Jésus ou Israël?
Jésus ou Israël?
- Le problème
- Restauration politique ou théologie politisée?
- La conversion massive des juifs?
- Le reste fidèle
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Le sort d’Israël
a. Quelques passages sur Israël
b. Romains 9 à 11
c. H.M. Matter à propos de Romains 9 - Souveraineté de Dieu et responsabilité humaine
- La grâce de Dieu à l’œuvre pour sauver juifs et païens
1. Le problème⤒🔗
Une introduction à l’eschatologie biblique ne saurait se concevoir sans aborder la question brûlante, pour ne pas dire litigieuse, d’Israël et de son « sort ». L’espérance chrétienne a-t-elle un rapport avec le sort particulier réservé à ce peuple? Qu’Israël représente l’archétype même de l’apostasie religieuse ne soulève aucune objection, et l’Écriture est plus qu’explicite à ce sujet. C’est l’examen des passages bibliques qui nous permettra de nous prononcer sur ce « sort ». L’Israël moderne constitue-t-il réellement un signe de la fin des temps? Sommes-nous en droit d’espérer sa conversion massive? Est-il légitime de subordonner l’espérance de l’avènement final du Royaume à celle d’une future conversion nationale de ce peuple?
L’eschatologie biblique est le terrain par excellence où poussent et prolifèrent les idées les plus saugrenues et les mœurs théologiques les plus indisciplinées, pour ne pas dire les plus aberrantes.
De très nombreux chrétiens ont cru devoir faire d’Israël le facteur essentiel de leur attente et de leur espérance eschatologiques. Sa conversion massive serait la condition sine qua non du retour du Christ. Nombre de théologiens réformés ont considéré cette thèse comme quasi hérétique. Si le chrétien réformé doit se tenir sur ses gardes face au libéralisme théologique de « gauche », sa vigilance doit être tout aussi grande vis-à-vis de la « droite » fondamentaliste qui, sur le chapitre qui nous occupe, est devenue l’alliée la plus fidèle de l’école dispensationnaliste.
Le fait que certains fondamentalistes puissent mettre la foi au Christ en danger n’est pas toujours évident. Certains réformés se sentent très proches d’eux. Pourtant, l’affirmation commune de l’autorité suprême des saintes Écritures suffit-elle pour dissimuler les divergences réelles et profondes qui existent entre la foi biblique et certains courants appelés évangéliques? À notre avis, un certain syncrétisme évangélique est aussi peu fondé et aussi néfaste que celui des œcuménistes libéraux.
Dans deux articles différents1, nous examinerons les thèses dispensationalistes et les positions millénaristes. Qu’il nous soit permis de nous prononcer dès à présent au sujet du dispensationalisme — théorie d’interprétation biblique — et d’affirmer qu’il est capable de désintégrer à sa manière l’Évangile tout entier! Car, si l’incarnation du Fils de Dieu n’est motivée que par le rétablissement terrestre d’Israël, ce n’est plus la croix qui en est le moment et l’événement décisif! La mort expiatoire du Sauveur, unique fondement de la foi, cesse de rassembler et d’unir un peuple désormais unique — l’Église chrétienne — constitué de juifs et de païens.
Or, les adeptes du dispensationalisme expliquent l’Écriture à partir de leur lecture « historique » d’événements d’ordre politico-militaire. Dans ce cas, en quoi la nature de celle-ci serait-elle différente des lectures « gauchistes » de l’Évangile, lesquelles, à leur manière, prétendent aller dans le sens de l’histoire?
Or, il nous semble que, s’il ne s’agissait que de diviser l’histoire du salut en sept dispensations commençant depuis Adam et s’étendant jusqu’à Noé, puis de David au règne du Christ, notre différend avec ce « système » se réduirait à peu de chose. Le différend devient pourtant de taille lorsque le dispensationalisme fait dépendre le retour du Christ de l’avenir même d’Israël et de sa conversion massive et eschatologique. Dès lors, comment s’empêcher de poser le dilemme autrement que dans les termes suggérés par le titre du présent chapitre? Et dans ce cas, pouvons-nous encore préserver intacte notre foi en Jésus, Fils de Dieu, Seigneur, ou bien devons-nous y substituer un espoir relatif au « sort » réservé à un peuple qui, depuis deux mille ans, est déchu de ses prérogatives et de ses privilèges spirituels et exclu, en tant que nation, de l’Alliance de grâce? Ou bien le salut de l’Église, peuple nouveau, dépend exclusivement de Jésus-Christ et de sa seigneurie, ou bien elle devra partager son espérance entre l’attente glorieuse du retour de son Seigneur et l’espoir en un rétablissement politique d’Israël, suivi de sa conversion « nationale ».
Avec le professeur Berkouwer, nous constatons qu’Israël, de nos jours plus qu’autrefois, fait l’objet d’une attention toute particulière à cause de son destin tragique — notamment durant la Seconde Guerre mondiale — du fait d’un antisémitisme outrancier dont même des chrétiens se sont rendus coupables et, enfin, à cause de son existence nationale sous la forme de l’État fondé en 1948. Ce « sort » historique dans le passé et la fondation de l’État d’Israël seraient, pour les dispensationalistes, des signes eschatologiques évidents de sa proche et pleine restauration. Ainsi, l’expression « mystère d’Israël » est-elle davantage utilisée pour des raisons historiques que par souci d’exprimer des données purement bibliques. En examinant de manière quasi passionnelle l’histoire de ce peuple depuis deux mille ans, certains chrétiens ont cru y discerner l’action précise de Dieu et ses objectifs ultimes le concernant en tant que peuple toujours élu.
De très nombreuses questions, aussi bien anciennes que nouvelles, reviennent ainsi à la surface. Berkouwer s’interroge alors : S’agit-il d’une sorte de romantisme que de montrer du doigt la manière dont Dieu a traité autrefois Israël, ou bien ce traitement renferme-t-il encore un sens particulier pour nous? Est-ce que le passé d’Israël dans son rapport avec Dieu est un passé… ou bien recèle-t-il une signification toujours « mystérieuse »? L’attente eschatologique de nombreux chrétiens est liée à l’espoir de voir Israël se convertir massivement et à la restauration politique de ce peuple dans son entité nationale.
Le théologien d’Amsterdam rappelle à juste titre que ceux qui ne partagent pas cette « espérance millénariste » sont taxés trop vite, et trop légèrement, d’antisémitisme. Or, l’antisémitisme est, écrit-il, le fait d’un comportement concret, d’une attitude violente et haineuse, et non point d’une position et d’une conviction biblique et théologique. L’antisémitisme qu’on attribue au Nouveau Testament (!) est encore moins fondé. On est allé jusqu’à accuser saint Paul — de quoi n’a-t-il pas été accusé? — d’en être presque le champion. Le problème d’Israël est lié à son élection et à son rejet, actes souverains de Dieu. Or, ni l’un ni l’autre ne sont des actes déterministes. L’appartenance d’Israël à Dieu durant la première Alliance avait été le résultat de l’élection par pure grâce.
Dieu a conclu une alliance avec Abraham (Gn 12.3). Il considère les amis d’Israël comme ses propres amis. De ce fait, sa bénédiction s’étendra sur deux étrangères, Rahab et Ruth. Mais sa malédiction touche tous les ennemis de ce peuple et les Amalécites sont les premiers qui en fournissent l’illustration. Durant la première période de l’Alliance de grâce, la relation entre Dieu et l’homme a été conditionnée par la relation des hommes avec le peuple élu. Dans la seconde période de l’Alliance, dans l’économie du salut pleinement réalisé et appliqué, ce rapport privilégié n’a plus aucune force.
C’est le Fils, au singulier, et non pas les fils, au pluriel, d’Abraham, qui est l’héritier des promesses. En Christ, toutes les promesses faites à Abraham et réitérées à David ont été Oui et Amen. Lorsque l’Évangile sera proclamé pour la première fois dans les rues de Jérusalem, la ville se divisera en deux. L’apôtre Pierre fondait sa prédication sur un argument tiré du Psaume 2, Psaume messianique par excellence. Pour l’école dispensationaliste, ce Psaume aurait été écrit en vue du millénium. Or, le livre des Actes démontre assez clairement que la première communauté chrétienne crut fermement que la révolte des nations et leur rage étaient déjà manifestes. Le Messie ne fut-il pas réellement attaqué et finalement crucifié? Depuis la Pentecôte, la situation n’a pas évolué et les ennemis du Christ appartiennent à toutes sortes de groupes ethniques. Les prêtres juifs autant que les païens, Pilate comme Gamaliel se retrouvent dans le camp opposé. Quant aux convertis, ils se trouvent dans un même et seul camp; ils sont les nouveaux membres du peuple nouveau.
Simon et Corneille, Philippe et l’eunuque éthiopien, Jacques et Apollos, sont les nouveaux partenaires de l’Alliance. Les divisions de jadis ont été abolies. Toute distinction d’ordre ethnique disparaît pour faire place et pour signaler l’unité radicale des croyants, juifs et grecs, païens et barbares. Quiconque confesse Jésus comme Sauveur et Seigneur crée effectivement une nouvelle division entre les hommes.
Jésus-Christ est le commun diviseur. Depuis la célèbre réunion de prière du livre des Actes (Ac 15), la bataille dont il est question dans le Psaume 2 se livre universellement, aussi bien à Jérusalem qu’à Antioche, à Athènes qu’à Rome. Partout où l’Évangile est annoncé avec fidélité et hardiesse, la bataille se livre entre père et fils, mère et fille, entre juifs et non-juifs, croyants et non-croyants. Toutefois, les divisions créées par le fait du péché — dont les différences ethniques — disparaissent en Jésus-Christ.
En lui naît une nouvelle humanité, une nation sainte, à laquelle pourront appartenir, sans distinction, les descendants physiques d’Abraham et de Sara, mais également les fils des Gentils.
C’est précisément contre cette unité créée et réalisée par Dieu lui-même que pèche l’école dispensationaliste. Ses spéculations n’ont aucun rapport avec l’Évangile. Mais ceux qui se réjouissent davantage de la création de l’État d’Israël que de la conversion des Arabes à la foi au Christ ne semblent pas du tout connaître ni éprouver l’angoisse que Paul ressentait envers ses frères selon la chair. Car l’apôtre savait que les juifs doivent chercher et trouver leur salut en Christ crucifié et en lui seul. En dehors de lui, ils seront perdus au même titre que les autres.
L’Ancien Testament avait déjà rendu très clair que l’appartenance du peuple d’Israël à l’Alliance n’allait pas de soi et n’était pas établie de manière mécanique. Tel un leitmotiv vient l’avertissement : « Si vous obéissez à ma voix… » (Ex 19.5). L’Alliance de grâce, quoique n’étant pas un contrat avec des conditions, suppose des obligations.
« Vous serez mon peuple. » L’élection entraîne la responsabilité de l’élu. L’élection n’est pas un fatum dont on puisse tirer des conclusions logiques, sans garantie, quelle que soit la relation effective que l’on entretient avec le partenaire divin de l’Alliance. Selon la Bible, elle n’entraîne pas une situation extratemporelle et anhistorique, en dehors de l’intervention d’une décision personnelle. Romains 9 à 11 ne connaît pas une interprétation automatique de l’élection, événement du passé qui serait sans lien avec l’attitude présente de la foi. Le Dieu de l’élection, écrit Berkouwer, peut se permettre de parler tantôt d’une manière tantôt d’une autre, d’annoncer ici le jugement, de proclamer ailleurs sa miséricorde, non parce qu’il serait d’humeur changeante et capricieuse, mais précisément parce qu’il demeure fidèle à ses engagements. Il est un refuge et il manifeste ses richesses à ceux qui invoquent son nom. Ce n’est qu’à la lumière de son élection que l’on peut comprendre la gravité de l’échec d’Israël lorsqu’il rejette le Messie, et toute la tragédie résultant de son apostasie tant dans le domaine politique et national que dans son statut spirituel.
La théologie orthodoxe réformée a écarté depuis toujours l’hypothèse selon laquelle Israël, en tant qu’entité ethnique, pourrait encore prétendre au titre de peuple de Dieu. Les millénaristes, tout en croyant prendre la Bible au pied de la lettre, vont à l’encontre de ses déclarations. Selon l’affirmation paulinienne (2 Co 1.20), aucune prophétie vétérotestamentaire ne fera plus l’objet d’un accomplissement supplémentaire. Qu’il s’agisse de celle concernant la terre, le Temple, ou la ville de Jérusalem, il est clair que désormais elles cessent d’avoir une signification littérale. Les auteurs bibliques n’y voient que des symboles et des images renvoyant à une signification spirituelle tout à fait nouvelle. Ainsi, Matthieu 5.5 élargit la promesse vétérotestamentaire relative à l’héritage de Canaan et y inclut à présent la terre tout entière. 2 Corinthiens 6.16 spiritualise le Temple, et 1 Pierre 2.5 en fait autant pour les sacrifices.
