La doctrine de l'Écriture (11) - La perfection et les propriétés de l'Écriture
La doctrine de l'Écriture (11) - La perfection et les propriétés de l'Écriture
Les réformateurs du 16e siècle (Jean Calvin, Martin Bucer, John Knox, Guillaume Farel, Théodore de Bèze) ont élaboré la doctrine de l’Écriture aussi bien pour combattre les positions romaines que celles des sectes protestantes. Selon l’Église romaine, l’autorité de l’Écriture dérive de l’autorité de l’Église. Selon la Réforme, c’est l’autorité de l’Écriture qui confère à l’Église l’autorité du message que celle-ci est chargée d’annoncer. La Réforme déclare aussi que l’Écriture est le moyen de grâce divinement désigné, et cela contre l’idée romaine selon laquelle l’Église n’en aurait absolument pas besoin, et contre les sectes protestantes d’illuminés qui prétendaient posséder en eux-mêmes toute la lumière de la vérité divine!
Contre Rome, les réformateurs ont défendu la clarté de la Bible. Non que la Bible ne contienne pas de mystères trop profonds pour l’intelligence humaine, faillible, entachée de péché, mais ils ont affirmé que la connaissance du salut est clairement exposée dans les pages de l’Écriture, quoiqu’elle n’y apparaisse pas d’une manière égale sur toutes ses pages. Ainsi, celui qui cherche à trouver, à comprendre et à s’approprier le salut peut se fier, sans danger de se tromper, au message de la Bible. Il n’a pas besoin du magistère pour cela.
Finalement, la Réforme a défendu la suffisance de l’Écriture en rejetant la nécessité d’une tradition ecclésiastique comme celle des romains ou la lumière intérieure des anabaptistes. Ce furent plus particulièrement les successeurs des premiers réformateurs qui parlèrent des marques ou des propriétés de la Bible.
Du point de vue de Dieu, la révélation biblique n’est pas une nécessité absolue. Ce n’est qu’à la suite de la chute et à cause d’elle qu’elle fut accordée. Ainsi, en ce qui nous concerne, la révélation, d’abord verbale, ensuite écrite, constitue une nécessité absolue. Grâce à elle, la Parole divine a préservé sa continuité durant des siècles. Comme telle, elle reste l’unique facteur nous libérant de notre ignorance et nous éclairant au sujet de notre salut éternel. La Parole écrite de Dieu est la réponse la plus juste et la plus nécessaire accordée à nos besoins d’hommes pécheurs. « Ôtez la Bible et la foi chrétienne disparaît », dira Jean Calvin. Contre le catholicisme d’une part et l’anabaptisme d’autre part, la Réforme a formé la doctrine des propriétés de l’Écriture. Les notions les plus importantes en sont : la nécessité, la suffisance, la clarté, l’autorité, l’efficacité.
1. La nécessité de la Bible⤒🔗
L’Église a été fondée par le Christ sur le fondement des apôtres (Mt 16.18; Ép 2.20). Les apôtres sont le fondement de l’Église par leur témoignage. L’Église reste l’Église du Christ pour autant qu’elle reste sur ce fondement, pour autant qu’elle reste obéissante à la parole apostolique. Il n’est pas question d’une infaillibilité automatique de l’Église. C’est pourquoi l’Église en tant qu’unité, et aussi chacun des croyants pour lui-même, doit avoir la possibilité de comparer la doctrine ecclésiastique avec celle des apôtres. La prédication apostolique doit toujours rester présente en tant que source et norme de la prédication de l’Église.
L’ancienne Église a vu cela. C’est pourquoi elle a déclaré qu’un certain nombre de livres contenant la tradition apostolique seraient le canon de la doctrine ecclésiastique. L’expérience avait montré que la tradition orale s’est bientôt abâtardie. Le résultat de la reconnaissance d’un canon écrit a été que la connaissance de l’Évangile est notamment beaucoup plus correcte dans la génération de saint Irénée que dans la génération précédente. L’ancienne Église a vu que l’Écriture sainte est nécessaire pour maintenir l’Église sur le fondement apostolique. Durant la toute première période, pendant que les apôtres vivaient encore, leurs écrits n’étaient pas indispensables dans la même mesure que plus tard. Mais bientôt, l’existence de la tradition écrite, de la sainte Écriture, fut une condition essentielle pour l’Église apostolique.
