Les débats christologiques modernes (1) - L'idéalisme et le libéralisme
Les débats christologiques modernes (1) - L'idéalisme et le libéralisme
- Alois Emmanuel Biedermann
- Johann Gottlieb Fichte
- Friedrich Schleiermacher
- Albrecht Ritschl
- Adolf von Harnack
- L’école libérale
- William Wrede
- Albert Schweitzer
Après la Réforme, la christologie ecclésiastique fut attaquée d’abord par le socinianisme, qui niait la divinité de Christ. Ils étaient les premiers représentants du courant rationaliste qui, plus tard, a eu beaucoup d’influence dans l’Église. Selon les théologiens rationalistes, la personne de Christ n’avait pas plus d’importance pour le christianisme que celle de Pythagore pour le théorème qui porte son nom. Il est simplement le premier homme qui a affirmé les idées principales du christianisme.
1. Alois Emmanuel Biedermann⤒🔗
La théologie « moderne » s’est formée par l’influence de l’idéalisme allemand. Les philosophes de cette tendance avaient plus d’estime pour les formules traditionnelles du christianisme que les rationalistes de la période précédente. La théologie qui était dépendante de l’idéalisme forme la « christologie spéculative ». Un représentant important de cette théologie était le théologien allemand Biedermann. Selon cette théologie, en effet, Dieu est devenu homme en Christ; elle reprocha cependant à la théologie orthodoxe qu’elle limitait l’incarnation de Dieu à l’apparition de Christ. Christ ne devrait être considéré que comme une illustration de la vérité générale selon laquelle toute l’humanité est le fils de Dieu. L’humanité n’est qu’une forme du développement de l’être absolu (Dieu). Christ a communiqué cette vérité, mais l’acceptation de sa doctrine ne doit pas nécessairement impliquer une relation particulière avec sa personne. Car Christ ne diffère pas essentiellement des autres hommes.
2. Johann Gottlieb Fichte←⤒🔗
Fichte pense que Jésus n’aurait pas eu d’objection si on l’oubliait et si seulement on retenait sa doctrine selon laquelle l’humanité en sa totalité serait le Fils de Dieu. Il n’y a pas de place importante dans sa dogmatique pour la christologie. La personne de Christ a selon lui une signification unique.
3. Friedrich Schleiermacher←⤒🔗
L’un des premiers noms qui viennent à l’esprit est assurément celui de Schleiermacher. La critique rationaliste des 17e et 18e siècles laissait le cœur et l’esprit des croyants secs et froids. Schleiermacher n’en trouvait aucune contre laquelle il pût se dresser. Le terme « nature » dans la christologie ancienne lui semble dérivé de la nature, qui selon lui est un concept limité, inadéquat et impossible à appliquer à Dieu. Comment une unité authentique pourrait-elle subsister dans ce cas, sans que l’une des deux ne succombe à la prédominance de l’autre? Fausse construction, artificielle et compliquée, il convient de la rejeter. Mais si on va jusqu’au bout de la pensée du père du libéralisme moderne, on s’apercevra que la question qui le gêne n’est pas celle de la formulation, mais l’idée même qu’elle exprime, c’est-à-dire la divinité et l’humanité du Christ.
Schleiermacher a cependant aussi critiqué la doctrine de l’Église. Il n’en veut maintenir que les pensées suivantes : Christ est semblable à nous, parce qu’il a la même nature que nous avons. Il se distingue cependant de nous par la force permanente de sa conscience de Dieu, qui est en lui une présence de Dieu proprement dite. Dieu a engendré Christ par sa puissance créative comme le sujet parfait de la religion. Ainsi, Christ peut-il être, par la puissance de sa conscience de Dieu, le prototype religieux de l’humanité. Ces pensées de Schleiermacher ont eu une influence énorme.