L’attitude dispensationaliste réserve à Israël un autre sort que celui qui attend l’Église. Il est étonnant que même des théologiens à la solide réputation — parmi lesquels se sont égarés des calvinistes — partagent la conviction qu’Israël et l’Église peuvent s’attendre à des sorts différents. Une note de la Bible « Scofield » relative à Romains 11.1 affirme que le chrétien participe aux promesses spirituelles de l’Ancienne Alliance, mais qu’Israël, en tant que nation, aura une place particulière et sera de nouveau exalté comme le peuple de Dieu sur terre. Ce qui revient à affirmer qu’il existe pour Israël un plan de Dieu différent de celui de l’Église chrétienne, et par conséquent il faut admettre l’existence de deux peuples de Dieu.
Par quelle gymnastique exégétique parvient-on à obtenir de tels résultats? Pourquoi ignore-t-on toutes les affirmations du Nouveau Testament selon lesquelles le mur séparant Israël des nations païennes a été renversé et qu’actuellement ils forment ensemble le peuple unique de Dieu? (Ép 2.14). Christ a abrogé la différence en créant un seul homme. Quelle grave erreur que de séparer, ici encore, ce que Dieu a uni en Christ, par la croix de son Fils. Romains 11 fait état de l’incorporation du peuple de Dieu en une seule communauté et communion et décrit la réalité dans les termes « être greffés sur un seul arbre ». Par conséquent, un seul arbre, mais toutes les nouvelles branches ensemble.
1 Pierre 2.9 se fait l’écho d’Ésaïe 19.5-6, et fait sien l’avertissement contenu dans ce passage et l’adresse à l’Église, composée aussi bien de païens convertis que de croyants juifs : « Une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple pour la possession de Dieu. » L’Église prend la succession d’Israël. Si elle est véritablement la nation sainte de Dieu sur terre, pourquoi persister à tenir Israël pour une autre nation sainte et lui réserver un avenir eschatologique différent de l’avenir de la première? Cette destinée existe-t-elle? S’il y a un « sort » réservé à Israël, il est celui d’une conversion au même titre que celle de tout autre peuple, nation et langue (2 Co 3.15-16; Rm 11.23-26). Lorsque par la puissance du Saint-Esprit les juifs se convertissent à Christ, ils ne forment pas le peuple terrestre de Dieu, mais avec le reste des élus, un seul peuple, celui des rachetés (Ap 5.9-10), destiné à servir et à honorer Dieu sur la nouvelle terre, et ce, non pas pour une brève période de mille ans, mais durant l’éternité tout entière.
2. Restauration politique ou théologie politisée?←⤒🔗
L’opinion prévaut largement, et non seulement dans les cercles dispensationalistes, mais aussi chez des « évangéliques » modérés, que le retour des juifs en Palestine et la proclamation, le 14 mai 1948, de l’État indépendant d’Israël sur le sol des ancêtres des juifs d’aujourd’hui serait le signe le plus certain de la réalisation des anciennes prophéties concernant l’avenir de ce peuple. Mais on concède volontiers que ce retour ne constitue que la réalisation partielle des prophéties. L’accomplissement définitif serait prévu pour un avenir encore lointain, prédit dans Jérémie 29.14. Ce retour serait différent, ou indépendant, de celui effectué après l’exil babylonien. Car l’actuel retour s’effectue du milieu même de toutes les nations (Jr 29.14; És 11.11-12). Ces prophéties-là se rapporteraient aux événements actuels et à ceux qui se produiront dans un avenir plus ou moins proche. D’après Ésaïe 11, ce retour ne serait pas le premier, c’est-à-dire celui d’après l’exil du 6e siècle avant Jésus-Christ, mais un autre, un second, qu’il convient encore d’attendre. En ce qui concerne la prédiction du premier retour, elle fut annoncée à des gens déjà rentrés au pays (Za 8.1-8). Donc, les autres prédictions se rapportent à des événements ultérieurs; par exemple, à ceux qui se déroulèrent au cours de l’histoire, et plus précisément au cours de notre siècle. L’expression « les temps derniers » (Jr 30.24) apporterait un argument de poids à cette interprétation de la prophétie en train de s’accomplir. Le retour prédit se déroule donc actuellement dans l’incrédulité, ce qui confirmerait Ézéchiel 36.24-26. Telle est en effet l’attitude ou l’état religieux des Israélites rentrant chez eux.
La fondation de l’État d’Israël constitue aux yeux de ces interprètes un autre signe éclatant de l’accomplissement actuel des antiques prophéties. Parallèlement à la restauration politique s’effectue celle de l’économie géographique de l’État moderne. Ésaïe avait prédit que le désert se réjouirait et fleurirait comme une rose; les anciennes ruines seraient relevées (És 35.1; 61.4). Il est vrai qu’on ne saurait ignorer les prodigieux résultats de la culture d’une terre qui, restée en friche et stérile durant des siècles, est devenue à un champ fertile et un jardin prospère, grâce à l’irrigation par les eaux du Jourdain de la plaine du Néguev. La construction de villes et de villages, l’investissement des ressources naturelles jusque là inexplorées et inexploitées, ont permis une culture florissante. Mais faut-il y voir un accomplissement de prophéties? Comme nous le verrons plus loin, cela a déjà été réalisé dans le passé, après l’exil babylonien.
À cet effet, on cite Amos 9.14-15 qui prédirait les victoires remportées par les juifs sur leurs ennemis, notamment en mai 1945, en octobre 1956 et en juin 1967. Nous ignorons quelle interprétation les partisans de ces thèses donnent à l’échec militaire subi par les juifs lors d’autres engagements militaires. Le comble de l’irresponsabilité théologique a été atteint par un évangéliste américain baptiste, célèbre prédicateur électronique, Jerry Falwell, affirmant que l’un des partisans les plus fervents des thèses de l’infaillibilité et de l’inerrance biblique était le premier ministre israélien… Menahem Begin! Celui-ci ne prenait-il pas au mot toutes les prédictions bibliques en annexant, l’un après l’autre, des territoires à Israël après les avoir arrachés à ses ennemis? Dieu ne les avait-il pas accordés à Israël une fois pour toutes?
Un autre signe de la restauration d’Israël serait le retour, entre les mains d’Israël, de la ville de Jérusalem. On croit y discerner l’accomplissement de discours du Seigneur, d’après Luc 21.24. La ville sainte a cessé d’être piétinée sous les pieds des païens.
On tire également un argument de 2 Thessaloniciens 2.4 pour soutenir qu’après le retour des juifs, le Temple sera littéralement, matériellement, rebâti, et que l’Antichrist y établira son règne inique. (S’il faut en croire des informations de source plutôt sûre, des masses de pierre taillées sont déjà prêtes pour être embarquées, à partir des États-Unis, à destination de la Palestine, pour servir à la reconstruction du vieux sanctuaire juif.)
Parmi d’autres passages invoqués pour ces « accomplissements » se trouve Matthieu 19.28, annonçant la conversion des juifs et le retour et la réunification des douze tribus. Enfin, selon 1 Corinthiens 10.32, il existerait deux groupes distincts dans le plan de Dieu : l’Église d’une part et les juifs de l’autre, sur lesquels Dieu envoie ses bénédictions en contraste avec un troisième groupe composé de gentils. On se fonde sur cela pour affirmer que Dieu a toujours un projet différent pour le peuple juif.
3. La conversion massive des juifs?←⤒🔗
Examinons à présent les arguments avancés par les dispensationalistes en faveur de la conversion massive des juifs. Plus loin, nous examinerons ce que nous appelons « le sort » réservé aux juifs.
Nous n’hésiterons pas à déclarer que l’ensemble du schéma « conversion massive » est une grave erreur. Les prophéties, telles que l’Église les a lues au cours des siècles et telles que nous les lisons aujourd’hui, ne se rattachent à aucun événement de cette nature-là.
Jérémie 29.11 parle très spécifiquement du retour qui sera effectué au bout de 70 ans (Jr 29.10), ce qui confirme Daniel 9.2. Mais le texte se rapporte à des événements immédiats. On ne saurait s’appuyer sur ce passage pour prévoir une immigration des juifs spirituellement garantie, et certainement pas celle qui a lieu actuellement depuis 1945. Il serait également utile d’examiner des passages tels que Deutéronome 3.1-10; 1 Rois 8.46-52; Ézéchiel 36.17-19,26-28; Osée 11.10-11. Le fait qu’en plus de Shinear Babylone, d’autres nations rendent des captifs juifs ne soulève aucun problème particulier. À l’époque, c’était une pratique très courante de vendre des prisonniers de guerre à des nations voisines.
C’est ainsi que des captifs juifs furent déportés ou vendus dans d’autres nations ailleurs qu’à Babylone, et y vécurent jusqu’au moment du décret de retour promulgué par Cyrus. Lors de ce retour progressif, les uns rentrant plutôt, les autres plus tard, les juifs se rendirent directement en Palestine (Éz 37.14; Jl 4.2). C’est un fait notoire que le commerce des esclaves entre les mains de marins phéniciens était florissant, ceux-ci poussant leurs navires hardiment vers de nombreux points du monde connu d’alors. Les cales de leurs bâtiments renfermaient de la marchandise humaine et rapportaient gros.
Le fait que l’Égypte et l’Assyrie soient mentionnées en premier dans Ésaïe 11 paraît à nos yeux très normal. Combien souvent les prophètes, notamment Ésaïe, n’avaient-ils averti Israël, ne l’avaient-ils mis en garde contre une trop grande confiance à l’égard de ces deux pays? Or les juifs passèrent outre ces avertissements et, se dérobant aux soins de l’Éternel, s’appuyèrent sur leurs puissants voisins. Non seulement Ésaïe, mais encore Ézéchiel 23.3-9; Jérémie 2.36-37; Osée 7.11; Zacharie 10.10-11 mentionnent ensemble ces pays.
C’est ainsi que les juifs rentrèrent aux pays de leurs ancêtres, sortant de tous les pays où ils se trouvaient dispersés. Ils n’appartenaient pas à la seule tribu de Juda ou de Benjamin, mais encore, dans une très grande mesure, aux autres tribus (1 Ch 9.2-3; Esd 2.59). Lorsque durant le règne de Darius le temple fut rebâti et dédicacé, une offrande pour les péchés d’Israël, de tout Israël, fut célébrée (Esd 6.15-17). La même notion d’Israël réapparaît dans le Nouveau Testament. À son tour, celui-ci considère Israël comme un ensemble, un peuple réuni, celui des douze tribus, qu’il soit conçu numériquement ou plus simplement de manière symbolique (Mt 19.28; Ac 26.7; Jc 1.1; Ap 7.1-8; 21.12).
Dans les récits de la naissance de Jésus et de Jean-Baptiste, nous apprenons que Joseph et Marie étaient issus de la tribu de Juda (voir aussi 2 S 7.12-13; Mt 1.20; Lc 1.27; 2.4-5; Ac 2.30; Rm 1.3; 2 Tm 2.8; Ap 5.5). Tandis que Zacharie et Élisabeth descendent de celle de Lévi (Ex 2.1; 4.14; 1 Ch 24.1; Lc 1.5).
Anne, la prophétesse, appartient à la tribu d’Asser (Lc 2.36). Au-dessus de toutes les tribus considérées comme un seul troupeau se trouve le souverain Berger, annoncé par Ézéchiel 37.15-28.
Si Juda rentre de captivité, les autres tribus ne restent pas en arrière. Aussi n’est-ce pas de manière « littérale » qu’il faudrait interpréter Ésaïe 11.11, pour en tirer des conclusions relatives aux événements se déroulant à notre époque.
Que ces prédictions aient été définitivement réalisées apparaît aussi dans les passages extracanoniques de 1 Maccabées 3.41; 5.1-8; 11.60-61.
