Frère et Seigneur
Frère et Seigneur
Deux aspects de la personnalité de Jésus retiendront notre attention. Nous l’appellerons d’abord notre Frère, puisqu’il est homme; ensuite, nous le confesserons comme le Seigneur puisqu’il est, en effet, le Fils même de Dieu.
1. Le Frère⤒🔗
Nous avons pu apprécier parfois la présence d’un frère aîné dont l’intimité et la force rassurante nous ont soutenus aux moments difficiles et insufflé un nouvel espoir à l’heure d’une crise.
Jésus aussi nous est présenté comme un Frère, comme notre Frère aîné. Il est rare que nous songions à lui en ces termes-là. Nous reconnaissons volontiers en lui notre Seigneur et nous le confessons comme notre Sauveur. Nous avons appris à le tenir pour notre Maître.
Il est véritablement prophète et Messie, et nous sommes prêts à l’acclamer comme notre Chef et comme notre Roi. Mais comme Frère! Ne courons-nous pas le risque de ramener à des dimensions étriquées son auguste personne?
En réalité, c’est l’inverse qui se produit, puisque d’après les pages du Nouveau Testament, nous apprenons que Jésus en personne nous élève vers lui et nous place dans le rang même qu’il occupe.
La toute première page de l’Évangile selon Matthieu nous le présente comme tel. Je crains que cette généalogie de Jésus passe souvent pour une liste ennuyeuse et sans intérêt pour nos rapports avec le Sauveur. Nous aurions tort de la négliger. D’autres pages du Nouveau Testament reprennent la même idée et je songe notamment à la lettre aux Hébreux : « Car celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés sont tous issus d’un seul. C’est la raison pour laquelle il n’a pas honte de les appeler frères » (Hé 2.11).
Jésus s’identifie à ceux qui croient notamment à lui. Mais je reviens à l’Évangile selon Matthieu. J’y trouve deux raisons qui fondent ma conviction qu’en Jésus nous avons un frère, notre frère aîné. D’abord cette généalogie, ensuite la tentation dans le désert. Toutefois, je ne retiendrai ici que la première.
La généalogie de Jésus remonte jusqu’à Abraham l’ancêtre, et David le roi glorieux des Juifs. Vous objecterez peut-être que cela ne fonde nullement des liens fraternels entre Jésus et le reste de l’humanité, car ces deux figures de l’Ancien Testament appartiennent l’une et l’autre à une minorité ethnique. La vaste famille humaine ne saurait être identifiée, me diriez-vous, aux tribus descendantes d’Abraham ou au peuple qui se vanta du règne glorieux de David.
Or, en examinant la généalogie en question, nous découvrons qu’être descendant d’Abraham a une signification beaucoup plus profonde que le fait d’être sorti de ses flancs. C’est plus un concept qu’une désignation d’origine ethnique et physique, et cela est d’une importance capitale. Observons la soigneuse construction de la généalogie, divisée en trois groupes de quatorze noms chacun et bâtie pour mettre en évidence précisément le rôle universel de Jésus. Car Abraham est, lui aussi, une figure universelle, puisqu’en lui Dieu bénira toutes les nations de la terre. De même David, l’illustre roi, et le type même du monarque universel.
Remarquons aussi que la généalogie de Matthieu ne cite que Joseph, le père adoptif de Jésus, qui descend de David et d’Abraham. Or, Jésus étant d’origine divine n’a aucun lien physique avec Joseph, qui n’est pas son père biologique. Il est tout simplement le Fils de Dieu, Fils éternel de Dieu, engendré et non créé, et, à ce titre, véritablement universel. Aussi, l’apôtre Paul pouvait-il écrire : « En lui, il n’y a aucune différence entre Juifs et Grecs » (voir Ga 3.28) — il aurait pu dire entre Français, Canadiens ou Africains. À partir du moment où vous êtes en Christ, vous devenez héritiers spirituels d’Abraham et de David. La lignée est donc totalement renversée. Jésus est notre frère, car, par la foi, nous avons été adoptés par lui comme enfants de Dieu.