Ceux influencés par Schleiermacher n’avaient pas tous la même conception de la nature de l’inhabitation de Dieu en Christ : selon les uns, il s’agirait d’une manifestation très puissante de Dieu; d’autres voulurent se baser sur la Trinité interprétée selon la méthode du subordinatianisme; d’autres encore liaient les pensées christologiques de Schleiermacher avec une acceptation de la Trinité selon l’interprétation ecclésiastique. Les disciples de Schleiermacher insistaient sur le développement humain de Christ. On croyait souvent que l’incarnation n’était pas seulement en vue de nous racheter du péché, mais qu’elle aurait aussi eu lieu sans le péché. Cette dernière pensée montre l’influence de l’idéalisme.
4. Albrecht Ritschl←⤒🔗
Il existe une assez grande conformité entre la christologie de Schleiermacher (1768-1834) et celle de A. Ritschl (1822-1889). Ritschl se distingua surtout de Schleiermacher parce que, sous l’influence de Kant, il voulut s’abstenir des affirmations ontologiques sur la personne de Christ. Il reproche à la christologie traditionnelle d’opérer avec des jugements ontologiques qui selon lui n’ont pas une place légitime dans la théologie. Leur place est dans la métaphysique. La théologie devrait se restreindre à des jugements de valeur. Selon lui, l’œuvre de Christ est plus importante que sa personne. La christologie ecclésiastique serait dépendante d’une spéculation sur le Logos qui n’est pas biblique. Elle aurait été introduite par les apologètes et en général sous l’influence de la pensée grecque.
Ritschl exclut de la théologie tout ce qui a un caractère métaphysique : la naissance surnaturelle de Christ, sa résurrection, son ascension, son retour et les miracles en général. Christ était un homme comme nous. Ce qui était unique en lui ce n’est pas sa personne, mais son œuvre : l’établissement du Royaume de Dieu. Ainsi Christ ne voudrait-il pas changer l’être de l’homme, mais son attitude vis-à-vis de Dieu. À cette fin, Christ nous communique la volonté de Dieu. Il en est capable parce que du point de vue éthique il prévalait beaucoup à tous les hommes. Sa volonté était totalement conforme à la volonté de Dieu. Ainsi, Christ nous révèle-t-il la volonté de Dieu. La mort de Christ nous réconcilie avec Dieu. Mais cette réconciliation n’est pas d’un caractère objectif. Christ nous réconcilie subjectivement en nous montrant par sa mort que le Royaume de Dieu est la destination de tous les hommes, que la volonté de Dieu doit devenir la volonté de tous les hommes.
Par sa mort, Christ nous montre qu’il faut toujours obéir à Dieu. Christ veut nous faire toujours nous confier en la volonté de Dieu notre Père et ainsi nous réconcilier avec Dieu. La réconciliation consiste dans le changement de notre attitude vis-à-vis de Dieu. Parce que notre relation avec Dieu change par Christ, on peut dire qu’en Christ l’on rencontre Dieu. Le Royaume de Dieu (l’obéissance à la volonté de Dieu) a son origine dans la rencontre avec Christ. Christ nous donne notre indépendance vis-à-vis du monde. Ce n’est plus le monde qui détermine notre attitude, mais la volonté de Dieu avec qui Christ nous a réconciliés en nous montrant qu’il n’est pas un Dieu de colère pour nous et que l’on peut se confier à lui comme à un Père. Tout cela nous permet, selon Ritschl, de dire que Christ est Dieu. Mais cette affirmation doit alors être comprise comme étant un jugement de valeur : les actions humaines de Christ ont pour nous une valeur divine parce qu’elles nous donnent le salut, parce qu’elles nous révèlent Dieu.
Ritschl a mis l’accent sur la révélation historique effectuée en Christ, en se dressant contre ce qu’il appelait l’élément métaphique dans la religion en général et la théologie en particulier. La métaphysique opérerait avec l’ontologie plutôt qu’avec des jugements de valeur ou avec la subjectivité.