Ceux qui estiment qu’au cours du 20e siècle les Édomites, Philistins, Moabites, Ammonites et autres Cananéens devront encore et toujours être exterminés, auraient du mal à en trouver la moindre trace ethnique dans les populations palestiniennes non-juives d’aujourd’hui. Le fait qu’Ésaïe 11.11 parle d’une seconde restauration ne peut aucunement se rapporter aux événements actuels. La première restauration a déjà eu lieu sous Moïse. C’est la délivrance de la maison de servitude (És 11 et 66). Quant à la seconde, elle eut lieu par petites étapes lors du retour de la captivité assyro-babylonienne. Tout ceci s’est produit dans un passé lointain. On ne saurait prendre ces prophéties pour des prédictions et des accomplissements de tout ce dont actuellement, sur la scène politique du Proche-Orient, nous serions les témoins privilégiés.
On peut dire la même chose au sujet de Zacharie, dont l’activité prophétique s’exerça après l’an 520 avant Jésus-Christ. Ce qu’il annonce, notamment dans Zacharie 8.1-8, s’est effectivement réalisé au temps d’Esdras et de Néhémie, quelques dizaines d’années plus tard (Esd 7.1-10; Né 11.1-2).
L’expression « les derniers jours » (Jr 30.24) apparaît dans plusieurs passages de l’Ancien Testament (Gn 49.1; Nb 24.14; Dt 4.30; 31.29; És 2.2; Jr 32.20; Éz 38.16; Dn 10.14; Os 3.5; Mi 4.1). Dans chaque cas, son sens devra être interprété à la lumière de son contexte spécifique.
Que l’expression ne se rapporte nullement au retour du Christ, ou à des événements qui le précéderont immédiatement, apparaît dès que nous lisons Genèse 49.1 : Jacob ne cherchait pas à prédire ici à ses fils ce qui leur adviendrait au cours du 20e siècle. Il leur parlait de ce qui se produirait au cours de leur propre existence et de celle de leurs descendants. Bien entendu, la première venue du Christ se trouve incluse dans cette prédiction du patriarche (Gn 49.10). Le Christ sera issu de Juda. Toutefois, rien ne transparaît quant au retour du Christ. Quant aux douze tribus (dans leur existence séparée entre elles) où se trouvent-elles à l’heure actuelle? La traduction de Genèse 49.10 adoptée par certaines versions modernes, comme « jours à venir » nous paraît excellent.
Dans Jérémie 29.10, le contexte est plus que clair à ce sujet : « Dès que 70 ans seront écoulés pour Babylone, j’interviendrai pour vous, et j’accomplirai à votre égard ma bonne parole, en vous faisant revenir dans ce lieu. » L’emploi de la phrase « les derniers jours » (Jr 30.24) renforce l’idée que, lorsque les jugements de l’Éternel auront été exécutés et les 70 années seront consommées, le peuple de Dieu comprendra que le châtiment infligé avait comme intention sa guérison spirituelle.
Aucun des passages ci-dessus n’annonce un événement qui nous soit contemporain. Il ne fait pas allusion à la fondation de l’État moderne d’Israël. Tous annoncent un jugement divin et des restaurations qui ne prennent un sens que pour ceux qui vivaient dans le cadre immédiat — ou la situation historique — où les prophéties étaient prononcées. Au sens littéral, ils s’adressent à des petits enfants et non à des juifs vivant à notre époque. Ce qui n’enlève rien au fait que la leçon morale et spirituelle sous-jacente reste valable pour toutes les époques, y compris la nôtre.
Si l’Ancien Testament ne contient aucune prédiction concernant un retour actuel des juifs en Palestine, par implication on peut entendre qu’il ne dit rien non plus quant à un hypothétique retour dans l’incrédulité. En fait, ce célèbre « retour dans l’incrédulité » n’est même pas mentionné. Ceux qui défendent cette interprétation n’ont même pas un semblant d’argument biblique pour étayer leur thèse. Même Ézéchiel 36.24-26 ne pourrait leur venir en aide! Le Seigneur ne fait pas dire : « je vous ferai revenir au pays, et ensuite je vous donnerai un cœur nouveau », mais : « qu’il fait déjà toutes choses nouvelles pour son peuple », sans annoncer aussitôt l’ordre dans lequel se déroulent les événements. Si le cadre historique pouvait répandre une lumière sur la suite de ceux-ci, c’est la purification spirituelle au moyen de la foi renouvelée et la repentance profonde qui seraient soulignées avant même toute idée de restauration politique. Ceci n’exclut pas, bien entendu, leur coexistence. Mais le retour vers l’Éternel précède toujours comme condition essentielle la restauration nationale. Dieu ne récompensera jamais la désobéissance. La délivrance et la libération politique prédite par les prophètes sont subordonnées à la conversion religieuse d’Israël.
Aux yeux des prophètes, la libération de la captivité babylonienne apparaît comme la conséquence du repentir suffisant du peuple. Dans ce cas, les péchés seront pardonnés et Israël regagnera le foyer ancestral (Dt 30.2-3; 1 R 8.47-50; Jr 18.5-10). Lorsque le malheur frappe et accable une nation et que celle-ci décide de se convertir, le Seigneur, lui aussi, se repent du mal qu’il projetait de faire venir. Inversement, lorsqu’il annonce des bénédictions, il se retiendra de les accomplir s’il juge que la transgression à sa parole et l’iniquité n’ont pas disparu.
À travers toute l’histoire de la rédemption, il existe une règle fixe que l’on peut appeler — avec les précautions théologiques nécessaires — une bénédiction au conditionnel. En gardant justement à l’esprit que c’est invariablement la grâce de Dieu qui permet à l’homme de respecter l’obligation, il n’en reste pas moins vrai que l’engagement du bénéficiaire de la bénédiction est souligné. Nous ne sommes pas autorisés à ôter de l’Écriture les « si » du conditionnel imposé par Dieu. Lorsque, d’après Jérémie 18.5-10, le Seigneur prédit le bien ou le mal, l’obligation morale est rappelée. Ceci explique également le célèbre passage du même prophète dans Jérémie 31.35-37. Celui qui oublie l’explication oublie en définitive le message même contenu dans les versets 5 à 10.
On peut examiner encore Osée 11.10-11. À cet endroit encore, la repentance précède la restauration. Notons en passant que l’Assyrie existait encore à cette époque! Mais où se trouve-t-elle à l’heure actuelle?
L’examen très bref de ces passages invoqués par les tenants du dispensationalisme — et arbitrairement liés aux événements politiques récents — ne confirme pas les positions dispensationalistes. Au contraire, il les infirme. L’État moderne d’Israël n’a aucun rapport avec les prophéties de l’Ancien Testament. Le fait que les juifs rentrent au pays dans l’incrédulité n’infirme pas notre thèse. De toute manière, le rejet du Messie n’a aucun lien avec les prophéties évoquées, et hélas!, manipulées par l’école dont nous examinons les thèses. S’il fallait s’attendre, coûte que coûte, à une réalisation des anciennes prophéties (celles mentionnées plus haut), nous pourrions à la rigueur envisager celui du « reste fidèle ». Mais nous constatons que la foi et la repentance caractérisaient précisément les exilés de retour de la captivité babylonienne (Esd 3.5; 6.22; 7.10; 8.35; 10.11-12; Né 1.4-11; Dn 9.1-4; Ag 1.12-13).
En ce qui concerne Ésaïe 35.1 et 61.1-4 qui annoncent une prospérité matérielle, nous sommes en droit de lier le fait aux réalisations effectivement accomplies après le retour de l’exil babylonien; le livre d’Ésaïe a près de quarante références à l’Assyrie, et vingt aux Babyloniens et aux Chaldéens. Cyrus qui donna l’ordre de rebâtir le Temple est mentionné dans Ésaïe 44.28 et 45.1,13. Les nations sur lesquelles des jugements ont été prononcés sont Babylone, la Chaldée et l’Assyrie, la Philistie, Moab, la Syrie, l’Éthiopie, l’Égypte, l’Arabie, Édom et la Phénicie. Or, toutes celles-ci cadrent parfaitement avec l’ancienne dispensation, mais nous ne voyons absolument aucune place pour elles dans notre siècle.
Historiquement, il est établi que, durant les années après l’exil qui précédèrent la naissance du Christ, il y eut une période où le désert fleurit véritablement. Josèphe, l’historien juif du premier siècle de notre ère, nous en informe, ainsi que le livre deutérocanonique de 1 Maccabées. Le premier mentionne la rénovation, la prospérité et la culture florissante de son époque. Le second décrit le labourage et mentionne ceux qui se trouvent en paix sous leurs vignes et leurs figuiers (Mi 4.4).
Il nous paraît superflu de concentrer nos efforts à transférer à notre siècle l’accomplissement littéral de telle ou telle prophétie, et les réalisations effectivement prodigieuses des 6e et 5e siècles avant Jésus-Christ. Va-t-on prétendre qu’Amos 9.14-15 vise aussi notre époque? À quel endroit l’Écriture laisse-t-elle entendre avec exactitude ce qui concerne les États modernes du Proche-Orient? Cela relèverait de la plus haute fantaisie que de s’appuyer sur des prophéties bibliques pour expliquer ce qui se passe actuellement en Union soviétique, en Chine populaire, dans l’Allemagne non réunifiée, ou dans l’Europe des dix! La Parole de Dieu ne se prête pas à de telles lectures qui manipulent son sens, qui prétendent en quelque sorte détenir la clé pour percer tous les secrets des projets divins…
Et lorsque la démangeaison atteint les esprits, il est à propos de méditer le texte de Deutéronome 29.29 : « Les choses cachées sont à l’Éternel, notre Dieu, les choses révélées sont à nous et à nos fils, à perpétuité, afin que nous mettions en pratique toutes les paroles de cette loi. »
Même le païen Platon tenait pour un vice la curiosité malsaine manifestée au sujet de Dieu et de ses conseils secrets!
Déjà au cours de l’histoire d’Israël, il y eut ceux qui prédirent que Jérusalem était une ville imprenable et qu’Israël ne connaîtrait point de défaite. Mais la ville fut détruite une première fois en l’an 586 avant notre ère, et une seconde fois sous l’assaut romain en l’an 70 de notre ère.
L’argument que l’on tire de Luc 21.24 mérite aussi que nous nous y arrêtions. Le temps des gentils ne serait plus accompli jusqu’au retour du Christ. Ce qui signifie que Jérusalem et tout ce qu’elle représente seront piétinés durant la longue période indéfinie qui aboutira au retour du Christ. Ce piétinement sera terminé avant la fin de l’ère actuelle. En outre, il n’y a aucune implication, ici ou ailleurs, d’une quelconque restauration littérale de Jérusalem devant s’accomplir avant le retour du Christ. Certes, le passage fait allusion à un piétinement. Toutefois, chaque fois que l’adverbe de temps « jusqu’à » est employé, il n’introduit pas une condition devant être l’exact opposé de ce qui est décrit dans la partie antérieure de la phrase. Sur la seule base de ce texte il est impensable de conclure que Jérusalem la terrestre, telle que nous la voyons ou la concevons elle et ceux qu’elle représente, entrera dans une condition de gloire au moment du retour du Seigneur. À notre avis, la conjonction devra être comprise dans chaque cas, selon le contexte qui lui est propre. Ici, le sens en est : la condition de Jérusalem d’être piétinée ne cessera pas durant 100, 50 ou même 10 ans avant le retour du Christ, mais durera jusqu’à ce qu’il revienne. D’autres textes du Nouveau Testament donnent également ce sens-là (Rm 11.25; 1 Co 11.26, 15.25; Ap 2.25).
Celui-ci est particulièrement fort dans le dernier texte dont nous donnons la référence, c’est-à-dire que, quoiqu’il arrive, nous nous en tiendrons fermement à la révélation de Dieu, faite en Jésus-Christ. Nous n’aurons pas à nous arrêter ni aujourd’hui, ni demain, ni le surlendemain. Nous devons nous y tenir fermement!
Ni la locution adverbiale « jusqu’à » ni un autre membre de la phrase n’est ni ne laisse entendre la prédiction d’un rétablissement national juif, ni avant le retour de Jésus-Christ, ni en rapport avec celui-ci.
Supposons un instant, hypothèse toute provisoire, qu’un autre Temple soit rebâti dans l’État d’Israël moderne. S’agira-t-il dans ce cas d’un Temple où les juifs se réuniront pour adorer le Christ crucifié? (Voir Ga 6.14). Si ce n’est pas le cas, n’aurons-nous pas là une autre preuve que l’approbation de Dieu ne sera jamais accordée à de tels adorateurs? N’était-ce pas le Seigneur Jésus qui disait : « Je suis le chemin, la vérité et la vie? Nul ne vient au Père excepté par moi » (Jn 14.16; voir Mt 1.21; Ac 4.12; Hé 10.12; Ap 7.14).
