Les indignés
Les indignés
Psaume 33.12-19
Jean 18.19-23
Éphésiens 4.26-32
La mort de Stéphane Hessel a attiré mon attention sur le mouvement dit des Indignés. C’est à Madrid, à la Puerta del Sol le 15 mai 2011, que ce mouvement a débuté, rassemblant un nombre important de personnes qui manifestaient pacifiquement leur mécontentement, leur indignation. Plus ou moins spontanément, le même phénomène s’est reproduit en Belgique, en France, en Grèce et aux États-Unis.
Les trois points de ce message constituent trois étapes qui peuvent être appliquées à diverses situations.
1. Il est légitime de parfois s’indigner⤒🔗
En parlant de paix et d’amour, les chrétiens ont quelques fois oublié qu’il est des moments où il est nécessaire de dire non, d’exprimer une irritation et même de la colère. Curieusement, la parole de Paul en Éphésiens 4.26 — souvent traduite : « Si vous vous mettez en colère » — dit littéralement : « Mettez-vous en colère et ne péchez pas; que le soleil ne se couche pas sur votre irritation; et ne donnez pas occasion au diable » (Darby). En paraphrasant, on pourrait dire ceci : Il est parfois nécessaire de se mettre en colère. Ne pas le faire pourrait même constituer une faute dans certains cas. Cependant, si vous devez vous mettre en colère, que celle-ci soit juste et mesurée : mettez-y un terme le plus rapidement possible afin que le diable ne puisse pas vous y enfermer.
Illustration. Une chrétienne cévenole a raconté récemment cette expérience. Elle se trouvait avec une famille de bergers, des gens plutôt rustres souvent. Là, un petit garçon de trois ans l’a regardée et lui a dit : « Je m’en fous de toi. » Comme elle ne comprenait pas bien, le garçonnet s’est approché et, la regardant dans les yeux, a redit : « Je m’en fous de toi. » Elle l’a pris au collet, l’a soulevé et lui a dit : « Si tu redis ça encore une fois, je te baisse le pantalon, et devant ta mère je te donne une correction dont tu te souviendras toute ta vie. » Le garçonnet s’est éloigné sans rien dire et s’est mis à jouer avec un petit camion. Au bout d’un moment, comme il ne parvenait pas à accrocher la remorque du camion, il a appelé la dame qui l’avait grondé et lui a demandé si elle pouvait l’aider. « Bien-sûr », a-t-elle répondu. Quand elle a été proche de lui, il lui a dit : « Tu sais, tu es gentille. »
Cet exemple montre bien que l’irritation ou l’indignation peuvent être justes, légitimes et même secourables. Mais il y a une autre raison qui le démontre, c’est que Dieu lui-même est parfois irrité, indigné. Or, « Dieu est lumière et il n’y a pas en lui de ténèbres » (1 Jn 1.5). La colère, l’indignation sont donc compatibles avec la sainteté et la bonté, car Dieu ne cesse pas d’être bon quand il révèle sa sainteté. Il n’y a pas en Dieu deux faces qui seraient opposées, même si une tension est parfois perceptible, à cause du péché.
La patience de Dieu ne le rend pas indifférent à ce qui se passe sur la terre, que ce soit au sein de son peuple ou parmi les nations. Les deux :
« L’Éternel regarde du haut des cieux, il voit tous les fils de l’homme, tous les habitants de la terre, il est attentif à toutes leurs actions… Voici, l’œil de l’Éternel est sur ceux qui le craignent, sur ceux qui espèrent en sa bonté » (Ps 33.13, 18).
Rien n’est plus faux que d’imaginer que Dieu serait indifférent, au-dessus de tout cela. Certains passages bibliques révèlent une immense tristesse dans le cœur de Dieu. « Qu’y avait-il encore à faire à ma vigne? Pourquoi, quand j’ai espéré qu’elle produirait du bon raisin, en a-t-elle produit du mauvais? » (Es 5.4). Quel appel à marcher dans la justice! Mais d’autres fois, c’est son irritation qui est dévoilée. « L’Éternel les a arrachés de leur pays avec colère, avec fureur, avec une grande indignation, et les a jetés sur un autre pays comme on le voit aujourd’hui » (Dt 29.28).