5. Adolf von Harnack←⤒🔗
Harnack et Loofs, disciples de Ritschl, ont essayé de prouver historiquement que le dogme christologique suppose essentiellement l’influence de la pensée grecque. Le gnosticisme serait le résultat d’une suppression rapide de l’Évangile par la pensée grecque, selon Harnack, tandis que le christianisme serait le résultat d’une hellénisation lente de l’Évangile. Le christianisme aurait subi toutes sortes d’influences païennes.
6. L’école libérale←⤒🔗
Un groupe de théologiens que l’on appelle l’école libérale (Holtzmann, Harnack) crut pouvoir démontrer que la conception sur Jésus de Ritschl était celle du Nouveau Testament. Le Nouveau Testament montrerait que la conscience de Jésus d’être le Messie se serait développée lentement. Cette conscience, qui n’enlèverait rien du fait que Jésus n’est qu’un simple homme, aurait son origine dans la relation très spéciale entre Christ et Dieu. Les Évangiles synoptiques feraient encore savoir que le Jésus historique était un homme comme tous les autres. Les autres livres du Nouveau Testament auraient falsifié l’image du Jésus historique. L’image de Jésus des Évangiles synoptiques correspondrait avec les idées de la théologie de Ritschl. La messianité de Jésus serait selon ces Évangiles, dont celui de Marc le plus pur du point de vue historique, la certitude parfaite de sa conviction d’être appelé à établir sur la terre le Royaume spirituel de Dieu.
C’est vrai, selon cette école, que la conscience messianique de Jésus impliquerait, surtout à la fin de sa vie, quelques traces surnaturelles, que l’homme moderne ne peut plus accepter comme conformes à la réalité. Ces traces, dont nous parlent aussi les Évangiles synoptiques, ne seraient cependant pas essentielles pour la messianité de Jésus, comme les Évangiles synoptiques le montraient le décrivant d’ailleurs comme un simple homme.
Cette idée de Jésus explique pourquoi les représentants de l’école libérale aimaient écrire leurs « vies de Jésus » décrivant l’évolution de Jésus comme le développement d’un simple homme sans tenir compte de sa divinité. Il se serait agi, dans l’Évangile selon le Jésus historique, de la relation entre Dieu et l’âme. Selon lui, la rédemption ne serait qu’une expérience subjective. On devrait distinguer nettement entre le Jésus historique et le Jésus dogmatique.
Paul aurait déjà commencé à falsifier l’image historique de Jésus. Il aurait placé Jésus entre Dieu et l’homme. Il aurait inventé l’idée selon laquelle Christ aurait causé la rédemption comme une chose objective en dehors de nous. Il aurait attribué à Christ des prédicats surnaturels auxquels Jésus n’aurait jamais pensé. On reconnaissait d’habitude que Paul au fond aurait compris la religion de Jésus; il s’agirait de confiance au Père céleste et d’amour du prochain. La forme théologique par laquelle il a exprimé ces idées de Jésus serait cependant erronée, aussi bien que les formes mythiques dont les autres apôtres, surtout Jean, se sont servis. Cette école appelait le christianisme à retourner du Jésus de Paul et de Jean au Jésus des Évangiles synoptiques, surtout vers le Jésus du sermon sur la montagne.
7. William Wrede←⤒🔗
La conception libérale de Jésus fut beaucoup critiquée. Elle n’a plus beaucoup de défenseurs aujourd’hui. Chaque exégète « libéral » avait sa propre image de Jésus. Il y en avait qui posaient la question si Jésus a été conscient d’être le Messie. On discutait sur la question de savoir ce qui est correct dans le récit synoptique et ce qui ne l’est pas selon la réalité historique. Il y avait de moins en moins d’unité en ce qui concerne la question de savoir quels éléments des Évangiles synoptiques nous font connaître la personnalité historique de Jésus.