Qu’en est-il de Matthieu 19.28? Il est évident que la prédiction contenue ici ne concerne pas notre siècle. Elle a trait à ce qui se produira dans le Royaume, lors de la restauration finale de toutes choses. Nous avons ici l’assurance solennelle que tous ceux qui ont offert leurs personnes et leurs familles pour le Royaume recevront une aune spéciale de gloire. Celui qui aura été le plus loyal ici-bas sera plus proche du Sauveur. Au sein même du cercle des douze tribus, un honneur et une dignité spéciaux seront accordés à ceux qui ont placé leurs biens et leurs vies au-dessus de leur consécration totale. Or, l’expression « les douze tribus d’Israël » se rattache à l’Israël rénové. Il contient le nombre total des élus, depuis le commencement jusqu’à la fin de l’histoire du monde. Il s’agit de tous ceux qui ont été régénérés, car aucun impur n’entrera dans l’univers nouveau. Cependant, il n’y est fait aucune mention d’un retour massif des juifs en Palestine.
Enfin, examinons brièvement 1 Corinthiens 10.32. L’apôtre exhorte les Corinthiens à se soumettre à une discipline volontaire, dans l’usage qu’ils font de la liberté chrétienne acquise en Christ. Il leur demande de ne devenir une pierre d’achoppement pour personne, non seulement pour l’Église de Dieu, mais aussi en dehors de celle-ci, et de se comporter avec une grande circonspection envers tous.
Nous remarquons que dans ce texte les Juifs ne sont pas mentionnés en rapport avec les Grecs, comme formant un corps d’ensemble de croyants. Voici le sens du texte : Ne présentez aucune offense à qui que ce soit, ni à des chrétiens, ni à des non-chrétiens. Or ici, les non-chrétiens sont divisés en deux groupes : les Juifs et les Grecs. Les deux se trouvent au pluriel. Ainsi, Paul rend bien claire la distinction qu’il établit entre les incroyants et l’Église de Dieu. En rapport avec le premier groupe, il distingue entre incroyants juifs et grecs. En aucune façon, il ne réunit les Juifs et l’Église ensemble, comme si les deux ne faisaient qu’un tout indissoluble, objet du bon plaisir de Dieu. Rien dans ce texte ne permet d’envisager un retour des Juifs en Palestine, du seul fait qu’ils y sont mentionnés…
Nous concluons que les textes ainsi examinés ne laissent aucun terrain ni aucun lien entre prophéties anciennes et événements modernes. Toutefois, il est évident que ces prophéties-là ont un sens plus que littéral et qu’en dernière analyse elles furent toutes réalisées dans la personne et dans le ministère du Christ-Messie, le promis à Israël, Sauveur de tous ceux qui, par la foi en lui, constituent à présent un seul peuple de Dieu, tant juifs que non-juifs.
4. Le reste fidèle←⤒🔗
Nous venons de démontrer que, d’après les données bibliques, aucune des prophéties prononcées dans l’Ancienne Alliance n’est actuellement susceptible de se réaliser dans les événements politico-militaires qui se déroulent au Proche-Orient.
Faudrait-il en conclure que, si nous sommes bien fondés pour refuser les thèses dispensationalistes — Israël au sens national et l’Église constituant deux peuples distincts de Dieu —, nous rejetons aussi tout rapport de Dieu avec l’actuel peuple juif? Il n’en est rien. Mais ce sont encore les données bibliques elles-mêmes qui nous renseigneront quant à la nature et aux dimensions du rapport spécial que nous pensons ainsi saisir. Avant d’entamer l’examen du « sort » réservé à Israël, voyons ce qu’est la notion biblique du « reste fidèle ».
À travers tout l’Ancien Testament, nous lisons couramment que Dieu œuvrera parmi les nations en se servant d’Israël. En le choisissant et en le déclarant peuple de l’Alliance, Dieu cherche à glorifier son propre nom. Ainsi, la bénédiction qu’il accordera à Israël ne se confinera pas aux dimensions ethniques de celui-ci. Elle vise à atteindre toutes les nations de la terre.
L’histoire biblique est précisément le constat poignant de l’infidélité d’Israël. Ce qui explique aussi bien ses échecs spirituels que les désastres nationaux qu’il subit chaque fois qu’il ne prête pas l’oreille aux avertissements de Dieu. Mais les calamités à venir et le jugement futur seront encore plus redoutables. Or, toutes les tentatives de réforme entreprises à de rares moments d’éveil religieux et de lucidité spirituelle ne produiront aucun effet. Elles ne laisseront pas de traces durables. Toutefois, durant chaque période d’apostasie, il ne manquera jamais un reste fidèle : un segment souvent anonyme, mais qui respectera les clauses de l’Alliance, en gardant à l’esprit la haute vocation d’Israël et qui entretiendra comme un lumignon l’espérance d’une gloire future. Cette conviction le conduira toujours vers une consécration plus grande.
Ce furent parfois dans ces limites individuelles, très restreintes, que les fidèles de ce reste procurèrent par leur fidélité la bénédiction aux autres. Le cas du prophète Élie et des 7000 personnes n’ayant pas fléchi les genoux devant Baal est typique de cette réalité-là (1 R 19.18). On ne pourrait pas décrire ce reste comme étant une entité religieuse bien caractérisée et définie, encore moins parfaitement organisée. Ses membres se trouvaient dispersés à travers toute la nation. Il put cependant fonctionner comme le sel préservant la nation de la corruption totale.
L’Ancien Testament souligne l’importance de ce reste. Malachie, dernier prophète écrivain de l’Ancien Testament, ne parle pas d’une future restauration nationale. En réalité, plus l’histoire de la rédemption approche de son point culminant, plus l’attente du reste fidèle devient spirituelle, et plus se purifie la notion du Royaume. L’étude de Malachie nous permet de faire, avec une grande assurance, la constatation suivante : Israël est accusé de profaner l’Alliance. Ceux qui la violent sont menacés d’expulsion. Mais Dieu se cherche et se réserve un reste pieux; ce sont les membres de ce reste qui sont considérés comme son véritable peuple.
L’interprétation que donne Malachie de ce reste fidèle est étrangère à toute attente d’un futur rétablissement politique d’Israël. Le prophète, comme tous ses prédécesseurs, accentue la spiritualité de l’attente. Il anticipe dans la foi l’espérance du Royaume à venir, de la rédemption dans et par Christ.
Aussi, lorsque le Promis apparut, le reste fidèle était là pour l’accueillir. C’est à travers ce reste-là que l’espérance d’Israël s’exprima de manière correcte. Le reste fidèle du Nouveau Testament est de manière rédemptrice historiquement lié au reste fidèle de l’Ancien Testament. Les deux « restes » donnent les signes de la même foi, de la même expérience du salut et tous les deux seront sauvés en Christ. Aucun d’eux n’envisage, pas même pour un seul instant, une conquête territoriale d’Israël ou un royaume terrestre. L’un et l’autre sont liés à l’avènement du Messie. À l’instar d’Abraham, ils fixeront leurs regards sur la cité de Dieu, cité dont Dieu en personne est l’architecte.
Pour mieux situer ce groupe par rapport aux autres et pour en faire ressortir l’espérance eschatologique, énumérons brièvement les diverses tendances eschatologiques juives que l’on rencontre à l’époque de Jésus.
a. L’espérance politique : Le messianisme politique cherche constamment à se défaire du joug des oppresseurs en ayant recours à la violence et par des soulèvements armés. Christ s’opposera radicalement à une telle interprétation et à une récupération de sa mission par ces zélotes (voir notamment Jn 18.36). Son règne spirituel est éternel, mais ceci ne devrait pas donner lieu à un autre malentendu qui le concevrait comme étant extratemporel et anhistorique.
b. L’espérance apocalyptique : Elle se présente surtout sous la forme d’un idéal mystique qui s’attend à l’irruption soudaine dans le monde du règne de Dieu, devant transformer l’histoire nationale d’Israël, lors de l’apparition du Messie venant sur des nuées, et connu sous le titre de Fils de l’homme. Dans sa réponse au souverain sacrificateur (Mc 14.61-62), Jésus laisse entendre qu’il est bien ce « Fils de l’homme ». Toutefois, il ne semble pas faire sienne toute l’attente apocalyptique juive, puisqu’il ne commandera pas aux légions d’anges de venir à son secours (Mt 26.53).
c. L’espérance pharisaïque : Celle-ci consiste en l’idéal de la communauté pure cherchant à identifier la communauté des purs avec le Royaume des cieux. La loi mosaïque est l’instrument décisif dans l’instauration du Royaume. À cause de ce climat religieux entretenu fanatiquement, baigné dans le plus pur légalisme, on s’attend à l’avènement du Messie. Dans sa controverse avec les pharisiens, Christ montrera qu’il n’était pas venu abolir la loi. Toutefois, il prend le contrepied de l’observation légaliste et hypocrite des pharisiens. Il ne partage pas leurs fausses convictions relatives au rétablissement du règne de Dieu par la médiation de la loi et de sa stricte observation. En outre, il s’oppose avec vigueur à l’idée sclérosée de la loi et à la tradition des « anciens ». D’où ses célèbres : « Mais moi je vous dis. » Pourtant, au lieu d’abolir la loi, il la renouvelle et la consolide. Il la spiritualise. Mais l’espérance nourrie par les pharisiens, elle, n’a aucun lien avec le Royaume eschatologique. Même un rétablissement national d’Israël ne saurait être achevé grâce à elle.
Dans ses commentaires incisifs et ses violentes attaques, Jésus discerne dans le comportement des pharisiens des antagonistes virtuels de la loi de Dieu. D’autant plus que s’ils prescrivent pour le menu peuple l’observation de celle-ci et lui imposent de lourds fardeaux, eux-mêmes s’en dispensent, incapables même d’en observer le moindre détail (Mt 23.1-3).
Ces trois courants eschatologiques s’attendaient à un rétablissement politique d’Israël. Ils diffèrent entre eux par l’accent qu’ils placent sur tel ou tel aspect de ce rétablissement. Dans l’ensemble, tous les trois nourrissent une espérance purement « politique » en abandonnant ainsi toute perspective biblique. Parmi les disciples de Jésus, il y eut quelques partisans de ce rétablissement, et l’un d’eux, Judas, sans doute un zélote du parti d’opposition à l’envahisseur romain, fut celui qui, par déception, trahit le Maître. Signalons encore que d’autres disciples furent partisans, même après la résurrection de Jésus, d’une espérance d’interprétation apocalyptique du futur règne du Messie (voir Lc 24.21; Ac 1.1-8).
d. L’espérance prophétique : Dans ce dernier courant prédomine le concept biblique du Serviteur souffrant de l’Éternel. Jésus s’identifie presque ouvertement avec la figure de ce dernier. Au seuil même de son ministère, Jean le Baptiste le présente comme l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde. Il incarne réellement le sens des sacrifices mosaïques. Il accomplit l’Ancien Testament qui le préfigurait dans ses types et symboles, ombre des choses et des réalités à venir. Mais les dirigeants religieux contemporains de Jésus ne semblent pas soupçonner cette possible interprétation de l’espérance d’Israël. Pourtant, tous les grands prophètes l’avaient laissé entendre. Ils avaient même rendu témoignage à la souffrance du Serviteur, annoncé l’office expiatoire du Messie. Pierre exprimera parfaitement la chose dans son discours d’Actes 10.43. Paul de son côté fait partie de ceux qui espèrent cette réalisation et celle-ci est largement éclairée par sa théologie biblique. Son espérance est de nature spirituelle, à l’opposé de celle de ses contemporains qui s’attendent toujours à un rétablissement national (Ac 13.32-33; 26.22-23; 28.20).
Quelle est la faute spirituelle principale d’Israël? La cause de son échec? Tous ses efforts ont tendu à réaliser lui-même la promesse de Dieu d’une manière légaliste. Il s’attacha littéralement à la loi, laquelle n’était qu’une mesure provisoire de l’économie future du salut, un simple pédagogue afin de conduire le fidèle vers Jésus, le parfait observant de la loi. Israël ne reconnut pas dans la mission de Jésus l’accomplissement et de la loi et des prophéties. Au contraire, il s’adonna à la recherche des solutions politiques. Le reste fidèle, quant à lui, s’attacha fermement à l’idée prophétique de l’espérance. En définitive, ce fut ce reste qui bénéficia des bénédictions, et c’est bien lui qui constitue le véritable Israël. Bien que la bénédiction fût promise à tous, il n’y eut qu’un nombre restreint de fidèles qui en profita.
