Jean 1 - Que cherchez-vous?
Jean 1 - Que cherchez-vous?
« Jésus se retourna, vit qu’ils le suivaient et leur dit : Que cherchez-vous? Ils lui dirent : Maître, où demeures-tu? »
Jean 1.38
Chacun est à la recherche de quelque chose; cela saute immédiatement aux yeux chez les uns; chez les autres, c’est moins clair, mais tout aussi certain. Ce flot incessant d’hommes et de femmes cache un monde secret de pensées et de désirs. Sur le visage des uns, on lit la joie et le contentement; celui des autres trahit une inquiétude profonde ou encore une incertitude évidente…
Il y a l’impatient, toujours pressé, qui ne peut ni attendre ni s’attarder, qui n’a pas une seule minute de son temps précieux à perdre. D’autres flânent indécis, ou peut-être emportés par la vague qui les bouscule et les pousse en avant.
Un monde vaste, plein d’impulsions obscures; un monde en perpétuelle mouvance qui ressemble à un cri, à une passion. Parfois un cri à peine perceptible, ailleurs une passion contraignante… Clair ou moins clair, conscient ou moins conscient, ce flot de vie et de mouvement est là, qui coule vers on ne sait où…
Que poursuivez-vous? Quelle est l’ambition, le motif qui vous propulse?
Ce n’est pas une question rhétorique de prédicateur, d’homme mortel, mais l’interrogation venant de la part de Dieu en personne. Elle s’adresse à tout homme aujourd’hui, directement, avec la même force qu’il y a deux mille ans sur les rives du Jourdain dans un endroit obscur du Moyen-Orient.
Jésus la posait pour la première fois, au début de sa carrière publique. « Que cherchez-vous? » Entouré de curieux et se voyant suivi par ceux qui le cherchaient, il la pose de manière percutante, troublante, comme chacune de ses interrogations.
Le contexte en était la célèbre affirmation de Jean, surnommé le Baptiste : « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde » (Jn 1.29). Deux des amis du Baptiste s’étaient aussitôt mis à suivre Jésus. À présent, le Maître se tourne vers ces deux jeunes galiléens, pêcheurs de leur métier : « Que cherchez-vous? »
C’est la même interrogation qu’il pose à chaque être humain depuis deux mille ans : Que cherches-tu, jeune homme, jeune fille? C’est une question simple, car les questions essentielles posées par Jésus sont toujours d’une grande simplicité, afin de permettre à chacun et à chacune d’y répondre sans détour et sans ambages.
Question simple, mais percutante, propre à se loger dans les recoins les plus obscurs de notre esprit, pour nous obliger à réfléchir, pour nous talonner et même nous bouleverser…
Des hommes et des femmes — et ils sont foule — mènent une existence sans but ni idéal. Leur vie, sans direction ni boussole, est le jouet de pulsions élémentaires, presque instinctives, et ils sont ballottés par tout vent. Ils semblent toujours être les victimes de circonstances qu’ils ne peuvent dominer ni même éviter. Sans idée centrale ni principe régulateur, ne sachant désirer rien d’autre que ce qu’ils peuvent obtenir pour le moment fugitif, les voilà comme du bois sec sur les flots d’un torrent impétueux. Ils n’ont aucun objectif pour lequel lutter. Ils ignorent surtout qu’ils ont été créés en vue d’une mission précise, d’une tâche exaltante sans laquelle leur existence tout entière n’est qu’un immense gâchis, une disgrâce sans fin…
Mais même des buts précis et des objectifs ne font pas, en tant que tels, la réussite d’une vie. Il y a des buts qui ne valent même pas la peine d’être mentionnés. D’autres auraient plutôt besoin de la couverture de la nuit, car ils ne supporteraient pas la lumière du jour. Il y a des hommes qui cherchent de l’or dans les tourbières et des perles dans tous les coquillages, ou encore des fruits doux sur les chardons, ignorant qu’ils peuvent refaire et réorienter leur existence.
D’autres peuvent se prévaloir d’un niveau supérieur. Mais sous les apparences et sous la mince pellicule d’idéal se cachent tellement de passions et de désirs qu’on ne sait pas vraiment quelle est la dynamique qui contrôle l’expression de leur vie et de leurs actes. Car chaque personne n’est que celle qu’elle désire être au plus secret de son cœur, et ce qui semble caché pour un moment, enfoui dans ce for intérieur, peut émerger à la surface et s’exprimer en paroles et en actes. Il n’est pas aisé de porter continuellement un masque… Un jour ou l’autre, celui-ci sera déchiré pour laisser apparaître le vrai visage de chacun. Si nous tenons à dissimuler la réalité aux yeux des hommes, Dieu, lui, peut nous arracher ce masque à n’importe quel moment, se débarrasser des apparences que nous avons soigneusement façonnées et conservées, parfois à longueur de vie, pour ne laisser apparaître au grand jour que la seule vérité.