Quand son peuple méprise l’alliance et s’incline devant les idoles, quand on sacrifie à Mammon ou à Moloch, quand on use de fraude ou qu’on méprise les petits, quand on fait un mauvais usage de la grâce1, sans parler du saccage de la planète2… le cœur de Dieu est indigné.
2. L’indignation des Indignés soulève cependant une difficulté←⤒🔗
a. Il y a évidemment des personnes qui vivent de réelles difficultés parmi les Indignés (chômage, difficulté à se loger…), mais on remarque qu’il s’agit d’une génération qui a été élevée avec l’idée que le bonheur est un dû et que l’État allait pourvoir à tous les besoins, comme s’il y avait là un devoir impératif. Un devoir impératif pour l’État (qui prend la place de Dieu) et un droit impératif pour la jeune génération. Cela ne correspond pas à ce que la Bible enseigne.
b. Il y a certes la contestation de l’incompétence de certains responsables politiques, de la corruption de certains autres, mais il y a aussi une part de rêve et d’utopie dans ce mouvement. L’État providence ne pouvant pas répondre à cette attente, les Indignés considèrent que leur droit est bafoué et leur contestation est portée par un vent d’anarchie. D’où le constat d’une attente souvent excessive, irréaliste. Quand les Indignés réclament une vraie démocratie, on a l’impression de retrouver l’idéal socialiste à son origine, c’est-à-dire la prise en main par le peuple lui-même de son propre destin, comme si c’était là que résidait la solution à tous les problèmes, comme si cela allait mettre fin à toutes les contraintes, à toutes les injustices.
c. Ce qui peut également soulever une question, c’est qu’il s’agit d’une indignation sélective. Pendant qu’on se dit indigné par les conditions de vie (dans des pays qui sont devenus très matérialistes, remarquons-le), pas un mot sur l’avortement par exemple. L’Espagne a le taux de fécondité le plus faible du monde. En France, on compte 200 000 avortements par an. C’est au moment où l’on découvrait que l’ADN définit la personne dès la conception que l’IVG a été acceptée en 1975. Mais on s’est habitué; cela ne gêne plus grand monde. Ce n’est plus un sujet d’indignation…
La Bible est plus réaliste que cela et ne permet pas de croire que l’utopie (le rêve) ou l’anarchie (le refus de l’autorité) marqueraient la fin des injustices (voir Rm 13).
L’évangile des Droits de l’homme avec sa Déclaration de 1948 donne une définition de la dignité qui est tournée vers le respect des droits et donc vers la revendication. On est là très loin de l’esprit de la révélation biblique. Certes, pour la Bible aussi tout homme doit être honoré en tant que créature de Dieu et il y a des droits à faire valoir. Si Dieu se soucie des petits oiseaux, combien plus des hommes créés à son image! Cependant, devant Dieu, quels sont les droits de l’homme? Il ne mérite pas l’air qu’il respire. Tout est grâce pour lui. Il n’a qu’à dire merci.
« Pourquoi l’homme vivant se plaindrait-il? Que chacun se plaigne de ses propres péchés » (Lam 3.39). Imaginez que dans un couple en difficulté, les conjoints appliquent cette parole…
3. Indignons-nous, mais selon Dieu←⤒🔗
La question n’est pas : Devons-nous nous indigner ou devons-nous ne pas nous indigner? La question est : Savons-nous faire la différence entre une indignation qui est le reflet de celle de Dieu et une indignation qui est le reflet d’une révolte ou d’un rêve? Notre Évangile est-il celui de la Déclaration des droits de l’homme ou est-il celui de Jésus-Christ venu racheter des pécheurs? Quel est notre principal critère de jugement : l’homme ou Dieu?
