. Car, si la Bible nous enseigne quelque chose, il faut prêcher son enseignement. Nous n’avons pas le droit ou la liberté de choisir ce que nous voulons prêcher. Or, notre prédication et notre idée d’Église ne doivent pas reposer seulement sur une partie de la Bible, mais sur tout ce que la Bible nous dit. Nous n’avons pas le droit de négliger Romains 9 qui parle de l’amour de Dieu pour Jacob et de sa haine pour Ésaü, qui parle de vases de miséricorde qui se trouvent à côté des vases de la colère.

Posons donc la question : Est-il vrai que la doctrine de la prédestination a une place dans la prédication et l’évangélisation réformées? Or, rappelons-nous que ce n’est pas notre message que nous prêchons, mais la Parole de Dieu. Ici même, nous ne rappellerons pas ce que nous avons développé plus haut.

Le message de l’Évangile dit que Dieu a aimé le monde et ne veut pas que quelqu’un périsse. Calvin maintient ce message dans son intégrité. Le message de l’Évangile nous fait connaître ce qui est agréable à sa nature et ce qu’il commande parce qu’il y prend son plaisir. Qu’est-ce que l’Évangile? Selon le Catéchisme de Calvin, « que nous nous tenions assurés que Dieu nous aime et qu’il veut être notre Père et notre Sauveur. Par sa Parole…, il nous déclare sa miséricorde en Jésus-Christ et nous assure de sa dilection envers nous ». Il ne s’agit donc pas de vous demander si vous êtes prédestinés à ceci ou à cela, mais de répondre à la question que Dieu pose à chacun de vous : « Veux-tu être guéri? » Une bonne volonté, tout est là! Et si vous me dites : « Mais comment pourrais-je puisque c’est ma volonté qui est malade? » Je vous répondrai : Par le Saint-Esprit. Dieu le donne à quiconque le demande. Il sera fait à chacun selon ce qu’il aura cru.

Pour celui qui ne veut pas croire à l’Évangile, la prédestination est un labyrinthe sans issue et une pierre de scandale. Pour celui qui va au Père par le Christ, elle lui permet d’appuyer sa fragilité sur le Rocher des siècles. Dieu est fidèle; éternelle est sa grâce!

G.E. Meuleman résume les conséquences de l’enseignement biblique pour la prédication :

1. La doctrine biblique et réformée ne contient pas une menace pour la prédication de l’Évangile du salut. L’offre de la grâce est toujours sérieuse de la part de Dieu. Quiconque entend l’Évangile ne doit jamais penser que la possibilité existe que Dieu ne veuille pas l’accepter comme son enfant parce qu’il l’a peut-être rejeté de toute éternité. Une telle réaction viole le caractère sérieux de l’offre de Dieu.

2. La doctrine de la prédestination doit nous rappeler que la prédication nous place toujours devant une décision. La grâce de Dieu n’exclut pas la responsabilité de l’homme. On ne peut prêcher que tous les hommes sont des élus, des sauvés, des réconciliés. La prédication doit insister sur le fait qu’il n’y a pas de salut sans la foi et sans la conversion.

3. La prédication doit appeler le chrétien à l’examen de soi-même.

4. La réprobation a dans la prédication une place en ce sens que nous devons avertir ceux qui ne se convertissent pas et qui ne continuent pas leur lutte contre le péché, que Dieu ne les laisse pas pécher impunément.

5. Le caractère souverain de l’élection doit être la base de l’exhortation contre l’orgueil religieux. Celui qui fonde son élection sur son ascendance, sur ses œuvres ou sur quoi que ce soit en dehors de l’assurance souveraine de Dieu, n’a pas le droit de s’appeler un enfant de Dieu. Cela est important pour la relation entre l’Église et le monde, aussi bien quant à ce que nous devons prêcher aux croyants, en ce qui concerne leur attitude vis-à-vis des incrédules, que quant à la manière dont le prédicateur considère lui-même le monde.

6. La prédication peut assurer à ceux qui croient et veulent obéir une parfaite certitude du salut, car bien qu’il n’y ait pas de salut sans la foi et sans l’obéissance, ce salut ne repose pas sur la foi et sur les œuvres, mais uniquement sur l’éternel amour de Dieu en Christ.

