Le début du ministère public de Jésus
Le début du ministère public de Jésus
À quel âge peut-on situer le début du ministère public de Jésus et quelle est la durée totale de celui-ci? Si l’on se basait uniquement sur les informations que nous donnent les Évangiles synoptiques, le ministère total de Jésus n’aurait pas excédé une année et demie. D’après les données du quatrième Évangile, on peut en revanche établir sûrement que ce ministère a duré plus de trois ans, certainement trois et demi. Nous nous rangeons sur cette dernière donnée. Mais commençons par examiner celles des Évangiles eux-mêmes.
C’est Luc, l’historien, qui a un passage important pour fixer le début du ministère de Jésus : « Jésus avait à peu près trente ans » (Lc 3.2). En réunissant d’autres données historiques, on obtient ce qui suit : ce fut dans la 15e année de l’empereur Tibère que commença le ministère de Jean-Baptiste. On sait qu’Auguste, lui, mourut au mois d’août de l’année 14 après Jésus-Christ. La 15e année donnera aux environs de l’an 28 ou 29, peut-être même 27 ou 28, si on hésitait pour une année. Mais il faut aussi se rappeler que, dès l’an 12, Tibère avait été associé au gouvernement de l’empire. Il est donc possible de compter à partir de cette date-là. Dans ce cas, Jésus aurait inauguré son ministère vers l’an 27 (ou 29 si on tient à associer Tibère au gouvernement de l’empire à partir de 12).
Une autre base pour examiner cette date nous est fournie par l’examen des monnaies courantes en Judée (inscription Julie de César datant de la 16e année de Tibère; Julie étant morte en 782 avant J.-C., le début du règne remonterait à 765, donc, pour notre calendrier, à l’an 29, mais cette manière de calculer n’offre pas de garantie absolue).
Peut-on prendre en considération les autres données de Luc 3? Nous admettions que Ponce Pilate a obtenu le gouvernement de la Judée entre les années 26 et 36. Hérode Antipas a été tétrarque de l’an –4 à l’an 39. Philippe, l’autre tétrarque, de l’an –4 à 34.
Nous savons, et Luc le savait aussi bien que nous, qu’il n’y avait pas deux souverains sacrificateurs officiant simultanément. Pourtant, l’évangéliste se conforme à la coutume et laisse le titre de grand-prêtre à l’ancien. Caïphe le fut durant les années 18 à 36.
Luc 3.2 nous donne une autre indication. Il ne faut pas donner absolument trente ans à Jésus. D’après Nombres 4.28, un lévite n’entrait en fonction qu’à partir de l’âge de maturité. Des inscriptions funéraires orientales nous donnent des âges plus ou moins globaux. Jésus étant né au plus tard en l’an –4, si l’intervalle entre le début du ministère de Jean-Baptiste et le sien a été de quelques mois, ou au maximum d’un an, Jésus aurait eu entre 30 et 33 ans, suivant qu’on opte pour le début de son ministère en l’an 27 ou 29, pour la 15e année de Tibère. Quant à Jean 8.57, où les juifs reprochent à Jésus « tu n’as pas encore cinquante ans », on ne peut en tirer aucune indication chronologique sûre et précise. Les juifs tenaient à reprocher à Jésus le fait qu’il était impossible qu’il eût vu Abraham. Des Pères de l’Église, Irénée en tout cas, se fondant sur ce texte, ont affirmé que Jésus était mort à l’âge de 50 ans. Dans ce cas, il aurait été crucifié sous l’empire de Claude vers les années 40.
En revanche, nous avons dans Jean 2.20 une parole intéressante, prononcée lors de la première Pâque du ministère de Jésus. Le Temple de Jérusalem ne fut achevé que plusieurs années après; les 46 ans dont il est ici question dans ce texte signifient le travail poursuivi. Hérode le Grand avait commencé la construction dans la 18e année de son règne. On peut facilement établir la date de cette Pâque vers 28 ou 27.
Ainsi que nous l’indiquions au début de cet article, on peut choisir deux durées du ministère, suivant qu’on se base uniquement sur les Évangiles synoptiques ou qu’on se base aussi sur le quatrième. Les premiers écrivains chrétiens penchaient pour la durée courte. Ceci a été en vigueur jusqu’au 4e siècle, et notamment jusqu’au Concile de Nicée. Ceux qui, même de nos jours, adoptent la durée courte se fondent sur la mention d’une seule Pâque dans les synoptiques. Ils pensent aussi que, de toute manière, le plan des quatre Évangiles serait artificiellement établi pour grouper en un seul ensemble des traditions indépendantes.
Examinons de plus près les données du quatrième Évangile. La première année s’étend de Jean 2.13 à 6.4. On a fait remarquer qu’il y est à peine fait mention de quelques épisodes et que le tout n’aurait pas duré plus de dix semaines, et ce, en comptant avec générosité. Pour la deuxième année, la période qui va du mois d’avril au mois de septembre n’est pas remplie. Il s’agirait d’un cadre artificiel et incohérent. Le quatrième Évangile n’offrirait qu’une série de méditations sur l’histoire évangélique.