En l’Écriture, le Christ a donné le fondement apostolique pour tous les siècles. L’Écriture est devenue la source exclusive et la norme absolue de toute prédication, de toute confession ecclésiastique. Cela ne veut pas dire que l’on ne puisse pas découvrir dans le Nouveau Testament l’influence des confessions de l’Église du premier temps. Cependant, ces confessions ont été insérées dans les écrits apostoliques. Ce n’est donc pas seulement l’Église primitive qui s’adresse par ces confessions à nous; il n’est pas seulement question de la réponse de l’Église à la prédication des apôtres, il y est question de cette prédication apostolique elle-même, une prédication qui peut prendre aussi une telle forme. La grande leçon apprise sur la Bible est que la Bible elle-même contient la vérité qui la concerne ainsi que l’idée que nous devons faire d’elle. L’auteur du Psaume 19.7-11 exalte précisément les vertus de la Parole de Dieu.
La Réforme a éclaté grâce à la découverte de la Parole et à grâce à l’exposition conforme et la proclamation fidèle de celle-ci. La Bible est la source même de la vie chrétienne et l’unique charte pour toute institution ecclésiastique. Conduits par le Saint-Esprit, les réformateurs se sont dressés avec vigueur contre l’Église, dénonçant son infidélité envers la Parole écrite. Certes, l’Église de l’époque reconnaissait en théorie la nécessité de la Bible, mais en pratique elle s’arrogeait toute l’autorité qui revenait à la première. Elle prétendait que l’autorité de la Bible dérivait de son autorité à elle, en sa qualité d’institution ecclésiastique, et devait s’appuyer sur son interprétation. Elle se déclarait ainsi infaillible.
Cette même erreur caractérise de nos jours nombre d’Églises et de théologiens protestants. Ces derniers imposent l’autorité de leur propre interprétation à la conscience des fidèles en rejetant l’autorité suprême des saintes Écritures. Cependant, nous devons éviter un malentendu, trop répandu dans les milieux protestants. Nous n’affirmons pas que l’institution ecclésiastique ne détient aucune valeur et qu’elle ne tient qu’un rôle effacé dans la vie chrétienne. Nous reconnaissons parfaitement que l’Église est avant tout servante de la Parole, et non sa propriétaire. Elle doit s’y soumettre en en reconnaissant la nécessité.
Parfois, un danger opposé guette les chrétiens. Nous pensons à un certain mysticisme, ou illuminisme, et à toute espèce de déviation subjective, qui, avec désinvolture, inconsciente peut-être, attribue aux inspirations directes et immédiates, presque matérialistes du Saint-Esprit, une autorité suprême. L’on prétend alors à tort que le Saint-Esprit vivifie, mais que la lettre, celle de la Bible, elle, tue! On oublie que si l’Esprit de Dieu, dont la réalité et l’action seules régénèrent et transforment, ne soulève pour notre foi aucun problème, toutefois ses opérations s’accomplissent au moyen de la Parole, qui est moyen de grâce. N’a-t-il pas justement confié la Bible à l’Église, et sa rédaction aux hommes qu’il a inspirés?
2. La suffisance de la Bible←⤒🔗
On ne peut pas trouver dans la Bible tout ce que les prophètes et les apôtres ont dit et écrit de la part de Dieu. La Bible ne nous donne pas un récit complet de tout ce que Dieu a révélé. Jean parle de cette question dans son Évangile (Jn 20.30). Cependant, il croit avoir écrit tout ce qui est nécessaire pour avoir la vie éternelle. L’Église ancienne a cru trouver dans la Bible toute la doctrine nécessaire pour l’Église de tous les siècles. Nous croyons aussi que nous trouvons dans la Bible tout ce qui est nécessaire pour fonder l’Église et que Dieu a pris soin que toute la tradition apostolique a été écrite dans le Nouveau Testament, pour autant qu’elle est nécessaire pour l’Église de tous les temps. Car nous avons vu que le canon de l’Église doit être un canon écrit. On a déjà compris cela quand les apôtres vivaient encore.
Cela apparaît par le fait que Luc a écrit son Évangile afin que la tradition apostolique fût conservée d’une manière correcte. C’est sans doute le Seigneur lui-même qui l’a conduit à cette pensée. Il nous est permis de croire que le Christ s’est soucié de faire écrire toute la tradition nécessaire. Car le Christ a voulu l’existence d’une Église basée sur le fondement apostolique. Nous avons donc le droit de dire que tous les écrits du Nouveau Testament, pas plus que ceux de l’Ancien Testament, n’ont pas besoin d’une tradition « orale » qui les complète. La Bible est une source suffisante pour l’Église. On peut ajouter qu’une Église qui veut trouver le fondement apostolique en dehors de l’écrit du Nouveau Testament n’écoute, au fond, qu’elle-même, comme les pharisiens du temps de Jésus ont considéré une tradition qui, au fond, n’était qu’une invention humaine.
