Les débats christologiques anciens (5) - L'hérésie marcionite
Les débats christologiques anciens (5) - L'hérésie marcionite
Né vers l’an 100 dans le Pont en Asie Mineure, Marcion fut excommunié par son propre père et répudié par Polycarpe comme premier-né de Satan. Il se réfugia à Rome vers 139, mais il fut rejeté aussi par l’Église.
La théologie de Marcion offre beaucoup d’analogies avec la gnose (conception de Dieu, christologie docétique, ascèse). En revanche, il n’a pas de doctrine des éons et ne spécule pas sur l’origine du péché. D’autre part, il ne fait pas appel à des révélations secrètes. Pour toutes ces raisons, il est bon de ne pas le confondre avec les gnostiques. Il se voulait théologien scripturaire et fidèle disciple de Paul, et s’était assigné pour tâche de libérer l’Église de toute emprise de la loi et de l’édifier sur l’Évangile seul. Le légalisme qui prenait de plus en plus d’ampleur dans l’Église fut certainement, au moins en partie, à l’origine de la réforme qu’il voulut mener à bien.
Marcion accuse l’Église de légalisme. Il estime que seul l’Évangile a droit de cité en elle. La lecture de l’épître aux Galates le confirme dans cette conviction. Il place tous les apôtres au nombre de judaïsants contre lesquels s’élève Paul. L’Église a pris la fausse voie que Paul reprochait à Pierre. Confondant loi et Ancien Testament, Évangile et Nouveau Testament, il rejette d’emblée tout l’Ancien Testament et tout ce qui lui paraît légaliste dans le Nouveau Testament. Son Écriture est un Évangile de Luc qu’il a dépouillé de tout légalisme et les épîtres de Paul qu’il a purifiées de la même façon. Dans ses Antithèses, il oppose des affirmations de son Nouveau Testament purifié à celles de l’Ancien Testament et montre en quoi elles sont incompatibles.
Ayant subi l’influence du gnostique syrien Kerdo, Marcion modifie sa doctrine de Dieu. Il existe deux dieux : un dieu imparfait, coléreux et sanguinaire, capable d’erreurs et de repentance, qui a créé le monde. Ce dieu est dénué de toute grâce et est responsable de la misère que connaissent les hommes. Il est l’auteur de l’Ancien Testament. Le Messie qu’il a prédit n’est pas encore venu, car ses prophéties ne se sont pas accomplies en Jésus de Nazareth. Face à ce mauvais dieu, il en est un qui est parfait, bon et miséricordieux. Jésus est la manifestation de ce dieu; c’est pourquoi il s’est dressé contre les lois du dieu de l’Ancien Testament. Il a revêtu l’apparence d’un corps humain, et du fait qu’il s’est opposé au dieu de l’Ancien Testament, ce dernier l’a fait crucifier. Il est descendu en enfer pour en délivrer les païens.
Marcion exigea de ses adeptes l’ascèse la plus sévère, et en particulier le célibat. Les hommes sont appelés à se libérer du Dieu de l’Ancien Testament (le démiurge) et de ses œuvres, mais la plupart d’entre eux périront en succombant au feu du démiurge. Marcion niait la résurrection corporelle.
Chassé de l’Église, Marcion fonda des paroisses. Dès 150, sa doctrine était répandue « kata pan genos anthropôn » (parmi tout le genre humain), comme l’affirme Justin Martyr. Certaines de ses paroisses ont survécu jusqu’au 6e siècle. L’hérésie de Marcion a été considérée par l’Église de l’époque comme la plus grave de toutes. Quoiqu’ils n’aient pas su discerner ce qu’il pouvait y avoir à l’origine de son action, les Pères de l’Église ont bien fait de lutter contre ses erreurs et de démontrer que Dieu est à la fois justice et miséricorde, Créateur et Rédempteur.
Ce fut essentiellement le mérite d’Irénée et de Tertullien de combattre et de réfuter la gnose sous toutes ses formes. Ce faisant, ils se dressèrent contre les « principes de connaissance », la source et norme de doctrine postulée par les gnostiques qui fondaient leurs doctrines sur des traditions qui n’étaient pas accessibles à tous, mais qu’on disait retransmises par les apôtres et leurs disciples. Irénée et Tertullien, ainsi que leurs épigones, soutinrent que seuls les écrits du Nouveau Testament constituaient les traditions apostoliques qui sont devenues source et norme de foi. Retransmises fidèlement par la succession apostolique, elles sont l’unique « règle de foi » de l’Église.