La généalogie de Matthieu nous autorise même à remonter au-delà d’Abraham, jusqu’à Adam. L’ancêtre commun de l’humanité déchue. Or, en nous souvenant du gâchis causé par le prototype de l’homme, nous pouvons être fiers de savoir que Jésus, le second Adam, nouveau Chef de l’humanité, devient notre Frère aîné. Si le premier a perdu la bataille, le second a gagné toute la guerre. Placés à la lumière de Genèse 1 à 3 — histoire des origines de l’humanité —, les chapitres 1 et 4 de l’Évangile selon Matthieu prennent un relief tout spécial, au regard de notre foi. Jésus-Christ apparaît réellement comme le frère aîné de ses propres disciples, et en feuilletant la généalogie du début de l’Évangile, nous nous apercevons que nous feuilletons un album familial.
2. Le Seigneur←⤒🔗
Mais ce frère est aussi le Seigneur universel. « Dieu de vrai Dieu, lumière de lumière, engendré et non créé », sa naissance, même humble, donne déjà le signe d’une victoire ultime et affirme son règne absolu. Noël, et le récit de la nativité devraient cesser d’être des historiettes attendrissantes, tout juste bonnes à émouvoir les cœurs sensibles. Écoutons encore l’apôtre Paul :
« Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création. Car en lui tout a été créé dans les cieux et sur la terre, ce qui est visible et ce qui est invisible, trônes, souverainetés, principautés, pouvoirs. Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses, et tout subsiste en lui. Il est la tête du corps, de l’Église. Il est le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin d’être en tout le premier. Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute plénitude et de tout réconcilier avec lui-même, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, en faisant la paix par lui, par le sang de sa croix » (Col 1.15-20).
Remontons encore plus haut dans la Bible et dans le temps, vers le prophète Ésaïe de l’Ancien Testament :
« Un enfant nous est né, un fils nous est donné. Et la souveraineté reposera sur ses épaules. On l’appellera Admirable, Conseiller, Dieu-puissant, Père éternel, Prince de la paix. Il renforcera la souveraineté et donnera une paix sans fin au trône de David et à son Royaume. Il l’affermira et le soutiendra par le droit et par la justice. Dès maintenant et à toujours. Voilà ce que fera le zèle de l’Éternel » (És 9.5-6).
Antérieurement à cette déclaration, le même prophète décrivait la situation de rébellion contre Dieu. Il parlait d’effondrements, de ténèbres et de mal, et aussi de la tristesse causée par tant de misère.
Mais une victoire est promise. Remportée non pas par un général conquérant, mais par un enfant; enfant miracle qui fait irruption dans le monde et, tel un roi souverain, l’envahit, le reprend et le replace entre les mains de Dieu qui, dès l’origine, en est propriétaire exclusif; il s’appelle Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous (És 7.14). Il est l’émerveillement des anges et la source de toute sagesse. Sa Parole régira et ordonnera toute la réalité créée. C’est ainsi, car le zèle du Seigneur Dieu aura achevé son œuvre.
Ce discours prophétique prononcé voici plus de 27 siècles annonçait déjà la domination cosmique par le Christ de Dieu et non pas uniquement le salut de nos âmes individuelles. Par la naissance de l’enfant de Bethléem, sa mort, sa résurrection et son ascension, Dieu ébranle le fondement de l’histoire, il déclenche un séisme permanent, il ne laisse point de répit aux hommes, dont il dérange sans cesse les méchants projets. Il combat leurs iniquités et anéantit leurs péchés. Il ne leur accorde pas de paix, car « il n’y a pas de paix pour le méchant », déclare le Seigneur Dieu de notre univers (És 48.22).
