Dogmatique (7) - La légitimité et la nécessité de la théologie dogmatique
Dogmatique (7) - La légitimité et la nécessité de la théologie dogmatique
- Connaître la vérité sur Dieu et sur son salut
- Rendre témoignage en parole et en acte
- Les événements révélés ont une signification doctrinale
- Réponse à des objections
1. Connaître la vérité sur Dieu et sur son salut⤒🔗
L’objet de la théologie dogmatique est la vérité chrétienne. Le nom de vérité ne désigne pas simplement le rapport de conformité entre une connaissance d’un fait et ce fait lui-même, ou d’une idée et cette idée elle-même. L’objet de la foi chrétienne est qualifié de vérité parce qu’il ne nous trompe pas, qu’il nous éclaire, qu’il satisfait à tous nos besoins et qu’il nous donne la vie éternelle. Au sens strict, c’est le Christ qui est, dans sa personne, la vérité de Dieu; au sens large, la vérité englobe tout le contenu de la révélation que Dieu nous a donné de lui-même, dans la Bible, et qu’il atteste à nos esprits, par son Saint-Esprit, afin que nous en recevions l’assurance. Précisons les caractères de la théologie dogmatique :
La théologie dogmatique se propose de connaître non pas les événements de l’histoire du salut, mais la vérité de Dieu et son salut. Elle n’est donc pas une science du passé, mais la science de la seule vérité qui soit de tous les temps, et dont nous soyons appelés à vivre jusque dans l’éternité. Elle ne nous procure pas un savoir qui doit rester extérieur à notre destinée personnelle; elle concerne au contraire les actes de Dieu, qui sont pour nous tous et pour chacun d’entre nous, en sorte qu’ils prennent leur signification véritable quand ils nous sont appropriés par le Saint-Esprit.
La connaissance que vise la théologie dogmatique est intellectuelle; elle met donc en œuvre des idées et elle formule des doctrines. Mais elle ne rassemble pas toutes les doctrines professées dans l’Église comme le fait l’histoire du dogme. Puisque son objet n’est rien de moins que la vérité de Dieu, elle ne sera pas simplement énonciative, récapitulative et descriptive. Elle sera normative. C’est pourquoi nous l’appelons dogmatique.
Un dernier trait oppose la théologie dogmatique à l’histoire de l’Église. Celle-ci s’efforce de découvrir l’organicité des faits, soit dans leur simultanéité à une même époque, soit dans leur succession, c’est-à-dire de reconstituer le passé dans sa continuité. Elle cherche ainsi à percer le secret de l’unité de l’histoire. La théologie dogmatique part, quant à elle, de la certitude de l’unité de la vérité de Dieu. Elle s’applique à décrire l’harmonie d’une vérité dont l’unité est dans la pensée de Dieu. Elle veut être fidèle à la pensée de Dieu en articulant les idées et doctrines en les édifiant en un corps de doctrines; d’où l’appellation de théologie systématique que nous joignons à celle de dogmatique. L’Église ne peut éluder le devoir de la connaissance intellectuelle de la vérité chrétienne et de son exposé systématique. Pourquoi?
Les Églises de la Réforme professent que la Parole de Dieu, jamais indépendante de l’action du Saint-Esprit, engendre la foi dans le cœur du croyant. Nous ne devons pas perdre de vue que la Parole de Dieu s’adresse à notre intériorité tout entière : elle émeut notre sensibilité, elle éveille en nous de nouveaux désirs, elle redresse et stimule notre volonté, elle éclaire notre intelligence, elle nous amène à penser autre chose que ce que nous pensions auparavant. La foi à laquelle l’Évangile et toute la Bible rendent témoignage n’est pas confinée dans une partie de l’être humain ni dans une fonction particulière de notre esprit. La foi est l’œuvre dans ce que nous appelons improprement le domaine de la conscience réfléchie, dans celui de la connaissance intellectuelle, dans celui de la pensée ordonnée.
La locution de « Parole de Dieu », qui revient sans cesse dans la Bible, met l’accent sur la caractéristique ineffable de ce qu’elle nous révèle et qui est de Dieu, et souligne également que Dieu nous parle, qu’il s’adresse à nous dans un langage humain, c’est-à-dire qu’il nous communique une pensée qui nous est intelligible. L’expérience nous montre d’ailleurs que le croyant le moins capable ou celui qui est le moins soucieux de formuler sa foi dans des affirmations intellectuelles et dans des doctrines ne croit jamais d’une foi indépendante de certaines idées et même d’un système d’idées plus ou moins rudimentaires. On altère les faits intérieurs quand on dit que telle idée traduit une émotion religieuse, ou qu’une croyance est le fruit de l’interprétation spontanée d’une expérience religieuse, ou encore que les doctrines sont le résultat d’un travail de l’intelligence qui s’appliquerait, après coup, à penser la foi vécue. Jamais nous n’éprouvons une émotion dite religieuse sans que nous ayons antérieurement, dans l’intelligence, un ou des concepts auxquels nous l’associons spontanément. Il arrive même que l’un de ces concepts soit à l’origine de notre émotion. Quant à l’expérience religieuse, on s’en fait une représentation simplifiée et l’on imagine qu’elle éclôt sans inclure en elle-même les idées élémentaires qui lui ont donné sa forme.