Des critiques ont examiné le sens et la portée des épisodes galiléens rapportés par les synoptiques. Le récit des épis arrachés (Mc 2.33), le seul retenu, se situe aux environs de Pâques. On en a conclu que Jésus inaugure son ministère un an avant la fin de celui-ci. D’après ces hypothèses, rien n’autoriserait, selon les synoptiques, à accorder plus d’une année et demie à ce ministère. Quant à celui accompli à Jérusalem, il serait artificiellement divisé en journées pour qu’il puisse cadrer avec l’épisode du figuier maudit qui, aux yeux de nombre de critiques, n’est pas un incident historique. Or, les incidents, et surtout celui des épis arrachés, ne sont traités par les critiques que comme des symboles. Ce dernier incident montrerait l’affranchissement de Jésus par rapport à la loi dès le départ de son ministère public. Ce serait aussi le temps coïncidant avec la fin de ses rapports avec le Baptiste. Jésus aurait quitté le Précurseur au printemps de l’an 27.
Une fois terminées les journées passées à Jérusalem jusqu’en décembre, la fête de la Dédicace, il s’isole, quitte la ville, s’en va au-delà du Jourdain et ne revient qu’à la veille de Paque, lorsqu’il sera arrêté et crucifié.
Il nous semble évident, même en tant que « lecteurs candides » des Évangiles, qu’une année n’a pas pu suffire à Jésus pour accomplir le ministère qu’il a accompli. La prédication en Galilée, ses tournées vers la rive orientale du lac vers la côte phénicienne, son retour en Galilée par Césarée de Philippe, le voyage en Pérée jusqu’à Jérusalem, où il est mort, requirent certainement plus de temps. Nous croyons que de nombreux indices dans les synoptiques favorisent une durée plus longue que ne le laisse entendre, à première vue, leur récit.
L’épisode des épis arrachés ne peut se situer qu’à la fin du printemps d’une autre année que de celle de sa mort. L’herbe verte de Marc 6.39 se passe aussi au printemps. Le gazon est sec à la fin de mai. C’est donc à proximité des mois de mars et d’avril (comparer Jn 6.4-10). Dans la période entre Luc 9.51 et 18.14, on discerne plusieurs allées et venues. Si Jésus s’est lamenté sur la ville, il est évident qu’il l’a connue et visitée avant cette ultime fois. On ne saurait non plus prendre Jérusalem comme l’équivalent de l’ensemble du peuple juif. Car il est précisément question de la ville « qui a tué les prophètes avant lui ». Matthieu 27.57 et Marc 15.43 nous informent que Jésus avait un disciple au sein du Sanhédrin et un pied-à-terre à Béthanie. Par conséquent, Jésus devait bien connaître la ville. Même l’incident du figuier maudit (Lc 13) milite en faveur de la durée longue, car Jésus y fait une comparaison entre l’arbre stérile et le peuple incrédule. Depuis trois ans, le propriétaire vient chercher du fruit, en vain.
Nous examinerons aussi, en faveur de notre thèse, les paroles de Jésus adressées à Hérode d’après Luc 13.31-55. Le « troisième jour » n’est pas un jour ordinaire, mais une période. Jésus désigne les trois périodes de sa vie. Deux ans d’activité publique et la troisième année, celle de sa mort. Il ne semble pas évident que le quatrième évangéliste ait choisi un cadre artificiel pour la vie de Jésus. Ce qu’il contient ne contredit ni ne s’oppose aux synoptiques, mais les complète. Une série de points de repère de la plus haute importance nous sont donnés ici, et nous pouvons nous y fier pour établir un ministère de longue durée. C’est parce que Jean complète les synoptiques qu’il garde le silence sur les détails rapportés par ceux-ci et, plus spécialement, sur les années de l’enfance.
Quelque six fêtes sont mentionnées par le quatrième évangéliste : une première Pâque à Jérusalem (Jn 2.23); une fête (Jn 5.1,3); une deuxième Pâque en Galilée (Jn 6.4); la fête des Tabernacles à Jérusalem, au mois d’octobre (Jn 17.2,10); la fête de la Dédicace, à la fin décembre (Jn 10.22); une dernière Pâque à Jérusalem (Jn 11.55).
Une seule de ces fêtes mentionnées a vu Jésus en Galilée (Jn 6.4). On peut facilement conclure pour au moins deux ans complets de ministère, puisqu’on assiste à trois célébrations pascales. À condition, bien entendu, de considérer la fête de Jean 5.1 comme celle de Pâque, ce qui soulève quelques questions dans différents manuscrits importants (certains ont l’article « un », d’autres ne l’ont pas). Si on lit dans Jean 6.4 « fête » au futur, il ne peut s’agir que de celle des Purim (voir Est 9.21).
Jean 5.1 dit « èn éortè » (c’était une fête), et non pas « è éortè » (la fête). Le texte le plus attesté donne « une fête » (celle des Purim) célébrée le 14 ou le 15 mars. Jésus se trouvait, durant cette fête, à Jérusalem pour y poursuivre son activité. (Examiner aussi Jean 4.36, dans lequel Jésus dit : « Ne dîtes-vous pas qu’il y a quatre mois jusqu’à la moisson? » On peut conclure qu’il se trouvait en hiver).
Une vue d’ensemble nous est offerte par le schéma suivant : janvier, en passage en Samarie (Jean 4); en mars, fête des Purim (Jn 5.1); avril, fête de Pâque (Jn 6.4), une autre Pâque que celle-ci est mentionnée dans Jean 2.13 et 11.55. Ce qui donnerait au total plus de deux ans, auxquels il convient d’ajouter les mois du baptême et la première Pâque. Dans ce cas, nous obtenons une durée de trois ans et demi.
Nous invitons nos lecteurs à consulter des ouvrages spécialisés pour plus de précisions; ces lignes n’ont fait qu’évoquer les divergences d’opinions et les conclusions des savants, tout en indiquant vers laquelle va notre préférence.