Quand Paul dit aux Philippiens : « Ayez les sentiments qui étaient en Jésus-Christ », il ne parle pas seulement des sentiments, mais de la pensée, de la mentalité, du regard qui était en Jésus-Christ. Pouvons-nous imaginer à quel point nous sommes imprégnés par ce qui nous entoure, ce que nous entendons? Pouvons-nous mesurer ce qui marque notre entendement, notre intelligence, notre sensibilité, à quel point nous nous habituons, par exemple, à des choses auxquelles il ne faudrait pas nous habituer? Qui éteint son poste de télévision dès que surgit une scène dégradante? Ainsi, nous nous plaignons peut-être quand il faudrait seulement confier notre peine au Seigneur, et nous nous taisons quand il faudrait nous faire entendre avec force…
Depuis quelques années, plus encore depuis quelques mois, plus encore depuis quelques semaines, l’homosexualité s’affiche sans vergogne avec l’intention de s’imposer comme un modèle au même titre que l’hétérosexualité. Films, émissions de radio, livres, affiches dans la rue imposent à ceux qui n’ont pas de référence une vision nouvelle. Bientôt, les manuels scolaires s’évertueront à inculquer cela aux jeunes enfants et ceux qui trouveront à y redire se verront montrés du doigt comme d’insupportables rétrogrades. Que feront alors les disciples de Jésus-Christ? Se tairont-ils comme se sont trop souvent tu les chrétiens du 20e siècle à qui ont a dit : On ne parle pas de Dieu dans l’espace public? La loi ne dit même pas cela! Mais des gens plus convaincus que nous nous l’ont fait croire.
Lot se trouvait dans une situation bien délicate à Sodome et nous le voyons prêt à d’incroyables concessions, à des compromis honteux pour rester en paix avec ses concitoyens. Pourtant, l’apôtre Pierre écrit de lui : « Ce juste qui habitait au milieu d’eux tourmentait journellement son âme juste à cause de ce qu’il voyait et entendait de leurs œuvres criminelles » (2 Pi 2.8).
Cela nous montre l’importance de savoir nous indigner de nous-mêmes en premier lieu, selon la logique de la poutre et de la paille, selon la logique du prophète Jérémie : « Que chacun se plaigne de ses propres péchés. » Dans le couple (en premier lieu), dans la famille, dans l’Église et dans la cité, que vaut mon indignation si je ne suis pas irréprochable?
Nous devons être soumis à toute autorité établie parmi les hommes, mais nous laisserons-nous intimider si on nous demande de faire ou d’approuver des choses que Dieu réprouve? Le mouvement des Indignés préconise la résistance passive. Il se pourrait que les chrétiens soient appelés à la pratiquer un jour, pour telle ou telle raison, pour garder leur âme pure et adresser ainsi un appel aux consciences.
Frères et sœurs, nous devons nous imprégner de l’Écriture (pas seulement la lire ou même l’étudier), la laisser pénétrer en nous et modeler notre pensée, nos sentiments, notre volonté. Elle nous montrera alors, appuyée par le témoignage du Saint-Esprit, quand nous devons nous associer à d’autres et quand nous devons nous retirer en arrière, quand nous devons parler et quand nous devons nous taire, quand nous devons nous réjouir, quand nous devons pleurer et quand nous devons agir avec colère, si c’est Dieu qui nous le demande.
Ainsi, le chrétien est moins indigné que les autres, car il sait de quoi l’homme est fait, sa vie n’est pas nourrie par des rêves; de plus, il vit de la grâce et sans être fataliste, il est patient, miséricordieux; il ne réagit plus par rapport à son propre intérêt (1 Co 6.1-9).
Il est plus indigné aussi, car Dieu rend son cœur sensible à des choses qui peut-être ne le toucheraient pas, mais qui irritent le cœur de Dieu, car elles sont porteuses de rébellion et de mort. Au lieu de se taire, il parle parfois, quel que soit le prix à payer.
Il est indigné autrement : avec humilité, car il sait sa propre faiblesse; avec reconnaissance, car il sait que Dieu est juste, souverain et bon en tout temps; avec espérance aussi, car il attend de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habitera. On pourrait paraphraser ce que dit Paul aux chrétiens de Thessalonique : « Ne vous indignez pas comme ceux [à la manière de ceux] qui n’ont pas d’espérance. » Il y a une manière chrétienne de s’indigner, comme de pleurer, d’aimer et de se réjouir. Une manière éclairée par l’espérance. « Alors Dieu essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu » (Ap 21.4).
Notes
1. Comme le serviteur qui oublie qu’il a bénéficié de la grâce et qui se montre impitoyable envers celui qui lui devait quelques sous. Et nous voyons quelle indignation cette attitude suscite dans le cœur du roi : « Jetez-le en prison… »
2. « Le temps est venu de détruire ceux qui détruisent la terre » (Ap 11.18).