Wrede, un théologien du milieu des disciples de Ritschl, prouva que l’on ne peut pas distinguer entre la théologie de Paul et sa religion. Il fit aussi comprendre à beaucoup que les Évangiles synoptiques donnaient déjà une image surnaturelle de Jésus. Cela ne veut pas dire que Wrede rejeta personnellement la conception ritschlienne de Jésus. Il prétend même que Jésus ne s’est jamais considéré comme étant le Messie. Cela apparaîtrait par les maints passages des Évangiles synoptiques qui nous disent que Jésus a essayé de dissimuler qu’il était le Messie. Ces passages ne seraient pas autre chose qu’une tentative de dissimuler la différence entre la réalité historique de Jésus et la prédication de l’Église le considérant comme le Fils de Dieu surnaturel. Ces commandements de taire l’identité de Christ auraient été inventés pour expliquer le fait que ce Jésus, considéré dans l’Église primitive comme le Messie surnaturel, n’avait pas été connu comme tel pendant sa vie terrestre.
Notons donc bien qu’il s’agit ici, selon Wrede, d’inventions. En réalité, Jésus n’aurait pas donné ses commandements de ne pas le faire connaître comme le Messie, puisque Jésus ne s’était jamais considéré comme étant le Messie. La christologie postérieure aurait été formée sous l’influence des motifs païens, selon Wrede, Gunkel et d’autres. C’est à comprendre que Wrede, qui appartient encore à l’école libérale à cause de sa distinction entre le Jésus historique et le Jésus dogmatique à la manière de cette école, a beaucoup contribué à miner le fondement de cette école. Les idées de Wrede firent considérer le Jésus historique comme étant hors d’atteinte.
8. Albert Schweitzer←⤒🔗
Un autre théologien qui a beaucoup influencé la déchéance de l’école libérale est Albert Schweitzer, qui d’une autre manière que Wrede n’appartient pas lui-même à cette école. Il insiste aussi sur le fait que la description de Jésus dans l’Évangile de Marc a déjà un caractère surnaturel. Il ne rejette pas seulement avec Wrede la distinction libérale entre les Évangiles synoptiques et Paul, mais il refuse toute la conception libérale de Jésus en disant que Jésus s’est toujours considéré comme étant le Messie désigné. Il ne peut pas être question selon lui d’une évolution de la conscience de Jésus de soi-même comme la théologie libérale la conçoit. Jésus aurait attendu dès le commencement de son activité que le Royaume de Dieu s’établisse par lui. Selon Jésus aussi bien que selon Paul, ce Royaume ne serait pas seulement un changement moral. Son apparition impliquerait un changement eschatologique de l’histoire du monde, un changement qui ne serait pas à la disposition de l’homme.
Contrairement à Wrede, Gunkel, Bousset et d’autres, Schweitzer croit que ces pensées de Jésus et de Paul n’ont pas un fondement dans les religions païennes, mais qu’elles sont basées sur des idées juives des siècles immédiatement avant l’origine du christianisme. Selon Schweitzer, Paul et Jésus diffèrent seulement par le fait que Jésus se croyait le Messie désigné, qui serait un jour le Messie, tandis que Paul le prêchait comme étant le Messie. Pour Jésus, le Royaume de Dieu était un Royaume à venir, tandis que selon Paul, ce Royaume de Dieu était déjà venu.
Il n’y a pas une grande différence entre Schweitzer et les libéraux en ce qui concerne la vérité qu’ils acceptent comme valable pour eux-mêmes. Schweitzer diffère des libéraux quant à sa conception du Jésus historique. Mais parce qu’il considère l’idée de Jésus sur sa messianité et sur le Royaume de Dieu comme étant une illusion, la distinction pratique entre lui et les libéraux est infime quant à la question de savoir ce que le Nouveau Testament peut signifier pour nous. Les idées de Schweitzer sont importantes parce que Schweitzer a beaucoup contribué, avec J. Weisz, l’autre fondateur de « l’école eschatologique », à la redécouverte des catégories historiques dans la prédication chrétienne du salut.
Wrede eut plus d’influence que Schweitzer. Les représentants de l’école libérale devaient reconnaître des parties de plus en plus grandes des Évangiles synoptiques, où n’était pas trouvée la conception libérale du Jésus historique. Finalement, on abandonna les tentatives de prouver dans les Évangiles une base historique pour la théologie « libérale ».