Exode 20 - La convoitise - 10e commandement
Exode 20 - La convoitise - 10e commandement
« Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain; tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien qui soit à ton prochain. »
Exode 20.17
Au début du Décalogue, le Seigneur nous demandait de le servir de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces. Dans la suite, il élargissait le domaine où doit s’exercer sa souveraineté et désignait les unes après les autres les relations essentielles qui devaient être régies par son ordre impératif. Pour terminer, il nous adresse un dernier commandement, dont l’exigence profonde et totale nous laisse complètement désarmés, malgré la morale que nous sommes si fiers de pratiquer et qui nous engage à si peu de chose… Si nous sommes décidés à servir Dieu dans les domaines énumérés dans la loi, nous sommes invités à le faire en en saisissant l’esprit comme la lettre. La pratique d’une authentique piété rejette la caricature ainsi que la prétention hypocrite par laquelle nous jouons parfois, tant bien que mal, notre rôle.
La piété authentique exprime ce qu’il y a dans notre cœur au lieu de dissimuler ce qu’il y a de mauvais. L’accomplissement de la loi ne supporte aucun calcul intéressé ni envie pleine d’arrière-pensées. Le jugement de Dieu diffère du nôtre. Nous limitons même la portée de notre prière de repentir : « Seigneur, pardonne-moi ce que j’ai fait ou ce que j’ai dit »; alors que Dieu attend de nous un repentir total sur ce que nous sommes. Une telle prière est coûteuse, et Dieu en mesure les motifs et les mobiles. Il apprécie l’obéissance accomplie au prix même de la souffrance et des larmes.
Ce dernier commandement nous dévoile, à nous surtout, gens religieux, jusqu’à quel point le mal se dissimule en nous, alors que nous avons la fâcheuse tendance de nous nous féliciter pleins de bonne conscience! Jésus-Christ attaquait avec une véhémence peu ordinaire les représentants des classes religieuses de son époque.
« Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! Parce que vous purifiez le dehors de la coupe et du plat, alors qu’en dedans ils sont pleins de rapines et d’intempérance. […] Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! Parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis qui paraissent beaux au-dehors et qui au-dedans sont pleins d’ossements de morts et de toute espèce d’impureté. […] Comment fuirez-vous à la condamnation de la géhenne? » (Mt 23.25,27,33).
Coupables quant au passé et sans espérance pour l’avenir, notre vie ne peut se soustraire aux faisceaux du projecteur divin qui éclaire les derniers recoins de notre pensée et de nos sentiments. Nous sommes incurablement pervers, et nous ne pourrons pas nous transformer par nos propres forces. Jésus a dit : « On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres, autrement, les outres se rompent, le vin se répand et les outres sont perdues » (Mt 9.17).
Dans ce siècle grossièrement matérialiste, les conditions de vie rendent la convoitise plus facile et plus abordable. Posséder toujours davantage semble être le mot d’ordre de nos contemporains.
« Réfléchissez un instant aux conséquences formidables de la convoitise dans le domaine familial, social, industriel, politique ou international. Lisez votre journal quotidien avec la pensée d’y déceler les traces de la convoitise qui gouverne le monde, comme elle gouverne votre cœur et que l’histoire des familles, des partis, des nations et des continents est uniquement fondée sur la convoitise qui engendre tous les autres péchés » (Pierre Marcel).
La condition spirituelle de notre cœur est jugée d’abord à la lumière des intérêts matériels. Dieu atteint jusqu’au contexte de notre existence terrestre et quotidienne pour nous confronter avec le test final de sa loi. La maison, la propriété, la femme de l’autre deviennent l’objet de notre convoitise qui, tapie dans l’ombre de notre cœur, est prête à bondir comme une bête de proie. Nous pensons peut-être que les désirs secrets que nous portons sur ce qui appartient au voisin ne font de mal à personne… Pour commencer, ils nous font du mal, nous surchargeant de soucis, de ressentiment et d’amertume. « Ah, si seulement j’avais pu avoir sa situation ou son salaire, si seulement sa femme était la mienne, ou encore si je pouvais posséder sa voiture! » Mais les soupirs que secrètent nos désirs coupables apparaîtront le jour où la lumière se fera sur toute notre existence, ainsi que les maîtres qui ont mené celle-ci.
Il est difficile à un homme, qu’il soit riche ou pauvre, d’entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne se débarrasse pas d’abord de ce fardeau. L’échec de tant d’hommes, rapporté dans l’Écriture sainte ou dans l’histoire de l’Église, et la tragédie qui en découle sont principalement dus à la convoitise qui, doucement ou brutalement, les a détournés du chemin où ils marchaient avec Dieu. On peut pourtant affirmer qu’à l’origine ces personnes-là étaient bien intentionnées.