Quand la Réforme parle de la suffisance de l’Écriture, elle entend que l’Église peut trouver dans l’Écriture toute la vérité révélée dont elle a besoin. Cela implique donc que peuvent être déduits de la Bible toutes sortes d’usages et de règles ecclésiastiques qui peuvent changer avec le temps et qui, en soi, sont des choses « moyennes ». Les anciens Pères de l’Église ont déjà vu cela. C’est pourquoi ils parlent d’un côté de la suffisance de l’Écriture et d’un autre côté des traditions apostoliques qui ne se trouvent pas dans la Bible. Ils entendaient par là des usages qui ont leur origine dans la période apostolique. Selon la Réforme, la Bible constitue l’unique révélation rédemptrice de Dieu. Elle est adéquate et suffisante, elle n’a pas besoin d’une adjonction ultérieure, ni celle de l’Église-institution ni celle de l’homme croyant illuminé. En lisant la Bible, personne n’a le droit de dire : Dieu est caché à mon intelligence et à mon esprit. Les réformateurs se sont opposés autant à l’usurpation arbitraire de l’autorité biblique par l’Église qu’aux abus des mystiques et des extatiques qui se réclamaient directement du Saint-Esprit et imaginaient trouver des erreurs dans la Bible.
Le témoignage porté par la Bible à elle-même rend l’homme inexcusable dans son incrédulité. Elle demeure le seul moyen pour amener le pécheur à la conversion. C’est la raison pour laquelle, aussi bien du côté des luthériens que des réformés calvinistes, on s’est opposé à l’hypothèse d’une double source de révélation. Nous reconnaissons dans les discours des prophètes et les écrits apostoliques le récit authentique et suffisant des grandes œuvres que Dieu a accomplies en faveur de son peuple racheté. Bien entendu, la Bible ne contient pas toute la révélation et ne répond pas à toutes les questions que nous nous posons. Elle n’est pas un manuel pour les chercheurs qui s’intéressent à toutes les disciplines scientifiques. Néanmoins, elle reste le seul guide suffisant pour le connaisseur du salut.
Voici un texte de Calvin sur la pleine suffisance de l’Écriture1 :
1. « Ceux qui, abandonnant l’Écriture, imaginent je ne sais quelle voie pour parvenir à Dieu sont en proie, non à une erreur, mais à un véritable délire. Nous avons vu récemment se manifester des exaltés qui, prétendant orgueilleusement être enseignés par l’Esprit, dédaignaient la lecture de l’Écriture et se moquent de la naïveté de ceux qui suivent, comme ils disent, la lettre morte et meurtrière. N’est-ce pas une folie diabolique […] de prétendre que l’Écriture n’a qu’un rôle temporaire et transitoire? […] Le rôle du Saint-Esprit, tel qu’il nous a été promis, n’est pas d’inventer des révélations nouvelles, inouïes, ou de forger une nouvelle doctrine pour nous détourner de la doctrine de l’Évangile, mais bien de sceller et de confirmer dans nos cœurs la doctrine que l’Évangile nous enseigne. »
2. « Il est donc facile de comprendre que nous devons nous consacrer activement à écouter et à lire les Écritures, si nous voulons recevoir les bienfaits que dispense l’Esprit de Dieu. […] Il est l’auteur des Écritures : il ne peut ni varier ni se contredire. C’est pourquoi il ne peut s’écarter de ce qu’il a une fois déclaré. Il n’y a pour lui nul déshonneur à cela, à moins que nous ne disions que son honneur consiste à changer et à se renier… »
3. « […] L’Esprit de Dieu est si étroitement uni à la vérité de Dieu exprimée dans les Écritures qu’il ne manifeste sa puissance que là où la Parole est accueillie avec le respect requis. […] Dieu n’a pas donné sa Parole aux hommes pour en faire une brève parade et l’abolir tout aussitôt par l’avènement de son Esprit. Mais il a envoyé son Esprit, par la puissance duquel il avait d’abord dispensé sa Parole, pour achever son œuvre en la confirmant efficacement. C’est ainsi que le Christ ouvrit l’Écriture à l’esprit de ses deux disciples, non pour qu’ils deviennent sages d’eux-mêmes en rejetant l’Écriture, mais afin de la leur faire comprendre (Lc 24.27ss). […] Que répondront à cela les visionnaires orgueilleux qui se croient illuminés par la vérité lorsqu’ils rejettent la Parole de Dieu pour se livrer avec témérité aux paroles confuses que leurs fantaisies leur inspirent? Les enfants de Dieu doivent certainement montrer plus de sobriété. Ils savent que sans l’Esprit de Dieu ils sont privés de toute lumière de vérité et que la Parole est l’instrument par lequel le Seigneur dispense aux fidèles l’illumination de son Esprit. Car ils ne connaissent pas d’autre Esprit que celui qui habitait dans les apôtres, qui a parlé par leur bouche et qui ramène constamment les fidèles à l’écoute de la Parole. »