Enfin, la locution « penser sa foi » est légitime, mais à condition qu’on ne parte pas du préjugé qu’il existerait d’abord une foi indépendante de toute idée et qui serait la foi à l’état pur, et qu’on ne fasse pas des notions et des doctrines religieuses une transposition de la foi dans un domaine intellectuel qui lui serait étranger, comme la notation de la musique est étrangère aux sons.
2. Rendre témoignage en parole et en acte←⤒🔗
C’est encore pour une seconde raison que la théologie dogmatique est légitime et nécessaire. Quiconque croit en Dieu est appelé à rendre témoignage. Sous sa forme la plus élémentaire, le témoignage personnel est déjà une confession de foi. Pour témoigner, nous parlons, c’est-à-dire que nous énonçons des affirmations, affirmations qui impliquent d’ailleurs des négations. Jamais, en effet, nous ne rendons témoignage restant enfermés dans ce que nous éprouvons; nos paroles sont le compte-rendu ou le résultat d’une réflexion; elles sont le fruit de l’exercice de notre jugement; elles manifestent un choix. Nous avons alors la conviction que nous pensons une idée ou des idées vraies, et qui sont également vraies pour les autres, parce qu’elles sont fidèles à la vérité de Dieu et qu’elles y correspondent.
Ces caractères sont présents même dans le témoignage qui se limite à un seul jugement, serait-ce à un jugement pratique. Lorsqu’un croyant, par fidélité à Jésus-Christ, déclare qu’il préfère souffrir par les autres plutôt que d’infliger une souffrance à son prochain, ce jugement relatif à sa conduite implique un certain nombre de motifs qui, eux-mêmes, se fondent sur des croyances : parce que Jésus-Christ a préféré souffrir, lui, le premier; parce que Jésus-Christ est notre Seigneur; parce que Jésus-Christ nous a laissé un exemple, etc.
On objectera peut-être que Dieu attend de nous que nous rendions témoignage de notre foi par nos actes. Certainement. Mais la dignité de l’homme consiste en ce que Dieu lui a donné, et à lui seul, la capacité d’agir. Or, ce qui caractérise une action véritable, c’est qu’elle est la manifestation et la mise en œuvre d’une pensée. Toute action authentique est, en un sens, un témoignage, précisément parce qu’une action authentique procède d’un jugement. D’autre part, quand nous voulons rendre témoignage par notre attitude ou par un acte, nous le faisons devant Dieu et devant les hommes, pour donner connaissance de la vérité. C’est la signification de notre attitude ou de notre action que nous voulons rendre sensible et communiquer. Il s’agit donc d’un message en acte, que nous adressons à notre prochain, avec l’espoir que l’acte sera plus frappant ou plus persuasif encore que les mots. Nous renonçons si peu à communiquer notre pensée qu’en témoignant par notre conduite nous prions Dieu de révéler aux hommes les motifs qui nous déterminent et la puissance qui nous permet d’agir; or motifs et puissance sont inséparables d’une pensée précise et ferme.
3. Les événements révélés ont une signification doctrinale←⤒🔗
Les Églises réformées ne peuvent se dispenser d’une connaissance intellectuelle de la vérité chrétienne et de son exposé systématique pour une troisième raison. La révélation de Dieu elle-même n’est pas sans contenu doctrinal. Nous avons dit, il est vrai, que Dieu ne s’est pas révélé en laissant tomber du ciel un livre relatif au salut, salut qui serait par la suite sans attache avec les événements de notre histoire. La révélation chrétienne n’a donc pas pour objet un savoir (philosophie, gnose) qui nous assurerait l’immortalité, ni une pratique mystique qui nous rendrait possible l’évasion hors du temps, ni même une loi morale universelle, éternelle, conforme à notre nature, dont l’observance nous permettrait d’échapper à la dissolution de notre être. La révélation de Dieu est impliquée dans l’histoire d’Israël. Mais il ne faudrait pas en conclure que les interventions de Dieu dans les destinées du peuple élu furent dépourvues d’une pensée du côté de Dieu et d’éléments cognitifs du côté des Israélites. Nous n’aurions rien compris à l’histoire du salut si nous opposions « faits » et « doctrines ». Dans la Bible, les événements ne nous sont jamais rapportés sans une connaissance intellectuelle de Dieu. Chaque fait a une signification doctrinale. Cette signification est impliquée, incluse dans la relation de ce fait, avant qu’elle ne soit ensuite reprise et explicitée sous forme d’enseignement proprement dit.