La convoitise est présente en nous lorsque le seul but de notre vie est celui d’atteindre un niveau économique très élevé, de gagner le maximum d’argent en un minimum de temps, afin de nous procurer les biens de consommation dont regorge le marché. Toute la politique économique des pays modernes semble basée sur le principe de stimuler l’appétit en augmentant la production des biens, de compliquer les besoins fondamentaux, de permettre une consommation inouïe. D’après Aldous Huxley, autrefois, convoiter était considéré comme péché mortel; aujourd’hui, cela passe pour une vertu cardinale!
Outre les biens matériels du prochain, on peut aussi convoiter sa personne. Non plus convoiter ce qu’il a, mais ce qu’il est. À ce niveau, la convoitise s’appelle jalousie. C’est le regret triste et parfois destructeur de ne pas posséder la personnalité de son prochain. Songez un instant à l’exemple de Caïn; cette jalousie engendra en lui une haine si violente qu’elle causa le fratricide. Ici, la jalousie va jusqu’à supprimer la personne jalousée. Et les apparences, jusqu’alors habilement dissimulées, s’effondrent.
Il faut cependant faire un pas de plus si nous voulons pénétrer dans la compréhension totale de ce dernier commandement. Notre convoitise d’hommes ayant perdu le sens de leur vocation et de leur destination atteint jusqu’à l’être même de Dieu. L’histoire d’Adam se répète dans chacune de nos vies. Le tentateur avait bien mené son affaire. « Le jour où vous en mangerez [du fruit de l’arbre], vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux » (Gn 3.5). À la racine de toutes les fausses religions, de tous les refus conscients de Dieu, de toute idolâtrie ouverte ou dissimulée se trouve cachée la suprême convoitise : celle de vouloir être comme Dieu. Dévorés par le désir de se substituer à lui, les hommes les plus religieux ont crucifié le Fils de Dieu, cherchant leur propre gloire. Ils n’ont pas pu supporter la présence de l’homme parfait. À la croix de Jésus-Christ, l’hypocrisie des gens religieux éclata au grand jour. Pour les hommes chargés de la religion, le service de Dieu n’était plus qu’une immense comédie.
Mais à la croix, nous rencontrons l’Unique qui a refusé de convoiter son prochain et son Dieu. Dans le désert où il avait été tenté, il ne succomba pas. Sur la croix où il fut attaché, il ne défaillit point. À cause de lui, la loi de Dieu ne peut plus nous désespérer. Elle nous conduit vers la source où une vie nouvelle jaillit et s’offre au cœur croyant. La Parole de Dieu qui nous juge nous offre en même temps l’espérance et la certitude de notre salut.
« Tu ne convoiteras pas » signifie « tu n’as plus besoin de convoiter quoi que ce soit ». Dieu a décidé une fois pour toutes de subvenir à tous nos besoins. « Ma grâce te suffit », nous dit-il dans sa bonté (2 Co 12.9). En son Fils Jésus-Christ, nous trouvons la plénitude de la vie. Le sentiment de manque et de vide est chassé par la présence même de celui qui affirme : « Je suis la vie » (Jn 11.25). Dieu qui n’a point épargné son propre Fils ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses avec lui? (Rm 8.32).
« Avec le Christ, héritiers avec lui de toute la terre pour toujours, ce n’est donc pas parce que la croix tient notre convoitise à distance que nous serons délivrés, mais c’est encore de manière toute positive, parce que maintenant nous avons tout ce que nous pouvons avoir, nous possédons un trésor plus précieux que tout ce qu’auraient pu rêver nos appétits. Celui qui croit en Jésus-Christ a découvert la perle de grand prix et a tout vendu pour l’acquérir. Comment voulez-vous qu’après cela il se mette à convoiter les petits cailloux de son prochain? Là où est ton trésor, là est aussi ton cœur. Si notre trésor est en Christ, il est absolu et définitif. Quand on possède le bonheur indescriptible de connaître Jésus-Christ, l’on est assez riche pour pouvoir se réjouir de ce qu’on a, et même quand on a tout perdu, on est assez riche surtout pour pouvoir se réjouir du bonheur des autres au lieu de convoiter » (Roland de Pury).
Le Christ en nous, l’espérance de la gloire. Le Christ en nous, transformant la vision des choses et notre perspective sur les autres. Il nous délivre de notre égocentrisme. La croix du Calvaire expie le péché et épure notre vie. Il fait de nous des hommes qui aiment Dieu de tout leur cœur et de toute leur force, et leur prochain comme eux-mêmes.