3. La clarté de la Bible←⤒🔗
Parlant de la clarté de l’Écriture, la Réforme voulait dire qu’en écoutant l’Écriture, tout croyant peut arriver à une conviction personnelle et indépendante concernant le contenu de l’Évangile. L’Église du Moyen Âge prétendait que la Bible était un livre difficile à comprendre et par conséquent il était inutile, voire dangereux, de la confier aux simples chrétiens ignorants. Ces chrétiens devaient s’appuyer non pas sur leur propre lecture, mais sur l’enseignement du magistère officiel. La thèse réformée s’est opposée à ces affirmations dénuées de fondement biblique. L’Écriture ne dépend pas des décisions conciliaires ou synodales, encore moins de la pensée théologique d’une époque donnée. Fondamentalement, elle reste claire et intelligible pour tout chrétien. Nombreux sont ceux qui ont fait l’expérience parfois éblouissante de la clarté de la Bible, Parole divine. Même les chrétiens sans instruction aucune ont vu leurs yeux s’ouvrir et leur esprit s’illuminer à son contact. Il suffit de respecter la Parole écrite et de demander à Dieu, dans la prière, la compréhension de sa Parole. Personne ne sera déçu!
La Réforme reconnaît naturellement qu’aucun croyant n’arrive à cette conviction sans l’influence de la confession, de la doctrine, de la tradition de l’Église au milieu de laquelle il se trouve. On attache même une grande valeur à une telle influence de la tradition; le Saint-Esprit s’en sert pour conduire à la confession de Jésus-Christ. La Réforme ne rejette donc pas toute idée de tradition. Ce qu’elle rejette, c’est la pensée d’après laquelle l’Église aurait à sa disposition une tradition qui complète l’Écriture. La Réforme insista sur le fait que tout chrétien doit éprouver la tradition ecclésiastique d’après l’Écriture. Cela ne nie pas la valeur de la tradition ou de la confession de l’Église. Mais elle veut que les croyants participent à cette confession, non pas parce que d’autres le font par respect pour l’Église et son magistère, mais parce que l’examen personnel de l’Écriture a convaincu le chrétien que cette confession est d’après la volonté de Dieu.
Parlant de la clarté de l’Écriture, elle voulait témoigner de cette conviction. Elle s’est référée à des passages comme Deutéronome 30.11-14; Psaume 119.105 (la loi a été donnée au peuple tout entier); au fait que Jésus s’adresse à tous les Israélites et que les apôtres écrivent à tous les saints et non pas seulement aux évêques. Tous doivent examiner l’Écriture (Jn 5.39; Ac 17.11). La lecture de l’Écriture mène au salut (Jn 20.31; Rm 15.4; 2 Tm 3.16; 1 Jn 1.1). D’un grand intérêt pour cette question sont les passages qui parlent de la majorité des croyants du Nouveau Testament et qui les exhortent à éprouver, d’après le critère de la prédication apostolique, ce qui leur est annoncé comme la Parole de Dieu (Jn 10.1; 1 Co 2.15; 10.15; 1 Pi 2.9; 1 Jn 2.20; 4.1).
Naturellement, l’Écriture est claire pour ceux qui ont reçu le Saint-Esprit. Ensuite, la doctrine de la clarté de l’Écriture ne veut pas dire que la Bible ne contient pas des passages difficiles et obscurs qui demandent, pour être compris, beaucoup de recherches et une certaine connaissance des circonstances géographiques et historiques. Cette doctrine veut seulement dire qu’un enfant de Dieu, en ce qui concerne la vérité dont dépend le salut, ne dépend pas de l’Église ou de la science. Tout cela n’exclut donc pas que l’Église et les « ministères » dans l’Église doivent expliquer l’Écriture. Cependant, bien que nécessaire, cette explication n’a pas une autorité absolue. Les croyants doivent la comparer avec l’Écriture. C’est l’Écriture et non pas la confession ecclésiastique qui est juge suprême de toute dispute.