Les hommes semblent torturés par la soif inextinguible de l’argent. La passion du gain, avec tant d’énergies mises au service d’un profit parfois sordide, peut les conduire jusqu’à sacrifier leur propre bonheur et celui de leur entourage. Ils sont dévorés par l’appétit insatiable et vorace de tout ce qui se vend et s’achète. Les tensions qui, dans le monde de l’industrie, du commerce et du travail, déchirent les hommes entre eux et même les couches sociales entre elles font apparaître cette lutte acharnée. Comment gagner plus, posséder davantage, augmenter ses revenus, consolider la sécurité économique? Voilà la seule et unique forme de recherche du bonheur pour un très grand nombre d’hommes et de femmes.
D’habiles et malhonnêtes politiciens attisent ce feu dévorant, et ouvriers et patrons se querellent pour la même raison. Et si on peut parler d’inégalité de revenus, on ne saurait en dire autant en ce qui concerne l’inégalité morale. Car la plupart du temps nous nous trouvons, sur ce terrain, face à l’égalité absolue dans le mal, la solidarité universelle dans la médiocrité et le matérialisme.
L’image réelle du monde contemporain est à peu près celle-là. Ne vivre que pour la nourriture, pour les loisirs, pour l’alcool, pour l’appartement confortable, pour la voiture rapide ou encore pour changer de maîtresse ou de partenaire. Quel néant, quelle vanité, qui détruiront sûrement et sans tarder toute capacité de vivre la vraie vie! Jésus l’avait dit sans ambiguïté : « La vie d’un homme est bien plus que le boire ou le manger… »
Nul n’oserait affirmer brutalement et crûment que l’objectif qu’il poursuit est la possession des biens matériels. Mais peu importe la manière dont nous formulons nos théories et nos ambitions. L’essentiel reste dévoilé sous le regard scrutateur de celui qui examine nos motifs les plus cachés et dénonce les mobiles inavoués de nos actes. Selon Jésus, la maison que l’on a bâtie peut tomber en ruines, l’argent être dilapidé ou volé, les actions s’envoler et la vie elle-même peut s’évanouir tel un souffle, au moment le plus inattendu…
Que restera-t-il des possessions et des divertissements? L’offre de ces derniers est abondante, les moyens nombreux et toujours plus perfectionnés. Notre société est devenue une boutique à fabriquer la débauche, depuis la plus raffinée jusqu’à la plus grossière. Même les Églises semblent être prises dans la course, rivalisant avec le monde extérieur pour offrir toujours plus de loisirs afin d’attirer les jeunes et pour retenir ceux qui fuient…
Que cherchons-nous le matin, en nous levant, le soir après 17 heures, quand arrive le moment de quitter l’atelier, le bureau ou l’école? Il faut veiller, car notre cœur est trompeur. Sous prétexte d’idéal, on peut nourrir l’ambition, cultiver l’orgueil ou chercher la popularité avec passion. Jésus-Christ pose une question incisive; il attend une réponse honnête et lucide.
Nous serons en mesure de répondre si nous savons tout d’abord qui nous sommes. Nous sommes faits à l’image de Dieu, investis d’une mission. Christ a parfaitement défini le but de l’existence : « Cherchez le Royaume de Dieu. » Même si notre conformité à cet idéal était imparfaite, il reste l’unique idéal.
La faim la plus tenace et la plus profonde est celle que nous ressentons pour Dieu. La tragédie vient lorsque nous remplaçons le Dieu vivant par une idole trompeuse. Lorsque nous cherchons Dieu et que nous le trouvons en la personne de Jésus-Christ, notre faim est apaisée et notre soif assouvie.
Mais Christ, qui nous interroge, est celui qui est venu nous chercher le premier. Il est venu non pas pour nous laisser perplexes devant son interrogation, mais pour nous accorder aussi la réponse. Il sait que nous ne serons jamais en mesure de lui répondre tant que nous n’aurons pas fait la découverte de sa personne.
S’il nous trouble, c’est pour nous acculer à l’impossible, nous arracher à nos perplexités, à nos égarements aussi bien qu’à notre suffisance. Sans lui, notre réponse et nos quêtes seront immanquablement futiles.
Reconnaissons qu’il n’est jamais aisé de se trouver en face de Jésus, de le suivre, de nous mettre en sa compagnie… Mais quelle rêverie absurde, quelle illusion, si nous nous imaginions trouver une réponse ailleurs qu’en lui!