Hébreux 6 - L'espérance chrétienne
Hébreux 6 - L'espérance chrétienne
« C’est pourquoi Dieu, voulant montrer avec plus d’évidence aux héritiers de la promesse l’immutabilité de sa résolution, intervint par un serment, afin que, par deux choses immuables dans lesquelles il est impossible que Dieu mente, nous trouvions un puissant encouragement, nous dont le seul refuge a été de saisir l’espérance qui nous était proposée. Cette espérance, nous la possédons comme une ancre de l’âme, sûre et solide; elle pénètre au-delà du voile, là où Jésus est entré pour nous comme précurseur, ayant été fait souverain sacrificateur pour toujours, selon l’ordre de Melchisédek. »
Hébreux 6.17-20
Il n’y a en nous aucune espérance. Chacun de nous va son secret chemin, parfois avec les masques de fausse tranquillité. Notre existence est désolée, et ceci jusqu’à la dernière heure, celle qui sera la plus solitaire de toutes. « Vivre c’est enterrer son espoir », a dit quelqu’un. Sans espérance, nous sommes captifs et tout est gâché autour de nous, tout est triste et perdu. Il existe une espérance sans visage qu’essaient de forger les hommes, mais qui n’est qu’alibi lamentable.
Notre désespoir est le fruit de l’incrédulité de notre cœur. À l’origine, le péché c’est vouloir être sans Dieu. Un tel orgueil peut être dû au désespoir de même que la résignation, l’inertie et la tristesse. La grande tentation ce n’est pas seulement le désir de vouloir être comme Dieu, mais aussi de rester faible. La tentation consiste à ne pas nous laisser devenir ce que Dieu veut que nous soyons. Dieu a voulu pour nous une position exaltée. Il nous accorde la perspective d’une vie large et libre. Mais nous, nous nous penchons en arrière et nous nous accrochons à nous-mêmes. Dieu promet une nouvelle création de toutes choses dans la justice et dans la paix. Nous agissons comme si rien ne s’était passé.
Dieu veut nous honorer avec ses promesses, mais nous ne le croyons pas capable de les tenir. Ainsi, le désespoir est le péché qui nous menace le plus. Il peut inspirer deux attitudes. Celle qui est l’anticipation prématurée de l’accomplissement qu’il faut attendre de Dieu. Mais aussi cette autre, qui est l’anticipation du non-accomplissement de ce qu’il faut attendre de Dieu. Toutes deux se révoltent contre la patience par laquelle l’espérance se confie en Dieu. Toutes deux exigent avec impatience, ou bien l’accomplissement de la promesse de Dieu ou bien elle n’espère aucun accomplissement. Elles comportent ainsi des éléments rigidifiants de notre vie. Notre désespoir cherche à préserver l’âme de ses désillusions. Il crée l’utopie du statu quo, ou bien il ne trouve aucun sens dans la réalité. Ou encore, il est une simple résignation souriante, le Bonjour Tristesse du roman de Françoise Sagan. Dans ce dernier cas, il devient la manipulation d’un espoir fané.
La mythologie grecque nous a fourni deux figures qui symbolisent parfaitement les deux attitudes du désespoir que nous nous sommes rappelées. Il y a d’abord Prométhée, le compagnon de toutes les révolutions; celui qui par anticipation veut libérer, dominer et gagner tout seul la dignité humaine. Ensuite, il y a Sisyphe, qui personnifie parfaitement ceux qui sont voués, ou se croient tels, à l’échec constant et qui ne conservent plus aucun brin d’espoir. Espérance est un mot spécifiquement chrétien. Il n’existe pas d’équivalent valable dans un autre vocabulaire. Aucun autre espoir ne peut renouveler notre vie, comme le fait l’espérance chrétienne.
Dans le texte biblique que nous avons indiqué en exergue de notre message, il est affirmé que l’espérance est aussi sûre et solide que le Dieu éternel en personne. L’auteur de l’épître aux Hébreux emploie deux images tirées de l’Ancien Testament pour expliquer cette vérité. La première évoque l’Alliance que Dieu a faite avec Abraham. Dieu confirma ses promesses par un vœu solennel et, par ce pacte, il donna une plus grande certitude à l’espérance qu’elle contenait. Lorsque les hommes confirment leurs déclarations, ils éliminent toute hésitation et tout doute. Leur vœu est fait au nom de Dieu. Dieu aussi a agi de la même manière. Non seulement il accorde la promesse, mais il prend toute la peine de la confirmer par un vœu solennel. Il la fonde sur son propre nom. Entre lui et l’homme, il interpose sa propre personne et accorde ainsi toute la certitude requise. Son existence de Dieu immuable est un tel gage qu’il est impossible qu’il n’accomplisse pas la promesse qu’il a faite. Toute son éternité est jetée sur la balance. Notre consolation et notre refuge nous sont ainsi assurés. Alors, nous pouvons nous accrocher à l’espérance qui est placée au-devant de nos yeux.
La seconde image rappelle les détails du grand jour annuel de l’expiation. Ce jour-là, l’Alliance de Dieu avec l’ancien Israël était renouvelée. Le grand sacrificateur pénétrait dans le sanctuaire et il intercédait auprès de Dieu, en faveur de son peuple. Il demandait le pardon des péchés. À présent, écrit l’auteur de l’épître aux Hébreux, Jésus-Christ, le Fils de Dieu, est devenu notre souverain Sacrificateur. Il a versé son sang pour sceller la Nouvelle Alliance entre Dieu et tous les croyants. Il est impossible de répéter son sacrifice. Mais il est aussi entré dans la présence sainte de Dieu. L’Alliance qu’il établit demeure pour toujours. Il ne peut y avoir ni changement ni une imperfection quelconque.