4. L’autorité de la Bible←⤒🔗
L’autorité de la Bible est sa marque essentielle. Nécessaire, suffisante, claire, la Bible détient l’unique autorité en matière de vie et de foi. Les anciens admettaient, eux aussi, cette autorité. Mais en pratique, ils l’avaient soumise à celle d’une instance humaine. Les réformateurs n’ont pas toléré cette usurpation. Nous leur devons la célèbre formule sola Scriptura : l’Écriture seule (son unique autorité). Tout pouvoir humain ainsi que toute instance ecclésiastique doivent lui être soumis. Quelques chrétiens ne reconnaissent cette autorité qu’à certaines parties de la Bible, par exemple le Sermon sur la Montagne de Matthieu 5 à 7 ou 1 Corinthiens 13. Ce faisant, ils vident l’Écriture de sa puissance et de son dynamisme. D’autres s’acharnent à changer la Parole de Dieu en parole et même en verbiage humain. Ailleurs, on refuse de reconnaître l’importance de l’Ancien Testament! L’Écriture possède en elle-même une autorité absolue. Cela découle de ce que nous avons dit de son inspiration. Toute prédication de l’Église, tout témoignage et toute vie chrétienne doivent venir de cette autorité. C’est pourquoi l’Écriture est appelée « canon », c’est-à-dire règle.
Une question se pose : Comment savons-nous que l’Écriture a cette autorité? Comment sait-on quels sont exactement les livres que Dieu a donnés comme canon? Nous avons déjà traité la question du canon plus haut2; ici même, nous aborderons celle du témoignage intérieur du Saint-Esprit qui, d’après la Réforme, est le moyen par lequel nous reconnaissons l’autorité que l’Écriture a en elle-même; ce témoignage intérieur du Saint-Esprit et cette activité de l’Esprit de Dieu par laquelle nous reconnaissons Dieu en tant que Dieu quand il se révèle.
Nous pensons à des passages comme Matthieu 16.17. Là, il est question d’une révélation subjective par laquelle Pierre a reconnu la relation objective de Dieu en Christ. De la même façon, 1 Corinthiens 2 dit que nous ne comprenons les choses de Dieu que par le Saint-Esprit. 1 Corinthiens 12.3 dit : « Nul ne peut dire Jésus est le Seigneur si ce n’est par le Saint-Esprit. » Signalons également Jean 16.8 : Le monde ne peut être convaincu de la vérité de la prédication apostolique que par l’œuvre du Saint-Esprit. Romains 8.14 nous explique que c’est par le témoignage de l’Esprit dans notre cœur que nous nous exclamons « Abba Père! ». Ainsi, l’Esprit nous assure-t-il de notre adoption par Dieu (voir aussi 2 Co 1.12; 5.5; Ép 1.13; 4.30). Un passage important est 1 Corinthines 14.37 où Paul dit que la participation au Saint-Esprit est prouvée par la reconnaissance de la prédication apostolique comme la Parole de Dieu. Selon 1 Jean 5.6 et 10, « c’est l’Esprit qui rend témoignage ». Celui qui croit au Fils a ce témoignage en lui-même.
Le témoignage intérieur du Saint-Esprit rend donc témoignage au caractère divin de la prédication apostolique de la vérité. Il ne s’agit pas d’une révélation nouvelle, d’une voix audible. On n’en remarque que l’effet, la reconnaissance de la révélation. L’Esprit nous fait reconnaître dans la Bible la voix du Christ. Ainsi, il nous place devant la personne du Christ qui, d’après une image donnée par Calvin, vient à nous vêtu de l’Écriture. Par l’Écriture, le Saint-Esprit nous fait reconnaître le Christ comme notre Seigneur et Sauveur, Dieu comme notre Père (Rm 8.14). Le témoignage intérieur du Saint-Esprit nous mène donc toujours à une rencontre de personne à personne avec le Christ. Cependant, cela n’exclut pas qu’il nous mène aussi à une doctrine. Dans la rencontre personnelle avec le Christ, nous reconnaissons Dieu comme celui qui nous condamne, à cause de notre péché, mais qui, pourtant, nous offre sa miséricorde en Christ. Ce fait nous conduit donc à une doctrine des qualités de Dieu, et aussi à une doctrine du péché et de la grâce. Parmi les doctrines dont nous reconnaissons ainsi la vérité, il y a aussi une doctrine concernant la Bible elle-même.
