Démonologie du Nouveau Testament - Les puissances démoniaques dans les écrits de Paul
Démonologie du Nouveau Testament - Les puissances démoniaques dans les écrits de Paul
On peut dire que dans les Évangiles les démons sont des puissances « terre à terre », ils se mêlent directement et ouvertement, et parfois de façon grotesque, à la vie des hommes.
Les écrits de Paul offrent une image différente, dans laquelle l’idée d’une haute et grandiose hiérarchie des esprits du mal défile sous notre regard. Quoique dans l’ensemble ce tableau soit peu différent de ceux des autres auteurs du Nouveau Testament, Paul est le seul à parler d’une manière extensive de ce sujet. Examinons brièvement les lignes principales de son enseignement.
Nous remarquerons d’emblée que l’existence et les activités des démons, comme d’ailleurs l’intervention rédemptrice divine, se déroulent sur une scène qu’il convient sans exagération d’appeler « cosmique ». Le vocabulaire relatif aux démons et à Satan est ce qui doit en premier lieu retenir ici notre attention. Le mot « kosmos » sera le mot clé de ce vocabulaire. Ce terme désigne le monde entier, la création, l’univers. Il peut également signifier la scène sur laquelle se déroule le drame de la vie humaine, à savoir la terre. Dans l’antiquité grecque, « kosmos » désigne l’univers. Les Grecs le conçoivent comme la totalité des relations, des lois, d’une structure unifiée contenant la terre et le ciel; le tout rationnellement compréhensible. Cette même structure contient tous les êtres vivants, dieux et hommes compris. Cette conception est étrangère à l’Ancien Testament qui n’a pas d’équivalent au « kosmos » grec. L’Ancien Testament parle du ciel et de la terre, mais de telle manière que Dieu n’est pas inclus dans cet espace, qu’il en reste distinct et au-dessus, comme son Créateur.
Ainsi, pour l’apôtre Paul, le « kosmos » ne désigne pas simplement la terre, la planète. Il embrasse toutes les vicissitudes et la quintessence même des conditions de vie et des possibilités terrestres. C’est aussi la vie humaine dans ses aspects mondains. « Kosmos » indique l’attitude et les jugements des personnes, leur péché et leur inimitié envers Dieu. Par là, il devient un concept eschatologique. Il dénote le monde des hommes et la sphère des activités humaines, étant d’une part une chose temporaire qui se précipite vers sa fin et d’autre part la sphère de la puissance de l’anti-dieu, sous l’empire duquel l’homme vit en état de chute. Il est alors la sphère par excellence du prince de ce monde (1 Co 2.6-8) et du dieu de ce siècle (2 Co 4.4).
Jésus-Christ constitue l’antithèse implicite explicite de cette sphère. Parce que « kosmos » est un concept eschatologique, il révèle également le jugement que Dieu passe sur lui.
Une variété d’autres termes sont employés dans les écrits de l’apôtre afin de décrire les mêmes puissances démoniaques. Doit-on classer dans le vocabulaire le mot ordinaire « anges »? Parmi les termes utilisés, nous retrouvons « archai », principautés; « exousiai », autorités; « dunamis », puissance; « kuriotès » et « thronoi », désignant également des puissances démoniaques. Voyons également les expressions suivantes : « légoménoi théoi polloi kai kurioi polloi », ceux qui se disent des dieux et des seigneurs; « pan onoma onomazoménon », tout nom qui se nomme; « ta pneumata tès ponèrias », les esprits du Malin; « en tois épouranois », dans les cieux; « épourania, épigéia kai katachthonia », des célestes, des terrestres et des infernaux. Le caractère cosmique des puissances ressort aussi dans les termes « kosmocratorès tou skotous toutou », princes des ténèbres; « stoichéia », des éléments; « archontès tou aionos toutou », les chefs du siècle présent. Nous rencontrons également « o théos tou aionos toutou », le dieu du siècle présent; de même que « tès exousias tou aéros », l’autorité de l’air; il semble qu’ici il s’agisse d’un terme collectif, désignant le prince des puissances démoniaques (voir Lc 22.53).
D’après O. Cullmann, toutes les anciennes confessions de foi et celles du 2e siècle affirment catégoriquement que, par sa mort, Jésus a vaincu et soumis ces puissances invisibles. Ce n’est donc pas une particularité, une excentricité de Paul, qui le fait parler de « puissances ». Nous nous trouvons en présence d’un élément essentiel du contenu de la foi du Nouveau Testament. Selon Paul, ces puissances invisibles se trouvent placées derrière tous les événements visibles. Ces puissances ne sont en rien différentes de celles dont parlent les Évangiles synoptiques. Dans les Évangiles, nous rencontrons des hommes possédés de démons. Chez Paul, le voile est davantage levé et nous apercevons des puissances appartenant à un ordre cosmique supérieur. Elles n’enchaînent pas seulement des individus, mais contrôlent également, toujours sous contrôle divin, le cours de l’univers.
