Démonologie - Un pouvoir infernal
Démonologie - Un pouvoir infernal
On se rappellera la belle formule de Descartes : « L’homme est destiné à être le maître et le possesseur de l’univers. »
La Bible l’avait dit avant le grand penseur. En effet, le récit de la création et de l’origine de l’homme précise qu’il est destiné à dominer le monde et à en prendre possession. Il exercera l’autorité qui lui a été conférée par Dieu dans une connaissance correcte, une justice intégrale et une sainteté irréprochable. Pour répondre à cette mission, il est assuré, dès le départ, de la puissance du Dieu Créateur, à condition d’écouter la Parole de vie et de s’y soumettre librement.
Ce don de l’autorité, le privilège d’exercer un pouvoir, explique pourquoi l’une des aspirations — nous devrions dire des convoitises — les plus fondamentales de l’homme, même déchu, consiste à désirer et à s’emparer par tous les moyens possibles du pouvoir et à l’exercer à son profit. Cet exercice du pouvoir ne se déroule pas seulement sur le plan horizontal, mais il devient principalement le signe de sa révolte et de son aliénation par rapport à Dieu; il déclare sa propre indépendance, et cette déclaration est le témoignage rendu à sa prétention d’être dieu à ses propres yeux. Cette convoitise l’incite à déterminer seul ce qui est le bien et ce qui est le mal. Telle est fondamentalement la position de l’homme, position éminemment religieuse, car, quoi qu’il prétende, il reste un être religieux. Même si sa religion apostate tourne à rebours, à contresens, toute sa personne et chacune de ses activités témoignent, encore et toujours, de sa destination première, celle de rester un être fondamentalement religieux.
Au lieu de parler de « Homo habilis », de « Homo faber », de « Homo sapiens », nous devons parler de « Homo religiosus », autrement l’homme ne serait plus homme, mais simple animal.
En dépit de cette tentative absurde et aberrante d’émancipation par rapport à Dieu, l’histoire passée de l’humanité démontre que, depuis toujours, l’homme a aussi cherché, ce qui est une contradiction, à s’appuyer sur un pouvoir supérieur, surhumain, lui venant d’ailleurs. Il s’est tourné vers des dieux de son cru, fabrication de son imagination maladive et perverse. Nonobstant leur apostasie, les sectes païennes ont toutes été caractérisées par la croyance en un domaine supérieur, celui des esprits, et par la tentative de se procurer auprès d’eux un pouvoir transcendant. La divinité pouvait être l’alliée de l’homme à condition que celui-ci l’approche convenablement.
Les temples de l’antiquité païenne étaient moins des sanctuaires et des autels que des lieux de transactions entre le fidèle et une cohue de divinités. Il y en avait pour chaque cas spécifique et pour chaque besoin élémentaire. Leur faveur et leur assistance étaient avidement quêtées. Si la protection, l’assurance et le secours chez telle divinité laissaient à désirer, le sujet emportait son baluchon et ses victimes sacrificielles dans un autre sanctuaire, afin d’y tenter une nouvelle chance, auprès d’un dieu réputé plus efficace ou plus accessible. Toutes les pratiques cultuelles païennes, comme d’ailleurs toutes les cultures sans exception, croyaient fermement à l’existence de ces pouvoirs supérieurs. Avec ceci de frappant qu’à leurs yeux les divinités n’étaient différentes des mortels que par le degré de l’être et non dans leur nature profonde ou essence. Ainsi, entre les humains et les divinités qu’on vénérait, il existait une continuité ininterrompue, sans qu’il y manque le moindre chaînon. Contrairement à la foi biblique, pour qui l’être de Dieu est incréé et pour qui ce sont l’homme et l’univers qui sont des réalités créées, la religion païenne décrète le dogme de la grande chaîne ininterrompue de toutes choses : dieux, hommes et nature sont tous de la même essence.
L’apogée de la pensée moderne, qui a commencé avec René Descartes, en passant par Emmanuel Kant et Friedrich Hegel, a atteint son point culminant avec l’hypothèse darwinienne de l’évolution des espèces. En réalité, la théorie de Charles Darwin plonge ses racines bien plus loin qu’on veut bien l’admettre; elle remonte en fait jusqu’à l’antiquité païenne. Elle est le développement logique de la doctrine païenne de la grande chaîne de l’être. À partir de ce moment-là furent répudiées, dos à dos, aussi bien la pensée païenne relative au pouvoir supérieur que la foi chrétienne en l’être du Dieu révélé.