Ainsi, les chrétiens qui envisagent les conquêtes territoriales et les annexions arbitraires effectuées par l’État moderne d’Israël comme la preuve de la réalisation d’antiques prophéties dévient ouvertement de l’espérance biblique. Ils se détachent de la source même du salut. Ils consomment le divorce des juifs d’avec le Messie, déjà apparu.
5. Le sort d’Israël←⤒🔗
La lecture des deux Testaments ne nous autorise pas à conclure que Dieu fut « surpris » par l’infidélité d’Israël. En dépit de l’endurcissement de celui-ci, il tint sa promesse. Elle se réalisa « lorsque les temps furent accomplis » (Ga 4.4). Déjà, Noé offrait l’illustration frappante de ce « reste fidèle ». La préservation de ce petit reste, Noé et sa famille, allait finalement aboutir à l’apparition de la descendance promise à la femme. Le reste fidèle de l’Ancien Testament a eu ses héritiers dans le Nouveau Testament.
« Ce sont ceux-là qui sont élus en accord avec la grâce de Dieu qui constituent le reste fidèle. Ils ne sont pas laissés de côté, ils ne prennent pas part à l’apostasie généralisée. Dieu les a préservés pour lui-même. Il est souverain sur tout ce qui se passe. Il poursuit ses projets et il veille sur leurs accomplissements.2 »
Avant de consacrer une partie de ce paragraphe à l’examen des chapitres 9 à 11 de la lettre de Paul aux Romains, examinons un certain nombre de passages bibliques relatifs au « sort d’Israël ».
a. Quelques passages sur Israël←↰⤒🔗
Regardons d’abord Galates 6.17. D’après le contexte qui le précède, la règle en question est celle par laquelle suit la conséquence; celui qui place sa confiance en Christ crucifié et oriente sa vie d’après le principe qui en découle se repose en paix et dans la miséricorde de Dieu. Jusque là, cette lecture ne soulève aucun problème. La difficulté surgit dans la dernière partie de la phrase, à propos de l’original grec kai : « et sur l’Israël de Dieu ». Suivant le contexte où apparaît la conjonction kai, on peut la rendre soit par « et », soit par « ainsi », « de même que », « néanmoins », « pourtant », « mais », etc. Parfois, dans certains cas, elle n’est pas traduite du tout. Si dans notre texte nous le rendons par « et », l’idée contenue serait la suivante : après avoir prononcé la bénédiction de Dieu sur tous ceux qui placent leur confiance exclusivement dans le Christ crucifié, l’apôtre ajouterait, en plus, une bénédiction spéciale pour « l’Israël de Dieu », c’est-à-dire sur l’actuel peuple juif. Ce qui reviendrait à dire que ces juifs seraient susceptibles de connaître dans le futur une conversion massive. Tous les juifs, numériquement parlant! Mais à notre avis, une telle lecture manque de respect vis-à-vis du texte. Elle ignore l’élémentaire principe d’interprétation de la théologie paulinienne. Précisément, c’est elle qui est exposée à cet endroit.
Or, dans la ligne de celle-ci ainsi que dans celle tracée dans Éphésiens 2.14-22, l’apôtre prononce une bénédiction de paix et de miséricorde sur tous ceux qui marchent selon la règle prescrite, et il est clair au-delà de tout doute, ou de toute hésitation, que les traducteurs rendant le kai original par « même », ou un autre vocable d’un effet semblable, font preuve de bon sens. Voici l’idée de Paul : « Sur tous ceux qui marcheront selon cette règle, paix et miséricorde, même sur l’Israël de Dieu » (voir Ps 125.5). Ce « sur l’Israël de Dieu » se compose aussi bien de juifs que de païens, de tous ceux qui se glorifient en la croix du Christ. L’expression « l’Israël de Dieu » inclut le peuple de Dieu, composé de toute nation3. Ce qui était déjà vrai pour Matthieu 19.28; Luc 21.24 et 1 Corinthiens 10.32 l’est aussi pour ce passage controversé. Aucun des passages cités ne fait la moindre allusion à un retour des juifs en Palestine en tant qu’accomplissement réel des promesses de Dieu prononcées par la bouche des prophètes. Le passage de la lettre aux Romains qui traite d’Israël retiendra plus loin notre attention.
Ici, ouvrons un autre paragraphe. Selon le Nouveau Testament, la promesse de Dieu faite jadis à Abraham inclut les nations, et ce grâce à la personne et la mission de Jésus-Christ. Ne sont pas descendants, fils d’Abraham, ceux qui se prévalent de leur lien physique avec le patriarche, mais ceux-là qui, à l’instar d’Abraham, s’unissent à Dieu par la foi. L’union des fidèles avec Jésus-Christ abroge l’ancienne distinction provisoirement établie entre juifs et non-juifs. C’est pourquoi le nouveau vin qu’apporte l’Évangile ne peut être contenu dans les vieilles outres du légalisme juif. L’ordre sacerdotal a été définitivement remplacé par l’ordre nouveau déjà aperçu, quoiqu’obscurément, dans la figure mystérieuse de Melchisédek, et dont le Christ est le modèle et l’exécutant.
Dès lors, peut-on prétendre que les bénédictions promises à Israël ne concernent nullement l’Église? Dans certains milieux, on soutient que l’Église n’est pas l’Israël de Dieu. S’il existe une part de vérité, un élément vrai dans cette idée, il est cependant hasardeux d’en tirer des conclusions allant dans un sens tout à fait opposé à la théologie du Nouveau Testament. C’est avec beaucoup de précaution qu’il conviendrait d’utiliser cette distinction. Certes, identifier Israël, au sens de juifs, avec l’Église serait faux. Nombre de passages de l’Ancien Testament désignent sous ce nom la nation et les juifs en tant que le peuple soumis à la théocratie (Ex 16.2; 30.12; 32.20; 35.29; Ps 147.19). Ainsi, l’Ancien Testament contient en effet des promesses qui, dans leur application littérale, étaient destinées exclusivement aux juifs. C’est le cas d’Abraham dans Genèse 12.7. Le Nouveau Testament suit la même ligne de pensée. L’ange qui apparaît à Joseph lui demande de retourner avec la mère et l’enfant au pays d’Israël. Il est bien clair qu’il s’agit ici de retour en terre d’Israël et nul ne songerait à prendre à cet endroit Israël pour l’Église!
Parallèlement au sens littéral du terme, il en existe un sens figuré. Ceux qui cherchent à ne pas confondre Israël avec l’Église oublient trop souvent et trop facilement ce sens-là. Pourtant, même lors de la toute première apparition du terme, le sens n’évoquait nullement une appartenance ethnique. Au contraire, elle avait trait à la nouvelle relation religieuse avec Dieu. Jacob est appelé Israël non parce qu’il descend directement d’Abraham, mais parce qu’il a lutté avec Dieu et les hommes et qu’il en est sorti vainqueur (Gn 32.25-33). En outre, même la terre promise à Abraham n’est que l’image du Canaan d’en haut (Hé 11.10-16). La « semence », à savoir la descendance qui sera issue des flancs d’Abraham ou de Jacob, se concrétise en la personne du Christ. Voilà au moins ce que saint Paul a compris de la chose, et sans doute en savait-il plus que tous les judéologues et israélophiles de notre époque.
C’est précisément en accord avec l’emploi figuré du terme que, dans Galates 6.16, Paul prononça sa bénédiction sur l’Israël de Dieu. Qu’il ne songeât pas exclusivement aux juifs, cela saute aux yeux dans le contexte qui précède immédiatement ce passage (Ga 6.15). Ce qui compte c’est la nouvelle création qui recevra la vie en l’Esprit. Ce qui est important ce n’est pas d’être physiquement juif ou non-juif, mais une nouvelle création. Car aux yeux de l’apôtre, l’Église est composée à la fois de juifs et de non-juifs, lesquels, par la foi, ont accepté le Christ. Ceux-là sont l’Israël véritable, et que sur eux soient la paix et la miséricorde!
Le mur de séparation entre les deux catégories a été démoli. Pourquoi élever de nouvelles murailles? D’autant plus que tous les descendants physiques de Jacob ne sont pas « l’Israël véritable » (1 Co 10.18). Ils ne font pas tous partie, automatiquement, du nouvel Israël de Dieu. Car tous ne se glorifient pas en Dieu. Ismaël aussi était descendant physique d’Abraham, mais il n’est pas devenu pour autant l’héritier des promesses! Dans un discours bien connu par sa virulence et par sa justesse, le Baptiste rappelait ces dures réalités aux descendants physiques d’Abraham (Mt 3.9; Lc 3.8). S’il est vrai qu’on ne peut, sans prendre de précautions, identifier globalement l’Église avec Israël dans le sens que donnons à ce terme, il est également faux de soutenir que les bénédictions promises à Israël ne seraient point destinées à l’Église. Jésus déclare que les privilèges jadis octroyés au peuple de l’Alliance ont été transférés à la nouvelle nation, celle qui portera de bons fruits (Mt 21.43).
Car plusieurs viendront de l’Orient et de l’Occident et s’assiéront avec les patriarches dans le Royaume (Mt 8.11-12). Mais les fils du Royaume en seront exclus. Lorsque les invités du festin refusent de s’y rendre, l’invitation s’adresse à d’autres. Selon saint Paul, les distinctions de race, de position sociale, de degré de culture, voire de sexe ne tiennent plus, du fait que Christ est tout en tous. De son côté, Pierre confirme la même idée (1 Pi 2.9). En d’autres mots, les vieux titres d’honneur accordés au peuple de l’Alliance sont actuellement le bien de tous les croyants. L’Église est l’épouse du Christ (Ép 5.23), qui ressemble à une belle cité, la Jérusalem céleste (Ap 22.2) sur les portes de laquelle sont inscrits les noms des douze apôtres de l’Agneau (Ap 21.12-14). Cela ne veut-il pas dire que toutes les bénédictions sont désormais accordées à l’Église universelle, composée de toutes les nations? Le rétablissement d’Israël est réalisé quand l’Évangile du salut est proclamé aux gentils (Ac 15.14-18). L’élargissement de la tente de Sion (És 54.1-3) s’accomplit lorsque par la foi les païens acceptent l’offre du salut.
Le nouveau commandement promis par le Seigneur à travers son serviteur Jérémie (Jr 31.31-34) assure actuellement un salut total à celui qui croit. Juifs et païens, sans l’intermédiaire d’une loi cérémonielle, mais par la seule foi au Christ, bénéficient du salut achevé par lui (Hé 8.8; 10.16-18).
Le symbolisme des eaux qui guérissent (Éz 47) s’actualise le jour de Pentecôte quand le Saint-Esprit est répandu sur les croyants (voir également Jn 7.37-39). La prédication d’Osée 2.25 — ceux qui ne sont pas mon peuple, seront appelés mon peuple — s’accomplit lorsque l’Église est fondée, comme le corps de ceux qui sont appelés non seulement parmi les juifs, mais encore parmi les païens (1 Pi 2.10).
En d’autres termes, lorsqu’une prophétie est destinée à un accomplissement dans la nouvelle dispensation, elle l’est selon l’Esprit même qui anime l’ère nouvelle. Il nous faut penser comme pensait le peuple du Nouveau Testament : non pas au retour vers Jérusalem, mais à une marche en avant, à partir de Jérusalem, jusqu’aux extrémités de la terre.
b. Romains 9 à 11←↰⤒🔗
Ces trois chapitres forment un ensemble presque en soi, quoiqu’intimement lié au passage qui le précède, qui se terminait par un chant de victoire. Curieusement, aussitôt que nous entamons ce nouveau paragraphe de la lettre aux Romains, nous entendons un soupir profond, une plainte presque déchirante, sortir du cœur de l’apôtre : « Je dis en vérité en Christ, et je ne mens point… » À quoi attribuer ce contraste soudain entre le chant de triomphe qui précède et la lamentation qui suit? Remarquons que le rapport entre le premier et la seconde est de nature émotionnelle. Il n’est pas théologique. L’apôtre dut méditer de la sorte : quelle prodigieuse bénédiction que celle de Dieu! Mais voici que mes frères selon la chair en sont à présent privés…
Pourtant, ils furent les premiers récipiendaires de la promesse. Les premiers versets du chapitre 9 dégagent une sainte passion. On y sent une effervescence spirituelle. Le style est animé. Les pensées les plus profondes se chevauchent. Une idée touche une autre idée, aussi profonde et riche que la précédente. Paul trempe sa plume dans l’encre de la vérité, mais aussi de l’amour fraternel envers ses proches selon la chair. Il répand son cœur, et ce faisant il répond à sa propre question. Le rejet d’Israël n’est pas total (Rm 9.9; 10.21; 11.26), il n’est pas arbitraire, il n’est pas absolu. Là se trouve la conclusion de l’argument qu’il a commencé au chapitre 11 et qui résume le chapitre 9. Certains lisent ces passages comme s’ils contenaient des vérités contradictoires. Comme s’il s’agissait de l’apogée d’une absurdité pathétique qui chercherait à harmoniser deux conceptions contradictoires de Dieu. Comment concilier, s’interroge-t-on, l’idée que d’une part Dieu tend sa main et d’autre part endurcit ceux-là mêmes vers qui il la tend? Comme si Dieu ne restait pas juste, tout en endurcissant des personnes individuelles qui se débarrassent de son amour! Quelle est alors la promesse contenue dans Romains 11.26?