Ces deux images nous permettent de saisir le sens de la venue de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, dans notre vie humaine. Nous voyons comment il forgea un lien nouveau entre Dieu et l’homme. Dans sa mort, Dieu nous déclare être notre Sauveur. Dieu ne peut plus jamais se repentir du chemin qu’il prit pour descendre jusqu’à nous. Dans la résurrection de Jésus-Christ, qui porte notre humanité, notre communion avec Dieu le Père est à jamais réalisée. Jésus est le fondement de notre foi. Il est notre sécurité pour la vie et pour l’éternité. En lui, nous avons une espérance sûre et solide; aussi une telle espérance est-elle l’ancre de notre âme. Jésus est en même temps le Prêtre de la croix et celui de la résurrection. Il est descendu de la croix du Calvaire, il est passé de l’autre côté de la mort et du jugement de Dieu. Il est assis à la droite de Dieu. De ce côté existent encore et toujours les tourments de notre existence. Nous connaissons le désespoir de l’homme égaré dans son péché. Les tentations et la défaite font partie de notre cheminement journalier. Mais au-delà se trouve Jésus le Ressuscité, qui demeure le conquérant éternel, par delà toute force de mal et de corruption.
Ainsi, dans notre monde actuel, brisé par toutes sortes de désespoirs, rongé par l’anxiété et dont nous voyons les symptômes dans tous les domaines de la vie moderne, aussi bien politique que social, artistique et culturel, malgré les multiples prophètes de malheur, qui annoncent des menaces sans noms, malgré les révolutions violentes et les anarchies subversives, il existe encore une joie, une paix et une espérance authentiques. Notre espérance est une telle certitude qu’elle ne peut être réprimée. Pour l’obtenir, il faut nous placer toujours à nouveau à l’ombre de la croix du Calvaire et aussi à la lumière de la résurrection de Pâques. Le soir de sa première apparition à ses disciples, Jésus leur montrait ses mains percées et toutes ses plaies. Celles-ci étaient les marques de son identité. Celui que les disciples avaient vu mourir trois jours auparavant était là devant leurs yeux, ressuscité dans sa pleine humanité.
C’est la raison pour laquelle nous pouvons espérer. Christ a été crucifié et il est mort afin d’être à notre place, notre péché. Il a brisé notre aliénation et il nous a réconciliés avec Dieu. Il a mis fin à notre désespoir. Ressuscité et monté au ciel, il est en même temps notre Seigneur et notre Serviteur, notre victime et le Grand-Prêtre, le fils de l’homme et le Fils de Dieu. Nous ne plaçons pas notre confiance en un esprit désincarné, mais en l’homme de chair et de sang. C’est ce même homme qui tient dans sa main la destinée de nous tous et de l’univers entier. S’il n’avait été qu’un esprit désincarné, l’Évangile que nous prêchons n’aurait ni substance ni actualité. Nous pouvons vraiment croire que notre espérance est sûre et solide, l’ancre même de notre âme. Désormais, nous sommes liés à nos amarres et rien ne peut nous arracher ni nous séparer de lui.
Mais il existe des tâches urgentes auxquelles nous invite et doit nous atteler une telle espérance. Et tout d’abord, comment parler de réconciliation avec Dieu, si nous nous complaisons dans nos divisions et dans nos conflits humains? De même, comment prétendre posséder l’espérance sans la proclamer à ceux qui ne la connaissent pas? Nos divisions devraient tomber sinon elles défigurent et déshonorent le plan de Dieu et font de son immense entreprise une caricature d’espoir. Notre tranquillité paresseuse devrait disparaître, car l’espérance ne calme pas ni ne veut nous anesthésier. Elle rend notre cœur inquiet d’une inquiétude nouvelle qui ne s’accommode pas à la réalité présente.
Celui qui espère en Christ commence à souffrir et même à contredire le monde présent. La paix avec Dieu implique un conflit avec le mal, le désordre, l’injustice et la violence de toute nature. Certes, notre espérance dirige ses regards vers l’avenir et attend l’accomplissement définitif de toutes les promesses de Dieu. Si nous n’avions sous nos yeux que ce qui est visible et apparent, il faudrait nous résigner bon an mal an avec la réalité présente. Mais à cause de l’espérance qui est placée devant nos yeux, nous devenons sensibles, au point de ne plus trouver l’harmonie autour de nous. Notre espérance nous tient comme des non-réconciliés jusqu’au grand jour de l’accomplissement de toutes les promesses. Alors, pendant cette attente fervente et vigilante, à cause de notre obéissance journalière, l’espérance doit faire de nous l’impulsion continuelle pour accomplir la justice, la liberté, et pour humaniser la vie de tous les hommes. À la lumière de l’avenir promis, qui est proche, le chrétien ne se résigne pas à l’inertie. Il participe solidairement à tout effort qui renverse l’ordre ancien des choses pour instaurer un ordre nouveau, la figure bien imparfaite du Royaume à venir.
Car le Seigneur exalté revient. Il vient pour exercer son jugement contre toute arrogance et contre tout désespoir. Contre toute désobéissance et contre toute tristesse, contre ceux qui ont méprisé, son sacrifice. Il viendra pour renouveler toutes choses. Pour l’heure présente, il nous aide à espérer contre toute espérance.