Quand l’Église écoute ce que son Seigneur lui dit, quand elle le rencontre dans la Bible, elle apprend aussi que la Bible veut être reconnue comme norme de toute prédication, comme le fondement inspiré de l’Église. Elle découvre que la Bible consiste en un nombre déterminé de livres et que ce sont ces livres qui appartiennent au fondement apostolique donné par le Christ. Cette prétention de la Bible est reconnue comme légitime, puisque par le Saint-Esprit nous croyons que c’est le Christ lui-même qui s’adresse à nous par la Bible. Nous saisissons de même ce que la Bible nous dit de son caractère fondamental, son inspiration, ses limites, etc. La reconnaissance de l’autorité de l’Écriture repose donc finalement sur le témoignage intérieur du Saint-Esprit.
Mais cela ne veut pas dire que le simple fait que nous reconnaissons la voix du Christ quand nous lisons la Bible suffit déjà pour conclure que les 66 livres de la Bible sont pour nous la révélation fondamentale et inspirée de Dieu. Le simple fait du témoignage intérieur du Saint-Esprit ne nous donne pas la possibilité de dresser la liste des livres canoniques. Car n’oublions pas que le Saint-Esprit ne témoigne pas seulement en nous de la divinité de l’Écriture. Il nous fait aussi entendre le Christ dans la prédication de l’Église, le témoignage chrétien de nos parents, etc. Il faut même dire que l’Esprit fait d’habitude rencontrer le Christ pour la première fois par le moyen du témoignage d’autres chrétiens, avant qu’il nous fasse reconnaître le Christ dans la Bible.
Certes, il s’agit d’un témoignage puisé dans la Bible. La prédication de la Bible à laquelle obéit l’Église, c’est le témoignage apostolique et comme tel Parole de Dieu. Cependant, il faut distinguer entre ce témoignage apostolique et le témoignage ecclésiastique, entre la source et ce qui est puisé dans cette source, entre le fondement et le bâtiment qui est construit sur ce fondement. Le seul témoignage intérieur du Saint-Esprit ne nous donne pas la possibilité d’une telle distinction. Nous pouvons faire une telle distinction parce qu’il y a aussi dans la Bible un témoignage extérieur du Saint-Esprit. On ne reconnaîtrait pas la vérité de cette doctrine. Pourtant, sans cette doctrine, l’Église ne pourrait jamais arriver à cette affirmation que ce tout concret des 66 livres bibliques est le fondement exclusif et absolument normatif de toute sa doctrine et de toute sa vie.
Nous avons déjà étudié ce que l’Écriture nous enseigne sur elle-même. Le Christ a considéré l’Écriture de l’Ancien Testament comme une unité. Il reconnaissait la direction de Dieu non pas seulement dans la rédaction des différents livres, mais aussi dans le fait que ces livres furent unis pour former un tout. Nous avons vu que la révélation continue après l’achèvement de l’Ancien Testament. Le Christ veut fonder son Église non pas seulement sur l’Ancien Testament, mais aussi sur le témoignage apostolique. Dans ce but, il appelle les apôtres et leur donne l’Esprit par lequel les prophètes ont témoigné de lui. Ainsi forme-t-il le fondement apostolique sur lequel il fondera son Église. Nous sommes certains que le Christ a achevé de poser ce fondement inébranlable du témoignage apostolique de la résurrection. Le Christ voulait bâtir l’Église contre laquelle les portes du séjour des morts ne prévaudraient point (Mt 16.18). Ce fondement existe durant toute la première période, uniquement dans le témoignage oral des apôtres.
Une prédication écrite s’y ajoute bientôt. Certains livres ont été écrits expressément pour conserver correctement la tradition (voir Lc 1.1). La reconnaissance de l’autorité de l’Écriture ne repose nullement sur le témoignage de l’Église. Certes, il y a aussi une autorité ecclésiastique et c’est aussi vrai que l’Église exige, à juste titre, que l’on consente aux exigences de sa prédication qui correspond à l’Écriture sainte. L’Église emprunte ce pouvoir au Christ qui lui donne le pouvoir de prêcher l’Évangile en son nom. Cette autorité suppose naturellement la soumission de l’Église au Christ et donc au témoignage apostolique.