7. La prédication doit conduire les croyants à la louange de ce Dieu qui les a aimés de toute éternité en Christ, malgré leur indignité totale.

5. La connaissance de notre élection🔗

Abordons à présent la question de notre connaissance de cette élection qui est la nôtre avant la fondation du monde. La certitude est-elle celle de quelques chrétiens seulement? Repose-t-elle sur une révélation ou sur l’expérience? Selon Paul, la certitude est celle que Dieu veut donner à tout croyant. Celui qui sait appartenir au corps du Christ reçoit une telle certitude. Elle n’est pas la certitude de quelques-uns seulement, mais celle de quiconque croit en Christ, qui peut être sûr que Dieu l’a aimé de toute éternité en Christ. Or, celui qui ne croit pas au nom du Fils unique, il est déjà jugé (Jn 3.18). Celui qui croit, qui est baptisé et qui observe les commandements divins peut se considérer parmi ceux qui ont été réconciliés avec Dieu. Il est élu.

On se demande dans ce cas si nous ne suivons pas d’une manière toute détournée, mais sûre un pélagianisme et un arminianisme, faisant de notre foi la condition de l’élection. Est-ce notre foi et nos œuvres qui sont quand même décisives pour notre salut? Dieu nous aurait-il élus parce qu’il a prévu éternellement notre foi? Est-ce que cela ne veut donc pas dire qu’il n’y a pas de certitude de l’élection possible?

Parlant de la foi, nous savons qu’elle est le don de l’Esprit en nous. Il nous attire à la foi en la Parole du Christ. La foi est le don de Dieu, car pécheurs nous sommes incapables d’ouvrir nos cœurs pour Dieu. Mais le Christ nous lie à lui par son Esprit et sa Parole. La foi n’existe pas sans son objet. Elle est la réponse à la Parole de Dieu. Par l’intervention de l’Esprit, nous croyons la Parole du Christ. Quel en est le contenu? Jean 3.16 le résume parfaitement, de même que 1 Timothée 2.4 : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés » (voir aussi Jn 1.29; 1 Jn 2.2; Tt 2.11). Le Christ déclare que Dieu veut donner sa grâce à tout homme, que son sacrifice est suffisant comme victime expiatoire pour les péchés du monde entier (1 Jn 2.2), que la victoire du Christ sur le diable est suffisante. Naturellement, cela ne veut pas dire qu’effectivement le Christ a réconcilié et délivré tous les hommes et qu’ils deviennent ainsi, en fait, des enfants de Dieu. Il y a une condition : on doit accepter le Christ comme son Sauveur, et notre foi doit se manifester par le désir de se faire incorporer dans l’Église et par la vie nouvelle.

Cependant, ce caractère conditionnel de la prédication ne devrait pas nous faire penser que notre salut repose sur ce que nous faisons. Le croyant ne doit pas penser qu’il ajoute lui-même quelque chose. Il ne fait que croire ce qui lui a été annoncé. L’élection n’est nullement due à notre foi, ainsi que le pense la théologie arminienne. Cette dernière fait de la foi une œuvre, presque méritoire, comme dans le catholicisme romain. Dans ce cas, notre salut reposerait partiellement sur notre foi, sur nous-mêmes. Elle serait une contribution à notre salut. Or, nous avons vu que notre foi repose entièrement sur son objet. Elle a une fonction réceptive seulement. Nous croyons que Dieu veut être notre Père et nous veut membres de son Église. Il ne veut pas nous aimer parce qu’il a su que nous aurions la foi, mais d’avance et sans notre réponse, il nous a élus, et notre foi est la confiance en cet acte décisif divin. Notre élection ne se fonde pas davantage sur le baptême ni sur notre conversion.

Certes, il n’y a pas de salut si nous ne travaillons pas avec crainte et tremblement, bien que nos œuvres ne seront pas considérées comme une contribution en vue de l’obtention du salut. C’est Dieu qui donne le pouvoir et le faire (Ph 2.12-13). Nous ne dirons cependant à personne : « Dieu vous a aimé de toute éternité, vous êtes un élu », mais au contraire : « Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé » (Ac 16.31). L’Évangile appelle tout homme à une décision.