Mais ce faisant, l’homme se retrouvait seul dans un univers absurde et, précisons-le, devenait lui-même le pur produit du hasard, d’un hasard complètement aveugle. Aucune puissance supérieure ne le soutenait plus, nul esprit intelligent pour se révéler à lui, rien qui existât au-delà de l’homme et au-dessus de lui. Dès lors, il n’existait plus que des énergies d’évolution, des forces brutales et aveugles. L’idée de la puissance d’en haut était radicalement éliminée du monde positiviste. En outre, en cherchant le pouvoir en l’homme et en son tréfonds, on parvenait à la conclusion que l’esprit de l’homme, ce dernier venu sur la scène de la vie, n’était, au fond, qu’une nouvelle couche superposée sur les strates inférieures antécédentes. Les formes les plus anciennes et fondamentales de l’homme en évolution devaient être cherchées au-dessous de la surface et, selon Sigmund Freud, dans le subconscient; autrement dit, dans ce qu’on considère comme le souterrain de l’âme humaine.
À vrai dire, cela signifie l’intégration totale et définitive de l’homme au vide absolu. L’homme et ses comportements ne sont plus expliqués qu’en termes de son enfance, l’enfant en termes de l’homme dit primitif, l’homme primitif en termes de son passé animal mythologique, et ainsi de suite. La culture moderne a voulu exploiter les veines de sa vitalité dans des courants souterrains, dans ce qui est au-dessous et inférieur à l’homme civilisé. Le primitivisme dans l’art est devenu synonyme de vitalité et d’exubérance; les tam-tam de la jungle ont remplacé la raison, la quête du pouvoir « par le bas » est devenue le moyen d’échapper à une morne stérilité et à une lugubre impotence. Ce qui est pervers, inique, primitif, chaotique est considéré comme l’équivalent du nouveau pouvoir.
Nous trouvons dans cette philosophie l’aboutissement logique du mythe moderne. La puissance d’en haut ayant été déclarée « persona non grata », mythe appartenant à un monde et une ère révolus, l’homme dit moderne s’est mis à la recherche désespérée d’un autre pouvoir, qu’il s’imagine trouver dans les lieux inférieurs. La psychanalyse et certains courants de la psychiatrie et de l’art moderne ont été et sont toujours de puissants moyens mis au service de cette poursuite en vue d’obtenir et d’exercer le nouveau pouvoir.
N’oublions pas la politique. Une race nouvelle de chefs a défilé sous nos yeux depuis le début de notre siècle, les Lénine et les Staline, les Hitler et les Mussolini; sans oublier les pâles et anémiques figures de tant d’hommes d’État de nos démocraties modernes! Ces derniers ont exploré à leur tour toutes les voies s’offrant à eux pour extraire leur pouvoir des couches inférieures, pour ne pas dire infernales, de la réalité sociale. Depuis la Révolution française de 1789, on connaît le nouveau schéma : « Vox populi est vox Dei », la voix du peuple est la voix de Dieu, et non pas : « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. » Ne nous y trompons pas, les démocraties modernes ont elles aussi intronisé un pouvoir concédé ou arraché par en bas, infernalement!
La quête de pouvoir sur les couches inférieures a conduit vers l’occulte. Étant donné que la scène visible de la vie humaine plus ou moins normale ne procurait aucun pouvoir satisfaisant, il fallait descendre plus bas. Sa source se situant dans les souterrains caverneux de l’humanité, on a conclu que, « Dieu étant mort », seul ce qui est infernal pouvait offrir un pouvoir efficace. L’homme qui se situe sur ce terrain s’imagine que le pouvoir se trouve dans les sphères inférieures de la réalité perceptible, comme dans la nature inanimée, d’où la résurgence actuelle de l’astrologie, de la magie et de la sorcellerie et les démangeaisons occultes pour l’ésotérisme et autres prurits de satanisme. Certes, le satanisme n’est pas un phénomène nouveau, mais sa forme nouvelle apparaît avec une extrême virulence.
Selon la Bible, Satan a cherché à devenir Dieu. Il ne nie nullement l’existence de Dieu, car il n’est pas assez imbécile pour se déclarer athée. Il y croit fermement, aussi il tremble à sa pensée, mais n’en poursuit pas moins son plan : l’homme doit devenir son propre dieu. Il doit se libérer du contrôle et du jugement qui lui viennent d’en haut. Du berceau au tombeau, il doit chercher la sécurité en lui-même. S’il a faim, qu’il transforme les pierres en pain! La foi n’est nullement indispensable, car on peut marcher par la vue, et si jamais il accepte l’existence « d’un bon dieu », celui-ci doit à l’homme tous les avantages enviés, et il est tenu de faire disparaître magiquement tous les ennuis de l’existence. L’homme a le droit de se servir soi-même et même de s’adorer.