Cependant, cette soumission n’est pas une chose qui va de soi, l’Église n’est pas a priori infaillible. Certes, le Christ a promis qu’il y aurait toujours une Église fondée sur le fondement apostolique. Pourtant, Matthieu 16.18 ne donne pas lieu à la conclusion d’une infaillibilité allant de soi de l’Église ou de certaines instances dans l’Église. Même les apôtres n’ont pas vécu d’une manière inconditionnelle la promesse d’être dirigés infailliblement par le Saint-Esprit. Cette promesse est liée à l’observation des commandements du Christ (Jn 14.15,21,22; 15.10) et au fait qu’ils demeurent en lui (Jn 15.52). Obéissant aux commandements de Dieu, Pierre et les autres apôtres avaient ainsi la certitude d’être dirigés par le Saint-Esprit et que leur témoignage pourrait être ainsi le fondement de l’Église. De la même manière, l’Église a la certitude de demeurer sur le fondement du Christ, d’être maintenue dans la communion avec le Christ comme colonne et appui de la vérité, quand elle obéit aux commandements de Dieu, quand elle cherche sérieusement à parler au nom du Christ d’après le témoignage apostolique. Cela veut dire que c’est seulement la constatation de l’accord avec la Bible qui prouve la légitimité de la prétention de telle ou telle instance qui se présente comme Église, comme délégué du Christ dans le monde.
De là vient l’avertissement du Christ de prendre garde aux bergers étrangers (mercenaires) qui pénètrent dans la bergerie (Jn 10.1-6). Les véritables brebis ne connaîtront pas leur voix, dit le Christ. Ces vraies brebis sont des croyants qui vivent près de la Bible. L’apôtre Paul parle des ministres qui essaient de bâtir sur le fondement apostolique avec du matériel défectueux (1 Co 3.10). L’appel à éprouver tout ce qui prétend venir du Saint-Esprit vaut aussi pour la doctrine ecclésiastique (1 Co 14.16; 1 Th 5.20; 1 Jn 4.1). La fonction de l’Église pour la reconnaissance de l’autorité de la Bible est très importante. Cependant, le témoignage de l’Église ne doit pas être pour le croyant la dernière raison de cette reconnaissance. Cette dernière raison, la raison fondamentale, ne doit être que ce que la Parole de Dieu elle-même lui adresse par l’Écriture elle-même.
En rapport avec la fonction du témoignage ecclésiastique, en vue de la reconnaissance de la canonicité de la Bible, la Réforme avait l’habitude de citer les passages de Jean 4.39 et 42. Ces passages nous racontent l’histoire des Samaritains qui ont été amenés au Christ par une femme, mais qui, après avoir trouvé la foi, lui disent : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons, car nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. » Naturellement, nous ne pouvons pas nier qu’en fait, beaucoup de chrétiens n’arrivent pas à comparer toute la doctrine ecclésiastique avec la Bible et à se former ainsi une opinion personnelle. Cela n’implique pas qu’il soit permis à l’Église de se présenter comme la dernière base sur laquelle doit reposer la certitude des hommes quant à l’autorité de la Bible. Comme en rapport avec le reste de son enseignement, elle doit aussi, en relation avec son enseignement concernant la Bible, renvoyer les croyants à la Bible comme source et norme de toute sa doctrine.
Voici un texte de Calvin sur l’autorité de l’Écriture et le témoignage intérieur du Saint-Esprit3.
1. « Avant d’aller plus loin, il convient d’introduire ici quelques remarques sur l’autorité de l’Écriture. […] Ce sujet mérite une ample étude et une discussion attentive. […] C’est une erreur fréquente et pernicieuse de prétendre que l’Écriture sainte tient son autorité de l’Église. Comme si la vérité éternelle et inviolable de Dieu s’appuyait sur la fantaisie des hommes! C’est se moquer du Saint-Esprit que de poser les questions que posent gens : Qui nous certifie que cette doctrine vient de Dieu? ou bien : Qui décidera que tel ou tel livre doit être accepté, tel autre rejeté comme apocryphe, si l’Église n’en décide pas infailliblement? […] À cela, nous répondons : Que deviendront les consciences inquiètes en quête d’une ferme assurance de la vie éternelle si elles ne peuvent s’appuyer que sur le bon plaisir des hommes? […] Et à quelles railleries notre foi sera-t-elle exposée de la part des incroyants, et combien elle sera suspecte à tous si elle ne s’appuie que sur une autorité factice, à la merci des hommes… »