Notre foi est d’une part réceptive, d’autre part elle est décisive. Je crois que Dieu m’aime uniquement parce qu’il évoque par son Évangile et par son Esprit en moi la certitude qu’il veut m’aimer souverainement, mais non à cause de quelque chose qui se trouve en moi. La foi ne produit pas une décision divine, elle accepte la décision divine. Elle ne crée pas le salut, elle l’accepte.

Mais cette souveraineté de l’acte divin n’exclut nullement ma responsabilité. Ni indéterminisme donc ni déterminisme. Par la foi, nous reconnaissons la souveraineté de Dieu, qui entre en relation avec nous. Toutefois, nous reconnaissons aussi notre propre responsabilité vis-à-vis de Dieu. Les bonnes œuvres sont l’effet de la grâce divine. Les défaillances en nous sont celles de notre cœur. Dieu offre sa grâce, mais il n’est pas responsable de l’incrédulité des hommes.

6. La réprobation🔗

Ceci nous amène à présent à un autre point. Ce serait se tromper grossièrement que de faire dire à Calvin que les réprouvés seront condamnés quoiqu’ils fassent, précise encore A. Lecerf. La réprobation dépend d’un acte de souveraineté de Dieu, mais la condamnation relève de sa justice, et c’est dans l’obstination où la justice les saisit que les pécheurs trouveront la juste cause de leur condamnation. S’ils voulaient se repentir et croire à l’Évangile, ils seraient sauvés.

« Quoi, quand votre Dieu vous enseigne, quand il vous accorde le privilège de la révélation de sa volonté, c’est comme s’il mettait la vie entre vos mains; mais vous le repoussez et vous ne recherchez autre chose que la mort! […] Si quelqu’un se détourne, […] on ne peut pas dire qu’il a erré parce qu’il ne pouvait mieux faire; mais au contraire, il est la cause de tout le mal et celui-ci lui doit être imputé tout entier.3 »

Nous rejetons donc une conception de la prédestination dans laquelle il y a deux décrets parallèles, l’élection et la réprobation, toutes les deux voulues par Dieu de la même manière. Il y a certes une double prédestination, mais il faut bien les entendre. La réprobation n’est pas parallèle à l’élection. Dieu ne veut pas la réprobation de la même manière qu’il veut l’élection. Si quelqu’un se place en dehors de son salut par incrédulité, c’est sa propre faute.

Un autre écueil à éviter est le suivant. Ne disons pas que Dieu reste souverain dans son élection gratuite, mais qu’il dépend de l’incrédulité de l’homme dans la réprobation. Dans ce cas, nous ferions de lui l’auteur du mal et du péché. Toutefois, nous devons tenir compte de tous les passages bibliques disant que Dieu est aussi souverain dans le péché et dans tout ce qui arrive dans le monde. Rien ne se passe en dehors de sa volonté. Dieu n’est jamais surpris par les actes de l’homme. On ne peut certes pas définir la relation entre Dieu et le péché, et entre Dieu et la réprobation, mais Dieu reste quand même souverain, absolument souverain.

Dieu veut la réprobation d’une autre manière qu’il veut le salut. Nous pouvons dire comme saint Augustin : La réprobation et le péché vont à l’encontre de la volonté de Dieu, mais non pas en dehors de cette volonté. Ensuite, l’homme doit se taire.

La Bible ne parle nulle part de la réprobation comme elle parle de l’élection. Certes, Dieu rejette et endurcit de sorte qu’ils ne puissent plus se convertir pendant une certaine période ou pour toujours. Mais ce rejet et cet endurcissement sont toujours mérités par l’homme lui-même (1 S 16.1; 2 R 17.20; És 6.9-10). Le cœur de Pharaon est endurci, il est cependant responsable de son incrédulité.

Notes

1. Jean Calvin, Institution, IV.1.1.

2. Jean Calvin, Lamentations, 3:33.

3. Jean Calvin, Sermon sur Job 34:27.