L’image actuelle de Satan est le produit de la pensée des Darwin et des Freud, grands prophètes devant sa majesté l’homme moderne. Selon cette image, Satan n’est pas une créature de Dieu, mais une force obscure évoluant et sortant du chaos, essentiellement chaos lui-même. Il est dépourvu d’esprit, totalement irrationnel, pervers, et son existence inspire de froides terreurs à l’homme raisonnable. Le nouveau Satan est la contradiction même de la raison, contrairement à son portrait biblique, d’après lequel Satan est une créature douée de raison, même déchue et perverse.
Dès lors, ne soyons pas surpris de constater que les satanistes modernes sont, eux aussi, dépourvus d’esprit et de raison. Car dès qu’on croit qu’il n’existe, par définition, aucune puissance d’en haut, alors on est convaincu que tout pouvoir ne peut résider qu’en bas, et le pas à franchir n’est pas long pour considérer Satan comme omniprésent et omnipotent. On le voit partout, impliqué dans toutes les situations.
Certaines Églises chrétiennes n’ont pas échappé, elles non plus, à l’obsession d’un Satan doué du don d’ubiquité! Ces chrétiens semblent avoir oublié que Satan est lui aussi une créature et que, par conséquent, il reste soumis à toutes les limitations propres à la créature. Il ne peut se trouver simultanément en deux endroits différents.
La conséquence de tout cela est que nous vivons une période caractérisée par la violence flagrante faite à la raison. C’est une obsession mortelle, celle qui cherche à détruire la raison par tous les moyens. Car en la tuant, on intensifie la violence sur tous les plans. Crime, violence, ainsi que certaines révolutions démontrent l’escalade de ce qui est déraisonné. Le pouvoir d’en bas signifie que la sexualité normale est ennuyeuse, mais que le viol, les diverses perversions sexuelles, le sadomasochisme ou l’homosexualité sont des expressions enrichissantes du vrai pouvoir, des épices délicieuses rendant l’existence plus passionnante.
Nous osons espérer que le lecteur ne sera pas choqué si, parmi ces escalades de l’irrationnel, nous classons certains renouveaux dits spirituels et chrétiens. Car ici également la raison a été déplacée, expulsée, humiliée, violentée, si ce n’est carrément abattue, pour faire place à l’exubérance de la déraison actuelle et aux exaltations dignes d’un primitivisme sauvage. Dans certains milieux, la glossolalie, ou « parler en langues », ne témoigne aucunement de la raison modérée et sanctifiée au service de la foi et de Dieu, ni du moindre souci de faire face aux graves problèmes de l’heure. Tels des narcotisés effectuant un voyage imaginaire vers les hauteurs, nos spiritualistes chrétiens modernes cherchent une manifestation de pouvoir tangible, qu’ils attribuent à la puissance du Saint-Esprit. En réalité, si pouvoir il y a dans de tels mysticismes dépersonnalisants, il doit plutôt provenir du bas-fond du sujet perdu dans les nébuleuses de sa pseudo-spiritualité.
On sera moins choqué si nous évoquons la violence de nos contemporains, que ce soit dans les œuvres de fiction (films, télévision, roman, etc.) ou dans des soulèvements de masse, des révolutions politiques ou militaires, voire les théologies dites « de la libération ». Les modernes semblent partis à la conquête de ce pouvoir « d’en bas », et la violence sous toutes ses formes leur semble le seul moyen capable de résoudre les problèmes d’une humanité gravement malade.
Le monde moderne est en crise, nul besoin de le démontrer. L’explication s’en trouve dans l’absence, ou plutôt le rejet, d’une loi venant d’en haut, de l’ordre établi par le Dieu de nos origines.
La foi biblique au Dieu Créateur, en Jésus-Christ l’unique Sauveur et au Saint-Esprit, source et puissance de vie, redonnera l’orientation nécessaire et le salut recherché. C’est en ce Dieu trinitaire, révélé dans la Bible chrétienne, que se trouve la grâce et la guérison, la paix et l’orientation infaillible pour l’homme mortel, non seulement égaré dans ses ténèbres, mais encore assujetti, de son propre gré, au prince des ténèbres.