Le courant le plus important auquel s’oppose Paul est celui des croyances astrales gnostiques. Ces croyances s’étaient naturellement frayé un chemin dans la religion populaire juive. Dans le paganisme, on rend un culte aux étoiles (voir Ac 7.42-43, le discours d’Étienne et son commentaire sur un passage du prophète Amos).
Deux des écrits de Paul, et chacun à deux reprises ont l’emploi suggestif de « stoichéia » (Ga 4.3-9 et Col 2.8,20). On le traduit soit par éléments, soit par rudiments. L’histoire de cette désignation est assez intéressante. À l’origine, le mot désigne les lettres de l’A B C. On en vient à parler d’une connaissance élémentaire (Hé 5.12). Un pas de plus et il désignera les éléments de base du monde physique (2 Pi 3.10). Comme on considère que chaque élément possède son dieu, « stoichéia » désignera finalement le dieu des éléments. Nous avons ici la juxtaposition de « stoichéia » et de « kosmokratorès », princes du monde; nul doute qu’ils s’appliquent aux puissances élémentaires cosmiques. Certainement, ces conceptions reflètent des croyances astrales cosmiques propres à l’hellénisme. Il se pourrait cependant que des idées parallèles juives, d’après lesquelles chaque élément aurait son ange, y aient joué un rôle. On cite à ce propos un passage de l’Apocalypse où le feu, l’eau, le soleil et les quatre vents confirment ce parallélisme.
Paul ne nie pas l’existence des puissances cosmiques, mais il refuse de leur accorder une nature divine. Ils ne sont que des « légoménoi théoi », des prétendus dieux, car il n’y a qu’un seul Dieu et un seul Seigneur. Dans le conflit qui l’oppose aux Galates, son argument consiste à rappeler à ces chrétiens qu’autrefois ils étaient assujettis aux éléments du monde. Maintenant, ils sont libérés par le Christ. Ils ne doivent pas retourner à cet ancien état de choses, à ces esprits faibles et pauvres, à ces éléments considérés comme des dieux bien que ne l’étant pas par nature.
Il est normal de penser que Paul a en vue les idoles du polythéisme païen qu’autrefois les Galates servaient aveuglément. Quant au conflit qui avait surgi dans la ville de Colosses, il s’agit de ces mêmes éléments considérés comme médiateurs. Paul rappelle qu’il n’y a point besoin de médiateurs, Jésus-Christ étant le seul et le vrai.
Selon toute vraisemblance, les éléments du monde étaient pour Paul les puissances angéliques mentionnées dans Colossiens 1.16,20 qui, selon les croyances juives, régissaient le monde et son histoire et en constituaient l’armature spirituelle. L’apôtre en reconnaît l’action derrière toutes les formes de la vie religieuse préchrétienne et extrachrétienne, derrière le commandement et les observances légalistes de la loi mosaïque, aussi bien que derrière les cultes païens.
Ces puissances sont responsables de la crucifixion du Christ. Derrière Caïphe, Anne, Pilate et Hérode, il y a des puissances invisibles qui sont infiniment plus dangereuses que leurs agents humains. Mais ils se tromperont dans leur calcul, car dans leurs tentatives pour détruire Jésus-Christ, le Prince de la vie, ils se précipitent dans leur propre ruine. Leur hostilité est mise au service même du plan de Dieu. Colossiens 2.15 nous aide à comprendre cette affirmation. D’après le contexte, nous savons que le Christ s’est soumis à la malédiction de la loi afin de sauver les hommes de la loi. Les mauvais esprits s’emparent de l’homme par ce côté et ils se les asservissent. La chair est la demeure des démons. Dans son incarnation, le Christ ayant pris une chair semblable à la chair du péché, il a vaincu dans sa chair ces mêmes puissances démoniaques. Il a brisé leur domination dans sa propre chair et a remporté la victoire, une victoire cosmique, puisque les puissances hostiles sont cosmiques.
Il ne s’agit donc pas uniquement du salut de l’individu. Certes, celui-ci n’est pas contesté, mais la création tout entière est affectée par l’événement rédempteur, dans ce sens qu’elle tombe sous le bénéfice de celle-ci. Il a plu à Dieu de réconcilier toutes choses avec lui, en ce qu’il a fait la paix par le sang de la croix. Il faut particulièrement faire attention à Romains 8.21; « ktisis » ne désigne pas seulement l’homme, mais toutes les choses créées. La fin « définitive » de la rédemption doit venir. Le prince de ce monde n’est pas totalement détruit, mais il est « katargouménos », mis hors d’état de nuire. La croix du Christ a déjà dérouté Satan et ses armées. Satan n’est qu’une bête féroce enchaînée qui se débat avant sa mort.
Telle est la substance de la pensée de Paul sur les puissances démoniaques, et nous savons qu’il ne dit rien qui contredise l’ensemble du témoignage du Nouveau Testament sur le sujet.