2. « Si l’Église chrétienne a été de tout temps fondée sur les écrits des prophètes et la prédication des apôtres, il est clair que l’autorité de la doctrine a précédé l’Église, qui s’est construite sur elle. Les fondations viennent avant la maison. […] Quand l’Église reçoit l’Écriture sainte et lui donne son adhésion, elle ne confère pas l’authenticité à une chose auparavant douteuse et incertaine; elle s’y attache parce qu’elle reconnaît en elle la pure vérité de son Dieu. Quand on se permet de nous demander comment nous saurons si l’Écriture vient de Dieu si nous ne nous en remettons à la décision de l’Église, c’est comme si on nous demandait comment nous apprendrions à distinguer la clarté des ténèbres, le blanc du noir, le doux de l’amer. […] Car l’Écriture manifeste aussi nettement sa vérité que le blanc ou le noir leur couleur, le doux ou l’amer leur saveur… »
3. « … L’autorité de l’Église n’est qu’une introduction pour nous préparer à la foi de l’Évangile. »
4. « Retenons bien ce que j’ai dit naguère : nous n’aurons pleinement foi dans la doctrine que si nous nous sommes parfaitement assurés que Dieu en est l’auteur. La souveraine preuve de l’Écriture est tirée de la personne de Dieu qui parle par elle. Les prophètes et les apôtres ne se vantent pas de leur subtilité, ni de leur haut savoir, ni d’aucun prestige humain; ils ne se fient pas à la puissance du raisonnement. Pour capter l’attention et soumettre les cœurs, ils mettent en avant le nom sacré de Dieu. […] Il faut pour nous persuader, non des raisons humaines, ou des opinions ou des conjectures, mais le témoignage intime du Saint-Esprit. […] Il ne suffit pas de défendre la Parole de Dieu en réfutant les attaques et les calomnies des méchants pour leur mettre au cœur les certitudes dont se nourrit la piété; car les gens profanes pensent que la religion est affaire d’opinion. À quoi je réponds que le témoignage du Saint-Esprit est supérieur à toute raison; car bien que Dieu suffise à attester sa propre Parole, le cœur des hommes ne peut accueillir de l’Esprit. Il faut que le même Esprit qui a parlé par la bouche des prophètes entre dans notre cœur et le touche au vif pour le persuader que les prophètes ont fidèlement déclaré ce qui leur était commandé d’en haut… »
5. « Ceux-là seuls qui ont reçu l’enseignement du Saint-Esprit se reposent sur l’Écriture avec droiture et fermeté. Bien qu’elle s’authentifie elle-même, qu’elle ne puisse être contredite et qu’elle n’ait besoin ni de preuve ni d’argument, c’est le témoignage du Saint-Esprit qui lui confère la certitude. La majesté qui est en elle suffit à la faire respecter. Mais pour qu’elle nous touche vraiment il faut qu’elle soit scellée dans notre cœur par le Saint-Esprit. Illuminée par sa puissance, notre certitude que l’Écriture est la Parole de Dieu ne dépend plus de notre jugement ni de celui des autres. Elle nous est attestée au-delà de tout jugement humain et nous savons de façon immédiate et indubitable que, par le moyen des hommes, elle nous vient de la bouche même de Dieu, comme si nous contemplions en elle, de nos yeux, la personne de Dieu. […] C’est donc une intuition, qui n’a pas besoin de raisons, puisque notre esprit s’y repose de façon plus totale et plus assurée qu’en n’importe quelles raisons. En fait, c’est une perception de la vérité que seule une révélation divine peut engendrer. Je ne dis ici que ce que chaque fidèle expérimente en lui-même, à cela près que mes paroles sont faibles, et indignes de ce qu’elles tentent d’exprimer. […] Il n’y a de véritable assurance que celle que le Saint-Esprit scelle dans nos cœurs… »
13. « Donc, quand nous serons troublés en voyant le petit nombre des croyants, fortifions-nous par la pensée que les mystères de Dieu ne sont compris que par ceux à qui Dieu en donne l’intelligence. […] L’Écriture ne créera en nous une connaissance de Dieu conduisant au salut que si le Saint-Esprit nous persuade intérieurement de sa vérité. Les témoignages humains qui servent à la confirmer ne seront pas inutiles, s’ils suivent ce témoignage premier et souverain pour lui servir d’auxiliaires et soutenir notre faiblesse. Mais il est déraisonnable de vouloir, par des arguments, prouver aux incroyants que l’Écriture est la Parole de Dieu : la foi seule peut le révéler. Saint Augustin dit avec raison qu’un homme ne saurait avoir accès aux mystères de Dieu si la voie ne lui a été ouverte par la crainte de Dieu et le faible consentement du cœur. »
Notes
1. L’Institution chrétienne, I.9.1-3. Édition abrégée en français moderne. PBU, 1985, p. 30-31.
2. Voir mes articles sur Le canon de la Bible, Le canon de l’Ancien Testament et Le canon du Nouveau Testament.
3. Institution chrétienne, I.7.1-5 et I.8.13. Édition abrégée en français moderne. PBU, 1985, p. 27- 30.