Dieu, qui n’a pas épargné le peuple de l’Alliance Ancienne, n’épargnera pas davantage aujourd’hui l’Europe et l’Amérique, l’Occident et l’Orient, le Nord et le Sud. Les lignes de démarcation, les vraies, celles qui comptent, ne sont pas établies d’après nos latitudes, mais entre ces dernières et le règne de justice de Dieu. Et c’est ici la véritable actualité à laquelle nous ferions bien de prêter attention sans faire de démagogie, en souhaitant la paix aux uns et aux autres à la manière d’hommes politiques imbus de leur gloire et bornés comme des autruches. Il n’y aura de paix sur terre à Noël, en juillet ou en octobre qu’à condition que les peuples et les nations, leurs chefs et leurs armées reconnaissent la seigneurie universelle de Jésus-Christ.
Autrement leurs accords d’Helsinki ou de Madrid, ainsi que leurs traités de Versailles, de Yalta et d’ailleurs, resteront lettre morte et illusions perdues. Une vieille liturgie chrétienne exultait de joie en ces termes :
« La Vierge aujourd’hui vient à l’étable pour mettre au monde la Parole ineffable, celle qui était avant les siècles. Danse univers, écoute la nouvelle, gloire avec les anges et les bergers, pour celui que tu contemples, comme un petit enfant, mais qui est le Dieu de toute éternité. Prépare-toi ô Bethléem, car Éden est à nouveau rouvert, l’arbre pousse et la Vierge lui donne le jour. Son sein est devenu un paradis dans lequel la plante divine, qui produit la vie, redonne la vie et non la mort, comme le fit Adam. »
Les chrétiens du passé savaient donc que la plus grande révolution de l’histoire fut celle qui sépara l’histoire des hommes en deux grandes périodes : celle d’avant Jésus-Christ et celle d’après Jésus-Christ. L’incarnation du Fils de Dieu avait tout changé. L’univers pourrait désormais danser; l’avènement du Christ signifie l’écrasement des Césars, des tyrans, des despotes, des monarques, et des dictateurs de tout acabit. Ces premiers chrétiens étaient véritablement plus que vainqueurs.
Les athées modernes, comme ceux de tous les âges, s’imaginent que la mort met un point final à la vie. D’autres, avec leurs tendances occultes, imaginent une survie dans un vague au-delà flottant entre ciel et terre, où les âmes survivraient de manière désincarnée comme des esprits. Domaine neutre où il n’y a ni ciel, ni enfer, ni défaite, ni victoire. Nombre de chrétiens ont été séduits par les fantasmagories d’une foi fictive. Or, la gloire de la naissance du Christ consiste en sa victoire cosmique. Le Magnificat affirmait déjà : « Mon âme exalte le Seigneur. […] Il a fait descendre les puissants de leur trône… » (Lc 1.46,52). Relisez le Magnificat, frères chrétiens, votre foi se trouvera renforcée, prête à résister et à remporter la victoire. La joie de Noël consiste en la découverte et la connaissance de la victoire du Christ. Alors, danse, univers, et toi surtout, Église de Jésus-Christ, tu as des raisons de danser et d’exulter.
Certes, l’histoire ne se déroule pas comme une partie de plaisir. Nous connaissons la signification de ce combat titanesque et surtout son enjeu véritable. Mais oh joie! le ciel et la terre sont en paix, réconciliés. Christ offre la paix!
Alors concluons notre exposé par une brève prière qui nous vient, elle aussi de l’antiquité chrétienne :
« Durant la nuit, nos esprits te veillent, toi ô Dieu, car tes préceptes sont notre lumière. Enseigne-nous, ô Dieu, ta justice, tes commandements, tes ordonnances. Illumine nos cœurs par l’intelligence, de peur que nous nous endormions dans le sommeil du péché et de la mort. Dissipe les tristesses qui étouffent nos cœurs. Envoie sur nous le soleil de justice, préserve nos vies des attaques, place-nous et maintiens-nous sous le sceau de ton Saint-Esprit, dirige-nous sur tes sentiers, les chemins de ta paix. Accorde-nous de voir l’approche du jour d’exultation pour pouvoir t’adresser nos prières dès le matin. Car à toi la puissance, le règne, le pouvoir et la gloire. À toi Père, Fils et Saint-Esprit, maintenant et pour toujours, au siècle des siècles. Amen. »