Pour certains, dont Calvin, le célèbre pas en grec (« tout ») serait le nombre total des élus aussi bien juifs que païens, c’est-à-dire l’Église. D’autres n’y voient que le rétablissement d’Israël en tant que peuple, entité ethnique. Une partie dans ce groupe pense à Israël de manière collective, tandis qu’une autre retient seulement ceux qui vivront à la fin des temps! Certains, dont l’audace nous stupéfie, malgré toutes les évidences textuelles, incluent parmi les sauvés de la fin des « ressuscités » qui, au dernier moment — et seulement alors — participeraient à la conversion massive d’Israël. Enfin, un autre groupe d’exégètes, notamment des réformés parmi lesquels H. Bavinck, L. Berkhof, H. Ridderbos, Volbeda et le luthérien Lenski adoptent la position que nous ferons nôtre : le pas se réfère au nombre total des juifs élus en vue du salut.
Sans nous engager dans un long débat pour réfuter les premières positions, nous développerons plus loin la thèse adoptée par H.M. Matter, qu’il expose de manière très intéressante. Selon H. Bavinck, le terme « tout Israël » n’indique ni le peuple d’Israël converti massivement à la fin des temps ni l’Église composée de juifs et de païens.
Plus simplement, écrit-il, il s’agit du plérôme, de la plénitude qui, au cours de l’histoire de la rédemption, fut composée de vrais Israélites. On a cherché à ironiser sur la position adoptée par Calvin. Selon le grand réformateur, le « tout Israël » comprendrait l’Église, composée de juifs et de païens. Nous ne pensons pas que Calvin, même si à cet endroit nous ne le suivrons pas, ait eu tout à fait tort d’envisager cette possibilité. Cela est en partie ainsi. À ses yeux, le terme de pas désigne tous ceux qui placent leur confiance en Dieu. En cela, il a parfaitement raison. Toutefois, par une plus grande fidélité au texte apostolique, nous estimons que le « tout » désigne les juifs de la plénitude, ceux venant de toutes les époques et jusqu’à la fin des temps. Il englobe le reste fidèle selon l’élection de la grâce (Rm 11.5).
À certains, il peut sembler que Dieu ait définitivement et globalement rejeté Israël. Mais une telle attitude soulèverait un problème. Dieu serait-il donc infidèle? La réponse que donne Paul est un non catégorique. Toutefois, précise-t-il, c’est un nombre restreint de vrais croyants qui seront sauvés, parce qu’ils ont cru en la promesse et s’y sont accrochés. Les autres se sont endurcis. À cause de la présence sur la scène d’Israël d’un reste fidèle, l’endurcissement n’est pas total. Même s’il apparaît comme tel, il ne l’est pas en réalité (Rm 11.25).
En fait, au cours de la dispensation présente et jusqu’à ce que le nombre des païens élus atteigne sa plénitude et se rassemble dans l’Église, les juifs élus seront sauvés. « Ainsi tout Israël sera sauvé. » Notre thèse est en accord avec ce que nous découvrions au sujet du reste fidèle (voir aussi Rm 9.27 et 11.5). C’est ce reste-là qui est appelé le vrai Israël (Rm 9.6), les enfants de la promesse (Rm 9.8), une semence (9.7), ceux à qui Dieu fait miséricorde (Rm 9.15), le peuple qu’il a connu d’avance (11.2), les vrais croyants (11.4), ceux qu’il a élus (Rm 11.7).
Ceux qui ne prennent pas part à l’incrédulité de leurs frères selon la chair, mais qui ont cru au Christ, sont greffés sur lui, sur l’olivier (Rm 11.23). Cette théologie du « reste fidèle » n’est pas une innovation paulinienne si on tient compte des textes de l’Ancien Testament déjà évoqués plus haut.
Enfin, ce terme rend justice au mot « tout », pas. L’apôtre ne révèle pas qu’Israël sera converti massivement, mais simplement que « tout Israël sera sauvé ». Ce tout comprend le nombre total des juifs élus sans exception. Tous les élus. S’il existe un reste fidèle à l’époque d’Élie, il en existe aussi à l’époque de Paul, de même que de nos jours. Ensemble, et pris globalement, ce reste constitue le « tout Israël ». De la même manière, la plénitude des gentils indique celle des païens convertis, et nullement la totalité de l’humanité dans le sens d’un salut universel.
Enfin, notre interprétation rend également justice à « l’ainsi », outos en grec. Ce mot devrait être traduit à la lumière du contexte qui le précède. Or, ce contexte annonce l’endurcissement d’Israël qui n’est pas total et qui à travers la nouvelle dispensation ne le sera pas davantage. C’est là le mystère même dont parle l’apôtre. Ainsi, de même que jusqu’à la fin des temps il y aura des païens convertis, de même il y aura des juifs convertis, à cause de la grâce souveraine. Si Dieu en endurcit certains, il en épargne d’autres. En effet, quel mystère merveilleux! Si nous le recevons, nous hériterons de riches privilèges. Mais pensons aussi au grand danger que nous encourons si nous cherchons à échapper à notre responsabilité vis-à-vis de Dieu. Le rejet même d’Israël, au lieu d’annuler la promesse, rend le salut de tous possible. Dieu se servira du salut des païens pour inciter les juifs à la jalousie. Nous comprendrons alors pour quelle raison Paul conclut ce passage par une nouvelle doxologie. Il n’est pas vrai, veut-il faire comprendre, que Dieu ne s’intéresse plus au sort des juifs. Parmi le nombre des élus sauvés se trouve aussi un reste fidèle qui appartient au peuple d’Israël, comme le « reste » qu’il possède d’ailleurs à travers toutes les nations et qu’il s’est choisi, s’est acquis en Christ et qu’il conduit par l’Esprit à la lumière de sa Parole.
Ces considérations signifient-elles que toute distinction entre juifs et païens a été abrogée? En un sens oui. Mais en ce qui concerne notre approche et notre méthode d’évangélisation, la distinction devrait être maintenue. Si l’Évangile prêché par les apôtres a été le même pour les juifs que pour les païens, nous remarquons que le mode d’approche des uns et des autres a été passablement différent. Il n’est pas de nature horizontale, car de telles différences existent aussi entre les païens eux-mêmes. Au contraire, il provient du fait de la signification première que revêt le peuple d’Israël et du fait qu’il s’y trouve un reste fidèle (Dt 7.6-8). Ainsi que l’écrit Philippe E. Hughes, l’élection des Israélites n’était pas une carte blanche donnée par Dieu à tous les juifs; comme s’il leur était permis de vivre sans tenir compte de leurs obligations vis-à-vis de Dieu, sans respecter les clauses de l’Alliance. Le privilège implique le devoir, d’où les pressants avertissements et les fréquentes mises en garde (Dt 28.58-62).
Que ces avertissements n’aient jamais été de vains discours, nous l’apprenons par l’histoire tragique d’Israël. Son ingratitude et son infidélité lui attirent constamment des fléaux nationaux. Il n’était pas élu en vertu de ses qualités. Le chapitre 2 de la lettre aux Romains démontre comment juifs et païens sont également coupables et se retrouvent ensemble placés sous le jugement de Dieu. Bien entendu, c’est en vue d’une bénédiction librement accordée que les enfants d’Israël furent choisis, mais cette bénédiction devait s’étendre aussi à travers eux à d’autres. À présent, la Bonne Nouvelle est proclamée à tous. Le jour glorieux est arrivé qui amène non seulement la connaissance du salut au peuple de Dieu, mais encore la lumière à tous ceux qui étaient assis dans les ténèbres (Lc 1.77-79).
Cette perspective devient tout à fait claire lorsque les juifs deviennent les premiers destinataires de l’Évangile. Ce n’est qu’après seulement que le salut est annoncé aux païens. Siméon et Anne tiennent dans leurs bras l’enfant Jésus et l’accueillent comme le Rédempteur attendu. Tous les juifs auraient dû se précipiter vers lui, l’accueillir et en devenir les hérauts. En fait, les premiers chrétiens furent des fidèles d’origine juive. Mais la première violence contre l’Église fut aussi déclenchée par les autorités juives. Ce furent aussi des milliers de juifs qui, le jour de Pentecôte, accueillirent la prédication de l’Évangile. Paul aussi, comme les autres apôtres, était d’origine juive.
À présent, nous savons que le salut de ces derniers dépend uniquement de leur foi en Christ. Cependant, un certain nombre de dispensationalistes s’attendent à ce que les juifs se convertissent en voyant le Christ venir dans sa gloire. C’est alors qu’ils croiront! Une telle conception du salut par la vue et non par la foi est étrangère à l’Évangile, donc totalement illégitime. Elle relève d’une sotériologie (doctrine du salut) anormale, pour ne pas dire hérétique. Nulle part, le Nouveau Testament ne nous entretient d’un salut empiriquement obtenu. Il annonce la justification par la grâce, au moyen de la foi. On n’est pas autorisé à demander : montrez-nous Jésus et nous croirons (Jn 20.29; 2 Co 4.13).
Nous ne pouvons pas développer ici cette doctrine pivot de toute la théologie du Nouveau Testament. Qu’il suffise de consulter des passages clés du Nouveau Testament pour en retenir l’essentiel au sujet d’Israël. On s’apercevra que le même principe du salut s’applique aussi bien aux juifs qu’aux païens. Les prophètes, déjà en leur temps, n’indiquaient pas un principe différent. Jésus en témoigne personnellement.
Une analyse, même brève de 1 Pierre 1.10-12, nous conduira aux mêmes conclusions :
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La prophétie anticipe le salut par la grâce en Jésus-Christ, lequel s’est offert de manière vicariale, et est ressuscité glorieusement.
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Il était révélé aux prophètes que ce salut accordé à une époque qui les dépassait serait caractérisé par l’effusion du Saint-Esprit.
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L’accomplissement de la prophétie du salut d’Israël n’est possible que par la prédication de l’Évangile de Jésus, les choses qui vous ont été rapportées par ceux qui vous ont prêché l’Évangile.
Armés de cette intelligence du salut réservé à Israël, les apôtres prêchèrent le Christ comme l’unique fondement de salut pour quiconque croit. Ce principe s’applique aussi bien au juif qu’au païen (Ac 13.22-23; 15.7-11).
c. H.M. Matter à propos de Romains 9←↰⤒🔗
Dans une étude des chapitres 9 à 11 de l’épître aux Romains, H.M. Matter a exposé ce que saint Paul écrit au sujet d’un prétendu « sort futur » réservé à Israël. Nous le suivrons de près, en reproduisant de larges extraits de sa thèse.
En abordant la lecture de ces chapitres qui occupent une place considérable dans le corps de l’épître, il convient de nous rappeler que la lettre aux Romains, comme tous les écrits du Nouveau Testament et de l’Écriture tout entière, n’est pas constituée de deux parties distinctes, l’une doctrinale, l’autre morale ou pratique. Nous devons prendre garde de ne pas diviser ce que Dieu a uni. Par conséquent, nous ne sommes pas autorisés à faire une distinction entre la doctrine et l’éthique. L’une et l’autre sont « pratiques », c’est-à-dire qu’elles ont trait à notre propre salut, qu’elles sont de nature « sotériologique ». Par exemple, la justification par la foi des chapitres 3 à 5 n’est pas moins pratique, ou plus théorique, que les diverses exhortations contenues au chapitre 12. Il ne faut pas souligner l’importance de la partie dite « éthique » au détriment de la partie considérée comme « doctrinale ». L’Écriture n’est pas un traité doctrinal ou théologique, au sens où on comprend couramment ces termes. Plus qu’un ensemble de doctrines abstraites ou de règles et de conseils pratiques, l’Écriture, Parole de Dieu, est un message parénétique — message de salut — essentiellement destiné à l’exhortation et à la consolation.
