Par la foi seule
Par la foi seule
« Par la foi seule. » C’est le mot capital de la Réforme. Aujourd’hui, peut-il — doit-il — en être de même? Ce qui plus est : n’est-ce pas là une affirmation dangereuse, peut-être fausse? Ce mot typique n’est-il pas devenu un sujet de querelle? N’a-t-il pas endormi le chrétien dans la fausse opinion qu’il suffit d’avoir la bonne croyance, et qu’une vie droite est moins importante qu’une foi correcte? Si l’on entend par « la foi » le fait d’accepter comme vraies certaines phrases, tenir pour vrai simplement ce qui est dans la Bible, dans ce cas, il n’existe pas dans la chrétienté une erreur plus dangereuse que la formule « par la foi seule ». Car alors la foi serait une certaine théorie, une conception générale de l’univers, une parmi d’autres. Or, une théorie, une conception du monde, fût-elle chrétienne, ne peut jamais être l’essentiel, car Dieu n’a que faire de nos théories et de nos vues, ni même, à la rigueur, si notre conception de l’univers est chrétienne ou pas…
Le spectateur qui se promène dans la vie peut parler de ses « vues ». Celui qui bataille dans l’existence ne le peut pas. Dieu nous interdit d’être des amateurs. Il nous veut combattants. Ce n’est que dans la bataille que l’on peut comprendre ce que les réformateurs et les apôtres entendaient par croire. « Que crois-tu? » signifie : En qui te confies-tu, à qui as-tu juré fidélité? Croire, c’est appartenir à Dieu corps et âme, c’est être, comme le dit si bien le Catéchisme de Heidelberg « corps et âme, dans la vie et dans la mort, non pas mien, mais propriété de mon fidèle Sauveur, Jésus-Christ… et dorénavant résolu et prêt à lui soumettre ma vie ».
Mais autant il est faux de confondre la foi avec une opinion, ou avec l’adhésion à un dogme, autant il est faux de penser que la foi est simplement la confiance en Dieu, semblable au fond à celle des païens. À quoi nous serviraient alors la Bible, la révélation de Dieu en Jésus-Christ, sa croix et sa résurrection? Il nous importe de nous confier dans le vrai Dieu, et non pas dans n’importe quelle image illusoire de la divinité. Il importe que nous nous donnions à Dieu qui s’est révélé en Jésus-Christ et nulle part ailleurs, comme Dieu vrai et réel, et non pas à un produit de notre fantaisie. Quand on prend le mot « croire » au sérieux, dans le sens qu’il a dans la Bible, on ne peut croire en un autre Dieu qu’en celui qui se révèle en Jésus-Christ et nous appelle en lui. On ne croit que lorsqu’on sait ce que signifie : « par la foi seule ». Cela, les païens religieux n’en savent rien. Seule la Bible en parle. Pourquoi?
Autrefois, comme aujourd’hui, les païens pieux voulaient venir à Dieu par leurs propres moyens, par leurs prières et leur comportement vertueux, par une sévère discipline et une vie sainte. Ils pensent que s’ils prennent assez au sérieux cette attitude pieuse, ils seront fidèles à Dieu et qu’il leur sera favorable. Le paganisme pieux, le « paganisme chrétien », est ainsi une « justice par l’observation de la loi », une confiance dans ce que fait l’homme. Et la Bible nous dit au contraire : « Tu ne seras jamais assez pieux ». Si tu veux prendre cette route, de deux choses l’une : ou bien tu t’illusionnes sur toi-même, et oublies que tu es un pécheur, tu confonds les exigences de Dieu avec les normes de l’honnêteté bourgeoise, et en somme tu es content de toi, ou bien tu prends au sérieux la volonté de Dieu, et tu tombes dans le désespoir, quand tu constates que tu n’es pas « assez pieux ». Le plus souvent d’ailleurs, l’homme oscille entre cette fausse sécurité et ce désespoir. Voilà la piété des païens.
La Bible dit : Tu ne peux pas satisfaire Dieu, mais Dieu se suffit à lui-même, et te suffit à toi-même. Tu ne peux pas compter sur ce que tu fais, mais seulement, mais uniquement sur ce que Dieu fait. Oui, nous devons dire une fois de plus : ce n’est que lorsque tu es au bout de tes forces, et tu ne peux espérer qu’en Dieu seul, que tu sais ce que veut dire le mot Dieu. Celui qui n’a pas encore découvert cet « uniquement » n’a pas encore découvert Dieu. Les divinités païennes ne sont pas le vrai Dieu. Le vrai Dieu est celui que l’on trouve quand on n’en peut plus, et qu’on n’espère plus qu’en lui seul. Ne plus espérer qu’en Dieu, ne plus construire sur sa propre force et son propre savoir, c’est croire, c’est-à-dire devenir propriété du vrai Dieu.
C’est beaucoup plus difficile que tous les exercices de pénitence, que les prières et les bonnes œuvres des païens pieux. Car rien dans l’univers ne nous est plus contraire que cela : ne plus croire en nous-mêmes. Rien dans l’univers ne nous est plus seulement difficile, mais, avec nos propres forces, c’est impossible. Nous ne parvenons pas à renoncer à nous-mêmes et à acquiescer à Dieu seul. Cela aussi, Dieu le fait pour nous. Il l’a accompli à la croix du Sauveur. Deux choses s’y produisent : notre orgueil est brisé, et Dieu, qui seul sauve, vient à nous. Croire vraiment signifie donc rencontrer le Christ crucifié et saluer dans sa croix la fin de notre pouvoir et le commencement de la toute-puissance de Dieu. Quand on ne connaît pas la croix du Christ, on ne sait pas encore ce que représentent ces mots : Dieu seul peut; Dieu seul accomplit. Par conséquent, l’on ne sait pas encore ce que signifie : par la foi seule.
Le sens de « par la foi seule » est donc celui-ci : Ce n’est pas moi, mais Dieu seul qui accomplit mon salut; lui seul est bon, lui seul mène les choses à bonne fin. Il serait absurde, vain, de vouloir accomplir notre salut par nos propres forces, même dans la meilleure des vies. Il faut compter sur Dieu seul et s’abandonner complètement à lui.
Mais cela ne va-t-il pas rendre les hommes paresseux? Allez voir si Luther, Zwingli, Calvin ou John Knox devinrent des paresseux! Regardez la vie de ceux qui ont réalisé la toute-puissance de Dieu. Sont-ils tombés dans l’indifférence? C’est là le grand mystère de Dieu : les hommes ne deviennent vraiment forts que lorsqu’ils se savent impuissants et attendent tout de l’action divine. Les forts, les grands actifs de la chrétienté, ne sont pas ceux qui mettent l’accent sur l’activité humaine, mais ceux qui attendent tout de l’action divine. Car dans leur faiblesse, la force de Dieu se déploie, et ce n’est que lorsque l’homme se sait totalement impuissant que Dieu peut devenir puissant en lui. Le vrai bien s’accomplit « par la foi seule ».