Il faut aller plus loin. Le plus souvent, les écrivains sacrés n’ont attaché d’importance à tel fait, ne l’ont retenu et raconté, que parce qu’il revêtait à leurs yeux telle signification religieuse. Les récits de la création, de la chute, de la vocation d’Abraham, de l’élection de Jacob, etc., nous ont été conservés à cause de la portée de ces diverses initiatives de Dieu. L’intérêt des récits étiologiques (de cause), pour les conteurs israélites, est dans les explications qu’ils fournissent, c’est-à-dire dans un certain nombre d’idées auxquelles la narration du passé est subordonnée.
Les prophètes, de leur côté, s’intéressent moins aux événements qu’à leur signification; derrière chacun d’eux, ils discernent un jugement, par conséquent une pensée de Dieu. La narration de l’histoire évangélique se propose, en chacun de ses détails, de nous faire entendre ce qu’il veut dire. Les guérisons opérées par Jésus sont restées dans la mémoire des disciples et nous ont été rapportées dans les Évangiles parce que les disciples confessaient que Jésus avait accompli les prophéties relatives au Messie. Il en est également ainsi des épisodes de la passion, l’entrée triomphale à Jérusalem, le repas de la chambre haute, l’agonie de Gethsémané, la mort sur la croix, la résurrection.
Évidemment, ce ne sont pas des vérités doctrinaires a priori, que l’imagination aurait concrétisées dans des récits symboliques. Tout cela est vraiment de l’histoire. Mais ce ne sont pas des événements auxquels les écrivains hébraïques auraient ajouté un commentaire explicatif et doctrinal, ou des développements spéculatifs. Pour eux, les faits n’ont pas eu lieu sans leur signification, c’est-à-dire sans l’interprétation doctrinale qu’ils en donnent, et inversement, il n’y a pour eux aucune doctrine sans faits.
La révélation de Dieu dans l’histoire suscite des émotions dans les cœurs; elle commande des actes et elle communique en même temps des pensées. Par exemple, les apôtres ne partent pas d’une conception théorique de la messianité, conception qui renfermerait quelques caractères juxtaposés : d’abord la volonté qu’aurait le Messie de porter les péchés du monde et la capacité de le faire; en second lieu le ministère de l’humiliation et de la souffrance; ensuite la vocation de mourir, puis celle d’exercer la royauté sur le monde, puis la participation à la seigneurie de Dieu, etc. Ce que les apôtres connaissent, c’est la réalité indécomposable de la personne de Jésus-Christ à qui leur foi s’attache. Comme il s’agit d’une histoire, elle fait l’objet d’une narration. Mais cette histoire étant l’œuvre de Dieu, ils ne retiennent que les faits auxquels Dieu a conféré une signification pour leur salut et ils les relatent à cause de cette signification et avec elle. C’est dire que les formes de la connaissance intellectuelle sont presque toujours très simples. Rarement, elles sont le produit d’une élaboration doctrinale et, a fortiori, d’une construction systématique. Il n’en est pas moins vrai que la théologie dogmatique reçoit sa justification de l’Écriture sainte elle-même.
4. Réponse à des objections←⤒🔗
Deux objections viennent à l’esprit. Pourquoi la foi de l’Église ne se contenterait-elle pas de la connaissance intellectuelle que nous fournit la Bible, puisque Dieu n’a pas jugé bon de nous donner autre chose que les Écritures? Il est bien vrai que la lecture de la Bible, la Parole de Dieu, retentit dans nos cœurs, et que la foi nous est donnée et non pas un enseignement théologique. Mais dès que nous croyons, notre foi devient objet de nos pensées parce que nous sommes doués d’intelligence. Bien plus, la foi des créatures douées d’intelligence que nous sommes contient en elle-même une exigence de pensée, elle nous invite à penser, elle sollicite notre réflexion. Cela est si vrai que toute prédication de l’Évangile détache des vérités de l’Écriture pour les mettre en relief et les ordonner d’une manière telle qu’elles répondent simultanément au but que le prédicateur s’est proposé et aux exigences de l’esprit des auditeurs. En sorte que nous sommes acheminés déjà vers la théologie systématique.
Si l’explication du texte de la Bible nous oriente vers la théologie dogmatique, pourquoi la foi de l’Église ne se contenterait-elle pas des éléments notionnels, cognitifs, que nous pouvons rassembler dans l’Écriture, c’est-à-dire de la théologie biblique? Nous pensons que la théologie biblique se contente d’un inventaire. Elle rassemble tous les témoignages relatifs à un même objet, par exemple à l’élection d’Israël, à l’Église, au Royaume de Dieu, etc. L’ordre qu’elle établit ne veut altérer en rien le caractère du simple constat qu’elle a voulu se fixer pour but. Mais précisément, la foi ne peut se contenter d’enregistrer avec ordre les témoignages de la Bible. Il nous faut indiquer ce qu’elle recherche encore et que lui fournira la théologie dogmatique.