Pourquoi ces précisions? Tout simplement parce que nous abordons ici un sujet, considéré d’ordinaire comme la révélation du plan de Dieu concernant un peuple, le peuple juif. On peut se demander si le Dieu de la Bible a l’habitude de révéler systématiquement, ou même à titre exceptionnel, ses plans concernant Israël, ou d’autres peuples, ou d’autres personnes. L’Écriture ne contient pas des vérités abstraites, mais elle nous révèle le salut en Christ.
Si nous avions la moindre conviction que tous les desseins de Dieu sont à notre portée, il serait urgent de nous joindre aux sectes qui savent tout calculer et tout prédire mieux que nous. Peut-être même choisir comme maître à penser le fondateur de la secte des Témoins de Jéhovah et considérer les auteurs des « Plans des âges » comme guides dignes de notre confiance!
Mais Dieu n’a pas l’habitude de nous dévoiler ses desseins concernant les autres; Romains 11.34 s’oppose à la prétention de saisir la pensée de Dieu. En revanche, il n’existe aucune pensée de Dieu dont nous soyons personnellement exclus. La seule chose sûre et certaine, c’est que la volonté de Dieu est bonne, sage et parfaite. L’Évangile est tout entier parénèse, c’est-à-dire exhortation et consolation. Son but est de nous atteindre et de nous amener à une décision personnelle de la foi. Lorsqu’il parle et énonce une vérité, nous sommes personnellement visés. II nous appelle à nous mettre personnellement de son côté. Certes, il est extrêmement réjouissant de savoir que Dieu veut sauver les autres. Cependant, nous ne serons jamais renseignés avec précision sur le sort qui leur est réservé.
La question que les disciples de Jésus posèrent un jour avec curiosité : « Seigneur, y a-t-il un petit nombre de sauvés? » n’a pas reçu de réponse, positive ou négative. Au contraire, une fois de plus, ils ont entendu l’appel à s’efforcer d’entrer eux-mêmes par la porte étroite. On est devant Dieu comme si l’on était le seul objet de son salut. La foi ne peut décider pour autrui, même s’il y a une attitude charitable envers les autres, un intérêt qui s’inspire de l’attitude de l’apôtre Paul dont nous avons l’écho au début du chapitre 9 de l’épître aux Romains. À ses risques et périls, l’apôtre voudrait tout faire pour qu’Israël soit sauvé. Mais cette charité-là va de pair avec la foi; elle n’est pas le résultat d’un calcul. Et la foi ne peut rien décider pour autrui. En réalité, l’apôtre expose dans ce chapitre, comme partout ailleurs, l’Évangile pour consoler ses lecteurs.
Afin de comprendre le développement de sa pensée, rappelons-nous les circonstances et l’époque à laquelle la lettre fut rédigée. Ce fut vers l’an 56, peu après l’expulsion des juifs de Rome par l’empereur Claude.
Dans cette situation, l’Église de Rome se trouva soudain dépourvue de l’appui et de la direction de ses membres d’origine juive, et elle se posa la question de savoir quel était le but de Dieu à l’égard d’Israël. Paul devait se douter de la perplexité de ces chrétiens. Aussi, il écrit pour les consoler. Si l’on s’attriste sur le sort de ses propres concitoyens, qu’on sache qu’Israël aussi peut être sauvé. Le fameux « ainsi » de Romains 11.26 ne veut pas dire plus que cela. Ainsi Israël sera sauvé.
Deux choses sont certaines. Dieu a fait des promesses à Israël. Celles-ci ont été accomplies en Christ. On ne doit donc plus rien attendre pour lui, ni en l’an 57 de notre ère, ni en 1948, lors de la constitution de l’État d’Israël. Mais comment ces promesses ont-elles agi? Autrement dit, quelle a été la modalité de l’Alliance conclue? On sait que celle-ci est un berith; les partenaires ne se trouvent pas sur un pied d’égalité. L’accomplissement des conditions par Israël ne peut être tenu pour méritoire. Au contraire, Israël selon l’esprit doit reconnaître devant Dieu son impuissance et implorer sa miséricorde. Dieu poursuit ses relations en présentant toujours les mêmes obligations et il ne va jamais au-delà de celles qu’il propose. Il ne sauve pas Israël d’une manière automatique. Si Israël se révolte, il ne peut pas espérer la bénédiction de l’Alliance.
C’est la raison pour laquelle on peut dire qu’il n’y a pas de mystère-révélation du plan de Dieu à l’égard d’Israël. Celui-ci a été placé devant un fait accompli, à savoir la réalisation de toutes les promesses prononcées jadis, dans et par la venue du Messie. Celui qu’Israël a rejeté est précisément celui en qui il aurait dû voir toutes ses espérances comblées. Si l’on veut continuer à croire qu’Israël doit s’attendre à une réalisation, même partielle, des promesses de Dieu dans les événements de 1948, par exemple, nous devons considérer que l’œuvre du Christ a été inefficace ou incomplète. D’autre part, l’apôtre établit clairement l’identité des vrais Israélites : ceux qui le sont selon l’Esprit. Tous les descendants d’Abraham ne sont pas ses fils et ne peuvent donc pas bénéficier des promesses. Preuve en soit Israël. Seul le fils qui vient, non pas en vertu de la loi naturelle, mais comme fils de la promesse, entrera dans la ligne de l’Alliance. Il faut rappeler aussi l’élection de Jacob et le rejet d’Ésaü (c’est là le vrai sens du terme biblique « haïr »).
Au cours de son histoire, Israël a voulu se prévaloir de ses droits et s’approprier les promesses; mais Dieu s’est opposé à cette prétention d’Israël selon la chair. Car Dieu peut susciter « des enfants d’Abraham, même des pierres ». Dans Galates 3, l’apôtre écrivait que le rôle d’Abraham était d’être l’ancêtre du Christ, le vrai descendant d’Israël selon l’Esprit. Dieu n’accorde pas de validité générale à ses promesses. Et il décide librement qui peut en bénéficier et qui en sera exclu. Tout facteur humain comme base d’élection est écarté. Personne ne peut lui prescrire une règle. Il accorde la promesse seulement à celui qui a la foi. La foi est la seule présupposition nécessaire sur laquelle se fonde la promesse. La priorité du juif dans le plan du salut n’est pas purement historique; elle est encore moins une priorité de principe, car Israël n’est pas un peuple d’élite. Il s’agit plutôt de la priorité qui inclut à la fois un privilège immérité et des responsabilités redoutables. Le juif possède sa Torah (Ancien Testament) depuis des siècles. Mieux que quiconque, il est informé et sollicité par la grâce. S’il croit, il devient enfant de l’élection (teknon tès éclogès).
L’Église a depuis toujours compris ainsi la position d’Israël. Les premiers membres de l’Église n’étaient ni juifs ni païens, ils étaient chrétiens.
Mais de nos jours, une étonnante théologie-fiction affirme que la question de Dieu et la question juive forment une seule et même question. Certains refusent même d’envisager la prédication de l’Évangile auprès des juifs parce que ces derniers seraient le peuple de Dieu! On oublie qu’on ne devient pas chrétien en passant par le judaïsme. Être spirituellement sémite n’équivaut pas à cette double et équivoque conversion. On fait parfois plus de symbolisme que de théologie en affirmant que Jérusalem est le centre du christianisme. Quelqu’un d’autre, mieux informé que nous, affirmait avec son autorité divine que l’heure était venue où on « n’adorerait plus à Jérusalem » (Jn 4.21). Ajoutons que, parmi les « signes des temps », le Seigneur ne mentionne pas le salut ethnique d’Israël. Si actuellement il reste un retour possible aux sources de la foi chrétienne, ce ne peut être qu’en revenant au texte grec du Nouveau Testament. Le Oui et l’Amen des promesses divines y sont inscrits avec force : en Christ, Dieu nous a tous réconciliés avec lui-même.
6. Souveraineté de Dieu et responsabilité humaine←⤒🔗
Une autre question importante surgit au sujet de la souveraineté de Dieu, qui fait des promesses et qui décide de ne pas les accomplir… selon les prévisions des hommes. Tout dépend de sa libre élection. C’est là la nature même de la grâce et de la promesse. La raison humaine peut protester. Est-il juste de méconnaître le caractère de l’œuvre humaine? Ne s’agit-il pas d’un arbitraire inadmissible exercé de la part de Dieu? Dieu est-il seul à décider de la destinée humaine? L’apôtre prévoit une telle question et il refuse d’en reconnaître la légitimité. Il n’y a ni injustice ni arbitraire de la part de Dieu. Il s’agit de voir et de comprendre de quelle manière fonctionne la justice de Dieu. L’apôtre n’essaie pas de défendre Dieu. Il n’argumente pas. S’il poursuivait le débat dans cette direction, il mesurerait Dieu selon des normes humaines. Si l’on s’obstinait à vouloir juger Dieu, on finirait toujours par le déclarer coupable. C’est pourquoi Paul évacue la question. La raison humaine prétend juger et dévaluer l’action de Dieu; mais selon la révélation, cette action est en parfaite harmonie avec toute l’activité salvatrice de Dieu (Ex 34.9). Dieu est totalement libre, et sa miséricorde n’est fondée que sur sa miséricorde. Sa souveraineté implique qu’il peut retirer sa promesse.
Pharaon se dresse contre Dieu, voulant limiter son intervention et s’imaginant agir en totale autonomie par rapport à lui. Pourtant, Dieu intervient pour « endurcir » le cœur du monarque égyptien. Aussi contradictoire que puisse paraître cette explication, elle est la seule qui préserve la souveraineté de Dieu et qui accorde une place à la liberté et à la responsabilité de l’homme. Auprès de Dieu, il existe des « vases de colère » et « des vases de choix » (Rm 9.21-23). Mais c’est à nous qu’il appartient d’être des vases de choix et d’éviter de devenir « des vases de colère », ou bien le terrain rocailleux sur lequel le grain est étouffé par les épines ou emporté par les oiseaux. Il n’existe pas de terrain naturellement argileux et destiné à la destruction. Si l’on choisit soi-même d’être argile, il faut s’attendre à être rejeté par Dieu qui nous en impute la responsabilité.
C’est pourquoi il faut se souvenir constamment du mot-clé de notre chapitre : « parénèse ». La Bible, Parole divine, est à la fois exhortation et consolation. Or, nous savons que l’homme n’est pas seulement argile, mais, s’il est permis de paraphraser Pascal, il est argile pensante… Il pose trop de questions, il se demande sans cesse ce que deviennent la liberté et la responsabilité de l’homme. Paul ne répond pas à de telles questions. Notre curiosité pose constamment la sempiternelle question de la toute-puissance de Dieu et de la liberté humaine. Mais cette question cache une dialectique qu’il faut refuser. L’homme dira invariablement : de deux choses l’une, ou bien Dieu est souverain et alors je ne puis être blâmé, ou bien je suis responsable et par conséquent je ne suis pas dépendant de Dieu. L’Écriture n’admet pas cette alternative. Dans le cas de l’éviction d’Israël, seul ce dernier est responsable. À nos yeux, il n’est pas facile de trouver une ligne de démarcation nette et discernable entre la décision divine et le rôle qui nous est imparti, car, en formulant nos questions de cette manière, nous nous plaçons sur un plan humain.
Selon Paul, comment l’homme peut-il se dresser face à son Créateur et le traduire devant le tribunal de son raisonnement? Il n’y a pas de justification de Dieu, car l’élection est une décision qui nous dépasse. Lorsque nous faisons le procès de Dieu, nous nous plaçons au centre de notre relation avec lui. Mais lorsque nous acceptons la prédestination, c’est Dieu qui occupe la première place, car l’élection exprime la souveraineté suprême. Ce n’est donc pas notre destinée qui prime la scène de la rédemption, mais l’action de la grâce et son triomphe final. La prédestination n’est pas une théorie rationnelle qui nous permettrait de nous aventurer dans les insondables secrets de la majesté divine. Elle ne résout pas les problèmes complexes concernant Israël ni les énigmes de notre vie personnelle. Mais elle traduit simplement notre confiance en Dieu et place entre ses mains tous les points d’interrogation. Elle est aussi un facteur de consolation. C’est par ces arguments que Paul démontre l’existence nécessaire de vases de colère et de vases de bonté, placés côte à côte et qui permettent à Dieu d’agir selon son dessein. L’élection est toujours une justification de l’impie, mais elle ne fait pas abstraction de l’obéissance.
Le salut d’Israël sera-t-il collectif? Absolument pas! Autrement, il faudrait compter Judas, Korah et Dothan parmi les futurs sauvés!
Nous devons tendre sans cesse l’oreille à l’avertissement : Ne t’abandonne pas à l’orgueil, regarde ce qui s’est produit dans le passé d’Israël! Quand le Fils de l’homme reviendra sur terre, trouvera-t-il la foi? Nous devons répondre personnellement à cette interrogation : « Oui, Seigneur, je crois, viens au secours de mon incrédulité. »
7. La grâce de Dieu à l’œuvre pour sauver juifs et païens←⤒🔗
Le professeur Berkouwer développe sa pensée dans cette même ligne, solidement biblique, et avec une évidente intention pastorale. Paul n’affirme pas, contrairement à ses interprètes « millénaristes », « alors tout Israël sera sauvé » (Rm 11.25) au sens temporel, c’est-à-dire après un temps plus ou moins long, lorsque le nombre total des élus d’origine non israélite sera complet, mais « ainsi » (outos) indiquant la manière dont se fera la conversion d’Israël. Israël, lui aussi, sera sauvé de la même manière que les chrétiens d’origine païenne. L’idée selon laquelle cette conversion aurait lieu à la fin des temps, comme le sceau qui en attesterait la plénitude, contredit la réflexion et l’œuvre missionnaire de Paul. Peut-on penser que l’apôtre se réjouisse de la conversion d’un petit nombre de ses compatriotes, ceux qui vivront « à la fin des temps »? Il existe de sérieuses raisons, poursuit plus loin Berkouwer, de supposer que Paul ne se réfère pas à une génération future, au sens que nous lui donnons, mais plutôt à celle de son propre temps. Il sait vivre, lui, « les derniers temps ». Il ne se préoccupe pas d’une dimension post-historique du temps, mais de la situation contemporaine. Ce qui permet d’affirmer que Romains 11.26 ne prévoit pas la révélation soudaine d’un mystère millénariste, mais s’attend à l’œuvre de Dieu au cours de l’histoire. C’est là le point essentiel de l’explication de ce texte.
La véritable question n’est pas de savoir quel est le nombre des Israélites « représentatifs », car le souci de l’apôtre pour le futur Israël ne vise pas un futur lointain, distant, mais celui dans lequel il peut, lui, voir la conversion de ses compatriotes. Il ne tire pas de conclusions logiques quant à Israël, mais aperçoit la grâce de Dieu à l’œuvre dans la situation des gentils. Alors, il est persuadé de sa fidélité, qui peut se manifester dans sa miséricorde même envers Israël. Il conserve donc à la fois la condition « si » et la « possibilité » de provoquer ses compatriotes à jalousie, dans le dessein d’en sauver ne serait-ce que quelques-uns. L’apôtre n’argumente pas de manière générale et abstraite en affirmant que « tout est possible à Dieu », mais s’engage aussi bien dans la prière que dans la mission, afin de convertir ceux qui appartiennent à son peuple. Il ne calcule pas; il médite, il prête une oreille attentive au mouvement de l’œuvre de Dieu dans le cours de l’histoire.
En apercevant les signes tangibles et efficaces de la miséricorde de Dieu envers les gentils, il se tourne une fois de plus vers Israël. Il ne pense pas en termes chronologiques; il ne spécule pas sur des mystères cachés ni ne tente d’élucider le secret d’événements futurs. Il ne s’intéresse qu’à l’Israël de son temps. Sans doute son espérance eschatologique était-elle composée de traits « imminents » (Rm 13.11). Dans cette tension eschatologique, ses yeux se portent sur les voies de Dieu, mais il n’a pas à faire une révélation millénariste. Si le « sera » n’était compris que comme la prédiction d’un événement futur, le verset s’isolerait du reste, comme s’il faisait partie d’un mystère et il faudrait expliquer sa présence comme une nouveauté dans les écrits de Paul. Mais s’il est pris dans le sens d’une prière, on saisit alors à la fois la grande peine qu’il éprouve pour son peuple et le zèle missionnaire qui l’anime.
L’apôtre persévère dans son espoir de voir Israël rentrer à la maison paternelle. Il s’adonne même à la louange à cause de cette espérance. Si Dieu a sauvé les païens, à plus forte raison sauvera-t-il les juifs. Une telle attente, qui n’a rien d’apocalyptique, engendre chez lui une activité apostolique prodigieuse. Ainsi que nous l’avons déjà remarqué, l’élection et la fidélité divines ne peuvent se concevoir comme des faits historiques qui agiraient automatiquement. Cependant, l’une et l’autre constituent des bases solides pour quiconque se tourne vers Dieu dans la repentance. C’est pourquoi Paul ne fait pas de distinction entre ce qui serait central et ce qui serait « périphérique »; il n’y a pas d’alternative juifs ou païens, païens ou juifs. Il prie pour que tout Israël se convertisse afin qu’il découvre le sens de son existence et de son élection dans l’Ancienne Alliance, afin qu’il vive lui aussi, comme les païens, de la seule grâce divine.
Puissions-nous, à la manière de l’apôtre, fixer nos regards sur l’action de Dieu — action miséricordieuse — plutôt que de discourir à la manière des prophètes apocalyptiques qui ont toujours des mystères ésotériques à dévoiler. Nous n’avons pas d’énigmes à résoudre — même pas concernant Israël —, mais nous devons être des témoins et des proclamateurs de la grâce. L’élection est source de pardon et elle commande l’humilité la plus profonde. Il existe dans l’Écriture sainte une corrélation constante entre le « chercher » et le « trouver ». Mais la Bible annonce aussi une autre nouvelle : Le sang du Christ purifie aussi bien le juif que le païen, et ceci, au-delà de tout ce que l’un et l’autre pouvaient espérer.
Ajoutons à tout ce qui vient d’être dit quelques considérations qui pourraient résumer notre position. Il faut convenir que la section de la lettre aux Romains, et notamment 11.25-32 traitant des rapports entre l’Église et Israël, soulève davantage la question de la prédestination et de la réprobation que la nature de ces rapports.
L’une des premières constatations que nous faisons à cet endroit est la place qu’occupe la communauté, plus que l’individu élu. Ainsi, la théologie paulinienne envisage un grand nombre de sauvés plutôt qu’un nombre restreint. Sans tomber dans le travers d’un universalisme qui ne se justifie pas sur le terrain biblique, on peut parler ici d’une élection maximaliste, au lieu d’envisager une prédestination minimaliste, ce qui serait davantage rattaché à une conception individuelle, pour ne pas dire individualiste, de l’élection. Les expressions « tout Israël » et le « plérôme des gentils » nous autorisent à le penser (Rm 11.25).
Ce verset n’envisage pas le salut individuel de chaque juif, et de chaque « païen ». L’apôtre Paul porte un intérêt à Israël dans son ensemble et à l’Église dans sa totalité. Il ne s’adonne pas à des statistiques, mais s’intéresse au premier et à la seconde en tant que représentants de tous les peuples de la terre. « Tout Israël » ne désigne pas la somme totale des individus d’origine juive, mais, ainsi que l’écrit E. Käsemann dans son commentaire, le peuple qui fonde l’individualité de ses membres.
La compassion de Dieu et son dessein de se réconcilier le monde englobe tous les peuples. La volonté de Dieu de sauver, ou d’exclure, doit se comprendre donc en ce sens « maximaliste ».
Le rapport entre l’Église et Israël est celui entre le premier et le second, voire le « dernier » au sens évangélique du terme. Israël avait été la première nation à qui l’Évangile du salut avait été annoncé (Rm 1.16; 9.14; 11.1; 11.29). Les chrétiens d’origine païenne ont été les « derniers » à le connaître. Ils sont comme la branche de l’olivier sauvage greffée sur le tronc que porte la racine. Mais la racine ne leur appartient pas en propre. Selon une règle biblique invariable, les premiers ont été les derniers afin que les derniers fussent les premiers. Ainsi, il faut s’attendre d’abord à la plénitude des gentils et ensuite au « tout Israël ».
Pour comprendre ce renversement, qui n’est pas exceptionnel, il faut se rappeler toute la pédagogie divine dans ce domaine des grades et des préséances!
Tout au long de l’histoire du salut, nous voyons de manière étonnante comment Dieu dépossède les puissants et rend les faibles forts : il abaisse celui qui est supérieur et il élève celui qui est de condition humble. Il rassasie les affamés, mais il renvoie le ventre creux ceux qui sont rassasiés. Dieu juge sévèrement les propres justes, tandis qu’il fait miséricorde et justifie les impies repentants. Il considère les « pieux » comme ses ennemis, mais il accueille les pécheurs, les prostituées et les publicains qui placent leur foi en lui seul. Ainsi sont exclus les premiers élus, et élus ceux qui avaient été réprouvés. Ce renversement nous annonce aussi, à sa manière, la Bonne Nouvelle.
Car lorsque Dieu avait choisi Israël, il ne l’avait pas fait à cause des mérites inhérents de ce peuple, par ailleurs considéré comme un « rien ». Ce n’est que la fidélité de Dieu qui fit de ce peuple « insignifiant » le peuple élu de Dieu, même lorsqu’il restait infidèle. L’histoire d’Israël aurait dû lui apprendre ce que c’est que d’être le dernier. Il aurait dû ainsi saisir la nature de la Bonne Nouvelle qui lui avait été annoncée. Mais que les chrétiens d’origine païenne se méfient et prennent garde de condamner trop vite et trop légèrement Israël l’apostat; car ce renversement actuel en leur faveur leur annonce à la fois le jugement de Dieu et sa grâce. Ils ne sont pas devenus l’Église de Dieu à cause de leur supériorité morale ou de leur sens « religieux ». S’ils cherchaient à se prévaloir d’une supériorité quelconque par rapport à Israël, ils commettraient le même péché que lui. Par conséquent, ils souffriraient aussi des mêmes conséquences.
Oserons-nous dire qu’en dernière analyse cette section n’annonce qu’une Bonne Nouvelle? Dieu a puissamment montré qu’il considère et Israël et les païens comme ses ennemis, mais qu’il manifeste à leur égard sa grâce qui élit et qui sauve.
Dieu est celui qui justifie les impies (Rm 4.5). L’avertissement actuel de l’apôtre s’adresse principalement aux païens. Que leur attitude envers Israël et leur mission parmi les juifs tiennent compte de cette histoire du salut. En un sens, Israël nous précède, et nous lui sommes redevables. « Le salut vient des juifs » (Jn 4.22), puisque c’est à leurs ancêtres que Dieu s’est révélé en premier, ce Dieu qui n’est autre que le Dieu de Jésus-Christ. Par conséquent, point d’orgueil. Mépriser Israël reviendrait à mépriser l’Évangile qui leur fut d’abord annoncé.
Si par esprit de supériorité nous pensons que Dieu ne peut plus pardonner à Israël ni le réintégrer comme faisant partie de son peuple, nous n’aurons, à notre tour, aucune assurance qu’il puisse nous pardonner. Il nous semble qu’à cet endroit, dans ce cas précis des rapports entre Israël et l’Église, nous trouvons un autre motif, très puissant, d’espérer, encore, « contre toute espérance ».
Cette espérance concerne le monde tout entier, l’humanité nouvelle créée en vue du Royaume de Dieu. Elle concerne la réconciliation, nullement l’obsession de savoir qui sera sauvé ou perdu. Cette espérance passe outre de toute conception d’un peuple d’élite, juif ou païen, et anime le cœur de ceux qui, ayant trouvé grâce aux yeux de Dieu, se joignent à l’hymne de l’apôtre pour contempler, pour méditer et pour louer la splendeur de la richesse, de la sagesse et de la connaissance de Dieu!
Notes
1. Voir mes deux articles intitulés Le dispensationalisme et Le millénium.
2. Voir Philip. E. Hughes, Interpreting Prophecy, p. 83ss.
3. Voir J. Murray, Commentaire sur la lettre aux Romains, vol. II; p. 9-10.